Chapitre 22 (première partie)

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Inverie, été 1735

Les premiers mois de notre vie à Inverie avaient passé très vite. J'avais beaucoup à faire, mais heureusement, Alex était toujours là et avait veillé à nos intérêts et à la bonne marche du domaine. Il avait eu parfois quelques difficultés et mon oncle ou Caleb étaient intervenus, notamment depuis que Logan Campbell avait été reconnu comme laird du clan voisin. Cela n'augurait rien de bon et je me doutais que nos relations seraient toujours tendues. Quand Alex m'apprit la nouvelle, je n'en fus pas vraiment réjoui. Il me dit cependant qu'une fois réglés quelques menus différends, une sorte de froide ignorance s'était instaurée, ce que des hommes comme John Delaery ou Ray Donovan allaient me confirmer lorsque j'allais leur rendre visite.

A chaque jour qui passait, je prenais un peu plus la mesure de ma charge. Lorsqu'en juin, j'avais entamé ce petit voyage sur mes terres avec Hugues et Héloïse, entre autres, j'étais déjà bien au fait de notre situation. Les années que j'avais passées en France avaient globalement été de bonnes années. Il n'y avait pas eu d'été pourri, d'épidémie tant chez les hommes que chez les bêtes. Seule ombre au tableau, la situation politique du pays et l'emprise de l'Angleterre qui se resserrait autour de nous. Nous faisions face, aussi bien que nous le pouvions. Mais le ferment de la sédition et du soulèvement était en germe. Ne manquait plus que l'étincelle pour le déclencher.

Lors de ce voyage, je pus constater combien les hommes du clan étaient satisfaits de voir enfin un chef revenir. Certes, mon oncle Craig avait veillé à ce que les terres d'Inverie ne paraissent pas abandonnées, mais mon retour en soulagea plus d'un : désormais, ils auraient un interlocuteur et un protecteur. La présence d'Héloïse à mes côtés ne fut pas non plus étrangère, je pense, à ces impressions : le futur laird que j'étais était marié, avec une jeune femme qui, même si elle n'était pas d'origine écossaise, parlait gaëlique, connaissait déjà certaines coutumes et pratiques de notre vie quotidienne. C'était un atout. Elle les surprit plus d'une fois, par sa démarche ou son accent, et fit bonne impression à tous. Je me sentais fier d'elle aussi, de cette façon qu'elle avait de se sentir proche des gens, depuis les plus humbles jusqu'aux chefs de village.

Un jour, en traversant un gros bourg, un garçonnet de six ou sept ans à peine l'interpella. Nous étions arrivés depuis peu et le chef venait tout juste de nous saluer. Plusieurs personnes nous entouraient déjà et je percevais leur intérêt, tant à me revoir qu'à voir Héloïse : ma femme les rendait tous curieux. Il n'était pas fréquent, en effet, qu'une lady voyageât ainsi avec son époux, juste pour visiter le clan. Mais ils appréciaient, je le savais, à leur façon de lui parler ou même de me faire quelques petites remarques en aparté.

Le garçon, donc, se trouvait là, avec quelques autres bambins plus ou moins accrochés aux jupes de leurs mères. Il s'adressa à Héloïse avec un ton malicieux. Sa bouille n'était pas très propre, mais il paraissait vif et il avait déjà ce franc-parler propre aux gens de mon pays :

- My Lady ! Est-ce vrai que vous ne marchez pas comme nous ? Que vous ne parlez pas comme nous ?

Bien d'autres qu'Héloïse se seraient offusquées de la remarque et bien des maris se seraient saisis du gamin pour lui donner une bonne correction, mais en l'entendant, elle éclata de rire, ne me laissant pas le temps de réagir. Je l'avais, de toute façon depuis le début de notre voyage, laissée parler avec les uns et les autres, faire d'elle-même ses propres rencontres et opinions sur les gens.

