13 - Le Verre d'Eau, Gilbert Lafaille

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Qu’y a-t-il ma chérie ? Que s’est-il passé ? » Sarah était en panique. Sa fille était déjà rentrée du collège alors qu’il n’était que le début d’après-midi. Manifestement quelque chose l’avait terrorisée et elle était en panique. Elle pleurait sans pouvoir s’arrêter. Elle regardait alternativement sa mère et son pouce sans dire un mot.

  - Calme-toi et viens t’asseoir.

  Sarah prit sur elle et tenta de garder le contrôle de la situation. Intérieurement elle était aussi paniquée que sa fille et même plus, car en temps normal cette dernière aurait déjà perçue ses pensées concernant les visites de l’après-midi. Mais là, rien. Pas une question, pas une remarque. Elle était comme tétanisée, dans un état second. Elle l’appelait sans cesse, comme un mantra. Que Rachel ne ressente pas les pensées des gens, surtout quand ils étaient dans l’incapacité totale de les contrôler, ne s’était jamais produit. Il y avait de quoi prendre la situation comme une crise grave. Sarah s’approcha d’elle et lui enleva son sac et son manteau. Rachel ne sentait rien, elle répétait « Maman » comme si ce mot pouvait la guérir de toutes ses souffrances, comme si ce mot était un bouclier infranchissable pour tous les démons qui l’avaient prise pour cible, comme si ce mot était magique. Sa mère la conduisit sur le fauteuil le plus proche et l’abandonna quelques instants pour aller lui chercher des biscuits et un verre de lait. Sa fille ne s’était aperçue de rien, mais son discours avait changé. Machinalement, Sarah regarda la pendule de la salle : trois heures et demie de l’après-midi. Rachel était là depuis un quart d’heure.

  - Je ne l’ai pas fait exprès, je ne l’ai pas fait exprès, je ne l’ai pas fait exprès, je ne l’ai pas fait exprès, je ne l’ai pas fait exprès, je ne l’ai pas fait exprès…

  - Chérie calme-toi. Qu’est-ce que tu n’as pas fait exprès ? Raconte-moi. Je suis là, tout va bien, il ne peut plus rien arriver.

  La main de Sarah se posa délicatement sur la joue de sa fille et lui caressa les cheveux, sa mèche brune lui tombait devant les yeux. Elle la recula derrière son oreille. A ce contact, Rachel sursauta comme si elle avait reçu une gifle. Et ce contact ramena Rachel à la réalité.

  - Je n’ai pas voulu maman, je te le jure. Je ne l’ai pas fait exprès.

  - Qu’est-ce que tu n’as pas fait exprès ?

  - C’est avec Tina. On a fait des essais pour voir ce que je savais faire et sur le temps de la récré du matin, on a essayé de lire dans les pensées des gens et… Son portable sonna. Elle jeta un œil à la pendule et vit qu’il était l’heure de la récréation. Elle sortit le téléphone de sa poche. Il affichait « Tina », elle décrocha sans même un regard pour sa mère. Oui ? ... Je suis à la maison… Ca va. J’essaye d’expliquer ce qu’il s’est passé… Non… Je ne sais pas… C’était terrifiant je ne sais pas ce que c’est… Oui si tu veux… De toute façon je ne bouge pas… Okay, à tout à l’heure… Elle nous rejoint après le collège dans une heure, expliqua-t-elle à sa mère qui la regardait sans comprendre.

  Ce n’était pas que Sarah n’aimait pas Tina, bien au contraire, elle avait trouvé dans la famille de celle-ci auprès de sa mère comme une sœur qu’elle avait toujours voulu et Tina était comme sa fille. Elle était très heureuse d’avoir rencontré cette famille, elle l’avait aidée à se remettre après sa séparation et la possibilité de ne pas être seule pour faire face au don de sa fille était d’une importance quasi-vitale pour elle. Elle n’en voulait pas à Tina de venir après le collège, le contraire l’aurait surprise. Toutefois, elle ne put retenir un petit tic d’agacement qui n’échappa pas à Rachel.

