Le silence après la tempête
C’était un mardi. Un de ces jours gris et suspendus où le vent semblait souffler sans but dans la cour du collège. Louane, comme à son habitude, mangeait seule sous le vieux marronnier, au fond de la cour. Elle lisait un article sur les pluies de météores dans un vieux magazine froissé, les genoux repliés contre elle.
C’est là qu’ils sont venus.
Ils étaient trois. Toujours les mêmes. Hugo, Théo, et l’autre — celui qui ne parlait jamais mais riait le plus fort. Des garçons à l’assurance creuse, celle qui s’alimente des faiblesses des autres.
— Alors, Louane ? T’as vu des aliens aujourd’hui ? demanda Hugo en s’asseyant sans invitation à côté d’elle.
— Ou peut-être qu’elle attend un message codé dans les frites, ricana Théo en lui piquant son dessert.
Louane ne répondit pas. Elle ne répondait plus depuis longtemps. Elle replia juste son magazine lentement, sans leur accorder un regard.
— T’as pas compris qu’on t’aime pas ici ? C’est triste, quand même, d’être aussi… inutile, ajouta l’autre, sa voix presque douce, comme s’il faisait une remarque banale.
Puis soudain, une voix claire, tranchante :
— Hé. Vous avez fini de baver votre médiocrité ou faut que je vous traduise en langage binaire ?
Silence. Les trois se retournèrent.
Auguste.
Il se tenait là, bras croisés, l’air calme, presque désinvolte — mais dans ses yeux brillait une colère froide. Pas explosive. Plus dangereuse encore.
— C’est bon, mec. On plaisantait, grogna Hugo.
— Non. Ce qui est "bon", c’est que vous dégagiez. Maintenant.
Théo esquissa un rire nerveux. — Tu vas la défendre maintenant ? Sérieux ? Tu sais à qui tu parles, là ?
Auguste s’approcha d’un pas. Il ne criait pas. Il n’avait pas besoin.
— Je parle à des parasites. Qui n’existeraient même pas si Louane ne vous servait pas de cible.
Un flottement. Un malaise. Le ton avait changé. Les autres élèves commençaient à observer de loin.
— C’est qu’une fille bizarre, mec, souffla Hugo. Tu vas pas ruiner ta réputation pour elle…
Auguste le fixa droit dans les yeux.
— Si t’as besoin d’écraser quelqu’un pour exister, c’est que t’existes pas vraiment. Et si c’est ça une réputation ici… je préfère la perdre.
Les garçons reculèrent. Un dernier regard dédaigneux, puis ils s’éloignèrent, marmonnant dans leurs dents.
Louane n’avait pas bougé. Elle avait juste baissé les yeux, les mains tremblantes. Quand Auguste se tourna vers elle, elle murmurait, à peine audible :
— Tu n’aurais pas dû…
— Peut-être. Mais je voulais.
Il lui tendit le dessert que Théo avait pris. Il avait été un peu écrasé. Comme elle.
— Ça a pas l’air très bon… mais c’est à toi, dit-il.
Elle leva les yeux vers lui. Et là, elle vit ce que peu de gens savent regarder : une forme de tristesse dans la force. Une faille sincère. Un cœur qui se reconnaît.
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