Melankholía

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Vos larmes sur moi sont autant de cordes qui tombent que les pluies qui s'abattront sur les joues du traître déjà repenti d'avoir soufflé dans l'oreille d'un Ponce Pilate ! Dieu voit tout. Et je suis, moi, puni à présent que je doute. Ah... magnifiques et honnêtes hommes ! L'ombre gagne ma paroisse comme le loup la bergerie mais pourquoi maintenant... ? Pourquoi maintenant que mon haillon devient linceul et que ma parole dernière ?! Pourquoi ai-je l'impression, ô mes amis, mes grands et beaux amis, que la vérité que je professais jusqu'alors n'est plus qu'un chant de sirène ?! Silène que je suis ! J'ai donc bien le physique de mes idées : monstrueux. Tout est... Tout est moche et faux. J'aurais dû saillir ce vaurien d'Alcibiade quand j'en avais l'occasion ! mille fois l'occasion... Rien, plus rien n'a de sens... Ah mais que me reste-t-il alors ! Voyez ce couteau que j'appelais ce matin encore ma plume ! Voyez comment de sa pointe noire je caresse ma gorge à présent ! J'ai déjà du poison dans le corps, alors pourquoi ne pas en finir tout de suite... ? Non, non ! Ne vous approchez pas en essayant vainement de me dissuader de vos cris ! Et cessez donc, Phédon, Apollodore, Criton et tous les autres, cessez enfin de me raisonner ! Car raisonner un fou, ne serait-ce pas comme demander à un âne de se cabrer et de galoper jusqu'à, par tous les dieux !, sauter un obstacle non destiné à sa race ?! Ne vous ai-je donc rien n'appris ? Même à vous étrangers, vous Simmias et Cébès ? Ne vous-ai donc, même dans la folie que je croyais raison, rien enseigné ? Ne serait-ce peut-être qu'en exemple au moins à ne point imiter ? Allons donc ! Là est votre réponse ? Me supplier à genoux de vous tonner les raisons de mon doute ? Soit. Socrate, ou le fou qui parlera en lui, vous les dira. J'en fais à vous tous, misérables que vous êtes, le serment.

Le taon qui la nuit mord et qui par ses crocs empêche de dormir d'un sommeil dogmatique, éveille les nerfs à tout ce beau petit monde en Grèce. Et ne serais-je, moi, point comparable à cela ? Eh bien, si tu veux le savoir, découvre-toi, sors enfin de l'ombre toi au fond ! Embrasse ton corps du mien ; et de ma bouche, entends ceci illustre écrivain : le taon trouble que pour autant qu'il erre sur à peine quelques jours ; après quoi, ô frère de Glaucon écoute enfin et n'essaie plus de m'interrompre ! Après quoi, dis-je, le froid de la mort le mord à son tour. J’aurai virevolté, bourdonné, planté mes crocs et causé des insomnies à autant de pauvres âmes obstinées, si ce n'est plus, que j'aurai eu d'années sur terre et tout autant, ou peut-être plus encore, que les coups de fouet qui m'attendront dans un monde où il n'y a en vérité point d'idée – mais que des intentions. Il est vrai que c’est le doute qui me fait parler de nouveau avec certitude ; ne soyez en revanche, vous, pas une nouvelle fois dupes – la parole du doute est aussi droite que la marche du serpent. N'est-ce pas Antisthène ? Toi qui ne cesses de sourire ! Alors qu'il n'y a pas lieu de se réjouir quand je te dis à toi et aux autres que tout ça est bien retors ! Et puis de toute manière, comment pourriez-vous faire pleinement confiance en un homme qui, à mesure qu'il vous parle, essuie l'écume qui lui sort de la bouche ?! Ah mais attendez... ça revient ! J'ai chaud ! Si chaud ; trop chaud... Quelle idée par Zeus ! ai-je eu de vous dire tout cela debout ! Que ma dépouille trouve pour le moment un lieu à l'ombre pour s'allonger… Du foin et du calme, et plus de larmes pour troubler mon repos !

Ah enfin… ! Je me sens enfin mieux ! Je n'ai plus chaud. Plus de fièvre. Tout va mieux pour moi. Eh vous autres ! Et vos visages de chien battu qu’à présent mon doigt pointe avec la vigueur retrouvée d’un aventurier – ne tenez pas compte du délire qui a rendu ma langue crochue, en la condamnant à débiter nombre de choses alors insensées. Que ne dit-on pas quand la nausée nous monte et que la vue se trouble hein !

C'est par le murmure que désormais je vous forcerai à m'écouter de profil, pour faire que votre oreille me regarde, vous forcerai à froncer les sourcils, pour contraindre votre œil à se concentrer sur un point invisible d'après ce que, en moi, le daimonion vous déclarera et, ce faisant, vous forcerai alors à vous agenouiller pour que votre corps ne perde pas de vue – jamais – que la poussière d'ici-bas est notre lot à tous – memento mori scanderont tels des poissons en dehors de l'eau un banc de petits hommes presque chauves et qui apparemment m'aimeront en dépit de tout ! Et je vous forcerai à tout ceci pour que vous apprenez à vous désapprendre de vos habitudes corporelles. Le sens mes amis ! Et non les sens ! Dans le vrai monde où la Vérité est lumière et une en tant que principe fondamental de tout, le pluriel ne peut qu'appeler à la suspicion. Oui ! Baissez-vous encore plus comme je le fais, encore Critobule ! – et maintenant regardez-moi avec l'oreille et écoutez-moi de votre œil. Tâchez donc de persévérer comme cela oui – et bientôt alors nous danserons sur le seuil du Panthéon en compagnie des dieux suspects : nous danserons tête à l'envers et pieds en l'air jusqu'à ce que notre enveloppe de chair cède, non tout à coup comme un manteau qui des épaules pris dans une secousse d'abord musicale, simplement musicale, puis tectonique, tombe de tout son poids, mais par lambeaux, par décomposition lente mais sûre ! Et nous rirons ainsi de ce que cette fois ça convulse tout autour ! Je vous vois déjà sourire, eh vous voyez !

Le quart d'heure est passé et je suis – encore – en retard et à mon ultime rendez-vous ! Eh voilà que vous riez ! C'est bien. C’est très bien. Vous comprenez enfin que les choses de ce monde ne sont au fond que de peu d'importance. Ce qui importe, c'est la seule dialectique par l'art que pratiquait ma mère, pour faire que les esprits accouchent et que la pensée alors – dont la temporalité est pareille au fleuve qui coule – atteigne le juste.

Je vais profiter encore de ce que le ciel est bleu partout, avant que l'orage ne revienne, pour parler encore plus fort et fièrement que je ne l'ai fait jusqu'alors !

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