Parfum de folie 2/
Mon attention focalisée sur elle, je ne pouvais m'empêcher de la scruter. Le contraste entre l'ébène de ses cheveux et le teint doux de sa peau, les fines créoles argentées dépassant de son carré sage, tout attirait mes yeux sur son cou. Lisse. Délicat. De là où j’étais, c'est comme si je pouvais en deviner la douceur. Ma poitrine se serra. Je reconnaissais son parfum – toujours le même – malgré la cacophonie de fragrances alentour. C’est elle qui sentait le meilleur. Pour moi, elle resterait pour toujours cet idéal qu’aucun parfumeur n’égalera jamais. Elle, qui exhalait la fleur rare et la cannelle mêlées au sel de sa peau.
— Mais ça, je ne le savais pas encore, commenté-je à destination de mon interlocuteur. J’ai fait mes recherches depuis. La fiche de « Mermaid », je la connais par cœur.
Cette évocation m’étire un sourire. Pas besoin de me concentrer pour m’en souvenir. Son flacon rose translucide. Et son packaging très féminin.
— Créature mythique, parfum mythique. Pas d'échappatoire, cédez aux sirènes de Mermaid, m'égaré-je d’une voix suave, utilisant l'intonation de la publicité..
— Mermaid / sirène. Est-ce donc pour cela que vous l’appelez ma sirène ? interroge l’homme, impassible.
— J’imagine.
Séduit par mes sens en éveils, j’osai m’approcher et c’est à cet instant précis qu’elle ouvrit la bouche pour s’adresser à moi :
— Arrêtez de faire le joli cœur, Monsieur Delmart, et arrêtez de me regarder comme ça, déclama-t-elle avant de tourner sa tête dans ma direction.
Ses yeux me transpercèrent. Je n’y percevais ni colère ni rejet.
En réalité, j’y voyais bien ce que je voulais. Le regret. La bonne personne mais trop tard. La force de combattre cette attirance inexorable ?
Ses yeux si bleus étaient cet océan profond dans lequel j'étais prêt à me noyer. Quand je les fixai, personne autour de nous n’existait. Juste sa lumière azurée qui m’enfermait un peu plus dans quelque chose d’incontrôlable.
J’aurais voulu l’embrasser. J’aurais pu l’embrasser, mais je n’en fis rien.
Des applaudissements montèrent et me ramèrent brutalement à la réalité. Par politesse, j’applaudis à mon tour, bien incapable de savoir ce qui avait été dit.
Le brouhaha reprit. Notre bulle était définitivement brisée. Je voulus prendre congé et m’éloigner d’elle mais arriva la femme du discours, qui me retint.
— Je voulais vous remercier tous les deux. Les lieux, le buffet, tout est impeccable.
Une satisfaction dans les yeux, Emeline accepta le compliment avec modestie et un brin de timidité que je ne lui connaissais pas jusqu’alors. Cela lui donna d’un coup, un aspect fragile qui m’intimait à prendre soin d’elle. Une émotion nouvelle pointa dans ma poitrine.
— Votre parfum est envoûtant, complimenta la femme, mais il n’est pas de chez nous n’est-ce pas ?
— Non en effet, c’est « Mermaid, de Lambôme ». Mais le flacon est bientôt terminé. Quand il sera vide, il se pourrait que j’en change pour votre « Talanjie », qui me plait bien.
Mon sang ne fit qu’un tour à l’écoute de sa réponse. Ces mots sonnèrent comme autant de piques insoutenables dans mon corps, réveillant une part obscure de moi.
Bien-sûr, je n’avais pas ce recul. Sur le moment, j’étais outré, choqué, que sais-je… Pour un putain de parfum ? Facile à dire aujourd’hui, mais sur le moment…
Le comportement absurde qui s’en est suivi ne résulta que de cette peur de perdre sa fragrance pour toujours.
Poliment, je m’écartai de la conversation pour glisser dans les couloirs du domaine. Possédé, à la limite d’une colère dont je ne connaissais pas la provenance, mes pas me portèrent au hasard.
N’importe quoi, mais qui va croire cela ? Bien-sûr que je savais ce que je faisais et où j'allais.
J’arpentai le long couloir des employés, jusqu’à me trouver devant une porte que je connaissais bien : son bureau. Deux secondes, c’est le temps qu’il m’a fallu pour m’assurer que personne ne me verrait et pour s'engouffrer dedans.
Pas d’effraction, le bureau était ouvert, mais j’ai tout retourné. Les tiroirs, les boîtes, le placard. Emeline avait confirmé qu’elle allait se séparer de son parfum. Le drame suprême. Ça me rendait dingue d’imaginer ne plus pouvoir le respirer. Alors, je m’étais mis en tête de trouver un foulard, un chouchou, n’importe quoi qui aurait porté son odeur. Et que j’aurais pu garder, pour toujours. Elle me le devait.
Est-ce que je me rendais compte de la gravité de mes actes ? Oui et non…
À chaque instant, Karl me disait que mon comportement ne me correspondait pas et me hurlait de renoncer. Je me rassurai vite: juste une petite fois, sans conséquence et au final, personne ne le saurait.
En quittant cette pièce, aussi vite que j’y étais entré, je m’accaparai du débardeur, trouvé dans ce qui semblait être son vestiaire. Dissimulé sous ma chemise, ce doux tissu contre ma peau m’apporta réconfort et apaisement. Je rentrai mon ventre afin d’atténuer la bosse qu’il formait au niveau de mon nombril.
Mes sensations tourbillonnèrent tant qu'elles me tournèrent la tête. Un mélange de tout, de joie, de honte, de l'incompréhension de mon geste. La hâte de me retrouver seul avec pour le respirer et plus encore.
Je n’étais pas encore capable d’éprouver de la peur, parce que je n’avais déjà que très peu de recul.
Et dès lors, je n’en aurais plus du tout.
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