  - Pourquoi cela te gêne-t-il ?

  - Non ce n’est pas cela. C’est juste que j’aimerais que tu me racontes avant. J’ai peur que tu me caches des choses graves.

  - Eh bien, nous avions donc fait des essais de lecture à distance. Mais en fait… On est allé plus loin. J’ai réussi à imposer ma volonté à des personnes. Rien de méchant, j’ai fait trébucher Piggy la Pimbèche (sa mère ne put s’empêcher de sourire, s’il y avait bien eu une élève qui devait subir des représailles de la part des filles ce ne pouvait être qu’elle). En plus tout avait bien commencé, au début de la récré, Lucas est venu m’offrir un bijou, regarde.

  Elle montra à sa mère la triquetra qui pendait à son cou. Sa mère regarda le bijou. Décidément sa petite chérie grandissait vite. Elle aussi ne vit pas un pendentif mais une bague. Sa petite fille était amoureuse sincèrement d’un garçon alors qu’hier encore elle allait chercher son doudou en se traînant par terre à reculons.

  - Et donc ? Il est très joli ma chérie. Veux-tu encore du lait ?

  - Non ça va. Eh bien, nous avons fait tous ces essais et du coup, en fin de matinée et en début d’après-midi, je me suis amusée à influencer les gens que je croisais, Eddy, la prof de Français… Rien de méchant et tout se passait bien… J’ai même triché au contrôle de Géographie en lisant dans la tête d’Antoine. Et…

  - Tu as fait quoi ? S’étrangla Sarah. Rachel, je ne suis pas contente de toi. Tu ne dois pas…

  - Maman ! Je te jure qu’à côté de la suite c’est une goutte d’eau ! Après tout ça, j’avais eu la confirmation que je pouvais manipuler les esprits et surtout que je commençais à maîtriser mon pouvoir. Je pense vraiment que je vais réussir à me couper des esprits des gens et ne plus me laisser submerger… Passons… Nous étions en Mathématiques avec… Elle marqua une pause pendant laquelle Sarah vit qu’elle essayait de se ressaisir. En Mathématiques avec Soeur Marielle et… Et… Ses lèvres se remirent à trembler. Et… Oh Maman ! Si tu avais vu ça ! C’était horrible ! Elle se remit à pleurer sans pouvoir s’arrêter.

  - Chut ! Chut ! Là. Calme-toi. Sarah s’était rapprochée d’elle et la prenait dans les bras maintenant. Raconte-moi. Que s’est-il passé ? Qu’y a-t-il eu avec Soeur Marielle ?

  Sarah était inquiète. Elle n’avait pas bien conscience des capacités de sa fille, en-dehors de ce qu’elle avait déjà vu. Et le fait que Rachel lui explique que cela se développait et qu’elle se découvrait de nouvelles capacités ne la rassurait pas. Pouvait-elle blesser quelqu’un ? Pouvait-elle plonger une personne dans le coma ? Pouvait-elle même… Le mot ne voulut pas sortir. Comme si le dire c’était le réaliser. Sarah était un peu superstitieuse pour toutes ces choses… Incompréhensibles. Elle était convaincue par exemple que si elle se disait qu’un matin semblait pluvieux, il allait pleuvoir. Cela faisait des dizaines d’années qu’elle se réveillait en se répétant que la journée allait être ensoleillée. Se pourrait-il que sa fille ait… Quelqu’un ? Que Soeur Marielle ne soit plus… Soeur Marielle ?

  Rachel reprit la parole d’elle-même et sortit Sarah de ses pensées.

  - Je n’ai pas voulu lui faire mal, enfin pas vraiment. Mais tu sais elle était si méchante avec moi que j’ai senti que c’était le moment pour lui faire une mauvaise blague. Alors j’ai pensé très fort qu’elle pourrait se piquer le doigt avec le compas. Mais tu sais rien de grave ! S’empressa-t-elle d’ajouter devant l’expression de surprise de sa mère. Un peu comme une punaise tu vois ? Et j’ai pensé et pensé, en me concentrant. Et là, elle a commencé par répéter tout ce que je lui envoyais et ensuite elle… Elle… Rachel repartit dans ses pleurs. Mais elle parvint à se ressaisir et finit sa phrase. Oh ! Maman ! Elle s’est carrément enfoncée le compas dans le pouce de toute la profondeur de la pointe ! Elle saignait fort, il y en avait partout. C’était affreux ! Et ce cri !

