Stalker sachant stalker 1/
Ce soir-ci, j’ai snobé mon épouse en rentrant, et j’ai foncé tête baissée jusqu’à mon tiroir de table de nuit pour retrouver ce bout d’Emeline que j’avais à disposition chez moi, heureusement. Un substitut d’elle, en quelque sorte.
Je sentais bien que l’effluve sur le tissu se voilait, s'imprégnant petit à petit des parfums de cire à bois de ma vieille table de nuit et de celle de mon foyer, pourtant, je parvenais encore à percevoir ces nuances endiablées.
C’est à ce moment, assis comme un abruti, étreignant un bout de tissu que j’ai décidé que nos conneries étaient terminées et que nous devions vivre notre idylle au grand jour. C’en était assez de se cacher, de fantasmer chacun dans son coin, de se mentir.
Cette décision urgeait d’autant plus qu’en rentrant dans la chambre, Line avait failli me surprendre plusieurs fois avec le débardeur rouge, une raison supplémentaire d'activer les choses.
Impossible de trouver le sommeil, bien sûr, mais mes douces rêveries avec Emeline m’aidèrent à passer le temps.
— C’est là que les insomnies ont commencé, donc, note l’homme.
— Oui. Porté par l’énergie que penser à Emeline déployait en moi, tout était en éveil, surstimulé. Je ne ressentais aucune fatigue.
Le lendemain, j’allais franchir une nouvelle limite, par amour. Un cadeau pour ma bien-aimée. Et pour nous aussi.
En milieu de matinée, je m’absentai, sans le moindre prétexte, l’avantage d’être le patron.
Je passais devant Renan sans un mot et partis.
J’avais en idée de faire le geste le plus romantique possible pour ma sirène. Moi, son chevalier servant, j’allais tout faire pour elle.
Un rapide passage chez Sekhora, l’achat de «Mermaid», puis direction le petit pavillon où elle cohabitait encore avec cet horrible mec sans saveur. La pauvre.
Mais j’allais la sauver, cela ne saurait tarder.
En arrivant, je vis son mari dans le jardin. Il tondait le gazon ce connard, et avait laissé la porte déverrouillée.
Très facile d’entrer chez eux.
À l'intérieur, le son de la tondeuse étouffé par le double vitrage était la parfaite indication pour ma sécurité.
Je découvrais ces lieux sacrés à petits pas. Émerveillé. C’était ici que la magie opérait. J'étais chez elle. Bientôt chez moi. Je me voyais bien sur ce canapé, masser ma sirène et vénérer son corps.
Ou même dans sa cuisine, propice à tant de … dégustations.
Ça vous est bien déjà arrivé à vous aussi non ? Imaginer se faire gâter sur un plan de travail en granit…
Impassible, l’homme ne lève que le regard, sans un mot.
— Hein ? insisté-je.
Dans un jeu de sourcils, je cherche la connivence, en vain. Une vraie porte de prison, ce type.
— Non ? Ah… Ok, ok, chacun son truc après tout.
Moi en tout cas, je m’y voyais bien. J’en oubliai presque la raison de ma venue.
Quelques marches d’escalier et j’arrivai dans leur chambre. Horreur. C'était donc ici qu’Emeline subissait le devoir conjugal. Cette évocation suscita dans mon esprit une salve d’images qui me soulevèrent le cœur.
Patience ma sirène, bientôt je te sauverai de ses griffes et tu connaîtras enfin la félicité.
Reconnaître son côté du lit n’était pas difficile tant j’y percevais son aura. Avec douceur, ma main glissa sur le couvre-lit. Les yeux fermés, c’est comme si je la caressais elle, et ce doux contact m’apporta du bien-être. Dans une longue inspiration d’apaisement, quelque chose m’interpella : à l’odeur de lessive s’ajoutait une autre note qui ne m’était pas étrangère. Ni tout à fait elle ni une autre pour autant.
J’ai mis quelques minutes à la reconnaître.
Oh putain, cette saloperie de « Talenjie » ! C'était donc vrai, elle l’avait acheté.
À partir de ce moment, j’étais agité. Je me sentais dans l’urgence. Frénétiquement, je trouvai la salle de bain et passai entre mes mains tous les produits de beauté qui s’y trouvaient. De façon presque méthodique, j’ouvris la boîte de Mermaid et disposai son flacon à la place de cette hérésie olfactive, que je plaçai dans ma poche.
J’imaginai ma sirène trouver mon cadeau. Elle saurait que c'était moi, son prince, et ça m’excitait.
Le calme revenu, j’en profitai pour inspecter les lieux. D’après ce que je pus comprendre en jetant un œil depuis la petite fenêtre, j’avais encore du temps. Le mari d’Emeline discutait avec une personne de l’autre côté de sa haie. Merci au voisin pour ce répit.
Tel un visiteur dans un musée, je regardai tout, je touchai, j’inspectai, je respirai, ému en ces lieux qu’elle avait foulés. De ces serviettes qui avaient essuyé son corps de rêve, en passant par les pinceaux qui la sublimaient. Dans sa panière à linge, je trouvai un string que je plaçai ni vu ni connu dans ma poche.
Après tout, les musées n’ont-ils pas aussi une boutique de souvenirs ? Il tiendrait compagnie au reste dans mon tiroir, j’en frétillais d’anticipation.
Au sol, un pèse personne, et une corbeille d’où dépassait une boîte colorée qui attira mon attention.
M’accroupissant pour m’en saisir, je faillis finir sur les fesses. Le souffle court et sur le point de vaciller, je dus me reprendre à deux fois pour être certain d’avoir bien compris qui y était inscrit.
Tremblant, j’ouvris le carton pour y découvrir ce que j’attendais. Un test de grossesse, dernière génération. Sur l'écran de contrôle, un smiley souriant et cette inscription : 2-3 semaines.
Le sol s’ouvrit sous mes pieds. Ma respiration s'accélèra autant que les battements de mon cœur. Mon cerveau, après un bref calcul, porta cette information à mon attention : Emeline portait notre enfant.
Je ne m’y attendais pas, ça n'était pas dans mes plans, mais c'était arrivé.
Un cadeau de la vie en quelque sorte.
Malgré le choc, je ne pus refréner ce sourire niais qui orna alors mon visage. Toute une salve de pensées tournoyèrent dans mon esprit. Cet enfant parfait, fruit de nos amours, que nous allions mettre au monde, généré par la combinaison de nos gènes parfaits. Dans un flash, je nous ai clairement vu, Renan et moi avec nos enfants du même âge, heureux et épanouis. Puis Emeline enceinte, et moi qui la couvre de baisers. Un futur merveilleux.
Une pensée vint salir ce moment : l’urgence de clarifier nos situations respectives, le temps était désormais compté.
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