Deux chasseurs, un fantôme, une pirate...

8 minutes de lecture

Pour la énième fois de l’après-midi, des enfants toquent à la porte, et la grand-mère d’Ange leur ouvre gentiment avant de leur donner une énorme poignée de bonbons qui a pour conséquence un énorme sourire sur leurs visages maquillés.

- Notre adresse est connue, à Halloween, plaisante Ange, sa main dans mes cheveux. Ma mamie est très généreuse.

- J’en doute pas le moins du monde, ris-je.

Ange resserre sa prise dans mes cheveux pour maintenir ma tête et embrasser mes lèvres, puis mon nez, puis mon front. Je ferme les yeux, il embrasse mes paupières. J’adore ces moments là. Ces instants rien qu’à deux, à se découvrir, à se parler de choses personnelles, sans honte, sans jugement. Ils sont toujours bien trop courts.

- Je vais devoir y aller, dis-je dans un grognement.

- Je sais.

Mais il ne me lâche pas, et je ne bouge pas d’un poil. C’est idiot, parce que ce n’est même pas nos derniers instants de la journée : nous allons tous les deux à la soirée de Juliette ce soir. La tête toujours contre son torse, je détache mes yeux des trois grains de beauté qui ornent son cou pour attraper mon téléphone et regarder l’heure. Je dois vraiment y aller.

Rassemblant l’infime part de volonté que je possède, je me redresse sur le lit et me lève sous le regard d’Ange. Je ne dis rien, et me contente de me pencher sur son bureau pour griffonner un dessin sur un de ses post-it, petit rituel de départ qui s’est installé entre nous. En rentrant chez moi, je plongerai ma main dans ma poche et y trouverai sûrement un mot de sa part. Une fois mes deux canards aux têtes de citrouilles goinfrés de bonbons achevés, je me retourne et Ange me rejoint, pour m’embrasser une dernière fois avant que je ne m’en aille. Nous ne nous embrassons jamais dans l’entrée. Peut-être est-ce à cause de sa grand-mère : même si elle est définitivement au courant de la nature de notre relation, cette dernière est encore trop secrète pour que nous nous exposions comme ça.

Alors que je salue Thérèse (qui refuse catégoriquement que je la vouvoie et l’appelle madame), la porte d’entrée s’ouvre pour laisser entrer une femme. Grande, les yeux très clairs, il ne me faut pas beaucoup de temps pour reconnaître la mère d’Ange, que j’ai de nombreuses fois vue sur des photos, mais jamais en vrai. Elle est jeune, plus jeune que mes parents, et ses cheveux longs sont plus foncés que ceux d’Ange. Mais la ressemblance reste flagrante : de son nez fin et droit à ses pommettes hautes qui semblent sourire toutes seules.

- Je suis déjà rentrée ! lance-t-elle avec enjouement.

Elle se retourne avec un sourire, l’ai ravi d’avoir fini sa journée plus tôt, et ses yeux joyeux finissent par se poser avec surprise sur moi. Elle lève le regard vers Ange, puis Thérèse, avant de me regarder à nouveau en disant :

- Tu dois être Jules ! Je suis contente d’enfin de rencontrer.

Elle s’avance pour me dire bonjour, avant d’ajouter avec tendresse :

- J’ai beaucoup entendu parler de toi.

- Elle ment, tu sais bien, me glisse Ange à l’oreille, un sourire dans la voix.

L’idée qu’Ange parle de moi à sa famille me réjouit plus que je ne voudrais bien l’admettre. J’ai eu des petites-amies, mais aucune dont je n’ai eu envie de connaître la famille. Aucune dont je n’ai eu envie de tout connaître, des petits détails aux choses les plus importantes.

- Moi aussi, je suis vraiment content de vous rencontrer. Et j’ai également beaucoup entendu parler de vous.

- Il ment, tu sais bien, lance Ange à sa mère, tout en pressant ma main dans la sienne.

Elle le regarde tendrement, une pointe d’amusement sur le visage.

- J’aurais adoré te rencontrer plus tôt, Jules, mais je suis assez prise par le travail. Tu devrais venir manger à la maison, un de ces jours. Ca me permettra de mieux connaître le garçon qui occupe les pensées de mon fils.