  Les larmes coulaient sans qu’elle ne put les retenir. On sentait que cette terreur avait besoin de sortir. Bizarrement Sarah était soulagée dans un sens. Soeur Marielle n’avait « rien ». Mais elle prit soudain conscience de la puissance de sa fille. Que serait-il arrivé si Rachel avait souhaité autre chose de plus… Radical ?

  - Ce n’est rien ma chérie, tout va bien. Tout va bien.

  Evidemment que ce n’était pas rien, évidemment que tout n’allait pas bien. Mais que pouvait-elle dire d’autre ? Que c’était une catastrophe ? Qu’elle était tellement terrorisée par sa fille qu’elle était à deux doigts de faire comme son mari?Qu’elle se demandait si elles ne devaient pas fuir anonymement, de nuit, de peur d’être traquées pour tentative d’homicide volontaire ? Sarah était effrayée par la situation et en même temps elle s’en voulait de penser cela. Elle en avait voulu à Fabrice d’avoir rejeté sa fille pour moins que ça, et voilà qu’elle faisait de même. Oui mais à l’époque, Rachel ne manipulait pas l’esprit des gens. Ce n’était pas une raison. C’était sa fille, et elle devait la protéger coûte que coûte.

  Elle prit Rachel dans ses bras et l’aida à s’allonger sur la banquette. Après avoir installé un coussin sous sa tête, elle alla chercher une couverture.

  - Tiens, allonge-toi un moment. Tu es fatiguée. Repose-toi. Tiens je vais te mettre…

  - Attends. Il y a une dernière chose que je ne t’ai pas dite… Quand Soeur Marielle s’est plantée le compas dans le doigt… J’ai ressenti la même chose en même temps… Comme si on était… Connectées… Et mon pouce s’est mis à saigner. Regarde j’ai un bleu… Maman qu’est-ce qu’il m’arrive ?

  - Je ne sais pas chérie. Repose-toi.

  - Au fait maman, c’est quoi tous ces papiers ? Et… Et tu as bu une demi-bouteille de whisky ! Mais c’est quoi cette histoire ? Que se passe-t-il ?

  - Plus tard chérie. Plus tard. Dors. Repose-toi.

  La sonnerie de la porte d’entrée tira Sarah de ses réflexions. En regardant la pendule, la conclusion s’imposa d’elle-même : il s’agissait de Tina. Elle alla lui ouvrir la porte. La jeune fille paraissait un peu paniquée par la situation.

  - Comment va Rachel ?

  - Bonsoir Tina.

  - Oui pardon bonsoir. Elle embrassa Sarah.

  - Elle se repose dans la salle. Tu es au courant de ce qu’il s’est passé ?

  - Oui. Enfin plus ou moins. Si vous parlez de Soeur Marielle, évidemment, mais pourquoi Rachel est-elle partie si vite ?

  Sarah lui fit un rapide topo sur la situation et n’oublia pas de conclure sur ce qu’elle avait vécu pendant l’accident de la Soeur.

  - Empathie, conclut Tina dans un souffle.

  - Comment ?

  - Empathie, l’aptitude à ressentir les émotions des autres comme s’il s’agissait des siennes.

  - Oui. Je sais ce qu’est l’empathie, je te remercie. Je voulais dire comment est-ce possible ? En psychologie l’empathie est l’aptitude à se mettre à la place des autres pour une blessure ou une douleur quelconque, voire un plaisir dans le cas d’une surprise. Ce n’est pas saigner à la place des autres.

