23 - Sunday Bloody Sunday, U2

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Rachel ouvrit les yeux et jeta un œil sur son radio-réveil. Oh punaise ! Huit heures quinze ! Il était huit heures quinze ! Elle aurait dû être en classe depuis un quart d’heure. Mais pourquoi est-ce qu’elle ne s’était pas levée lorsqu’il avait sonné ? Soeur Marielle allait la tuer !

  Elle bondit de son lit et se précipita dans la salle de bains. Elle se lava les dents à vitesse grand V et se doucha encore plus vite. Puis elle descendit rapidement à la cuisine, attrapa une petite brioche et un carré de chocolat et tomba nez à nez avec…

  - Maman ? Qu’est-ce que tu fais là ?

  - Comment ça ce que je fais là ? A priori c’est ma maison et ma cuisine donc sans vouloir paraître présomptueuse je pense qu’il y a un lien. La vraie question, c’est : que fais-tu là, toi ?

  - Ben je me suis rendormie et…

  - Je t’amène. Monte dans la voiture j’arrive.

  - Mais tu es en robe de chambre !

  - Monte dans la voiture !

  Quelques instants plus tard, Rachel, assise côté passager, vit sa mère s’installer au volant avec dans le haut un pull et dans le bas, son pantalon de pyjama. Elle lui adressa un regard d’incompréhension.

  - Quoi ? Lui répondit Sarah comme si c’était la plus grande des évidences. De toute façon quand tu es assise dans une voiture les gens ne voient que le haut…


  Rachel, une fois arrivée au collège, courut dans les étages et se précipita dans sa classe comme si de rien n’était. Il était huit heures trente et elle aurait pu faire pire, elle était assez fière d’elle. Malheureusement, son premier cours, comme tous les Vendredis, avait pour chef d’orchestre Soeur Marielle.

  - Mademoiselle Bernstein, nous ne vous attendions plus. Pour qu’elle raison êtes-vous en retard aujourd’hui ? Vous avez un billet d’entrée de la Mère Supérieure bien sûr ?

  - Tout d’abord Ma Soeur, vous me concéderez que je ne suis que très rarement, voire pas du tout, en retard, n’est-ce pas ? Et en plus… Je ne suis pas vraiment en retard. Enfin, je veux dire, vu de votre cours, si, je suis en retard. Mais je ne suis pas vraiment en retard car j’étais dès huit heures dans les locaux, il se trouve que je suis allée aux toilettes et que le verrou de la cabine s’est retrouvé bloqué alors je n’ai pas pu sortir et j’ai dû passer par le petit vasistas du haut, ce n’est d’ailleurs pas facile, et après je me suis fait courser par un chien, je ne saurais pas vous dire sa race j’ai eu trop peur pour l’examiner de près, et après je me suis perdue dans les couloirs, mais je suis arrivée ici…

  - Fascinant. Répondit la vieille mégère en haussant un sourcil. Et je suppose bien sûr que vous avez expliqué tout cela à la Mère Supérieure ? Finit-elle en tendant la main vers la jeune fille pour saisir un billet imaginaire.

  Sans dire un mot, Rachel se leva et se dirigea vers la porte. Elle allait se faire passer un savon par la Mère Supérieure juste pour que la Soeur soit contentée.


  A la fin du cours, Rachel fila aux toilettes. Elle avait besoin de faire une pause et de se remettre de toute la tension de Soeur Marielle qu’elle avait absorbée pendant l’heure précédente. Le retour avec le billet n’avait pas suffi et la Soeur n’avait cessé de s’en prendre à elle pendant toute la séance. Son empathie avait ressenti tellement de haine et de rage qu’elle en avait eu la tête qui tournait. Comment la Soeur pouvait-elle la détester à ce point ? Il lui avait même semblé qu’elle avait des envies de meurtres par moment tellement sa violence intrinsèque était forte.

  Elle était entrée dans les premières toilettes filles qu’elle avait pu trouver et s’appuyait contre le lavabo. Elle ouvrit le robinet et se passa un léger filet d’eau sur le visage. Elle détestait faire ça : son visage allait être tout trempé. Même quand vous ne mettez qu’un minuscule filet d’eau ou que vous vous contentez de passer la main fraîche sur le visage, votre visage finit toujours par ruisseler et il n’y a jamais aucune serviette dans le coin pour rattraper le coup. Cela dit, elle était dans un tel état de nervosité qu’il fallait qu’elle se concentre sur autre chose que sa colère, qui, au demeurant, n’était pas la sienne. Son baladeur avait le son à fond et Korn entonnait You’ll Never Find Me, mais ce n’était pas suffisant. Se mouiller le visage et râler parce qu’on avait le visage mouillé, voilà qui pouvait être une alternative possible.

  Elle but un peu d’eau du robinet en mettant ses mains en coupe et se rappela après avoir profité longuement du goût chloré, qu’elle avait déjà dit la dernière fois qu’elle ne ferait plus jamais ça. Puis elle se repassa un peu d’eau sur les yeux. La fraîcheur lui fit du bien et elle sentit sa température baisser. Les yeux fermés, à tâtons, elle chercha un rouleau d’essuie-mains, en vain… Elle chercha autour d’elle, rencontra plusieurs fois les portes des cabines et l’angle du mur… Toujours pas la moindre trace de papier pour s’essuyer. Alors elle se décida à sortir en se disant que ça sécherait à l’air libre.

  En poussant la porte des toilettes pour sortir, elle sentit une résistance. Elle appuya de toutes ses forces sur la porte qui ne céda que de quelques millimètres. Elle prit alors un peu d’élan et fonça sur elle. La porte concéda de s’entrouvrir un peu plus et Rachel put apercevoir une partie de jambe au sol, manifestement un mollet de garçon, dans un jean tout ce qu’il y avait de plus classique.

  Génial ! Encore un type qui a fait un malaise. Juste devant les toilettes que j’ai choisies.

