4

8 minutes de lecture

Bon, sérieusement, tu penses que ça va prendre combien de temps ? » L’agent James Summers était connu pour être d’un bon caractère. Avenant et souriant il était apprécié de tous ses collègues. Il était l’un des rares à avoir compris que tous les membres du personnels, à tous les échelons, quels qu’ils soient, étaient importants pour le bon fonctionnement de l’agence, et il n’hésitait jamais à échanger un mot avec les uns et les autres. Qu’il s’agisse du balayeur (comment travailler dans de bonnes conditions si tout est sale) ou du type qui était en face de lui chargé des audits.

  Ce dernier, justement, était un de ses bons amis. Si l’on pouvait dire. Dans une agence où la majeure partie du travail consistait à organiser des meurtres et des guerres civiles, pouvait-on réellement se fier au voisin de vestiaire ? Mais, aussi surprenant que cela puisse paraître, ils étaient vraiment amis et régulièrement ils allaient prendre un verre ou faire une séance de squash.

  Mais aujourd’hui, alors que l’homme allait tenter une nouvelle blague encore plus mauvaise que la précédente, il croisa le regard de Summers. Lors des séances obligatoires d’entraînement au corps à corps, il avait eu à l’affronter plusieurs fois, c’était même là qu’ils s’étaient rencontrés, et il savait à quel point Summers était dangereux. En voyant ce regard, il se rappela à qui il avait affaire et se dit que ce n'était pas le moment de plaisanter.

  - Je ne sais pas Jim, tout dépend de ce que tu veux réellement comme information. Concrètement il faut trouver quelqu’un qui aurait pu le faire, ensuite monter tout un rapport bidon, créer des vidéos en s’étant assuré qu’elles existaient à l’époque…

  - C’est vrai qu’après avoir orchestré un crash d’avion dans deux tours et avoir monté une vidéo bidon d’un type en turban tout ceci est très compliqué… L’autre homme soupira longuement.

  - Non ce n’est pas ce que je veux dire, simplement je ne peux pas te le faire pour aujourd’hui, il me faut bien une semaine.

  - Okay je vois. Et si tu te contentais de me mettre par écrit les différentes étapes nécessaires, sans les réaliser techniquement ? J’ai besoin d’un peu de biscuit depuis que Satanas m’a remonté les bretelles. Juste un truc qui lui fasse comprendre que mon idée tient la route et qu’on peut s’y atteler, tu vois ? Le genre d’info qui le ferait patienter.

  - Satanas t’est tombé dessus ! Je croyais que tu avais carte blanche pour traiter le dossier ?

  - J’ai carte blanche à condition de marcher dans les clous. Ils sont partis sur l’autre projet et ils attendent que ça se réalise. Libre à moi de le mettre en place de la manière et au moment où je le veux, mais ce sera ça et pas autrement. Avec mon idée et ton rapport, je pourrais leur présenter une alternative.

  - La vache ! Oui. Je vois ce que tu veux dire… Euh… Okay. Donne-moi… Disons, deux jours. Je peux te boucler un avant-projet sur papier suffisamment précis pour que tu puisses négocier le dossier. Moins, ce sera bâclé ou insuffisant.

  - Ca me va. Je ne suis pas non plus à la seconde, l’option A est prévue pour le mois prochain. Donc deux jours c’est faisable. Je te laisse, tu me l’envoies par mail ou tu passes me le porter à notre prochaine partie.

  - On fait comme ça. Au fait...

  - Quoi ?

  - Ca donne quoi avec Sandra ? Tu lui as parlé ou pas.

  - Ben évidemment. Tu me prends pour qui ?

  - Et qu’est-ce qu’elle a répondu ?

  - Que le service ne m’allouerait que cent-cinquante-mille dollars pour le mois prochain.

  - T’es nul !


  Lorsqu’il se rendit au cinquième sous-sol, l’équipe qui l’accueillit était la même que d’habitude. Il aimait bien travailler avec eux. Les gars étaient consciencieux, rapides et précis.

  On appelait le cinquième sous-sol « La Loi de Murphy ». La loi de Murphy édictait avec beaucoup de sérieux que « S'il existe au moins deux façons de faire quelque chose et qu'au moins l'une de ces façons peut entraîner une catastrophe, il se trouvera forcément quelqu'un quelque part pour emprunter cette voie. »

  Tous les agents n’avaient pas d’équipe technique attitrée, souvent ils prenaient celle qui venait. Mais Summers s’était débrouillé pour que ce soit toujours le même staff qui se charge de préparer son matériel. L’intérêt était que l’équipe le connaissait bien depuis le temps et connaissait ses besoins, ses envies et ses demandes. Cela évitait de devoir réexpliquer à chaque fois ce que l’on attendait de l’équipe comme s’il s’agissait d’un nouveau-né à qui l’on doit apprendre le monde. Il y avait toujours un risque dans cette situation. Le petit grain de sable que l’on avait oublié et qui allait gripper le mécanisme. Le staff technique ne vous connaît pas et ne connaît pas vos marges d’appréciation pour une mission et s’octroie sa propre marge d’appréciation. Souvent incompatible avec les vôtres. Et ça donnait un accident comme Challenger. Juste pour retarder le lancement, il avait été question de mettre la tour de lancement en panne. Le staff s’était octroyé comme marge de manœuvre un accrochage éventuel de la navette au décollage. Ce qu’il n’avait pas prévu c’était que l’accrochage toucherait l’aileron arrière et que le réservoir serait percé par le bout de métal de l’aileron et qu’il s’enflammerait soixante-seize secondes plus tard. Depuis ce jour on avait appelé le service La Loi de Murphy.