  - Eh bien, en fait si. Dans certaines croyances, comme la Wicca, l’empathie est l’aptitude à vivre avec la même intensité qu’autrui un événement. Autrement dit, si je saigne elle saigne et si je rêve de tulipes, elle rêve de tulipes… Elle rêve de tulipes, répéta-t-elle dans un chuchotement, comme pour elle-même.

  - Oui ? Etre empathe c’est rêver de tulipes ! J’ai rêvé de roses récemment…

  - Non. Je sais que Rachel peut pénétrer les rêves des gens, je me dis que l’empathie n’est que l’aboutissement de cette capacité.

  Sarah ne sut que répondre. Cela faisait beaucoup d’informations à digérer en peu de temps. Elle avait déjà été affaiblie par la visite de la blondasse, le matin, de fait, tout ce qui s’était passé cet après-midi était trop pour elle. Elle ne voulait plus rien savoir, ne plus poser de questions, ne plus chercher à comprendre. Pour l’instant elle aurait accepté l’existence d’un homme géant de vingt-quatre mètres avec douze bras si on le lui avait raconté.

  Toute cette agitation réveilla lentement mais sûrement Rachel. Lorsqu’elle vit son amie, elle lui sourit et la prit dans ses bras.

  - Maman, Tina. Tina, Maman, Maman, Tina. Répéta-t-elle en laissant son regard passer de l’une à l’autre incessamment, comme pour se rassurer que ses repères stables étaient bien présents. Elle les touchait, les palpait, les serrait dans ses mains, comme pour vérifier qu’elles étaient bien réelles. Oh oui ! Elles étaient là. Solides. Stables comme deux piliers. Même Atlas n’aurait pas fait le poids.

  - Oui ma chérie, nous sommes bien là. Tout va bien. Tina pense avoir une idée de ce que tu as : empathie. Mais une empathie extrême, probablement lié à ton don, dont je n’étais pas au courant, à ton don de visiter les rêves des gens.

  Rachel acquiesça. Elle avait compris le principe même si elle aurait été incapable de l’expliquer clairement. Mais très vite ses souvenirs lui revinrent et elle posa de nouveau les yeux sur la table. Sarah était tellement dépassée par les événements qu’elle n’avait même pas pris le temps de ranger les papiers. A moins qu’elle n’en eut jamais l’intention.

  - Maman, c’est quoi ça ? Et c’est quoi ce coup de fil ?

  Comme la réponse tardait à venir, Tina jugea bon de préciser qu’il était tard et qu’elle devait rentrer.

  - Non. Reste. La voix de Sarah était douce. C’était plus une requête qu’un ordre. Reste Tina, je vais avoir besoin de toi.

  Les filles se regardèrent gravement sans mot dire mais Tina sentit soudainement la main de Rachel serrer fortement la sienne.


  - Tu sais qu’hier soir j’ai eu un appel téléphonique. Bon. Il ne s’agissait pas de la nouvelle copine de ton père.

  Le silence qui s’ensuivit en disait long tout autant sur ce que pensait Rachel que sur son bouillonnement interne.

  - Euh… Hum… En fait, il s’agissait d’une assistante sociale de l’hôpital où tu es née.

  Toujours pas de réponse mais Sarah vit une incompréhension dans les yeux de sa fille. Elle n’avait pas son don mais elle pouvait sans aucun problème savoir ce qu’elle pensait, parce qu’elle avait eu la même réaction. Pourquoi une assistante sociale appellerait-elle ? Et surtout celle de son hôpital de naissance ?

  - Elle m’a demandé qui j’étais et elle m’a posé quelques questions pour vérifier, je pense qu’il s’agissait bien de moi. Chérie, quand tu es née, il y a une chose que je ne t’ai pas dite parce que pour moi cela n’avait pas beaucoup d’importance. Quand tu es née, tu n’es pas restée avec moi tout de suite. Ce n’était pas prévu. En fait quand tu es née, ils ont voulu faire quelques tests comme ils font à chaque naissance et comme moi, je devais avoir les soins post-partum ils en ont profité pour t’emmener. Pas longtemps. Le temps de faire leurs tests et ils t’ont ramenée. Je n’avais pas encore fini mes soins, c’est pour te dire que ça n’avait pas duré longtemps. Quelques minutes tout au plus. Puis tu es revenue, ils t’ont posée sur mon ventre et nous ne nous sommes plus jamais quittées.