  Elle se mit a appeler à voix haute.

  - Quelqu’un ! Hé ho ! S’il-vous-plaît ? Il y a un type qui a fait un malaise devant ma porte. Vous pouvez m’aider ?

  Comme personne ne venait, elle se mit à tambouriner sur le cadre en bois. Elle entendit des pas précipités, comme si quelqu’un courrait en piétinant sur place.

  - Eh ! Je suis là ! Vous pouvez m’ouvrir ?

  - Oh mon dieu !… Mon dieu ! C’était une voix de fille.

  - Oui je sais ce n’est pas marrant mais ce n’est rien. Tu peux m’ouvrir ?

  - Il… Il est là…

  - Oui je ne sais pas ce qu’il a eu mais il s’est évanoui juste devant ma porte. Tu peux le pousser ?

  - Il… Il est là… Il est là !

  - Oui. Bon c’est ton petit ami c’est ça ? Ne t’inquiète pas je suis sûre qu’il n’a rien. Sais-tu ce que l’on va faire ? Tu le pousses, je sors de là et on le porte à deux à l’infirmerie. Allez ouvre !

  - Il est là… Il arrive !

  - Qui arrive ? De quoi parles-tu ?

  Elle entendit la jeune fille se remettre à courir tandis qu’elle-même sentit soudain une force d’une violence inouïe la soulever et la jeter sur le mur opposé. Elle traversa la pièce à une vitesse folle et s’écrasa sur le radiateur sous la fenêtre. La tête partit en arrière et heurta la vitre tandis que le dos lui fit sentir avec précision toutes les moulures des tuyaux du radiateur. Elle s’écroula au pied du radiateur comme un vieux sac de vieux chiffons. La tête lui tourna fort et le corps lui fit mal. Elle ne savait plus où elle était. Les bras, les jambes étaient endoloris et elle sentit une bosse lui pousser sur le crâne. Il lui fallut un petit moment pour se remettre et lorsqu’elle se releva des courbatures parcoururent son corps. Sa jambe droite flancha une fois ou deux mais elle parvint à se tenir debout.

  Que s’était-il passé ? Elle se souvenait de la fille avec qui elle avait parlé et soudain un violent coup de poing dans l’estomac. Un séisme ? Non, un séisme crée des tremblements pas des poussées. Un fantôme ? Non. Soyons sérieux. Soudain elle se souvint qu’elle avait ressenti quelque chose d’approchant il n’y avait pas si longtemps, lors du cross. C’était un peu moins violent mais la sensation était la même… Comme ce matin avec Soeur Marielle. Comme un mur épais de béton fait uniquement de violence et de rage. Que se passait-il ? Elle entendit soudain une voix dans sa tête, faible mais là… Je t’aime maman, je t’aime. Dis à Yann que je l’ai toujours aimé, c’est mon petit frère et je l’aime fort. Je vous aime tous, je vous… Mais que se passait-il ? Alors elle retira ses écouteurs et entendit les hurlements !


  Tout autour d’elle, elle entendait les gens courir dans tous les sens, hurler, pleurer. Et soudain dans sa tête elle ressentit toutes les peur, toutes les souffrances, toutes les terreurs des élèves du collège. Elle fut soudain submergée par une vague de douleurs, de peurs et de mort dans son corps, dans sa chair. Elle sentait les vies s’arrêtaient tout autour d’elle sans pouvoir les identifier. Elle entendait les dernières pensées de gens qu’elle ne connaissait pas. Encore sous le choc, elle avança vers la porte pour sortir et c’est là qu’elle vit la tache, ou plutôt la flaque rouge qui passait sous la porte d’entrée. Elle s’étendait lentement, mais sûrement vers elle, comme pour venir la prendre, comme pour remplir tout l’espace autour d’elle et remplacer l’air qu’elle pouvait encore respirer, par ce liquide poisseux et sombre.

  Sans courir et presque maladroitement elle se dirigea vers la sortie en contournant la créature terrifiante et poussa la porte. Le corps qui était devant avait dû bouger un peu, à moins que ce ne fut le choc qui stimula son adrénaline, toujours fut-il qu’elle put ouvrir la porte pour passer de l’autre côté.

  - Mais c’est quoi ça ? Qu’est-ce qu’il se passe ?

  Là devant elle, un jeune homme d’à peu près son âge était étendu sur le dos, les yeux ouverts, regardant fixement le plafond. Sous lui une large flaque de sang s’étalait. Elle faisait au moins deux fois la taille de celle des toilettes, et celle des toilettes faisait une bonne cinquantaine de centimètres. Nous avons six litres de sang dans notre corps qui se renouvellent régulièrement entre vingt-quatre et quarante-huit heures. Les leçons de sciences naturelles lui revinrent en mémoire de manière aussi incongrue qu’automatique. Elle se réveilla soudain du choc et se jeta sur le corps. Il fallait qu’elle fasse quelque chose. Qu’elle arrête le sang. Les points de compression, c’était ce qu’elle devait faire, appuyer sur les points de compression tel qu’on le lui avait appris. Elle commença par appeler à l’aide mais personne ne vint. Alors elle se décida à agir et s’agenouilla à côté du corps.

  - Ca va aller. Tiens le coup… Je… Je vais t’aider. On a appris ça en classe… Ca va aller… On se connaît non ? Tu es en classe à côté de nous pendant nos maths je crois, je… Je t’ai déjà vu...

  Tremblante elle posa les mains sur le corps du jeune homme qui n’avait pas réagi jusques là. Elle se rendit vite compte qu’il ne réagirait plus à grand-chose, définitivement. Elle se releva d’un bond et s’écarta du corps comme d’une araignée immonde et trébucha en arrière. Assise sur ses fesses, les jambes pliées de manière désordonnée, elle regarda fixement le corps. Elle tenait ses mains en l’air inconsciemment. Puis elle jeta un œil vers elles et vit le sang poisseux, rouge sur ses doigts. Elle se releva alors en panique et chercha à s’éloigner du corps et se dirigea vers les escaliers. Elle se précipita vers le bout du couloir en se cramponnant aux murs pour ne pas tomber laissant dans son sillage des empreintes rouges de mains difformes.

