Parfum de folie 1/

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Le mardi matin, les préparations pour la boutique furent laissées aux commis, tandis que Renan et moi nous attelions à préparer un buffet haut de gamme destiné à la soirée de la Forge. C’était la première et il ne fallait pas se louper. Moi, je m’occupais des canapés revisités, des choux et des mille-feuilles salés. Des verrines aussi. Lui, des minis pâtisseries en tout genre, le tout déposé sur de luxueux plateaux.

Renan, c’est comme un frère pour moi. Cette symbiose dans notre travail vient de là, j’en suis certain. Ensemble, nous avons cette capacité à nous élever, marchant d’un seul pas harmonieux. Mon associé et moi sommes amis depuis le collège et avons toujours travaillé tous les deux, je crois même que sans l’autre, aucun de nous n’aurait osé monter son entreprise. C’est d’ailleurs pourquoi ne pas lui parler de mes écarts avec Emeline était véritablement un déchirement. J’avais l’impression de le trahir lui aussi et tout garder dans ma tête me plongeait dans une solitude profonde.

Ce soir-ci, Renan avait un truc spécial à faire. Une surprise pour Audrey je crois, mes souvenirs sont confus. Toujours est-il que c’est seulement accompagné de deux extras que j’ai pris la route en fin d’après-midi, direction la Forge.

Le domaine avait été réservé par un groupe cosmétique international. J’apprendrai plus tard qu’un dégât des eaux au palais des congrès les avait forcés à se rabattre sur un lieu luxueux et libre au dernier moment. Une aubaine pour la Forge.

Une fois sortis du véhicule, nous sommes mêlés à cette effervescence ambiante. La Forge était devenue, pour quelques heures, une véritable fourmilière.

Je ne reconnus pas le hall, vidé pour l’occasion, dont le sol revêtait un tapis rouge encore sous cellophane.

Autour de nous, des dizaines de personnes aussi pressées qu’occupées, bourdonnaient, faisant résonner les lieux d’un écho assourdissant. Mais personne pour nous accueillir. Alors bien sagement, je me dirigeai pour investir les cuisines.

Lumières et fours allumés, je revêtis ma tenue de gala, une chemise noire siglée sous un tablier flamboyant et je débutai le ballet culinaire. Les extras de ce soir-ci étaient géniaux. Autonomes, et ils comprenaient vite. C’était un stress en moins, qui laissait plus de place à ce bouillon au fond de moi. Emeline serait-elle là ? Chaque bruit de pas dans la cuisine brouillait ma concentration.

Au rythme des essais d’une sono dans le jardin, je montais les dernières pièces de mon buffet. Les espumas et chantilly se dressent au dernier moment, c’est bien plus joli. Les feuilletés, en revanche, c’est un art de les réchauffer sans les sécher et comme vous le savez, je suis un artiste.

— Notre sauveur ! claironna Pierrette depuis l’embrasure de la porte.

Elle entra me saluer. D’instinct, je lui offris de goûter quelques canapés en avant première, elle ne se fit pas prier. La mimique de satisfaction sur son visage en dévorant mon mille feuille avocat chèvre me gonfla de fierté.

— Merci d'avoir accepté au dernier moment ! Quand nous avons été contacté il y a quelques jours, Jean-Marc a accepté sans réfléchir. Vous comprenez, Tior, chez nous, quel prestige !

Elle m’expliqua les enjeux pour eux. J’avais bien conscience que si la soirée était un succès, cela ferait grand bruit dans le milieu et que d’autres marques de luxe viendraient faire grandir le carnet de réservation et les bénéfices. Je remarquais l’excitation de Pierrette, c'était attendrissant de la voir s’agiter.

— Et leur ambassadeur m’offre un flacon en avant-première ! Vous vous rendez compte, s’extasia-t-elle en s'éloignant.

Une heure plus tard, tout était en place, nous étions fin prêts.

Mes extras avaient revêtu leur tenue et patientaient derrière une table de buffet des plus raffinés. Je voulus attendre sagement en cuisine, mais Jean-Marc vint me chercher et m’invita à me fondre dans la foule.

Mon tablier retiré, je ressemblais à un convive comme un autre. On me proposa un verre, que je ne refusai pas.

L’immense salle de bal, décorée sur un thème floral, respirait le luxe. Tournait en boucle une musique lounge, couvrant à peine les voix des convives. Je laissai aller mon regard sans m’attarder en particulier. Des gens bien habillés, des tenues chics, le tintements de coupes de champagne, j’évoluais dans un milieu que j’appréciais.

Je me postai face à une affiche immense, représentant un flacon épuré, « Talanjie » signé Tior. Voici donc la raison de cette soirée, la présentation de leur nouveau parfum.

Quand une femme d’une grande classe se présenta au micro, je me pressai contre un des murs pour assister à son discours avec discrétion. Dans une diction impeccable, elle parla de ce nouveau bijou de senteur en des termes trop élogieux pour être vrais. Je reconnus le mannequin posté à ses côtés. Un top modèle international que l’on voyait souvent à la télé ces dernières années. Une belle femme cela va sans dire. Si elle avait toute mon attention au départ, cela cessa vite quand Emeline entra dans la pièce.

Elle arriva par une porte dérobée.

Et la lumière fut.

Vous n’avez pas l’impression que je me répète sans cesse ? Mais je vous jure qu’elle me faisait cet effet à chaque fois !

Mon attention se focalisa sur Emeline, juste Emeline. La plus belle chose au monde. Elle était arrivée à pas de velours, tout en discrétion, mais tout mon être l’avait perçu dans son radar. Mon cœur accéléra ses battements tapageurs dans ma poitrine endolorie par l’envie. L’envie de me ruer sur elle et l’embrasser, la respirer. Elle balaya la salle du regard et c’est imperturbable, en surface tout du moins, que je la saluais d’un signe de tête.

J’étais le seul visage connu de cette foule, c’est sans doute pour cela qu’elle s’est avancée de mon côté un sourire poli aux lèvres.

Lui serrer la main fut un déchirement, mais je ne laissais rien transparaître jusqu'à ce que ma frustration ne m’incite à oser une parole, au creux de son oreille.

— Nous sommes dans le cadre professionnel, j’ai donc le droit de te parler ? Alors j’en profite pour te dire que tu es la plus jolie femme de la soirée.

Elle me remercia poliment avant de diriger son attention vers celle qui s’exprimait au micro. Je pouvais percevoir les mouvements des lèvres d’Emeline. Des micro-expressions, comme si elle s'empêchait de sourire, vous voyez ? Légers, presque imperceptibles, mais tellement adorables, ils étaient les témoins de l’émoi que mon compliment avait suscité. Quelle satisfaction !

À ce moment-là, je reste persuadé que je lui faisais vraiment de l’effet, c’est plus tard que notre relation a capoté.

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