Déliquescence, Dixième Partie

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Ses poings se serrent, et elle fait volte-face, repartant en direction des portes de la salle du Trône.
Derrière elle, on accourt pour la rattraper, sous l’air réprobateur de Nimod.

Iris passe devant les deux gardes, son pas ne fait qu’accélérer.

Une pointe de douleur à l’avant du crâne, une brûlure à la main droite, et les chants qui la harcèlent.

Tout s’intensifie, à mesure qu’elle cède à sa rage.

Ce n’est certainement pas le moment pour qu’on lui attrape la main.
D’un geste vif, elle se dégage de la prise en tordant le poignet qui vient de la saisir. Elle y met tant de force qu’elle sent les tendons sous la pression de ses doigts.
Une poussée sur son épaule et une voix familière l’interrompt subitement :
« Calme-toi ! »

Iris lève ses yeux. Elle confond l’expression désolée de sa mère avec de la colère, et serre les dents avant de se détacher d’elle et de poursuivre sa route dans les couloirs du Palais.
Derrière elle, un râle de frustration annonce que sa poursuivante ne lâche pas l’affaire. Marion suit sans problème le rythme de marche de sa fille, et ne la laisse pas lui échapper :
« Tu veux bien t’arrêter deux minutes !? »

Elles étaient désormais assez loin des deux gardes et à distance de hurlements de la salle du conseil. Peu de choses pouvaient encore endiguer la fureur d’Iris, et Marion avait peine à cacher les claquements de sa mâchoire et les contractions de ses mains.
Elle avait même peur qu’Iris puisse entendre les pulsations de son cœur, alors qu’elle sentait jusqu’ici l’odeur d’énergie chaude qui se dégageait de la Marque de sa fille :
« Tu as très bien parlé. Sa gorge se serre et elle expire lourdement. Je n’aurais jamais cru que tu débarquerais comme ça, et encore moins que tu puisses faire preuve d’autant de bonne foi et de contrôle de toi face à ce connard de Nimod. Moi j’aurais pas pu à ton âge, j’étais trop occupée à parcourir le Royaume à la recherche de poussière et de toiles d’araignée. »

Iris, à un autre moment, aurait sans doute apprécié découvrir que sa mère était capable d’essayer d’être drôle. Drôle et compréhensive.
Elle entrouvre la bouche, prête à répliquer avec sauvagerie à ce que sa mère essaye de lui dire. Mais elle s’arrête sur le souffle d’une première syllabe.
Elle vient d’entendre un compliment de la part de sa mère.
C’est bien assez pour provoquer sa sidération. Face à ce regard figé, et l’expression confuse de sa fille, Marion ne sait pas si ce qu’elle a fait est bon, ou mauvais. Face à cette ambiguïté, sa tension monte encore d’un cran.
Elle reprend la parole :
« Mais qu’est-ce qui t’a pris… elle hausse le ton, et le visage d’Iris s’assombrit de nouveau… je t’avais dit de rester en deh... »

La main d’Iris lui percute l’épaule avec assez de force pour qu’elle recule d’un pas.

Elle a senti le coup, mais c’est l’image du regard de sa fille qui fait choc.

Ces pupilles dilatées, enflammées, elle les a vues une fois.

Chez son père, juste avant qu’il confronte Ylius.

Et ne trouve la mort.

Marion suit sa fille du regard.

Elle aimerait pouvoir la poursuivre, mais ses jambes restent figées au sol.

L’air autour d’Iris est si tendu que la cendre qu’elle foule du pied s’illumine.
Fulminant sous l’indifférence céleste, Iris fait les cent pas dans la cour du Palais.

Les chants sont d’autant plus harcelants qu’elle est seule à les entendre. Elle se tient la tempe, jurant contre ce vacarme qui l’isole encore plus.

Mais comme beaucoup de choses, elle n’en a pas la maîtrise, et seul son calme saura faire taire ce concert de voix.
Iris, ralentit ses expirations, reprend contrôle de son souffle en serrant les poings, en déchargeant jusqu’au dernier atome d’air dans ses poumons.

Elle expire si longuement qu’elle manque presque de pousser un râle à chaque fois qu’elle prend une bouffée d’oxygène. Elle s’applique à cette tâche tant et si bien qu’elle prend conscience des mouvements de sa plèvre.

Lorsque son cœur bat à nouveau à une vitesse normale, les sanglots lui compriment la poitrine.

Humiliée.

Mais fière.
Elle efface d’un revers de manche ses larmes, et regarde le sol. Les grains de cendre roulent les uns sur les autres, s’embrasant à son approche…
… mais aussi à proximité du monolithe.

La jeune Marquée regarde la flèche sombre. À la base de la tour anthracite, les braises de l’astre se massent en petit tas. Elle fronce les sourcils et s’approche, levant sa main Marquée pour percevoir la densité énergétique dans l’air.

Il fait chaud. Une chaleur agréable, qui pénètre et communie avec le liquide qui coule dans ses veines. Elle s’approche du monolithe et alors qu’elle pensait s’être débarrassée des chants, ils lui reviennent.

Mais pas de la même manière. Elle ne les entend pas dans sa tête.

En regardant à la base du monolithe, elle aperçoit les cendres qui se glissent sous un fin interstice, et de ce dernier, jaillissent des particules de poussière de roche, projetées par des ondes.

Des ondes sonores.

Ne sachant comment interpréter cela, Iris appose sa main sur la surface du monolithe, sentant le métal vibrer sous sa peau.

Toute la structure… frémit.

Et les tremblements s’intensifient. Ils commencent à se séquencer. À saccader, comme s’il y avait un staccato qui s’était mis à rythmer les chants et les vibrations.

Iris se sent comprise par les sons, une cohérence parfaite entre la musique et son corps s’harmonise progressivement.

C’est quand elle sent les palpitations de son cœur, calées sur le rythme des chants.
Que le métal sous ses doigts s’enfonce.

Son appui venant de se soustraire, elle manque de s’effondrer. Elle cligne des yeux en se redressant, sentant encore dans son corps le rythme du staccato du monolithe.

Devant elle, une sorte d’alcôve se dévoile, laissant largement l’espace pour qu’elle s’y glisse.

Les braises d’énergie s’infiltrent dans l’ouverture. Elle sent la chaleur qui l’y invite.

Elle regarde autour d’elle, personne n’assiste à la scène. Une part non négligeable d’Iris lui ordonne de faire demi-tour, et de ne pas s’engager dans cette drôle d’alcôve. Si elle s’est ouverte, c’est qu’elle va se refermer.

Mais la fumée qui se dégage de sa Marque incandescente lui intime de suivre un instinct dont on lui a appris à se méfier.

Amel et Marion n’ont jamais eu de réponses à ses questions.

Et sa vie n’a avancée que parce qu’elle a désobéi. Elle venait à nouveau d’en avoir la preuve.

Serrant le poing droit, elle s’engage dans l’alcôve.

Et dès qu’elle y entre, un mur se forme entre elle et l’extérieur.

L’instant qui suit, Iris a disparu de la cour, seule demeure l’aspiration continue des braises énergétiques par le monolithe.

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