  Elle prit alors conscience des cris et des cavalcades. Elle n’y avait pas prêté attention jusques à présent tout absorbée qu’elle était à essayer de sauver le pauvre garçon. Mais maintenant qu’elle revenait doucement à la réalité, celle-ci avait bien l’intention de lui faire rattraper, sans prendre de gants, tout ce qu’elle avait loupé. Rachel se trouva alors submergée de pensées, de cris, de hurlements si forts et si violents qu’elle ne faisait plus la distinction entre les bruits de l’extérieur et ce qu’elle percevait dans sa tête. Tout se brouillait : des images de corps étendus au sol se superposaient sur les marches de l’escalier face à elle, des bruits de courses se mélangeaient à des pensées de mort dans sa tête. Tout se mettait à tourner et elle avait beaucoup de mal à avancer. Et sur tout cela, provenant de tous les côtés sans distinction, comme si les murs s’amusaient à en répéter l’écho, des détonations d’armes à feu.

  En longeant les murs, elle approcha lentement de l’escalier quand soudain, la main sur la rambarde, elle s’arrêta. Tina ! Lucas ! Comment avait-elle pu les oublier ? Comment ? Ses mains rouges lui donnèrent une partie de réponse. Elle s’essuya les mains automatiquement sur son jean et les murs. Il fallait qu’elle les retrouve. Ils devaient sûrement être quelque part, peut-être eux-même en train de la chercher. Voyons, où devaient-ils avoir cours après les maths ?…

  Elle fonça vers la salle et vit l’horreur. Des cadavres partout jonchaient le sol, les uns sur les autres. Comme des îlots au milieu de l’océan. Elle traversa le couloir comme elle put et s’arrêta devant la salle.

  Elle porta la main à sa bouche pour retenir un cri et suffoqua presque.

  Dans la salle, au bureau de l’enseignant dépassaient deux pieds inertes. Et sur les tables à différents endroits, ses camarades. Par terre, sur les chaises, contre les murs, ils avaient été abattus sans aucun respect. Et sur l’une des tables, un camarade était couché, du sang dégoulinant de ses doigts, à son cou pendait une triquetra en argent. Par terre ses lunettes avaient été écrasées.


  Il fallut un petit moment à Rachel pour se ressaisir. Il lui fallait fuir. Il fallait qu’elle retrouve Tina. Au moins Tina.

  Elle repartit dans les couloirs, évitant certains cadavres, marchant sur d’autres. Elle tentait de garder son esprit dégagé malgré les cris et les voix. Malgré les détonations et les harangues que l’assassin hurlait au loin. Elle courait aussi vite qu’elle le pouvait. Et soudain elle s’étala de tout son long. Sa cheville s’était prise dans quelque chose. En tournant la tête elle vit que c’était une main. Elle s’était pris les pieds dans la main d’un élève. Elle secoua la jambe pour essayer de s’en débarrasser. C’est alors qu’elle sursauta et chercha à fuir elle rampa de toutes ses forces, et secoua ses jambes en tous sens. Là, au bout de la main, le type était en train de la regarder.

  - Aide-moi. La voix était faible mais compréhensible. On eut dit qu’il cherchait à garder sa respiration. Je ne sais pas ce qu’il y a eu, j’ai croisé un gars avec un gros flingue… On aurait dit un genre de paintball ou de pistolet à billes. Et j’ai voulu déconner et… Il m’a tiré dessus… Regarde… Je perds mon sang… Je crois que c’est sérieux… J’ai froid… Aide-moi…

  Rachel resta sans rien dire. Puis se ressaisit. Tina avait sans doute réussi à se cacher, mais ce type-là, lui, il n’avait pas eu le temps et maintenant il perdait son sang. Elle avait perdu deux personnes aujourd’hui elle n’en perdrait pas une troisième. Elle essaya comme elle put de comprimer la plaie. Elle mit sur le garçon des vêtements qu’elle prit sur les cadavres qui étaient autour d’elle. Puis elle appuya de toutes ses forces.

  - Tiens le coup ! Ca va aller okay ? Tu as tenu jusque là, tu tiendras encore.

  - Je ne crois pas. Je pense que je ne…

  - Eh ! Réveille-toi ! Allez secoue-toi !

  - Je ne sens plus mes jambes. J’ai des taches devant les yeux… Fais attention à toi. Il est tout seul. Il a une tenue militaire et des tonnes d’armes. Il est complètement cin…

  Il n’y eut pas un bruit quand le garçon mourut. Pas un râle, pas un souffle. Simplement, il s’arrêta en plein milieu d’une phrase.

  C’en était trop pour Rachel. Elle partit en sanglots les mains posées sur le corps du jeune homme qu’elle avait en vain essayer de sauver. Ses mains avaient des auréoles rouges. Ses genoux baignaient dans une mare de sang, et sa cheville était enserrée dans la main de la victime.


  Après plusieurs minutes qui lui parurent des heures, elle se dit qu’il était temps de sortir de cet enfer.

  Absorbée par toutes les émotions, son cerveau avait fait le tri et mis en suspens toutes les perceptions extra-sensorielles. Mais là, il était temps qu’elle réagisse.

  En ce concentrant elle pourrait certainement percevoir le meurtrier par la pensée, anticiper ses actions et surtout savoir quelle direction il ne fallait pas prendre.

  Elle se concentra et se focalisa sur la voix brutale mais peu compréhensible qu’elle entendait au loin.

  Alors, sans réellement le vouloir, elle se projeta sur les lieux du criminel. Elle le vit. Un garçon blond, plutôt teigneux, habillé en treillis. Il était face à un groupe de jeunes qu’il avait fait mettre à genoux. Il était en train de parler.

