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Rageusement, il finit de ranger son équipement dans le sac. Les mouvements étaient secs, presque brutaux quand il remit les deux coutelas et l’AK-47 dans le grand sac de sport qui était posé à ses pieds. Ils entrechoquèrent le L42 qui se reposait tranquillement. Ces deux connes avec tout leur ramdam avaient bien failli le faire repérer. Pourtant tout avait bien commencé.

  La veille en fin d’après-midi il était venu à vélo repérer le circuit du cross. Il avait observé de loin la tripotée de profs qui s’amusaient à planter les-jolis-petits-piquets-qui-piquent-et-qu’il-faut-faire-attention-quand-on-courre. Ces abrutis tapaient bien consciencieusement avec leur maillets pour bien enfoncer le morceau de bois qui servait à indiquer la direction. De loin ils lui faisaient penser aux nains de Blanche-Neige de Disney avec leur pioches… Ou mieux : à des Shadoks. A deux imbéciles sur un maillet c’est toujours mieux qu’un seul maladroit, on a plus de chance que ça foire. Dissimulé à plusieurs dizaines de mètres, derrière des arbres hauts, dans un coin éloigné du sentier principal, il était sûr de ne pas être vu et rien ne pouvait lui échapper.

  Au bout de deux bonnes heures, ce qui dans son unité de mesure représentait une dizaines de clopes, les profs rentrèrent chez eux. Il eut alors tout le loisir de sillonner le circuit pour trouver un endroit à l’abri des regards et assez excentré pour qu’il ne risque pas d’être dérangé par des passages incessants. Il avait trouvé la butte, plus haute que les autres. Alors il avait sorti la pelle du sac et commencé à creuser.

  Il avait mis dans son sac une partie des armes que son contact lui avait rapportée. Il reviendrait certainement avec les autres les jours suivants, il avait donc préféré se concentrer sur quelques unes d’entre elles en particulier. Enterrées là, elles ne risquaient pas d’être vues ou d’être retrouvées… En tout cas pas facilement… Il s’arrêta soudain de creuser, la pelle en l’air, une autre vision s’afficha devant ses yeux. Et si ça n’avait pas été un sac qu’il cherchait à enterrer ? Après tout ce coin… Etait parfait… Vraiment parfait… On pourrait y dissimuler pleins de choses gênantes… Pour l’éternité… Un sourire mauvais se dessina sur ses lèvres et il finit de creuser en sifflotant.

  Sur le chemin du retour, il était involontairement passé devant la mairie. Il faisait déjà presque nuit. C’est alors qu’il le vit. Assis sur un banc. Attendant sans doute qu’un gamin comme lui vienne le voir et lui propose des services dégueulasses en échange d’argent.

  Il mit pied à terre et resta un moment ainsi sur son vélo. Cela faisait des années qu’il rêvait de lui rendre la monnaie de sa pièce. Contre son nombril, il sentit le métal froid se rappeler à lui, lui susurrant des mots doux à l’oreille comme le Serpent à Eve… Ce serait si facile… Si rapide… Après tout, aucun témoin dans les environs et la Terre serait débarrassée d’un pervers pédophile… Oui quelque part, c’était rendre service au monde entier… Il laissa tomber le vélo et se dirigea d’un pas sûr vers l’homme qui n’avait pas bougé. Sa main se glissa souplement sous son pull.

  L’homme ne bougeait pas, il jetait des coups d’oeil nerveux à droite et à gauche. Comme pour surveiller une proie potentielle. Prêt à lui bondir dessus. Ces petits cons, ils adoraient ça, il le savait. Oh bien sûr ils prenaient l’air choqué et dégoûté mais c’était pour le spectacle, parce qu’ils savaient que ça l’excitait. Mais dès qu’il les secouait un peu ils finissaient par accepter. Ils aimaient bien être chahutés, ça faisait partie du jeu. Et puis ils n’avaient pas à se plaindre, avec tout le pognon qu’il leur laissait, pratiquement le quart de la recette du bar. De toute façon s’ils traînaient dans le coin c’était bien pour ça non ? Alors…

  Un choc sourd à la tête, comme une légère tape avec une barre de métal. Nom de dieu, il allait se retourner et flanquer une bonne raclée à cet abruti quel qu’il soit, quand il entendit le chien d’un automatique que l’on recule. Il reconnut sans peine ce bruit caractéristique parce qu’il avait lui-même une arme de poing sous le comptoir.

