Le repli

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Quand Jacques rentra à la maison, pour une fois Annie le reçut moins froidement, pas assez réveillée. Sous sa nuisette, la pointe de ses seins dardait la fine mousseline presque transparente. La nouvelle avait ébranlé la petite communauté d’expatriés et chacun fit ce qu’il put pour retrouver un semblant de normalité. Jacques put donc prétendre à lui voler une étreinte sans qu’elle ne se rebiffe de trop, comme d’ordinaire. Tout chavirait dans sa tête. Couvert de la poussière de la course, du sang de son copain, il avait besoin de douceur et de réconfort. La verge gonflée, il l'entreprit. Ça faisait des mois qu’elle lui interdisait la moindre intimité. Il y avait aussi ce goût amer de revanche à prendre, puisqu’il la soupçonnait de ne pas être farouche avec les autres mâles. Les preuves manquaient, vu le temps qu’il avait passé sur le terrain. Pourtant, les commérages allaient bon train et beaucoup se moquaient plus ou moins ouvertement de lui. Comment pouvait-il encore passer les portes avec les si larges ramures qu’il portait depuis si longtemps ? Alors il se tut, maladivement jaloux, désirant la posséder sans aucune tendresse, avec une fougue méchante que l’on put confondre avec un regain de passion alors qu’il y avait là une forme de hargne. Il la retourna, baissa rudement sa culotte de coton blanc, bien décidé à la sodomiser. Il empoigna énergiquement ses hanches et tout en malaxant ses fesses âprement, il les écartait pour entreprendre le trou le moins lisse et commençait à vouloir s’y enfoncer, à cru. Mais, aidée par une douleur suraigüe qui lui cloua les reins au moment où il chercha à violer l’étroit passage, elle se refusa en se décambrant. Pas suffisamment. Son chibre glissa dans son vagin et il l’entreprit malgré tout avec la force d’un bûcheron tout à son ouvrage alors qu’elle gueulait, anéantie, rendue, la tête maintenue fermement enfoncée dans l’oreiller. Une brettelle cassa. Il ne vit pas ses larmes de douleur, impuissante. Combien même, les aurait-il pris en compte ? Il jouit, petitement et roulant sur le côté, pleurnichant sur son sort comme un mioche, avant de s’endormir en chien-de-fusil, lui tournant le dos. Elle s’était redressée, meurtrie et vengeresse, lentement, essuya ses larmes, alluma une cigarette et fixa le plafond. En avaient-ils tous deux le pressentiment, mais ce fut la dernière fois qu’ils s'étreignaient.

Quelques jours après l’accident de chasse, les obsèques de Richard eurent lieu. Le cortège derrière le cercueil de bois blanc était clairsemé, ce mort-là n’était pas particulièrement pleuré dans la région. En raison d'un physique déplaisant, conséquence d’une polio qui s'était attaquée à ses jambes. Et surtout à son irritabilité éruptive qui vrillait les nerfs de tous. La cérémonie fut sobre et expédiée chichement. Et chacun reprit ses activités ordinaires. L’un était professeur, l’autre ingénieur ou encore militaire, médecin, mais tous retournaient comme avant dans cette petite taule aux volets rouges tenue par une blonde à la devanture comac, au parler popu et bourru. Là, ils pouvaient se retrouver entre blancs, échapper ainsi un peu aux moricauds qu’ils côtoyaient dans le quotidien de leurs vies étriquées. Un entre-soi asphyxiant aux accents quelque peu cocardiers et décidément braillards, mais qui, sur fond d’alcool plus ou moins frelaté, les rassurait.

Quelques semaines plus tard, une fête chez le consul avait lieu, en l’honneur d’une épreuve nouvelle de rallye-raid qui faisait étape dans leur coin de brousse. La notoriété et les retombées médiatiques promettaient une importance à l’échelle internationale. Aussi, l’ambassade avait-elle décidé de marquer le coup par une réception, invitant ses ressortissants établis dans ce coin paumé d’Afrique et à peu près apaisé malgré quelques rebelles armés. Et c’est ainsi qu’une délégation de compatriotes tout habillés de blanc pour les hommes, et de robes colorées pour ces dames, débarqua à l’ambassade. Ils étaient ravis de l’opportunité rare d'échapper à leur habituel sans relief, se rincer le gosier aux frais de la princesse. Annie donnait le change en se montrant aimable et disponible, honorée d’un tel événement, à la hauteur de ses rêves de jeune fille. Elle avait mis sa longue robe rouge qui à présent lui boudinait le cul. Si elle se refusait dorénavant farouchement à Jacques, c’était pourtant sans gêne qu’elle exposait sa croupe un peu trop épanouie aux yeux de tous. Cependant, tous lorgnaient sur les petits fours, l’alcool à profusion et c’est sans vergogne qu’ils rapinèrent les assiettes et les verres, se comportant de plus en plus, à mesure que l’alcool les désinhibait, en vrais gougnafiers.