  - Vous connaissez l’histoire du loup et des sept chevreaux ? J’adore ce conte. Je trouve ces animaux crétins. N’êtes-vous pas d’accord ? Je vais vous la raconter… Il était une fois…

  Pendant qu’il parlait Rachel se positionna entre lui et ses victimes. Elle prit le temps de le dévisager. Il n’avait pas le regard d’un fou. Il paraissait au contraire parfaitement calme. C’était, dans un sens, ce qui le rendait encore plus terrifiant. C’aurait pu être n’importe qui. D’ailleurs c’était n’importe qui. En prenant le temps de le détailler, de s’attarder sur ses traits, sur son visages, sur ses tics… Rachel se rendit compte qu’elle aurait été bien incapable de dire son nom, ou sa classe. Rien d’extraordinaire à tout ça, dans un collège, ils sont des centaines. Mais, oui, c’était n’importe qui. En tout cas, personne qui puisse être remarquable d’un quelconque point de vue. Sauf peut-être à ce moment précis. Son calme, la manifeste fascination qu’il trouvait à donner la mort, lui donner presque l’apparence de la Mort Elle-Même. Elle tendit par réflexe une main vers le visage du garçon, comme pour savoir ce que cela ferait de toucher la Mort. Pourquoi fait-il tout ça ?

  - Le premier chevreau se cacha dans la penderie, le second… Qu’est-ce que tu as dit ? Il s’était interrompu brusquement dans son discours et s’adressait violemment à la jeune fille qui baissait la tête. Toi là, la blondasse, qu’est-ce que tu as dit ?

  - Rien… Je… Je n’ai rien dit, articula d’une manière à peine audible la jeune fille, toujours les yeux baissés.

  - Te fous pas de moi ! Je t’ai très bien entendue ! Tu veux savoir pourquoi je fais ça hein ? Eh bien si on te le demande… Le premier s’était caché… ? Où ça ? Allez ! Vous avez intérêt à répondre, sinon je vais prendre ça pour une marque de désintérêt de ce que je vous raconte et je risque de me fâcher… Il plaqua le canon de son arme sur le front d’un garçon à genoux.

  Rachel tendit une main vers le visage du garçon et chercha à le repousser.

  - Eh c’était quoi ça ?

  Il se redressa et vif comme l’éclair pointa le canon du Desert droit devant lui. Quelque chose venait de le frôler ! Il en était sûr ! Bon sang qu’est-ce que c’était que ce truc ? Il tourna la tête dans tous les sens comme pour chercher l’espèce d’insecte qui venait de le frôler ou comme si un fantôme flottait autour de lui. Mais il ne vit rien. Il baissa alors les yeux sur ses proies. Il eut soudain une grande envie de cogner. Ce groupe de nases, qui n’opposaient aucune résistance et acquiescaient à la moindre de ses phrases, ne présentait vraiment aucun intérêt. Un tas de lopettes, tous à se pisser dessus comme le gars du bus. Alors en une fraction de seconde, il abattit la crosse de son Desert sur le type qui était face à lui. Sous la violence du coup, tous purent entendre les os de la machoire se briser. Et juste après la bouche déborda de sang et de bave. Le type tomba à la renverse et se releva péniblement. Il ne pouvait même plus hurler sa douleur. Il ne put que cracher des brisures d’os et des coulées de sang.

  Surprise devant tant de rage, la forme astrale de Rachel se mit à pousser un cri. Et le tireur au treillis militaire sentit soudain comme une explosion dans sa tête, il tituba un peu en arrière avant de se reprendre. De nouveau il pointa son arme devant lui et regarda dans toutes les directions, quel était ce fantôme qui s’en prenait à lui. Mais non. Rien, pas un bruit, pas un bruissement de tissus. Rien. Juste son arme braquant le vide, lui et les trois salopes devant lui. Il baissa alors les yeux vers eux. Pourquoi perdre son temps à leur parler ? Il arma le Desert Eagle et… Tira. Trois coups. Un par personne. En quelques secondes il ne resta d’eux qu’un tas de corps explosés sanguinolents, amoncelés en vrac.

  Rachel réprima une envie de vomir. Elle tourna la tête vers le garçon. Il lui sembla qu’il souriait puis l’illusion s’évanouit dans un nuage de fumée. Malgré terreur et la nausée, Rachel eu la présence d’esprit de regarder où elle était. Ils étaient dans une classe. La porte était ouverte. 245. L’étage juste en dessous d’elle ! Il fallait absolument qu’elle fuit et en sens opposé ! Elle réintégra son corps en quelques secondes. Une musique lui vint en tête qui semblait lui résumer la situation : « Five To One Baby, One In Five. No One Here Gets Out Alive Now. » Elle resta interdite quelques secondes puis se leva et partit dans la direction inverse. Elle en était arrivée à ne plus faire attention aux différents morts qui jonchaient le chemin.

  Elle était presque arrivée à l’escalier quand soudain une sirène hurla dans tout le bâtiment. Quelqu’un venait d’activer l’alarme incendie.

  Chancelante, une main sur une oreille, l’autre tendue pour se tenir aux murs, elle arriva en titubant en haut des marches.

  Ce faisant, elle jeta un œil, involontairement, par la fenêtre de l’étage. De ce côté-ci, les vitres donnaient sur la rue, sur le devant du lycée. Elle vit alors un cordon de véhicules se positionner autour du lycée. Des hommes en costume blindé, casque à visière intégral, bouclier pare-balles et mitraillette dont elle ne reconnut pas le modèle, en descendaient. Les agents du SWAT étaient en train d’investir les lieux. Quelqu’un avait dû les appeler. Ou bien la sirène. Tandis qu’elle les voyaient entrer en groupe organisé, un bruit assourdissant d’hélicoptère se fit entendre au-dessus d’elle. Elle comprit que les agents investissaient les lieux par le haut et par le bas. Cela lui redonna un peu de courage et elle reprit sa descente. Tandis qu’elle arrivait à l’étage du tueur, elle fit une petite pause et laissa son esprit essayer de capter des pensées… Rien. Manifestement l’étage était vide. Le tueur avait sans doute dû entendre l’hélicoptère et s’était enfui ailleurs. Soulagée, elle reprit sa descente.