- Oui, c'est vrai ! Je n'ai pas le même accent nasillard que toi et je cours moins vite qu'un enfant de ton âge. Mais je peux t'attraper par le col et t'apprendre à filer droit !

Et tout en gardant son sourire, elle lui fit les gros yeux d'un air faussement menaçant. Le gamin rit de plus belle et ceux qui l'entouraient firent de même. Héloïse fit quelques pas vers l'enfant qui crut alors qu'elle allait mettre sa menace à exécution, mais elle se campa simplement devant lui, les poings sur les hanches, telle une matrone highlandaise faisant la leçon à sa marmaille :

- Quand j'avais ton âge, j'étais une petite aventurière. J'ai fait une mauvaise chute et je me suis brisé la jambe. Depuis, je boite. Mais cela ne m'a pas empêchée de faire un long voyage pour venir jusqu'ici, de traverser la mer sur un bateau, puis de franchir toutes vos montagnes pour m'enraciner sur les terres d'Inverie. Et j'ai bien l'intention que toutes les branches qui surgiront de cette terre soient aussi fières et vaillantes que le coeur des hommes des Highlands, et courageuses et fortes comme celui des femmes des Highlands. Si tu voyages aussi loin que moi, alors seulement tu pourras revenir me faire la leçon sur ma façon de parler ou de marcher.

Le gamin la fixait avec des yeux ronds, le silence s'était fait parmi notre petit groupe, tous suivant avec intérêt leur échange, mais observant surtout Héloïse. Je vis un léger sourire se dessiner sur le visage d'une femme, sans doute la mère d'enfants présents. Et je sus qu'Héloïse, avant même que j'eusse à dire le moindre mot, avait déjà fait leur conquête.

**

Ce fut au cours de ce voyage qu'Héloïse retomba enceinte. Nous rentrâmes donc à Inverie avec la promesse d'une nouvelle vie à venir, un vrai miracle qui balayait toutes les peurs que j'avais pu éprouver au cours de l'hiver. Et même si je ne pouvais m'empêcher de ressentir quelques craintes, j'étais profondément heureux de cette nouvelle.

Elle me l'avait annoncée un matin que nous étions près du Loch Morar. Après avoir parcouru le nord de mes terres, nous étions repartis vers le sud et nous entamions tranquillement le retour vers Inverie. Ce matin-là, comme tous les matins d'été, le jour poignait tôt. La lumière naissante m'avait tiré du sommeil et je me tenais debout, face à la petite fenêtre de la chaumière où nous passions la nuit. Je pouvais admirer les eaux calmes du loch qu'aucun frisson n'agitait encore. L'eau était si limpide que les monts alentours s'y lisaient aussi nettement qu'ils se découpaient sur le ciel. Le premier rayon du soleil jaillit et éclaira le loch d'une lumière dorée. C'était magnifique.

Plongé dans ma contemplation, je n'avais pas entendu Héloïse se lever ou peut-être avait-elle été très silencieuse, mais je sentis son parfum juste avant qu'elle ne glissât son bras sous le mien.

- Regarde, mon amour, comme c'est beau, lui dis-je en déposant un petit baiser dans ses cheveux.

- Hum, oui...

Puis elle reprit, après un temps de silence, occupée à se remplir les yeux du spectacle du jour naissant :

- Je ne me lasse pas de chaque instant passé ici, Kyrian. Ton pays est encore plus beau que tu ne me l'avais décrit. Mes rêves me semblent bien fades à côté de ce que je découvre jour après jour. Je suis si heureuse de ce petit voyage que tu as décidé d'entamer !

- Il était nécessaire, avant le jour des serments et la prochaine collecte des fermages. Je voulais aussi revoir tous ces endroits dont je portais le souvenir. Et c'est en effet encore plus beau. Car tu es avec moi.