  Dans un bruissement d’air il comprit que le propriétaire de l’arme était en train de le contourner.

  - Alors Emrich ? Comment va ?

  - Jimmy ? Bon sang tu m’as fait une peur bleue. Bordel c’est quoi ça ? Ah ! Je vois… Monsieur veut jouer, je vois le genre, un genre de simulacre de viol c’est ça, tu fais semblant de te défendre et finalement j’ai le dessus et tu te laisses faire ? J’espère que ça va pas me coûter un supplément, j’ai rien demandé moi ! (Le type qui répondait au nom d’Emrich partit d’un rire gras qui écoeura Jimmy.)

  - Ta gueule connard. Tu m’entends ? Ta gueule. C’est moi qui dirige maintenant !

  Pour le coup, la voix était plutôt posée, et chuchotante. Le flingue était braqué sur Emrich et ne bougeait pas d’un millimètre. La main était assurée et c’était ce qui inquiétait le plus Emrich. Normalement un gars surexcité saute partout, gesticule avec son arme et bien coordonné on pouvait lui saisir les poignets, mais là… Jimmy ne bougeait pas. Il était parfaitement serein et déterminé. Emrich se demanda combien de temps il lui restait à vivre quand Jimmy reprit la parole, toujours dans un souffle.

  - Alors ça fait quoi maintenant d’être de l’autre côté ? Du côté de ceux qui n’ont pas le choix ? Du côté de ceux qui se prennent des beignes ? Du côté de ceux qui dégueulent après ? Mais dis-moi, je rêve ou tu es en train de te pisser dessus ? C’est pas bien joli-joli ça Emrich ! Tu vois ça, dit-il en secouant le flingue sous son nez, ça tire des balles qui explosent dans le corps, un peu comme les dum-dum. Tu connais les dum-dum ? Ce sont des balles qui pénètrent dans une cible et elles s’y sentent tellement bien qu’elles s’y installent un peu partout, elles… Comment dit-on, il y a un mot pour ça… Elles explosent ! Elles explosent dans le corps et du coup tu as des éclats un peu partout dans tes organes, ça occasionne des hémorragies internes pour une longue agonie… C’est cool non ? Du coup je me disais que ça correspondrait assez bien à ce que tu m’as fait endurer. Je suis en train de mourir d’une mort lente et dégueulasse. Tous les jours je me sens un peu plus sale, un peu plus blessé, un peu plus malade, un peu plus… Un peu plus un cadavre en sursis qui attend que ses organes explosent pour être tranquille. Eh bien aujourd’hui c’est ton tour !

  Il pivota sur lui-même comme pour s’adresser à un public dans des gradins, un public que lui seul pourrait voir.

  - Mesdames et messieurs, ladies and gentlemen, meinen Damen und Herren, nous voici au grand final de notre émission « Châtiment pour tous ». Vous avez voté depuis plusieurs semaines pour élire le pire pervers que le monde ait connu et pour qu’il ait le jugement de vox populi qu’il mérite. Mesdames et messieurs, j’ai l’honneur de vous présenter Emrich Garstner, tenancier de bar, où il reçoit régulièrement des jeunes qui sortent du lycée pour aller boire un verre. Sur place il propose à quelques-uns de se faire un peu de fric. Il leur donne rendez-vous le soir ici, où nous sommes et il les force à avoir des rapports sexuels à l’aide d’un couteau de chasse qu’il leur plaque sous la gorge. Puis il les payent et s’en va. Et voilà que ce soir, c’est lui qui sera jugé…

  Jimmy continuait sa harangue… Pendant ce temps, l’homme n’était plus dans son champ de vision. Il avait bien le couteau sur lui mais la situation était trop risquée. Il préféra tenter une fuite discrète. Il se leva doucement et s’éloigna sans un bruit. Jimmy parlait toujours.

  La brûlure fut intense et la jambe plia dans un sens contraire à toute forme normale d’articulation. Il s’écroula par terre. Le sang se mit à couler fortement et bientôt le jean fut alourdit d’une masse poisseuse et chaude. Au loin Jimmy tenait son arme pointée dans sa direction.

  - Où cours-tu comme ça Emrich ? Ce n’est pas poli de partir sans dire au revoir. Pour la peine je vais devoir te punir.