  Il ne lui restait que deux étages à descendre et elle pourrait bientôt sortir. Elle commença à capter quelques pensées un peu floues et très techniques et elle en déduit qu’il s’agissait des équipes tactiques qui investissaient les lieux.

  Elle se dépêcha de descendre et finit par se rendre compte qu’elle ne captait plus aucune pensée du tueur et que cela faisait plusieurs minutes qu’elle n’entendait plus de coups de feu non plus. Il avait certainement dû quitter les lieux.

  Enfin elle arriva dans le hall d’entrée. La porte n’était plus qu’à quelques dizaines de mètres. C’est alors qu’elle la vit.

  Au milieu des autres. A quelques mètres de la porte. Pratiquement sortie… Elle la reconnut tout de suite à sa chevelure longue et blonde, au jean à paillettes et au foulard rouge. Tina. Elle était là. Sur le point de sortir. Comme les autres. Et, comme les autres, elle avait été abattue juste avant la porte.

  Rachel se sentit défaillir. Elle marcha lentement jusqu’au corps étendu face contre terre de son amie.

  Elle s’agenouilla à côté d’elle et lui posa les mains sur les épaules. Sa jolie chevelure était souillée de sang par endroit. Rachel pleurait sans pouvoir s’arrêter. Elle saisit les épaules de son amie et la retourna. Une balle avait percutée sa tête et du sang avait coulé sur son visage. Son amie était inerte. Les yeux fermés. On eut dit qu’elle dormait comme la Belle au Bois Dormant. Pourtant ni les larmes de Rachel qui coulaient sur son visage en laissant des sillage dans le sang séché, ni l’étreinte forte que lui donna son amie ne la réveillèrent. Rachel tenait son amie, sa sœur dans ses bras et la berça doucement, lui chantant entre deux sanglots une balade connue d’elles seules.


  Il s’écoula un très léger temps avant que Rachel ne perçoive les pensées mêlées aux bruit des pas feutrés du commando du SWAT.

  La cible est en vue les gars. On la prend à revers. Elle correspond parfaitement à la description que nous avons eue. Que tout le monde reste sur ses gardes. La cible est armée et dangereuse. Je répète elle est armée et dangereuse.

  - Ce n’est pas moi que vous recherchez. Le tueur est parti depuis longtemps.

  - Mademoiselle retournez-vous et gardez les mains bien au-dessus de la tête ! Nous avons ordre de tirer. Obéissez et tout se passera bien.

  - Je vous répète que ce n’est pas moi que vous cherchez, pleura plus fort Rachel. Elle tenait toujours Tina dans ses bras et était toujours agenouillée auprès d’elle, en train de la bercer, dos au commando du SWAT.

  - Mademoiselle. Posez ce corps et retournez-vous c’est la dernière sommation !

  Tendrement, lentement, avec le plus de délicatesse possible, Rachel posa Tina. Elle lui repoussa une dernière mèche de cheveux collés et lui déposa un baiser sur le front.

  Puis tout aussi lentement elle se redressa, se mit debout et fit face aux quinze agents surentraînés.

  Elle ne les avait pas tous entendus. Elle ne se doutait pas qu’ils puissent être aussi nombreux. Face à elle une quinzaine, peut-être une vingtaine d’agents, tout autour d’elle la pointaient de leur HK. Une multitude de points rouges laser illuminaient son torse, sa poitrine, son nez, ses jambes. Elle les regarda d’un air indifférent. Puis elle releva la tête vers eux.

  Alors, elle repensa à cette journée. No. A Soeur Marielle, à ses amis morts sans raison. Au type qu’elle avait essayé vainement de sauver. One. A toute la souffrance qu’elle avait entendue, ressentie, vue… Here. Toutes ces émotions lui firent l’effet d’une vague monstrueuse qui viendrait chercher à la noyer. Au souvenir de toutes ces émotions, de nouvelles larmes coulèrent, des larmes de tristesse, mais aussi de rage. Gets. Un tueur anonyme, une exécution de masse totalement irrationnelle, des dizaines d’innocents tués sans raison, et maintenant ces clowns costumés qui la prenaient pour cible. Out. Mais pour qui se prenaient-ils ? Et pour qui LA prenaient-ils ? Elle qui d’une simple pensée pourrait leur ordonner de se tirer dessus mutuellement ? Elle était au-dessus du commun ! Elle était plus qu’une jeune fille ! Plus qu’une simple humaine ! Elle était toute puissante face à eux ! Alive. Elle était une déesse ! Et elle allait laisser libre cours à sa colère ! Now !

  Alors sans dire un mot, juste en fixant fermement les hommes face à elle, Rachel, dans sa tête, hurla ! Et toute la rage qu’elle contenait se répercuta dans tous les esprits présents dans la pièce.

  Il s’appelait John Besaido, il venait d’acheter une maison sur la côte et après la mission il comptait y passer sa récup. Ce fut la dernière image qu’il vit quand sa tête explosa. Il s’appelait Edmund Gorak, c’était un immigré polonais depuis plus de trois générations et tous les gars du commando le charriaient avec ça. Dans quelques dixièmes de secondes, il n’aurait plus à s’en soucier. La dernière image que vit Franck-Jordan Myers fut celle de sa fille sur son vélo, le dimanche d’avant quand enfin elle avait réussi à avancer toute seule. Les uns après les autres, les hommes s’écroulèrent.

