Déliquescence, Septième Partie

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Le froid continue de s’installer autour d’Iris. Ce souffle incongru la rappelle à ses souvenances de jeune fille.
Elle se redresse, et se tourne vers le blizzard gris. Une sensation étrange accompagne son regard. Ses yeux sont attirés dans cette direction, et lorsqu’elle pointe dans un coin de la tempête, le dos de sa main gauche la picote. Elle plisse les yeux pour chercher dans les flots de cendre un signe quelconque.

Dans cet océan grisâtre, elle croit voir un mouvement contraire.

Un nuage de cendres incandescentes, qui file dans sa direction.

Sa Marque l’alerte, elle dégaine sa canne et fait jaillir la lame de cette dernière, pointant l’acier devant elle.

Le nuage grossit à vue d’œil, un crépitement se fait entendre dans les bourrasques.

Il s’abat sur le bord du plateau, et ses particules se répandent au sol, comme des billes grises qui s’épandraient en roulant. Elles finissent par ralentir, puis s’arrêter.

Elles restent en suspension, en rotation sur elle-même, jusqu’à ce qu’une contraction de l’air, accompagnée d’une aspiration glaciale, les amène à converger vers le point où le nuage a éclaté.
Les sédiments s’amoncellent. Plus ils se grimpent les uns sur les autres, plus leur éclat resplendit. Bientôt, le gris cède au bleu, et une forme vaguement humanoïde apparaît.
Iris regarde se préciser sous ses yeux tremblants la silhouette très familière d’un spectre de son passé.
Son corps émacié se conclut par un masque de cire.

Il aura fallu onze ans pour qu’il lui revienne autrement qu’en songe, et en dialogue à sens unique.

Masqué se redresse, le dos de sa main gauche, brillant de sous son voile.

La lame tremble dans l’air.
Masqué toise Iris sans mot dire. La jeune Marquée sent la tension respective des deux Marques. Elles s’appellent, mais les flux qui se dégagent d’elles se percutent et forment comme un mur qu’aucune des deux n’oserait franchir.
La femme finit par abaisser son arme. Son cœur se réchauffe de le revoir, de savoir qu’il n’était peut-être pas qu’un fantasme d’une jeune fille esseulée.
Son correspondant, venu d’un autre continent, était bel et bien une personne. Sinon en chair et en os, au moins de voile et de cire.

Elle bombe le torse, et lui dit :
« Tu es venu avec Vylyindyl ? »
Masqué la regarde. L’air autour de lui se met à trembler, tandis que sa voix parvient jusqu’à l’intérieur du crâne d’Iris.

En effet. Iris mord l’intérieur de sa joue en entendant la nouvelle. Masqué est un haut cadre de la civilisation Vylyindienne, le chef d’un ordre d’assassins : les Fantômes.

Ce n’est pas un hasard, s’il est venu.

Mais ce n’est pas non plus un hasard qu’il soit venu la voir elle avant que l’armée ne rejoigne Ragwell.
« Tu ne serais pas venu me tuer, n’est-ce pas ? »
Sa lame toujours tirée au clair, Iris regarde son interlocuteur, et essaye de déceler le moindre signe d’agressivité. Il ne bouge pas d’un pouce, et conserve sa posture neutre.
Non. Vylyindyl n’a pas d’intentions belliqueuses. Iris fronce les sourcils. Si les Vylyindiens n’ont pas l’intention de conquérir Rysonnel, pourquoi venir avec une Armée ?

« Pourquoi venir en force alors ? Nos rapports font état de trois mille hommes. »
Vos rapports sont corrects. Affirme-t-il d’abord avant de poursuivre : L’Armée est là pour assurer la sécurité du Haut Conseiller qui vient négocier avec le Conseil de Ragwell. C’est une assurance qu’il ne se fera pas assassiner.

« A-t-il besoin de trois mille gardes du corps ? Ironise Iris, arrachant un léger souffle qui pourrait presque passer pour un rire. »
S’il venait négocier sur un terrain neutre, il pourrait se contenter de moi et de mes Fantômes. Iris note cette information dans son esprit, la simple évocation des Assassins qui accompagnent Masqué fit dresser les poils d'Iris. Mais face à une Capitale qui a sa propre Armée, mieux vaut avoir des moyens de pression en cas d’assassinat ou de tentative.

Iris aurait pu faire l’erreur de révéler l’état des forces de Ragwell. Mais elle a le bon réflexe de se souvenir de l’importance de l’ambiguïté stratégique et de la nécessité de garder son jeu secret dans les affaires politiques - notamment guerrières. Elle acquiesce, et répond :
« Que vient-il négocier ? »
L’ordre du monde d’après. Déclare Masqué en haussant les épaules. Iris considère cette réponse avec prudence, sans savoir quoi en faire précisément. Il a tiré un simple constat : Ni Vylyindyl, ni Rysonell, ne peuvent survivre seules face aux enjeux de l’agonie du Soleil.

Ce n’est pas stupide. Mais qu’est-ce que Vylyindyl peut apporter à Rysonell, concrètement ? Iris, loin d’être convaincue, s’interroge tout de même sur une donnée essentielle.
Qui est ce il ?

« Qui a tiré ce constat ? »
Masqué jette un œil à la tombe, à côté de l’arbre. Un instant, il semble réfléchir, puis, revient vers son interlocutrice, et répond :
Le dernier des trois Hauts Conseillers vivants de Vylyindyl, Sayem.

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