  - Où veux-tu en venir ? Rachel sentait que le vent allait tourner et pas vers une brise légère.

  - Tu as bien compris. Chérie, je suis sûre que cette femme raconte n’importe quoi. Tu es ma fille et ça ne fait aucun doute.

  - Attendez, attendez ! Moi je ne lis pas dans la tête des gens et je n’ai pas eu de coup de fil. Attendez. Je ne comprends rien. Ou plutôt j’ai vaguement compris. Vous voulez dire que cette femme suggère que Rachel n’est pas votre fille ? C’est complètement ridicule !

  - Je suis d’accord avec toi Tina. Elle m’a laissé entendre que Rachel aurait été échangée lors des tests. De manière involontaire par les services certes, mais ç’aurait été le cas. Et comme elle n’a eu son bracelet identitaire que lorsqu’elle est revenue, il n’y a aucun moyen de vérifier.

  - Si bien sûr, Tina avait parlé plus fort que d’ordinaire, bien sûr qu’il y a un moyen. Les test ADN !

  - Oui maman, elle a raison, surtout que je t’avais demandé de faire des tests pour essayer de comprendre d’où ça venait mon truc !

  - Les filles calmez-vous. Vous pensez bien que j’y ai pensé immédiatement seulement, nous ne sommes pas les seules à y avoir pensé. Et vous pensez bien que dans le domaine médical, ils sont les mieux placés pour avoir ce genre d’idée. C’est pour ça tous les papiers.

  Tina ne comprit pas tout de suite puis quand elle vit le regard de son amie vers la table, elle-même tourna la tête. Sur la petite table du salon, d’ordinaire toujours bien rangée, décorée de bougies et de graviers de décorations, rien ne traînait. Mais aujourd’hui elle était recouverte d’un bazar sans nom. Une liasse de papiers en vrac, un verre de whisky avec des coulées d’alcool séchées et une bouteille ouverte, entamée à la moitié, même le bouchon traînait par terre. En temps normal il y aurait au moins eu des sous-verres, et les papiers auraient été empilés. Juste en jetant un coup d’oeil rapide, elle put noter un entête de laboratoire d’analyses médicales. Sarah reprit la parole.

  - Tout à l’heure, avant que tu ne rentres, un médecin, une femme encore… Ils doivent penser qu’entre femmes on se comprend mieux… Est venue me porter tous ces papiers. Nous avons discuté un moment j’ai émis toutes les objections possibles. Elle a répondu à chaque fois… Elle prit un temps pour se calmer. Je fais court, elle m’a dit que je ne sais quoi dans les analyses prouvait que notre ADN ne correspondait pas. Une histoire de stéréotype, je ne sais quoi.

  - Caryotype, corrigea Tina comme par réflexe.

  - Oui. Ca doit être ça. De toute façon tous les papiers sont là. Je n’y comprends rien mais elle dit que nous ne sommes pas compatibles.

  Tina saisit les papiers et commença à les regarder. Il y avait un caryotype qui effectivement montrait deux graphiques distincts et diverses analyses sanguines et biochimiques qui mettaient en exergue des erreurs de milieu intérieur. D’ordinaire si les parents étaient de la même famille, leur biochimie devaient correspondre en partie, quand au génotype sanguin, il devait présenter des ions compatibles. Sur les papiers rien ne correspondait. C’était même tellement flagrant que l’on pouvait se demander comment ils ne s’en étaient pas rendus compte plus tôt.

  - Excusez-moi, mais pourquoi maintenant ? Je veux dire, comment se fait-il qu’ils aient mis seize ans à s’en rendre compte alors que les résultats sont évidents ?

  - Merci pour ton soutien, dit Rachel d’un ton acide.

