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                Vêtus de leurs amples tenues d’apparat et escortés de leur garde d’élite, Morad et Assya remontaient l’Allée des Colonnes permettant d’accéder à l’entrée au Palais Royal. Ce long chemin de près d’un kilomètre encadré d’immenses colonnes de marbre larges de plusieurs dizaines de mètres permettait aux dirigeants d’être photographiés et filmés pour les rediffusions mondiales et les dirigeants Malgauaregs savaient qu’ils ne pourraient pas y échapper. Assya se pencha vers son père pour lui parler sur le ton de la confidence.

                 — Père, je déteste ce simulacre…

— Moi aussi, ma fille…

— C’est une perte de temps que des chefs d’État ne devraient pas se permettre…

— Je pense comme toi. Mais c’est Armist qui est aux commandes.

— Pour le moment. Et cette tenue me gêne, je me sens bloquée aux entournures, ça me gratte et ça me tient chaud…

— Cesse donc de te plaindre. Je sais que tu es plus une guerrière qu’une princesse, mais en l’occurrence tu dois porter tout à la fois ce costume et ce rôle…

                Assya soupira.

— Je sais… Comment être sûr que les autres nations se battront à nos côtés ? Même si nous avons pu avoir ce grand briefing hier soir avec tous les dirigeants, qui nous dit qu’ils ne nous ont pas trahis ?

                Morad dévisagea sa fille quelques secondes avant de répondre.

— Outre le fait qu’ils portent tous du rouge sur la tenue ? Tu as refusé d’aller étudier dans les mégacités, mais tu en aurais appris plus sur l’histoire officielle et, en lisant entre les lignes, sur l’histoire officieuse. Si le Seigneur de Jade essaye de garder le peuple calme, en réalité tous les États sont assommés par les taxes et les impôts, ce qui n’était pas le cas à l’époque de la Famille Royale. Les porte-parole ont beau expliquer que c’est pour l’effort de guerre au cas où Rark le Rouge essayerai de nouveau de prendre le pouvoir, mais nous, les dirigeants, savons le faste dans lequel les hauts fonctionnaires et les Guerriers de Jade vivent. Et la grogne monte des rues comme des têtes dirigeantes, même si elles ne sont pas exprimées de la même façon. Savais-tu que certains pays, suite à des guerres civiles de révoltes, sont passés complètement sous le joug des Guerriers de Jade ?

                Assya dévisagea son père, choquée par la révélation.

— Non…

— Voilà… Et tu ignores aussi qu’aujourd’hui nous célébrons « La défaite de Rark le Rouge ». En d’autres termes, Armist fête l’anniversaire de sa prise de pouvoir et de son coup d’État… Maintenant tu comprends mieux pourquoi j’aurais voulu que tu étudies.

                La jeune femme baissa piteusement la tête.

— Je sais… Mais ma place est auprès de mon peuple… J’espère que mon époux sera un homme plus instruit en géopolitique que moi…

                Morad dévisagea sa fille avec étonnement.

— Tu ne souhaites donc pas faire de demande à Andreìs ?

                La princesse roula les yeux vers le ciel en répondant.

— Père… C’est un Géno-modifié… Sa fonction passera toujours avant le reste…

— Mais tu aimerais ?

                Le visage rougissant de la jeune femme fut la seule réponse qu’elle donna, aussi Morad lui prit-il la main en souriant.

— Tu sais, ma chérie, l’avenir n’est pas écrit… Tout peut arriver…

                Soupirant, Assya répondit.

— J’en doute…

                Elle tourna la tête vers le sommet du chemin et changea de sujet.

— Dis-moi, si la situation est aussi critique que tu me l’as décrite, pourquoi il n’y a pas eu de soulèvement massif avant ?

— Il nous fallait un leader charismatique et un maître de guerre pour diriger ce qui va suivre. Et Andreìs est cet homme. Il a passé plus de sept siècles à écumer toutes les nations de ce monde pour rallier chaque gouvernement à lui, avec la promesse de rétablir la Famille Royale et les anciennes conditions de vie. Et il fallait bien un homme de sa trempe pour réussir. Sa franchise et son honnêteté transparaissent jusque dans sa manière de combattre, tu as pu le constater par toi-même. Et il fallait aussi un homme de son envergure pour préparer un tel plan de bataille, agencé au millimètre près, tirant le meilleur de chaque armée…

— Pourquoi ça ?

