(Af)Fables de la fontaine (+18) → 1/2

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Du fond de son lit, Renan reçut la nouvelle de la meilleure des façons. Fournir un buffet quatre étoiles et festif était tout à fait dans nos cordes, et il ne mit pas beaucoup de temps à me convaincre d’accepter, surtout à l’écoute du montant du devis.

Pour sceller l’accord, nous avons convenu d’une rencontre avec l’équipe de la Forge. Pour cela, les choses furent imaginées en grand. Une présentation de nos mets les plus raffinés servis à l’assiette par deux gars de chez nous, une table dressée comme dans un restaurant étoilé.

Cette soirée eut lieu en juin et les propriétaires choisirent de tout installer dans les jardins à l’arrière du manoir. Le cadre idyllique et boisé, animé des sons des oiseaux de la volière et de l’immense fontaine située au centre offraient un décor tout à fait approprié au luxe que nous voulions pour ce moment.

Une nappe blanche, des chandeliers, des serviettes élégamment pliées, je félicitai mes deux commis pour le soin apporté à la décoration.

Quand tout fut prêt, Renan et moi avons utilisé une chambre à l’étage pour nous rafraîchir et revêtir des vêtements à la hauteur de l'événement. En redescendant, je saluai les propriétaires, Jean-Marc et Pierrette, eux aussi sur leur trente et un.

— Monsieur Delmart, Monsieur Freillac, merci d’avoir tout préparé. Nous avons déjà l’eau à la bouche, commenta l’homme.

— Nous espérons être à la hauteur de ...

Le son de talons féminins sur le carrelage du perron me figea, m’empêchant de terminer ma phrase.

En me retournant, je fus happé par Emeline. Sa beauté, sa prestance, son aura, j’ai tout pris en pleine gueule avec une violence inouïe. La voir descendre les marches de l’escalier était une poésie. Si nous étions élégants, il fallait inventer un mot pour ce que j’avais à présent sous les yeux. Ses jambes lisses, galbées qui disparaissaient sous une robe courte noire et blanche. Ses cheveux relevés, laissant retomber une mèche ça et là, mettaient en valeur son doux visage aux traits parfaits. Et, happé par le rouge profond qui ornait ses lèvres, je n’avais pas plus de contrôle que le taureau dans l'arène, obsédé par la muleta.

— Je vous prie de m’excuser pour ce retard, commenta cette bouche que je ne pus lâcher des yeux.

— Mais non, mon petit, rassura Jean-Marc, nous n’attendions que vous.

Emeline nous salua, tout sourire, puis se dirigea vers le jardin pour s’extasier sur la table finement préparée.

En toute objectivité, tout était parfait, mais sa réaction ajouta, comment dire… une satisfaction supplémentaire.

Poli et gentleman, Renan laissa Emeline choisir sa place, puis s’installa en face d’elle, ne me laissant pas d'autre choix que de m'asseoir à côté de lui. Si ma première réaction fut la déception, je réalisai vite que le fait de ne pas l’avoir en vue directe était un avantage. Je devenais un témoin privilégié, profitant de chaque mimique, chaque geste qu’elle semblait effectuer avec la grâce d’une sylphide. J'étais au spectacle, aux premières loges, émerveillé. Et puis, j’avais aussi le temps de dévier le regard à chaque fois qu’elle semblait tourner la tête de mon côté.

Jean-Marc avait hérité du manoir de son oncle, mais ne souhaitait pas y habiter à l’année. Le domaine de la forge était pour lui une sorte de maison de vacances et une entreprise lucrative. Six mois dans l’année, il vivait avec sa femme dans la luxueuse dépendance et louait la grande demeure pour des mariages. Le reste du temps, Madame Martinelli et quelques ouvriers gardaient les murs et s'occupaient de la clientèle et des réservations. Il monopolisa la parole un long moment pour nous expliquer tout cela, une fierté dans la voix. Il décrivit ensuite point par point le poste d’Emeline et fit moultes éloges sur sa personne. Le visage d’Emeline rosit légèrement, ajoutant de la couleur à son teint de pêche, comme si c'était la première fois qu’elle l’entendait.

Chaque plat servi fit l’unanimité. Les propriétaires les validèrent tous, sans exception. Bien évidemment, ils seraient servis dans le cadre d’un apéritif dinatoire et en plus petite quantité, mais ce soir il y en avait pour un régiment.

Durant ce repas, mon attention focalisait sans cesse sur Emeline. Ses sourires, ses mots, ses rires, tout agrandissait ce trou béant dans ma poitrine. Je me concentrais sur les conversations, je tâchais de rester professionnel, mais cette force tentatrice écorchait mon armure en chaque instant.

Pierrette se retira la première. Il était déjà tard et l’excellent champagne de l’apéritif lui « descendait déjà dans les jambes », nous expliqua-t-elle. Jean-Marc guida son épouse jusqu’à la dépendance et en revint avec une bouteille sans étiquette.

Un digestif à l'odeur de framboise, alambiqué par ses soins, qu’il déversa généreusement dans nos verres à champagne. Sucré, fort. Très fort. Boire le premier fut facile, même pour Emeline, à mon grand étonnement. Puis Jean-Marc nous servit à nouveau tous les quatre et en peu de temps la bouteille entière y passa.

Ce geste amical et festif signa la fin de la soirée pour Renan, qui, passablement éméché, partit dormir dans la voiture en m’attendant, et Jean-Marc qui rejoignit son épouse peu de temps après, nous laissant seuls, Emeline et moi.

L’un en face de l’autre, nous sommes restés de longues minutes à nous scruter avant qu’Emeline ne porte enfin sa coupe encore pleine à ses lèvres, ses yeux toujours plantés dans les miens. La lueur de la bougie face à elle lui conférait une lumière particulière, suave et démoniaque à la fois.

Dieu qu’elle était sexy.

Je ne savais plus quoi dire, parce qu’une partie de moi avait envie de tout envoyer valser de la table pour l’allonger dessus et la dévorer. À se demander qui était vraiment le démon à ce moment-là.

Je sentis déjà pulser mon bas-ventre et n’osai pas prononcer un mot de peur que sa réponse ne ferme définitivement une notion d’un possible nous. Rêver, c'était déjà pas mal non ?

— Vous nous avez gâtés ce soir, commenta-t-elle, vous êtes très talentueux.

Sa remarque me fit sourire.

Et vous …

Je m’imaginais la gratifier de mille compliments, mais ma conscience me rappela à l’ordre. Sur le moment, j’étais encore assez lucide pour me dire que rien dans son comportement ne laissait place à une quelconque réciprocité. Elle me tentait en marchant, en respirant, en existant, mais peut-être que j'étais seul à ressentir tout cela.

— Et bien, nous voici donc juste vous et moi, osai-je. Il est tard, on ne vous attend donc pas ?

— Et vous ? rétorqua-t-elle presque insolente, désirez-vous partir ?

— Non, pour l’instant je reste. Quand je suis en charmante compagnie, j’essaye de profiter.

— Profiter ? gloussa-elle. Et comment ?

Était-ce de la malice dans ses yeux, alors qu’elle venait de prononcer cette phrase ? Ça l’amusait, il n’y avait pas de doute. L'alcool délie les langues et j’en avais précisément un exemple sous les yeux. Même si j'étais troublé, je tâchai de le cacher.

La voici, la réciprocité. Celle qui a précipité les événements de la soirée et qui a changé ma vie à jamais.

(suite chapitre → )

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