31.03.2020

5 minutes de lecture

(attention, grosse journée!!)

Je n’ai plus de produit multi-usage pour faire le ménage dans ma cabane. En écolo du dimanche que je suis, j’ai tenté de faire mon propre produit en suivant la recette de ma mère, une fois le nourrissage terminé. Je trouve tout ce qu’il faut grâce à mes patrons adeptes du zéro déchet. Ils préfèrent faire eux-mêmes les produits qu’on utilise pour nettoyer les enclos à cause de toutes les merdes dans ceux du marché. Ils ont bien raison, on n’intoxique pas nos pensionnaires tout de même.

À l’avenir, il faudra que je me rappelle de ne jamais plonger tout le bicarbonate de soude dans le vinaigre blanc. Je crois que j’entends les hyènes rirent de ma connerie depuis l’autre bout de la réserve. Chiku a fait un bond au plafond. Je ne pense pas qu’il prendra le risque de se réintroduire dans ma piaule de sitôt.

Michel m’appelle alors que j’attends dehors le temps que l’odeur âcre de vinaigre blanc se dissipe de mon antre. Je lui explique mon épopée et il explose de rire. Tout le monde semble connaître cette astuce, sauf moi, de toute évidence. Il en profite pour me dire que son nom est remonté sur la liste d’attente des vols et qu’avec un peu de chance, encore deux vols qui lui passent sous le nez et il sera le prochain. Je croise les doigts. J’apprécie la compagnie de Chiku, mais je préfère tout de même celle d’un être humain. À force de passer absolument toutes mes journées avec Michel, depuis sept mois maintenant, je ne pensais pas que son absence se ressentirait autant.

Il ajoute qu’un cas a été recensé dans son hôtel et qu’il est désormais confiné dans sa piaule. « Oh donc tu ne vois plus Delilah ? » C’est sorti tout seul, je n’ai pas pu l’arrêter. Au son de ma voix, il a compris que je cachais ma joie et ma soi-disant jalousie l’a fait sourire (moi jalouse ? pfff…).

Il décide de me rattraper sur Las Chicas, pour passer le temps, mais je ne suis pas sûre qu’il tienne jusqu’à la fin de la saison 1. C’est difficile pour un baroudeur comme lui de rester sur place, enfermé dans une chambre d’hôtel, aussi luxueuse soit-elle. Il est comme un lion en cage. Je comprends qu’il n’y a pas de bonne ou mauvaise situation (comme dirait l’autre) de confinement. Chacun, à notre niveau, nous voyons les avantages, comme les inconvénients. Certains préféreraient pouvoir sortir tandis que d’autres apprécient ces quelques jours de vacances forcées.

Sauvée par le gong, une alarme retentit à l’intérieur de mon bunker vinaigré. Une girafe est tombée dans un trou. Je vois le carnage sur la caméra de vidéosurveillance du chantier et je suis sans voix. J’essaie de déterminer comment faire sortir le monstre de cette tranchée, toute seule. Depuis le temps que je leur disais que ce trou était un danger ! Il parait que le milieu de la réserve est un excellent point pour installer une antenne relai. Michel et moi nous étions contre le projet, mais les propriétaires ne le voyaient pas du même œil. Je crois surtout qu’ils n’ont pas vraiment eu le choix. On ne sait pas tout de cette histoire.

Je rappelle Michel, lui explique le problème et à la tête qu’il fait sur le transat de son balcon il n’a pas non plus de solution à m’apporter. La façon dont il s’est redressé en retirant ses lunettes de soleil fait très « les Experts ». Ce n’est quand même pas le moment de se taper un fou rire toute seule. Mes nerfs vont vraiment me lâcher dans les prochains jours. Je finis par raccrocher. Il ne me sert à rien à l'autre bout de l'Afrique et ses questions me soule.

Je prends donc ce que j’ai sous la main, échelle, corde, plaques pour désembourber les véhicules… Et je pars sauver de la girafe. En arrivant sur place, c’est la misère, un girafon qui est dans le trou. Le sol est tellement meuble et le sable si sec qu’il glisse alors qu’il tente de remonter la pente trop abrupte. Sa mère et une partie du troupeau attendent tout autour. Si je ne me dépêche pas de le sortir de là, l’autre risque de tomber également dedans et là, elle sera beaucoup plus compliquée à extirper. Heureusement que nous avons eu l’initiative d’installer une caméra sur le chantier… !

J’installe une plaque à désembourber dans le trou. J’escalade un baobab pour y installer un système de poulie sur une grosse et solide branche. J’y passe la corde que j’accroche aux renforts arrière de mon 4x4. Grâce à l’échelle, je descends dans le fossé. Le girafon panique et ça va vite devenir dangereux pour moi. Il a beau être un juvénile, il est déjà très grand.

Je mets un harnais de fortune à la bête. Je parviens à l’occuper avec des feuilles de bananiers récupérées sur le chemin et je l’enroule dans la corde en prenant soin de ne pas lui faire mal. Il est chatouilleux en plus ce con ! Je me prends un coup de patte dans la cuisse. Quelques centimètres plus bas et je n’avais plus de rotule ! Je pense que tous ont entendu mon cri de gonzesse et les girafes se sont retournées vers moi, l’air surpris.

Je remonte par l’échelle, puis clopine jusqu’au 4x4. J’avance doucement afin de mettre un peu de tension dans la poulie. Le girafon ne comprend pas tout de suite le but de la manœuvre et il tire dans l’autre sens. Changement de tactique, je mets des feuilles de bananiers sur le haut de la plaque pour l’attirer.

Cette fois-ci, l’astuce fonctionne. Le girafon arrive à passer ses pieds dans les trous de la plaque et remonte, tout de même avec difficulté, hors du trou. Je m’approche doucement de lui pour détacher la corde autour de lui, avant que sa mère n’ait fait le tour du trou pour venir s’assurer que son petit va bien. Elle n’hésitera pas à m’envoyer valser, pensant que son petit est en danger. Je profite, elle est en train de lui faire une toilette de fin de crise pour aller retirer la poulie du baobab.

À califourchon sur la branche, j’observe le troupeau s’en aller. Ils passent devant moi. Contre toute attente, le girafon s’arrête, la tête à ma hauteur et m’offre une léchouille bien baveuse sur le bras. Je manque de tomber de l’arbre, mais je ne peux pas m’empêcher de rigoler. C’est nerveux, mais je suis heureuse qu’il aille bien et il vient tout juste de me remercier gracieusement. Cette journée stressante se conclut par un magnifique coucher de soleil depuis mon baobab et je rentre pour profiter d’une rediffusion de film de Noël de M6, appliquant un sac de glace d’urgence sur mon cuissot.

Je rappelle Michel et lui explique ma technique qui merite un brevet. Il veut que je lui envoie une photo de ma blessure de guerre, persuadé que je minimise, comme j’ai tendance à le faire, et que j’ai un truc de péter. Il me conseille de faire une radio avec le matos de la clinique. Non, mais lui, c’est bien un mec. J’ai juste une magnifique trace d’un sabot de girafe sur le quadriceps et je peux dire adieu à mon summer body.

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