À aucun moment, les pilotes n’eurent droit à la moindre attention. Pas plus d’ailleurs que le discours amphigourique de l’ambassadeur soliloquant longuement à petits postillons polis, vaguement applaudi à la fin. Attirés comme des mouches qu’ils étaient par la ripaille promise. Les serveurs noirs étaient hélés à haute voix pour qu’on apportât encore plus de nourriture, encore plus de champagne ou de whisky. En retour, leur accent nègre était moqué sans retenue aucune. La réception dérapait peu à peu, mais il fallait à tout prix faire bonne figure alors on laissait faire sans en penser moins. Annie était déjà à moitié grise. Elle dansait de bras en bras, avalant goulûment toutes les coupes de champagne qu’elle pouvait agripper, en renversant la moitié à chaque fois, dévoilant petit à petit son tempérament de fille d’épiciers, vulgaire, riant à gorge déployée sans la moindre pudeur. Lui, Jacques était affalé dans un des fauteuils de cuir pleine peau rouge-brun, avec quelques autres, à boire verre après verre de ce whisky dont ils étaient absolument incapables d’apprécier la richesse de goût, le délicat ton ambré et chaud, ne le buvant que pour la débauche, comme s’il s’était s’agit d’un assommoir. L’état général d’ivrognerie rendit Jacques alors terriblement hyalin et il se déroba assez vite à leur conscience.

Et c’est déjà à semi-comateux qu’il surprit cette conversation, dans une crasse impuissance, au bord de l’inconscience éthylique. « Ouais, pour sûr, Richard, personne ne l’appréciait avec sa gueule d’p’tit con ! » « Tu remarqueras qu’c’est quand même la première chose qu’c’putain de lion lui a rectifiée ! La nature fait finalement bien les choses ! » Éclats de rires gras et claquements de main sur la cuisse. « Et l’Jacques avec ses principes à la noix ! À faire chier tout le monde, tout le temps ! Jacques a dit le règlement ! Le règlement ! Va chier avec ton foutu règlement ! Il aurait pu faire d’une pierre deux coups c’foutu lion, et lui rectifier la gueule aussi, non ? » Rires malveillants à nouveau, avant l’estocade décisive. « Encore heureux que sa femme ait un si beau cul et qu’elle ne soit pas trop farouche ! » « C’est vrai qu’au lit c’est une affaire, une vraie besogneuse qui ne rechigne pas à la chose ! » À l’unisson, ils se tournèrent vers Annie alors qu’elle remuait son popotin sur la piste de danse. « Une gourmande ! » apprécia l’un. « Et dire qu’elle se plaint que ce sac à vin ne vaille pas tripette au pieu ! » renchérit un autre. « Heureusement qu’elle nous a, nous, sinon elle s’ennuierait la bougresse, chaudasse comme elle est ! » Les rires graveleux reprirent de plus belle. Et comme pour ponctuer ces paroles acides, les grattements aux entrejambes se firent plus vigoureux et indécents. Jacques, lui, s’effondra un peu plus dans son fauteuil. Trop soûl pour les entendre continuer à raconter les exploits, les pompes et les bonnes œuvres a priori connus de tous de sa bonne femme. Il s’assoupit dans une ivresse d’enfonçure.

Il n’entendit donc pas en fin de soirée ce si distingué : « Il n’y a plus rien à boire, plus rien à bouffer, on se casse les gars ! » qui les virent s’envoler comme une volée de moineaux sans demander leur reste, grossiers jusqu’au bout, soulageant nettement le personnel de l’ambassade enfin débarrassé de leur minable présence, laissant une salle de réception en complet désordre et bleuie de la fumée de leurs cigarettes âcres. Jacques fut oublié, là, dans ce fauteuil qu’il maculait d’un filet de bave, ramassé par deux gorilles qui furent heureux de pouvoir enfin passer leurs nerfs en le virant comme un malpropre dans le caniveau jonché de détritus et d’eau croupie. Le lendemain matin seulement, il reprit un peu ses esprits, persuadé d’avoir été drogué, et rejoignit, fiévreux d’une atroce migraine, son domicile comme il le put, chancelant. Avec le nez cassé, la lèvre fendue, son œil fermé par un œuf de pigeon violacé et les côtes froissées. Les vêtements déchirés, salis, pieds nus, en vomissant tous les cinquante mètres. Personne ne vint lui proposer de l’aide. Tout cela sous le regard désapprobateur des indigènes qui n’avaient nul besoin de ce spectacle pathétique pour avoir un avis assez définitif sur ces blancs arrogants et indignes.

Pourtant, il l’avait aimée sa Annie ! Ils s'étaient rencontrés en vacances à la Baule. Il lui avait fait une cour romantique. Quelques mois plus tard, alors qu’il apprenait son affectation en Afrique, ils s’étaient mariés avec l’approbation plus ou moins revêche de leurs parents respectifs. La vie était simple alors, comme dans un film de Belmondo ! Et puis il l’aimait, merde ! Cette fieffée salope ! Dès le premier regard ! Quelques semaines après le piteux épisode de l’ambassade, il reçut sans surprise la notification de divorce de sa femme, qui plus est par un avocat qu’il ressentit immédiatement comme véreux. La suite lui donna raison. Jacques perdit tout, sauf son boulot. Il démissionna pourtant de son poste, sourdement honteux, conspuant intérieurement la mesquine mentalité d’épicière de sa femme. Il fit ses valises en quelques semaines, tandis que les escarmouches reprenaient depuis peu dans la région. C’est dans ce climat tendu qu’il prit un avion pour la France. Sur le parking de l’aéroport, l’avocat essaya de lui soutirer une dernière fois quelques milliers de francs CFA. Dans un sursaut de dignité, il l’insulta, en français, en patois, en arabe et dans les quelques dialectes africains qu’il connaissait. Tout ce qu’il put lui envoyer à la gueule d’injures, il le fit, postillonnant à tout-va. Il monta dans son avion et quitta l’Afrique ainsi, frémissant de colère. Quelques heures plus tard, vêtu d’une simple chemisette, il fut saisi par le froid humide de Paris.

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