  Il se rapprocha et Emrich distingua très nettement le silencieux que Jimmy avait fixé au bout du canon. Il sut que la fin était proche. Le coup de feu serait plus qu’assourdi et personne ne serait en mesure de se douter qu’un crime venait de se produire, personne ne viendrait appeler les secours et le lendemain il serait trop tard.

  - Alors… Voyons, voyons. Bon tu te doutes que compte tenu de ce que tu as fait, je ne te laisserai pas tes parties en état… C’est par là que tu as pêché Emrich… Voilà je sais… Je vais t’exploser les genoux. Tu finiras en fauteuil roulant. Puis comme tu pourrais encore faire des trucs, je vais t’exploser les coudes, comme ça tu ne pourras plus utiliser tes bras. Et pour finir je t’explose les balloches. Et on sera quitte…

  Une heure s’était écoulée depuis qu’il était descendu de son vélo. Quand Jimmy remonta sur sa selle, il laissa derrière lui un pantin désarticulé, geignant et baignant dans une mare de sang.

  Le lendemain était le cross. Une activité encore plus débile que planter des piquets. Heureusement il avait tout prévu, certificat médical, attelle, béquilles, tout ce qu’il fallait pour qu’on ne lui pose aucune question. Les profs étaient même allés plus loin que ce qu’il avait espéré, ils lui avaient conseillé de rentrer chez lui « parce que la journée allait être longue, tu comprends nous ne rentrons qu’à dix-huit heures… Tu fais comme tu veux, mais moi je serais toi, je n’attendrais pas tout ce temps à ne rien faire. » Il avait prévu d’objecter qu’il pourrait aller se dégourdir les béquilles en forêt pas trop loin et pas trop longtemps, mais les professeurs insistèrent lourdement, avec leur manque de finesse habituelle, pour le renvoyer chez lui. Un môme en moins, en béquilles qui plus est, c’est une déclaration d’accident en moins et un défaut de surveillance évité.

  La tête basse et en prenant l’air le plus désespéré qu’il avait en magasin il fit demi-tour et se fendit même d’un « dommage, je me faisais une telle joie d’aller encourager mon équipe ». Ce n’est que lorsqu’il fut à plusieurs dizaines de mètres de la classe qu’il explosa de rire.

  Tout allait donc pour le mieux. Une fois sorti du bahut il cala les béquilles dans son sac à dos, enfourcha son vélo et fila jusques à la butte.

  Une fois arrivé là, il se mit à déterrer le sac. La terre meuble ne résista pas longtemps à ses doigts. C’avait été beaucoup plus long la veille avec la pelle, mais maintenant que la terre avait été retournée, elle se montrait plus docile, et il n’eut aucun mal à ressortir le sac.

  Il fit tomber les derniers grains de terre qui restaient, afin que ceux-ci ne se déposent pas sur les armes qu’il contenait, au risque de les enrayer et s’affaira à sortir les armes une par une. Il les examina sous toutes les coutures. Le matin précédent il les avaient toutes astiquées, démontées, graissées, remontées, emballées dans un torchon propre chacune le sien. Il n’avait pas jugé bon de prendre les silencieux. D’abord il voulait tester les tirs sans contrainte et un silencieux à la fâcheuse tendance de ralentir les balles. Et puis dans un cadre comme celui-là, le son se mêlerait à d’autres bruits, entre autre, l’usine de déchets non loin, et passerait complètement inaperçu.

  Il commença par la L42. Un magnifique fusil de sniper. Une bergeronnette posée sur un arbre à quatre cents mètres de là, dans les hauteurs des branches. Magnifique. Avec des couleurs sublimes. Elle tomba comme une masse, sans émettre le moindre piaillement. Il alla la chercher et vit qu’il l’avait atteinte pile, à la pliure du cou. Le corps du petit animal était pris de légers soubresauts, sans doute liés aux dernières pulsations cardiaques. Il la jeta loin de lui. Impeccable. Une précision parfaite, peut-être un peu haute, il avait visé le poitrail, mais dans une marge acceptable pour une telle distance.

  Il retourna à sa place et visa un petit lièvre ce coup-ci. Le tir était beaucoup plus précis et Jimmy nota qu’il était préférable de tirer au même niveau ou en contrebas plutôt que vers le haut. Il mit cela sur un effet de cloche ou de pénétration dans l’air.