  - Non tu ne comprends pas ce que je veux dire. Quand on regarde les analyses, c’est évident que vous ne correspondez pas. Mais franchement, tu as déjà fait des prises de sang. Tu as déjà fait des tonnes d’analyses. Et rappelle-toi, la fois où tu as été hospitalisée parce que tu avais une hyperkaliémie, ils avaient fait des recherches ADN chez ta mère pour savoir si c’était génétique.

  - Justement. Ils disent que c’est à cause de ces recherches qu’ils ont découvert que nous n’étions pas parentes.

  - Ridicule. Cela met un an grand maximum pour obtenir un résultat de cette nature. Et Rachel a eu son problème il y a plus de cinq ans ! Tina recommençait à parler fort.

  - Oui mais non. En fait, ils ont bien eu tous les résultats normalement, mais dans ce genre d’analyse, ils ne cherchent que quelque chose de précis. C’est en regardant les résultats du tests que quelque chose, je ne sais pas quoi, les a alertés. Alors ils ont approfondi les recherches, et ça a pris plus de temps, mais ils ont enfin eu la réponse. Rachel n’est pas ma fille.

  - Et où es « ta » fille ? Rachel venait enfin de prendre la parole. Le ton était froid, sec, comme détaché.

  - Je ne sais pas, dit Sarah dans un souffle, les lèvres tremblantes.

  - Attendez, ne nous emballons pas ! Tout ceci est ridicule, stupide et illogique ! Rachel est votre fille et Sarah est ta mère ! Ca ne met pas des années à établir un caryotype. Je dirais même que c’est ce qu’il y a de plus rapide puisque l’on ne cherche rien. On se contente de représenter les chromosomes. Il y a dans toute cette histoire une accumulation d’aberrations. Et quand bien même, cela n’enlève en rien le fait que vous soyez une famille. Cela fait seize ans, seize ans que vous vivez ensemble, que vous plaisantez, que vous vous fâchez, que vous faites des soirées, des anniversaires… Cela ne change rien.

  - Si cela change tout, reprit Rachel. Tina, j’ai voulu faire des recherches il n’y a pas longtemps pour savoir d’où venait mon truc. Peut-être que la réponse est là ? Peut-être que si je ne suis pas la fille de Sarah, ma réponse est ailleurs.

  Sarah accusa le coup. En dehors des questionnaires d’inscription dans des clubs de sport, Rachel ne l’avait jamais appelée par son prénom. Et encore moins de manière aussi impersonnelle. Elle n’avait aucune réponse à apporter à sa fille. Elle ne savait même plus si elle devait l’appeler sa fille. En fait à l’heure actuelle, elle ne savait plus grand-chose. Ou plutôt si, elle était sûre d’une seule chose.

  - Rachel, tu es et tu seras toujours ma fille quoi qu’il se passe. C’est moi qui t’ai élevée, qui t’ai soignée, qui t’ai appris à lire, à marcher, à faire du vélo…

  - Non ça c’est papa, tenta d’ironiser Rachel. La blague n’eut pas l’effet escompté.

  - Ca ne change rien. Tu es ma fille, je t’ai fait grandir. Je suis fière de toi et tu seras toujours chez toi là où je serai. Et Tina, je voulais te dire que toi aussi tu es ma fille. Je ne te l’ai pas toujours montré mais ta famille et toi comptez beaucoup pour moi, pour nous. Et je suis heureuse que Rachel ait une amie comme toi. Je te considère comme ma fille aussi. Merci Tina, pour tout.

  - Ne vous inquiétez pas Madame Bernstein, je l’ai toujours su. Tina lui sourit.

  Il était tard quand Tina repartit chez elle. Sarah était épuisée et Rachel aussi. Sitôt que la jeune fille eut passé le perron et que la porte fut refermée, Rachel prétexta un besoin de se reposer et une absence de faim pour le repas du soir. Sarah n’eut pas la force de contester, et elle aussi avait besoin de repos et de solitude.

  Les jours qui suivraient s’annonçaient rudes et elles allaient avoir besoin de force toutes les deux.

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