  Elle fut assailli un bref instant d’images fugaces : une femme, des enfants, une maison de vacances, une soirée entre amis. Puis plus rien. Plus rien d’autre que le bruit immonde des têtes qui explosaient dans les casques, comme un gremlin dans un micro-ondes.

  Remise de ses émotions, et soudainement très détendue, elle retrouva ses esprits et sortit par l’arrière du lycée, dans une ruelle déserte.


  Elle ne fit que quelques dizaines de mètres pour remonter la rue et rejoindre l’artère principale. Ses chaussures claquèrent dans les flaques d’eau croupie qui jonchaient le sol. Quand soudain, elle entendit crier deux agents qu’elle n’avait pas vus. Ils étaient en train d’alerter le groupe entier que la meurtrière était là. Elle se projeta rapidement dans l’esprit de l’un d’eux et prit possession de son corps. Comme s’il s’était agit d’un zombie, ses collègues virent l’homme qui une seconde plus tôt les alerter, dégainer maladroitement son pistolet et tirer à la volée blessant au passage quatre autres agents. Puis profitant de la panique générale, elle réintégra son corps et rejoint la rue principale.

  Elle courut alors à perdre haleine, sans s’arrêter, droit devant, sans regarder où elle allait. Elle n’avait qu’un but et ce but fut son unique motivation pour sa survie.

  Elle courait au milieu des voitures qui l’évitaient comme elles pouvaient. Les klaxons hurlaient de part et d’autre, tandis qu’elle croisait les voitures. Le bruit devenait assourdissant. La pression dans ses tempes fut de plus en plus forte. Cela devenait intolérable. Les poumons lui brûlaient. Bientôt elle fut épuisée de sa course. Et elle savait que tôt ou tard les fourgonnettes du SWAT la retrouveraient. Alors, elle se planta alors au milieu de la route et influença mentalement le premier conducteur qu’elle croisa. Celui-ci pila net devant elle. Elle monta à bord du véhicule et lui intima l’ordre de la conduire chez elle.


  Une fois arrivée devant sa maison, elle libéra l’homme de son emprise et sans répondre outre mesure à ses questions prit la direction de chez elle.

  Devant le trottoir étaient garés une estafette de télécommunications et une drôle de voiture noire aux vitres teintées, très grande – Rachel estima sa taille à trois airbus - et un peu vintage. Je crois que Will Smith et Tommy Lee Jones aimeraient récupérer leur voiture, pensa-t-elle. Elle fut surprise de trouver le moyen de faire de l’humour en pareilles circonstances et mit cela sur le fait que se retrouver, vivante, devant chez elle, à quelques mètres de rentrer à la maison la rassurait et lui permettait de relâcher la pression. D’un pas tranquille elle entra.

  Sa mère était dans le salon avec une autre femme.

  - Rachel ? Tu es déjà rentrée ? Mais dans quel état t’es-tu mise ? Comment se fait-il que tu sois là ?

  - Maman… Maman… Il… Il y a eu… Rachel craqua et se mit à pleurer. Les mots venaient par à-coups.

  - Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? … N’importe… C’est paradoxalement une bonne chose que tu sois là. Je serais venue te chercher de toute façon. Je vais te présenter madame Clarks des services sociaux.

  La jeune femme se leva et se dirigea main tendue vers Rachel.

  - Quoi ? Mais… Hein ?

  La jeune fille était paniquée son regard passait de l’une à l’autre des deux femmes sans s’arrêter. Elle ne comprenait plus rien.

  - Mais Maman ! Au lycée, il y a eu… Au lycée… Tous… Partout…

  - De quoi parles-tu ? Je ne comprends rien. Ecoute-moi. Chérie, tu te souviens de l’autre jour ? Le coup de fil que nous avons eu et les analyses… Madame Clarks est des services sociaux. Elle est là pour toi. Nous avons longtemps cru que nous pourrions nous opposer à ce qu’ils t’enlèvent mais Madame Clarks est venue m’expliquer aujourd’hui précisément ce qu’il en était. Elle est venue te chercher et tu vas repartir avec elle.

  - Quoi ? Mais… Maman, qu’est-ce que tu racontes ? C’est n’importe quoi ! Je ne repartirai pas avec elle. Tu sais que je peux l’en empêcher !

  - Non ma chérie, non. Tu ne le feras pas. Parce que je ne t’ai pas élevée comme ça et parce qu’elle n’y est pour rien. Je ne suis pas ta mère biologique, tu n’es pas ma fille biologique. Mais nous l’avons déjà dit, la biologie ne fait pas tout. Tu es ma fille envers et contre tout et je resterai ta maman jusqu’à la fin si tu le veux. Mais il y a quelque part une femme qui a envie de te rencontrer. Qui veut savoir si tu vas bien. Et comme… Comme je suis maman moi aussi, je me mets à sa place. Moi aussi j’aimerais savoir comment tu vas.

  Rachel en resta bouche bée. Puis soudain elle partit dans un immense éclat de rire. Elle perçut le ridicule de la situation, de la journée. Toute cette journée avait été improbable et le final était encore plus surréaliste. Tout l’absurde de la situation lui explosa à la figure et, les nerfs aidant, elle partit d’un grand éclat de rire. Une espèce de rire dément, qu’elle contrôlait à peine.

  - Viens. Assied-toi là et nous allons t’expliquer.

  - Non ! C’est vous qui allez écouter ! Au lycée ! Ils sont tous morts ! Tous ! Tina, Lucas, les profs, les… Tous ! Puis elle repartit en pleurs. Des pleurs incontrôlables, inarrêtables, des pleurs brûlants. Elle partit dans une rage de larmes qui la libéra lui fit sortir toute la maîtrise dont elle avait usé jusques à présent. Mais maintenant qu’elle avait retrouvé sa maison, sa mère, et malgré la présence de l’autre inconnue, elle pouvait redevenir la jeune fille fragile, qui avait besoin d’être consolée, rassurée.