  Puis il passa à l’AK-47.Bien qu’il aima son crépitement caractéristique il se dit qu’il ne passerait pas inaperçu même avec la déchetterie non loin. Et il préféra passer au coup par coup. De toute façon, il devait régler la hausse et un tir en rafale n’aurait servi à rien. Il avait besoin d’une cible résistante pour tester la pénétration de la balle et c’est naturellement qu’il choisit un chêne d’une bonne cinquantaine d’années. L’arme émit un claquement et la balle vint exploser littéralement une partie du tronc. Le bois était éclaté sur un diamètre de trente centimètre. Encore deux tirs comme cela et il aurait abattu un arbre sans hache. Il fit ainsi plusieurs tirs de tests afin d’ajuster la mire, tantôt dans des arbres, tantôt dans des animaux qui n’avaient pas eu pour projet de finir leur journée en hachis, mais la vie a parfois des impératifs qui nous dépassent… Puis il passa aux coutelas.

  Il fallait qu’il essaye leur capacité à trancher et couper… Sauf que couper une herbe ne présentait pas une résistance suffisante. Les petits animaux des bois lui offriraient une résistance suffisante pour les mettre à l’épreuve.

  Lorsqu’il saisit un lapereau tout jeune et sans défense, il sentit monter en lui comme une onde de chaleur. La même que celle qu’il avait ressenti la veille quand il avait eu au bout de son canon le vieux pervers. Il avait les pleins pouvoirs de vie ou de mort sur le lièvre. Il était omnipotent. Il était Dieu. Il pouvait sentir sa proie se tortiller dans tous les sens comme un ver au bout d’un hameçon. Il pouvait sentir dans ses débats, la vie que contenait ce corps et combien il allait lui être facile de l’ôter. Sa main devint poisseuse de sueur, d’excitation, et la petit bête laissa quelques poils se coller contre sa paume à force de se débattre. Son coeur accéléra progressivement mais irrémédiablement et il était au bord de la tachycardie quand ses doigts se refermèrent sur la poignée du coutelas qui traînait dans l’humus.

  Tout l’excitait maintenant, l’odeur de la forêt, le contact du manche dur et froid, la bestiole qui avait fini par se calmer, épuisée de tant d’efforts inutiles. Ses pulsations cardiaques étaient au paroxysme. Le regard exorbité du lapin était le plus beau spectacle qu’il ait jamais vu. Il allait en faire ce qu’il voulait, quand il le voulait. Le coutelas allait rentrer et ressortir autant de fois qu’il le voudrait et la petite bête n’y pourrait rien. Doucement, dans un souffle d’abord, puis de plus en plus fort, un vieux titre de Mayhem résonna dans sa tête et il entama pour lui-même une sorte de danse chaloupée.

  Il leva alors le coutelas et… Resta le bras suspendu en l’air. Là ! A quelques mètres de lui, des voix. Quelqu’un approchait.

  Il lâcha la lame et le lapereau, et se redressa lentement. Deux filles. Deux… Morues ! Qu’est-ce qu’elles faisaient là ces connes ? Puis il se souvint du cross. Il avait complètement occulté l’événement depuis qu’il était arrivé. Et voilà que ces deux poufiasses le ramenaient à la réalité.

  Il lâcha un juron pour lui quand il vit que le lapin s’était enfui. Mais se dit bien vite que les deux filles pourraient aisément le remplacer.

  Il saisit de nouveau son coutelas et commença à s’avancer dans les buissons…

  Mais… Que se passait-il ? Voilà que l’une d’elles était prise de convulsions. Elle se mit à tomber d’un coup et sembla être frappée de catatonie. L’autre se jetait à côté d’elle pour essayer de la réveiller. Mais rien. Alors celle qui s’appellait Tania, ou un truc du genre, se releva et sembla aller chercher des secours.

  D’ici cinq minutes tout au plus il y aurait les pompiers sur place et ils commenceraient à fouiller alentours pour vérifier s’il n’y avait pas de toxiques ou d’autres choses qui pourraient expliquer son état. Mieux valait ne pas rester.

  Après avoir traité une nouvelle fois les filles de tous les noms, il enterra rapidement son matériel et fila rejoindre son vélo. Il viendrait récupérer tout cela plus tard.

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