Ob-scène 1/

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La semaine qui suivit, fut une suite de faux-semblants. Un ballet bien rodé en plusieurs actes, que Line et moi avons dansé avec grâce.

Première partie, le déni, nous avons fait comme si de rien n'était, ou presque. Entre nous, une politesse à outrance. J’ai été aux petits soins, j’ai marché sur des œufs et pour la première fois, ni elle ni moi n’avons parlé de ce qui s’est passé. Deux jours complets à jouer aux rois du silence.

Seconde partie, comme ça, sans raison, je suis revenu avec un immense bouquet de fleurs, symbole de ma rédemption, qu’elle a accepté sans condition.

Je ne me suis pas excusé, pour la première fois de notre vie conjugale.

Line a fini par céder et la vie a repris son cours.

Enfin pas tout à fait…

Désormais, je n’avais plus envie de la toucher. Avant, nous étions plutôt actifs et portés sur la chose, voyez-vous. Nous étions souvent un couple assez explosif d’ailleurs. Mais là, ce n’était plus possible.

J’appartenais à Emeline et faire l’amour à ma femme, c’était la trahir. Et de toute façon, je n’avais plus envie de Line.

À présent, j’étais son obligé. Emeline et moi étions destinés. D’une manière ou d’une autre, nous allions finir ensemble et tout ce que je vivais à côté n'était qu’une mascarade. Une transition. Une passade. Un brouillon.

Ma sirène, à qui je prétendais laisser tout le temps nécessaire, tardait à agir et étirait ma patience, et même si je prenais sur moi, cette dernière allait bientôt se tarir.

J’avais si hâte. Comme cette période m’a parue longue. Je ne pensais qu’à nous, à elle. À notre futur. J'étais obsédé, dévoué à ma divine créature.

Emeline avait-elle aussi tant de choses à régler. Son mariage, son mari, son travail, le qu’en dira-t-on.

En attendant un signal de sa part, j’endiguais ma frustration par mes fantasmes, par une vision de notre nouvelle vie parfaite, par la disparition de nos problèmes, comme par magie.

Dans un monde idéal, le connard aurait succombé. À quoi, aucune idée et je n’en avais rien à faire, mais Emeline l’aurait si vite oublié avec moi.

De mon côté, c'était… plus compliqué. Si j’imaginais Line disparaître de ma vie c’était dans plusieurs visions et aucune version ne m’apportait de satisfaction. L’idée même de la voir partir avec un autre me rendait fou et pourtant l’imaginer pleurer mon départ était un déchirement que je n'étais pas certain d’assumer.

Pourquoi était-ce aussi compliqué ? Peut-être parce que malgré tout, le Karl que je fus avait laissé quelques petites traces dans mon esprit ?

Enfin, c’est ce que je me dis aujourd’hui …

Sur le moment, en toute honnêteté, je n'ai pas eu cette clairvoyance.

Je me suis forcé à me reprendre quand une idée radicale et abjecte s’est imposée à moi : La clémence, m’occuper de Line comme on le fait pour une bête qui souffre. Sans douleur pour elle. Sans honte à supporter pour moi.

— Comment avez-vous réagi à cela ? me coupe l’homme.

Sa demande me fige. J’aimerai que mon silence lui réponde parce qu’un sentiment de disgrâce m’en empêche. D’instinct, je tripote mon annulaire, là où se trouvait un anneau, il n’y a pas si longtemps. Cette bague, aussi belle et précieuse que l’était ma vie avant tout cela, n’est plus.

L’homme semble s’impatienter. Le cliquetis de son doigt sur le bouchon de son stylo ne m’aide pas, malgré tout j’essaye de faire revenir les émotions qui m’ont tant malmenées. Je me souviens avoir peut-être ressenti un vertige juste après avoir été transpercé d’effroi …

— D’un coup, ma poitrine s’est serrée, osé-je enfin. L’impensable m’avait traversé comme une option envisageable. Envisageable, vous vous rendez compte ? Et pourtant, c’est bien vite que je suis passé à autre chose. Un regard du côté de mon lit aura suffit.

Et le rituel a commencé.

Ma toute petite clé entre mes doigts, le bruit de la serrure en ferraille, le son du bois ancien qui glisse sur le rail de letton et enfin … mon trésor dévoilé. Elle.

Sa boucle d’oreille. Son débardeur de soie. Leur vue fit bondir mon cœur dans ma poitrine, et d’instinct mon corps réagit. Des frissons me crispèrent l’échine. Et, comme à chaque fois, mon sexe dressé n’attendait qu’elle.

Elle me parlait. Je pouvais entendre le son de sa voix, sentir son parfum, et son souffle si sexy au creux de mon oreille réveillait ma transe. Nous étions ensemble, enfin.

Ces moments, je les imaginais comme un rendez-vous. Nous étions chacun chez soi mais réunis tout de même. Et nous nous faisions du bien, avant de pouvoir nous voir enfin.

— C’est peut-être là que je me suis perdu, vous ne pensez pas ?

— Je ne peux pas vous répondre, Karl.

Un soir, je l’attendis devant la Forge, mais n’osai pas me montrer. C'était trop risqué, elle était au travail et je devais le respecter. Comme un imbécile, quand elle sortit enfin, je la suivis en voiture, pour me baigner encore dans son aura.

Elle résidait non loin de la Forge, dans un petit village si loin de son envergure. J’ai pu voir sa maison pour la première fois.

Un jour viendrait où j’aurais enfin pu lui offrir une vie à sa hauteur. Il me fallait être patient.

Je savais désormais où la trouver et me sentais prêt à la suivre n’importe où.

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