Elle leva son visage vers moi et nous nous regardâmes un long moment avant que je ne vienne prendre ses lèvres. Puis je sentis ses bras entourer ma taille et elle vint se blottir encore plus contre moi, ce qui, ma foi, n'était pas pour me déplaire. Je me fis la réflexion que, malgré l'aube, il était encore très tôt et que nous avions bien le droit à quelques moments rien que pour nous deux.

Prolongeant notre baiser, je fis remonter une de mes mains sous sa lourde chevelure, caressant sa nuque, à cet endroit où je la savais si sensible. Cela ne manqua pas et elle se colla encore plus à moi. Je pouvais percevoir toutes les courbes de son corps à travers la chemise qu'elle avait dû revêtir juste avant de se lever. Le fin tissu frôlait ma peau nue, mais déjà, mon autre main le bouchonnait et le remontait pour chercher la peau de sa cuisse, de sa hanche.

J'étais déjà prêt à lui retirer son vêtement, impatient de l'admirer dans la lumière dorée qui, minute après minute, devenait plus claire, plus franche. Mais elle rompit notre étreinte et s'écarta un peu de moi. Elle avait un petit sourire qui fit gonfler mon coeur de bonheur tant il reflétait sa propre joie, son plaisir, mais aussi son désir latent à ses lèvres gonflées. Son regard me figea et je restai immobile, à la regarder. Elle porta la main vers le lacet qui retenait sa chemise, le dénoua et cette dernière glissa lentement jusqu'au sol, me dévoilant la peau tendre et les courbes qu'elle cachait un peu vainement. Mon coeur battait à tout rompre et un feu puissant s'alluma dans mes reins. Je la désirai ardemment.

Elle prit mes mains dans les siennes, la caresse de ses doigts me fit gémir de désir. Mon regard plongea dans le sien et je vis ses pupilles briller comme de petits éclats de diamants, à l'image des étoiles que le soleil faisait naître à la surface des eaux du Loch Morar.

Ouvrant mes paumes, elle les plaça sur son ventre doux, gardant les siennes au-dessus. Je vis battre la veine de son cou un peu plus vite et sa poitrine se gonfler, ses pointes tendues vers moi.

- Kyrian... Je suis d'autant plus heureuse d'être enfin à Inverie que notre enfant naîtra ici.

Il était difficile pour moi de dire ce que je ressentis à cet instant. Une joie aussi intense que lorsqu'elle m'avait annoncé sa première grossesse, très certainement, mais un sentiment d'amour encore plus grand, plus puissant. Et qui n'était pas causé par le désir que j'éprouvais pour elle. Elle poursuivit, car j'étais incapable de dire le moindre mot :

- J'en suis certaine. J'attends un enfant. Nous allons avoir un autre bébé.

Je la pris alors dans mes bras, la serrant fort contre moi, et j'enfouis mon visage dans son cou, cherchant la douceur de ses cheveux sur mes joues, mon front.

- Mon amour... parvins-je enfin à articuler. Mon cher amour...

Elle répondit à mon étreinte en m'enlaçant en retour et je sentis quelque chose d'humide glisser sur mon visage. Je m'écartai légèrement pour la regarder. Des larmes comme des perles d'eau pure coulaient sur ses joues. Ses yeux étaient d'un bleu limpide, presque transparent. Je crus que le lac s'y était déversé et qu'il allait nous noyer. Mais je savais qu'à l'image de ce soleil éclatant qui dardait ses rayons sur les monts et le loch, c'était le bonheur qui la faisait ainsi pleurer.

Je portai mes mains vers son visage, essuyai ses larmes de la pulpe du pouce, puis j'embrassai ses yeux et les goûtai. Cette légère pointe de sel, son corps tremblant contre le mien, ses mains qui entouraient ma taille, son souffle sur mon torse, tout cela me fit chavirer et je la soulevai dans mes bras pour la ramener vers notre lit. L'étendant au creux des draps encore chauds de notre présence nocturne, je la contemplai avec la même émotion qu'elle-même me regardait.

Et nous fîmes longuement l'amour, avec tendresse et bonheur mêlés.

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