Perturbantes ambivalences 1/ (+18)

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Vous avez déjà fait un truc complètement dingue ? Quand vous savez que vous vous apprêtez à faire une énorme connerie, mais que vous la faites quand même ?

Moi, c’est un samedi que c’est arrivé. Quelques jours après ce fameux coup de fil, qui avait tout cassé dans ma tête, j’ai craqué.

Toute la matinée déjà, à peaufiner une pièce montée faites de choux, j'étais animé d’une mauvaise énergie. Je détestais ce que j'étais en train de confectionner. Un bateau en choux et nougatine, commandé par deux marins pour un mariage à la forge. Le résultat était à la hauteur de leurs attentes, mais tellement vieillot.

J’ai toujours détesté ces commandes qui me donnent l’impression de régresser dans mon art. Moi, ce sont les fleurs en sucre, les arabesques, les arches. Le raffinement. Un navire en choux, c’est grossier, c’est le genre d’exercice qu’on donne à un apprenti. La vérité, c’est que toute cette hargne que je dirigeais sur ce bateau venait de ce combat intérieur que je menais depuis le coup de fil d’Emeline.

L’impression de me faire rejeter pesait sur moi. Je n’arrivais pas à l’endiguer.

Et ça n’allait pas s'arrêter là. D’un coup, une pulsion. Idée de génie, menée par mon égo. Sans même prendre le temps d'essuyer mes mains couvertes de caramel, je farfouillai avec frénésie dans le dossier employé.

Ma logique : Edwin était celui qui livrait ? Et si je le virais, là, maintenant ? Plus de livreur pour cet après-midi ! Et donc ... Qui devrait y aller à votre avis ?

Voilà. J’aurais alors une raison valable de la revoir et je pourrais avoir une discussion. Vider mon sac. Ou me rappeler à son bon plaisir, littéralement ? En tout cas, j’avais décidé de virer mon commis sur le champ.

D’un bon pas, aveuglé par mon dessein, je me dirigeai dans le labo où mon équipe s’affairait.

— Edwin, vociférai-je.

Edwin se présenta, fixe devant moi. Père de famille. Excellent élément de ma brigade… Il n'était pas qu'un détail d'un plan bien ficelé, il avait un nom, une vie. Je me souvins que j’avais devant moi un individu talentueux et que je ne devais pas le sacrifier au nom de ma faiblesse. Alors, gardant mon assurance, j’annonçai simplement :

— Je vous donne votre après-midi, j’ai des formalités à signer avec l’Aérion, j’en profiterai pour livrer les deux établissements.

— Merci chef.

Je pouvais enfin respirer. Aucune injustice et de plus, le sourire reconnaissant de mon commis m’assura du bon accueil de la nouvelle. Karl le patron avait gagné des points. Je retournai terminer mon bateau « moche » le cœur plus léger.

En début d’après-midi, je lâchai tout pour me préparer, sans vraiment me rendre compte du jeu dangereux auquel j’allais m’adonner.

Douche, parfum et même un peu de gel dans les cheveux, je m’assurai d’être la meilleure version de moi-même. Je voulais qu’en me regardant, elle regrette sa froideur. Que ma beauté la happe comme la sienne m’avait happé. Elle allait succomber à mon charme et j’allais pouvoir lui dire que moi, Karl Delmart, JE décidais d’en rester là.

Durant tout le trajet, ces résolutions me galvanisaient, un peu à la manière de l'entraîneur qui hurle ses encouragements.

Quand je dépassai la grille de La Forge, j’étais sur le ring.

Gonflé d’orgueil, de masculinité et d’autres émois indéfinissables, je marchai d’un pas assuré jusqu’au perron du manoir. En moins de deux minutes, j’étais devant la porte du bureau, prêt à en découdre.

Verbalement, cela va sans dire.

Je me rends bien compte à présent qu’agir comme ça me permettait de me focaliser sur autre chose que mes erreurs, mais sur le moment, j'étais comme possédé.

J’allai tambouriner avec force, mais ma main suspendit son élan et je m’annonçai comme le gentleman que je voulais être à ses yeux. La voix d’Emeline me somma d’entrer, ce que je fis.

Elle était de dos et cette vision m’électrisa. Je sentis tout mon corps trembler. En train de fouiller dans le tiroir d’une commode ancienne, elle me salua sans un regard.

— Bonjour Edwin, je vous prie de m’excuser, je cherche un document. Pour vous, justement.

Je ne dis rien, profitant du timbre de cette voix qui berçait mon âme. Je ressentais ce petit quelque chose d’attendrissant à la regarder s’impatienter.

— Rhâ ! Mais ! Ça y est ! Vous donnerez ceci à Monsieur … déclama-t-elle avant de m’apercevoir.

— Je vous en prie, nous sommes seuls, appelez-moi Karl, je souris.

Et là...

Je jurerais que le temps s’est arrêté. Son sourire quitta ses belles lèvres et moi, je sentis ma joie éclater dans ma poitrine.

— Monsieur Delmart, souligna-t-elle, presque glaciale.

En silence, elle me considéra. De mon côté, je soutins son regard. Après quelques interminables secondes à nous mirer, c’est elle qui a engagé la conversation.

— Pardon pour tout. Je n’en reviens pas de mon comportement de l’autre fois. Si mes patrons nous avaient surpris, j’aurais pu perdre mon mari, mon travail…

Tandis qu’elle prononçait ces mots, je suivais chaque mouvement de ses lèvres. Pulpeuses, parfaitement ourlées. Je n’avais qu’une envie, les dévorer. Maintenant que je connaissais leur texture et leur aura incendiaire, il me tardait de les retrouver. Le souffle court, je m’approchai.

À un mètre d’elle, son parfum l'enveloppait. Le même, toujours enivrant. Mes yeux plongèrent dans les siens, en quête d’un signe. J’étais venu pour clôturer cet épisode et voici que j’en redemanderais ?

En fait, très vite je me suis rendu compte qu’en sa présence, plus rien n’existait. Pas même ma lucidité.

— J’avais bu, la soirée, le cadre, la fontaine… Ça a créé cette folie passagère chez moi et je ne veux plus me retrouver dans cette situation avec vous. Partez, maintenant.

Comme je la trouvais forte… Bien plus que moi. Elle, qui tentait de nous sauver, en fin de compte.

Penaud, je quittai les lieux, un trou béant au fond de moi. Ça n'était pas le cœur brisé, c'était autre chose, de la même intensité. Je trainais le pas jusqu’à mon véhicule. Garé de l’autre côté de la haie, afin d'être à l’ombre, je me savais hors de vue de quiconque, et j’osai me laisser aller. Ma respiration s’emballa dans de grandes et profondes inspirations, malgré tout, je manquais d’air. Des larmes amères me piquaient les yeux, mais je ne les laissai pas couler. Je voulus me focaliser sur ma femme, mais cette pensée fut balayée par une autre, la frustration de ne jamais plus ressentir l’exaltation qu’Emeline provoquait chez moi.

Il s'était passé quelque chose de spécial entre nous et cette alchimie m’avait contaminée. J’étais porteur de ses cris, garant de son plaisir, nous étions liés quoiqu'elle en pense.

(NB : l'été sera chaud, la suite aussi → )

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