                Morad sourit en se rappelant son instruction militaire.

— Chaque nation a fini par se spécialiser. Nous autres sommes des rois de la reconnaissance, des escarmouches et des actions rapides. Mais les Europrussiens sont les maîtres du siège, les Transsibériens des actions en conditions climatiques extrêmes, les Amérunions ont la plus forte force aérienne et les Bavariens de la logistique. Et Andreìs a rendu toute cette interaction harmonieuse.

                Assya tempéra les propos de son père qui ne put qu’acquiescer.

— Du moins sur le papier…

— Du moins sur le papier… Changeons de sujet. Nous arrivons dans les deux cents mètres du Seigneur de Jade, je veux m’assurer qu’il ne nous entende pas.

— Oui père.

                Devant eux se présentait un escalier de plus de cent mètres de long en haut duquel les attendait, vêtu de son armure Titan ornementée de gravures et de moulures dorées et entouré de sa garde d’élite, Armist aux côtés de son immense krokogator. Le reptile Géno-modifié aux proportions monstrueuses était lui-même affublé d’une encombrante armure d’apparat toute de vert et d’or rehaussé d’émeraudes et fixait le monde d’un œil avide de sang. De sa gueule massive dépassait quelques dents proéminentes et acérées desquelles perlaient de fines goûtes d’une bave épaisse tandis que ses naseaux se dilataient au rythme de son souffle. Quand ses yeux croisèrent ceux d’Assya, elle s’immobilsa quelques secondes sous le coup d’une terreur abyssale. Elle avait vu en eux une cruauté sans nom et se prit à redouter de croiser ce monstre dans les combats à venir. L’observant avec amusement, Armist l’apostropha.

— Approchez-vous, héritière, vous ne risquez rien. Kaïju est plus doux que ce que son allure peut laisser penser.

                Courbant docilement la tête, Assya reprit sa marche aux côtés de son père et entreprit de gravir les escaliers. Une fois arrivé devant le Saint d’Émeraude, ils mirent tous deux le genou au sol et Armist leur posa la main sur la tête en signe de bénédiction avant qu’ils se relèvent tandis que lui prenait la parole.

— Soyez tous les deux les bienvenus dans ce palais. En ce jour votre peuple sera célébré pour sa vaillance et sa fidélité.

— Monseigneur est trop bon.

                Morad se montrait détendu tandis qu’Assya se crispait de plus en plus tandis que le krokogator s’approchait d’elle en reniflant avant d’émettre un sifflement. Armist le regarda surpris, avant de tourner la tête vers la princesse.

— Et bien… Je savais que vous aviez eu un entretien avec Rark le Rouge, mais ce dernier a dû être long. Vous portez encore son odeur.

                Assya baissa la tête avant de répondre avec autant d’humilité que possible.

— Dans le peu d’effets personnels qu’il avait, il y avait un flacon de parfum dont les senteurs étaient enivrantes. Je n’ai pas résisté et je l’ai gardé comme trésor de guerre. Pour preuve, je l’ai dans les plis de ma tunique.

                Fouillant dans les pans de sa tenue d’apparat, elle sortit un petit flacon qu’elle tendit au Géno-modifié.

— Monseigneur souhaiterait peut-être l’avoir ? Ce serait un honneur pour moi que de vous l’offrir.

                Armist la dévisagea, visiblement très surpris, avant de répondre en retrouvant sa contenance.

— J’avais oublié que le peuple Malguareg obéit à des codes d’honneur différents de ceux du reste du globe. Il est assez mal vu d’offrir un trésor de guerre, héritière. Néanmoins, conserver l’odeur de mon ennemi juré est une idée assez plaisante, aussi je vais accepter ce cadeau avec un plaisir non dissimulé.

— Je vous en prie, tout le plaisir est pour moi.

                Toujours tête courbée, Assya afficha un sourire radieux. Le flacon était un diffuseur lent qui avait pour objectif de saturer le reptile de l’odeur d’Andreìs afin de rendre celui-ci tout à la fois inexistant et omniprésent pour la créature. Une fois le flacon dans les mains de l’usurpateur, Morad effectua une ultime révérence et le duo reprit sa progression, pénétrant enfin le Palais Royal par les doubles portes au gabarit hors-norme.

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