  Summers, lui, avait plus ou moins choisi son équipe. Au départ il avait travaillé avec le leader du groupe sur une petite mission et ils s’étaient bien entendus. Puis sur une autre Morgan, le leader, avait demandé à certaines personnes de le rejoindre car il avait besoin de leurs compétences spécifiques. Et de mission en mission l’équipe, composée de six personnes, s’était constituée et elle était devenue définitive.

  - Salut Charlyne. Morgan est dans le coin.

  - Il est dans son bureau, en train de finir un bourbon que tu lui avais offert l’autre fois. Quand il t’a vu venir, il s’est mis à pleurer et s’est préparé au pire. La petite rouquine le regarda l’oeil taquin.

  - Merci.

  Elle le regarda s’éloigner. Une fois de plus, il n’avait d’yeux que pour son boulot. Charlyne était amoureuse de lui depuis le premier jour. Cette informaticienne de génie, elle avait conçu le programme de sécurisation du Pentagone dans les années 90, était assez petite mais très attirante. Des yeux en amandes, une chevelure de feu, de fines taches de rousseur. Elle était athlétique mais féminine et grande amatrice de musique et de cinéma classique.

  - T’inquiète, je suis sûr que la prochaine fois, il appréciera ton bustier. Il doit avoir des soucis en tête.

  - Oui c’est sûr. Comme à chaque fois, finit-elle pour elle-même.

  L’homme qui avait parlé s’appelait Archibald. Spécialiste en physique-chimie. Il était l’un des meilleurs amis de Charlyne et ne s’était pas moqué d’elle en disant cela. Il avait vraiment cherché à la réconforter. Mais depuis qu’elle connaissait Summers, depuis dix ans maintenant, on lui avait toujours sorti cette excuse. Y avait-il eu une seule fois ou Summers « n’avait pas des soucis en tête » ? Charlyne ne tarderait pas à se faire une raison si Summers ne se décidait pas très vite à la remarquer. Oui c’était décidé. Elle tirerait un trait définitif sur lui dès maintenant. Il fallait qu’elle prenne sa vie en main après tout. Elle était sexy, magnifique, tous les hommes la regardaient… Il n’y avait pas de raison. C’était décidé : la page était tournée. A partir de maintenant, s’il lui demandait quoi que ce soit, elle respecterait la procédure : formulaire en trois exemplaires tamponnés par Morgan. Cela l’aiderait certainement à créer et garder une distance, donc un détachement. Oui, elle était une femme indépendante et lui n’était qu’un collègue.


  Lorsque Summers entra dans le bureau du responsable de l’équipe, Morgan Stillman, il fut frappé comme à chaque fois par le capharnaüm organisé du bureau de son collègue. Dans un coin de la pièce se trouvait tout autant des bouts de pièces prototypiques que de vieux dossiers… Ou même de récents dossiers qui étaient en train d’être finalisés. Dans un autre coin un ordinateur monté en vrac, des bouts de câbles sortant de ci de là, avec un écran de contrôle posé de guingois sur le clavier compilait on ne sait trop quoi. Et quand on l’interrogeait sur son fonctionnement, il répondait qu’il ne se rappelait plus. Summers n’était pas dupe, Morgan savait très bien ce qu’il faisait mais les ordres venaient de plus haut.

  - Alors James ? Qu’est-ce qui t’amène ?

  - Combien de temps vous faut-il pour infiltrer des services sociaux ? Et faire courir une rumeur d’enlèvement ?

  Morgan Stillman se redressa lentement, il était très intéressé par le sujet.


  L’entretien avait duré une bonne heure. Summers ressortit du bureau de Stillman et alla voir Charlyne.

  - Charlyne, j’aurais besoin de toi pour infiltrer un réseau médical… Tu vois le genre ? Informations confidentielles et tout le toutim. Quelque chose de pas très réglo, si tu peux me trouver tout ce que tu peux sur quelqu’un ?

  - Oui. Je ne sais pas, il faut voir avec Morgan.

  - Il est okay, il te remplit les formulaires. Merci ma puce. Tu sais je n’ai pas eu le temps de te le dire, mais je trouve ton maquillage très léger, juste ce qu’il faut pour faire ressortir toute la douceur de tes yeux. C’est très joli.

  - Ah ! Euh… Merci, dit-elle en rougissant. Il te faut tout pour quand ? Tu sais les formulaires c’est de la paperasse… Je m’y mets tout de suite…

  - Merci. Tu aurais le temps pour un café demain, quatorze heures, au quinzième angle de la rue Hitchcock, Sinatra ?

  - Euh… Okay…

  - Essuie-toi un peu, tu baves, lui fit remarquer Archibald quand Summers fut reparti.


  Un peu plus de quarante-huit heures plus tard, Summers se rendait chez son patron un dossier sous le bras.

  - Allons-y, expliquez-moi votre idée.

  - Eh bien, Monsieur, comment réagiriez-vous si vous appreniez que vous n’étiez pas celui que vous croyez ?

  - Dites m’en plus ?

  Et Summers lui expliqua son plan dans le détail, les coûts, les aménagements éventuels. Bref tout le projet qu’il avait conçu.

  - Oui mais que faites-vous du projet initial ?

  - Monsieur, avec ce nouveau plan, nous sommes tout autant discrets, rapides, et crédibles. La discrétion parfaite. Et ça ne remet pas en cause le but final.

  Son supérieur se recula dans son fauteuil et le dévisagea longuement.

  - Très bien. Vous m’avez convaincu. Allez-y avec ce nouveau plan.

  Summers ne réalisa pas tout de suite ce que son patron venait de lui dire puis quand ce fut fait, il se précipita dans son appartement.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Aymris ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0