  - Je les ai tués… Je les ai tous tués… Elle articula cette dernière phrase dans un souffle, les yeux perdus dans le vide.

  - Chérie je ne comprends rien, de quoi parles-tu ? Un carnage au lycée mais… Enfin voyons… Sarah baissa les yeux sur les mains et les vêtements de sa fille, et ce qu’elle avait pris pour de la peinture lui apparut soudainement sous un jour nouveau. Mais qu’est-ce que…

  - Madame Bernstein, coupa sèchement madame Clarks, rappelez-vous ce que je vous ai dit. Vous voyez bien que votre fille délire. Une tuerie au lycée, eh bien ! Et personne ne serait paniqué, on n’en parlerait pas aux infos ? Enfin voyons ? Souvenez-vous de ce que je vous ai dit et de notre accord : votre fille ne peut pas rester avec vous, elle a besoin de soins ! Je dois repartir avec elle maintenant.

  Ce fut au tour de Sarah de regarder alternativement ses interlocutrices.

  Elle était partagée entre la conversation qu’elle avait eue il y avait une petite demi-heure avec madame Clarks et sa fille. Après tout, elle l’avait élevée depuis qu’elle était toute petite. Elle connaissait ses réactions, son esprit et savait que si Rachel était paniquée à ce point il y avait une raison. Et… Ce rouge… Tout ce rouge… Je les ai tués… Alors Sarah fit quelque chose qu’elle n’avait pas fait depuis… Bien longtemps en tout cas. Chérie, raconte-moi ce qu’il s’est passé. Rachel releva les yeux vers sa mère. Je n’en sais rien. Il y a eu un malade, un type avec des tas d’armes, il a tiré sur tout le monde… Mais tu m’as dit que tu les avais tués ?… Oui. Le SWAT est arrivé et ils ont cru que c’était moi. Alors… Je me suis défendue... Maman… Lucas… Tina… Je n’ai rien pu faire… Les yeux se mirent à briller de nouveau.

  - Là. Là. Calme-toi. Madame Clarks, veuillez mettre la chaîne d’informations s’il-vous-plaît.

  - Quoi ? Mais enfin, vous n’allez pas croire ce que raconte une cinglée ?

  - Une cinglée ? C’est comme ça que vous traitez les enfants dont vous avez la charge ? Je ne sais pas si c’est une bonne chose que je vous laisse repartir avec elle !

  - Excusez-moi vous avez raison, c’est toute cette tension. Ce que je voulais dire, c’est que nous en avons parlé suffisamment longtemps. Votre fille s’enferme dans un délire, pour se créer une personnalité qu’elle recherche… Ne tombez pas dans son jeu, vous ne l’aideriez pas.

  - Eh bien, raison de plus ! Pour lui prouver qu’elle a tort, il ne coûte rien de mettre les informations.

  Sarah saisit la télécommande du téléviseur. Mais madame Clarks la saisit en même temps.

  - Enfin voyons, articula-t-elle en essayant de l’enlever des mains de Sarah !

  Les deux femmes se débattirent quelques secondes puis Sarah eut le dessus. Elle alluma la télévision sur les informations et découvrit les deux présentateurs de la quotidienne qui présentaient une critique d’un nouveau film qui sortirait quelques semaines plus tard. En bas le bandeau donnait les résultat du match de football américain qui avait eu lieu deux jours plus tôt et les résultats de la bourse.

  Elle se tourna vers sa fille, légèrement surprise.

  - Bien. Nous sommes toutes convaincues que tout ceci est dans la tête de Rachel ou souhaitez-vous en plus aller sur place ? Le ton de l’invitée était cinglant et un peu exaspéré.

  - Rachel, je crois que la dame a raison. Tu vois bien que tout ceci n’a pas eu lieu. Il va falloir…

  - Mais elle ment ! Ils mentent tous ! Regarde, j’ai le sang de Tina sur moi !

  - Ma puce, tu t’es couverte de sang oui, ou de peinture, inconsciemment, pour te convaincre de la situation mais…

  - Non ! Rachel se leva brusquement. Je ne partirai pas avec elle et nous allons quitter les lieux ! Le SWAT va arriver et ils… Ils…

  - Allons Rachel, calmez-vous. Madame Clarks se dirigea lentement vers elle. Vous allez vous calmer et venir gentiment avec moi.

  - Ne vous approchez pas ou je vous fais sauter la tête comme les autres !

  - Rachel ! Sarah se redressa devant elle d’un coup. Comment oses-tu dire des choses pareilles ? Tu vas partir avec madame Clarks. Et tu pourras venir me voir autant que tu le voudras. Nous resterons en contact. Et si dans un an ta mère n’a pas manifesté plus que ça l’envie de te voir, tu pourras revenir définitivement ici. Comme avant. N’est-ce pas ce que vous m’avez dit ?

  - Oui tout à fait. C’est exactement la procédure. Je dois veiller sur vous pendant un an et si votre mère biologique ne se manifeste pas, votre dossier est réexaminé par un juge pour enfant et vous pourrez revenir vivre avec Sarah. Allons, soyez raisonnable…

  Rachel les regarda toutes les deux. Elle resta interdite. Le monde entier devenait fou et elle ne comprenait plus rien. Le meurtre du lycée n’était pas le fruit de son invention. Et pourtant personne n’en parlait. Personne ne sortait dans la rue. Sa mère avait fini par accepter de l’abandonner. Ses meilleurs amis étaient morts. Elle n’avait finalement plus aucune personne sur laquelle s’appuyer. Alors, abattue, elle cessa de se battre et capitula. La tête baissée elle demanda si elle pouvait emporter quelques affaires. Madame Clarks concéda qu’elle emporta quelques objets personnels.


  Quelques minutes plus tard. Elles étaient toutes les trois sur le pas de la porte et Sarah serrait une dernière fois sa fille dans ses bras.

  - On se retrouvera vite tu verras. Et puis on a le droit de s’écrire. On gardera le contact je te le jure. De toute façon j’ai le droit de te voir au moins une fois par mois.

  - Je t’aime maman .

  - Moi aussi ma chérie. Madame Clarks, je vous la confie et j’espère que vous tiendrez parole.

  - Je comprends votre aigreur madame Bernstein, et croyez bien que s’il y avait une autre solution je l’aurais mise en place. Nous nous retrouverons dans un mois si vous le souhaitez.


  Elle se dirigea lentement avec Rachel vers la voiture qui les attendait. Sarah sur le perron les regarda s’éloigner.


  Lorsque la sonnette de la porte d’entrée tinta, Sarah était abattue sur le canapé. Elle n’avait plus ni la force de pleurer, ni la force de boire, ni la force de rien du tout. Le silence de la maison l’avait soudainement submergée sitôt qu’elle avait fermé la porte. Pas un bruit. Pas un craquement. Elle était machinalement montée dans la chambre de sa fille... Non, de Rachel… En fait oui, de sa fille… Elle ne pouvait se résoudre, malgré tout, à l’appeler autrement. Et elle s’était assise sur le lit. Là elle avait pleuré une bonne heure, serrant contre elle ses peluches : son nounours blanc avec un nœud à carreaux, son petit zèbre, sa girafe à l’oreille un peu déchirée, son livre, tout ce que Rachel affectionnait au quotidien. Dans un coin de la pièce traînaient encore quelques affaires sales que Sarah avait prévu de laver le weekend suivant. Et le lit était encore défait du départ en catastrophe du matin. Une vraie chambre, pleine de vie. Et soudainement, morte.

  Sarah savait qu’elle allait la revoir bientôt et elle ne put s’empêcher de se raisonner en se disant qu’après tout, ce n’était rien de plus qu’une sorte de colonie de vacances imposée. Mais au fond d’elle-même elle savait que c’était plus grave que cela. Et elle pleura de culpabilité. Elle aurait dû se battre, elle aurait dû défendre Rachel, elle aurait dû renvoyer cette Clarks dès le début. Mais elle savait qu’elle avait capitulé dès l’instant qu’elle l’avait laissée entrer le matin.

  Quand la crise de larmes cessa et que les nerfs n’en purent plus. Elle descendit et s’allongea sur le canapé, un coussin sur le ventre. A partir de maintenant il lui fallait apprendre à vivre sans elle. Au tout au moins, à vivre régulièrement sans elle. Il fallait qu’elle réapprenne à s’occuper d’elle-même, d’elle seule. Un peu comme si Rachel était partie à l’université. Sauf qu’elle n’avait prévu ce départ que deux ou trois, ou quinze ans plus tard. Un peu comme si Rachel était partie vivre avec son mari. Sauf qu’elle avait prévu qu’ils vivraient tous les cinq – car Rachel aurait eu deux enfants, une fille et un garçon – sous le même toît. Bref Sarah n’était pas prête. Mais on n’est jamais préparé à une absence, longue, définitive. Qu’allait-elle faire de sa vie maintenant ?

  Lorsque la sonnette de la porte d’entrée tinta, Sarah en était là de ses réflexions. Et ce n’est qu’après la troisième tentative de sonnette qu’elle réalisa que quelqu’un voulait absolument lui parler. Elle se redressa un peu surprise, repoussa le coussin sur la banquette et se leva avec autant de difficulté qu’un matin de nuit blanche.

  Elle se dirigea lentement vers la porte. S’arrêtant régulièrement comme si elle s’interrogeait sur la provenance de la sonnerie. Mais celle-ci devenait de plus en plus insistante. Et quand Sarah ouvrit la porte son visiteur avait pris le parti de garder le doigt indéfiniment sur le bouton de sonnette.

  - Oui ? Demanda Sarah d’une voix pâteuse, comme sortie d’un long somme.

  Une petite femme, un peu rondelette, avec des cheveux grisonnants et des lunettes rondes et larges, lui donnant un visage doux et souriant, attendait un sourire bienveillant sur les lèvres. Elle était habillée d’un tailleur bleu roi, une petite pochette marron avec bandoulière en maillons dorés, portée en sac à main pendait à son épaule droite et elle tenait une petite mallette souple dans ses mains croisées devant elle. Qui qu’elle soit la retraite n’était pas loin.

  - Madame Bernstein ? Bonjour madame, je dois vous avouer que depuis trente ans que je fais ce métier c’est l’une des rares fois où je suis heureuse de me déplacer pour annoncer la nouvelle. J’aurais bien aimé venir plus tôt mais avec tout le cordon de police qui entoure le lycée les rues étaient bloquées plusieurs kilomètres en amont. Vous avez entendu cette horreur ? Il paraît qu’il y a eu une tuerie immense dans le lycée. Un peu comme Columbine, vous vous souvenez ? Mon dieu quel drame… Cela dit, j’espère que la nouvelle que je vais vous apporter vous réconfortera. Vous pouvez garder votre fille. Rachel est bien votre enfant. Le laboratoire a interverti les analyses. Je leur ai bien dit ‘Vous ne devriez pas faire des frayeurs pareilles aux parents, vous rendez-vous compte ?’ Mais ça. Non. Les procédures sont les procédures. Vous serez libre de les attaquer en justice pour préjudice moral et je me ferai une joie de vous aider. Je trouve ça scandaleux ! Mais en tout cas, je suis ravie de vous annoncer que Rachel restera définitivement chez vous, j’ai mis un terme à la procédure. Tous les papiers sont là-dedans, dit-elle en tapotant doucement la mallette d’un air satisfait.

  La petite femme rondelette la regarda avec un sourire ravi.

  - Je vous demande pardon mais… Qui êtes-vous ?

  - Oh pardon ! Dans mon enthousiasme de vous annoncer la bonne nouvelle j’ai oublié de me présenter. Je suis madame Amy Clarks des services sociaux d’aide à l’enfance.

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