Ange soupire alors que mon cœur se gonfle de joie. Une nouvelle étape. Je ne suis même pas mal à l’aise. Même pas paniqué à l’idée de cette rencontre, et de l’image qu’elle va se faire de moi. Ca doit venir de sa ressemblance avec Ange, ou de l’influence de ce dernier sur moi. Ouvrant la bouche pour approuver, une idée me vient soudain en tête. Je me rappelle de notre premier baiser au parc aux canards, une semaine à peine à près notre rencontre. me rappelle de notre conversation sur le banc, de ses yeux emprunts de nostalgie alors qu’il me racontait ses après-midi à nourrir les canards avec sa mère et Thérèse. Dans un élan inhabituel (que la timidité me réprimerait en temps normal), je propose :

- On pourrait pique-niquer ensemble au parc, si ça vous va ? Ange me l’a fait découvrir, et il m’a parlé de l’époque où vous y alliez tous les trois.

- C’est une merveilleuse idée, Jules.

Je devrais avoir ce genre d’élan plus souvent. La mère d’Ange semble émue, et son fils passe ses bras autour de mon corps pour m’embrasser la joue. J’ai hâte de ce pique-nique. J’ai hâte de passer du temps avec cette famille ouverte et enjouée qui me voit tel que je suis vraiment, sans me cacher, et qui ne me juge pas le moins du monde.

En rentrant chez moi, le petit nuage sur lequel je suis ne m’a pas quitté, et il s’emble même s’être emparé de Ange, qui m’envoie des tonnes de textos à propos de son impatience quant au pique-nique, et à quel point c’était une bonne idée de le proposer. Je suis heureux qu’il soit aussi enthousiaste que moi, et je le suis encore plus quand il m’annonce que sa mère m’aime beaucoup. J’essaie de me détacher du regard des autres, mais ce regard là est important pour moi, parce qu’il fait partie de l’Univers Ange.

La sonnerie de la porte d’entrée me sort de ma rêverie, et j’attrape le paquet de bonbons spécial Halloween pour aller ouvrir. Mais ce ne sont pas des enfants à la porte, mais Baptiste et Lucas, déguisés en Ghostbusters. La fête de ce soir me revient soudain en tête, alors qu’ils me toisent tous deux de haut en bas. Je n’avais pas oublié, mais j’avais la tête ailleurs.

- Bon, on dirait bien que notre troisième Ghostbuster a oublié de s’habiller, lance Lucas.

- Euh…

- T’as pas oublié, quand même ? renchérit Baptiste.

Je pince les lèvres. Moi aussi, j’étais censé avoir ce déguisement là ?

- Quand est-ce qu’on a parlé de se déguiser en Ghostbusters ? je demande, sceptique.

Baptiste prend sa tête dans ses mains dramatiquement, et Lucas me regarde comme s’il s’y attendait.

- Y a une semaine à peine. Mais t’es jamais sur le groupe, en ce moment.

Je les laisse entrer, prenant mon temps pour trouver quoi leur répondre. C’est vrai, je leur parle moins, depuis que je vois Ange. Parce que je ne pense pas à regarder mon téléphone quand il est là. Surtout pour parler à mes meilleurs potes, à qui je n’ai pas les couilles de le présenter. Je soupire, mais Baptiste prend la parole avant moi :

- Bon, on ne t’en veut pas. (Lucas lui donne un petit coup de coude). Aïe… Pas trop. Parce qu’on sait pourquoi tu es distant.

Mon cerveau se met soudain en alerte, et mon cœur se met à battre de plus en plus vite alors que je les regarde, attendant la suite. Que savent-ils ?

- Je comprends que t’aies pas envie de nous parler de ta copine. Moi aussi, quand j’ai commencé à sortir avec Juliette, j’ai rien dit, dit Lucas. Je voulais pas parler meufs, je voulais pas qu’elle parasite notre groupe.

Mon cœur se calme, et je soupire, en priant pour que mon air soulagé passe simplement pour une confirmation de leur théorie. Ma soi-disant copine.

- Tu nous en parleras quand ça sera plus sérieux, ou quand t’en auras envie, tranquille. Mais t’éloignes pas pour une meuf.

Théoriquement, je ne m’éloigne pas pour une fille. Mais j’éloigne cette pensée avec culpabilité : ils me laissent mon espace et ont simplement peur que je les lâche.

- Ouais, OK. Je suis vraiment désolé, les mecs.

Baptiste m’offre un sourire de psychopathe, qu’il imagine sûrement rassurant, et m’ouvre les bras comme pour me faire un câlin. Il est le genre de mec qui pleure facilement devant les films. Il aime bien rendre certains instants émotionnels. Et Lucas et moi aimons bien ne pas le suivre dans ce genre de moment. Après une minute, il finit par baisser les bras, et je me force à ne pas rire. Pour changer de sujet, je reviens sur celui d’origine :

- Bon, c’est pas si grave, cette histoire de déguisement. Tout le monde ne se déguise pas, à Halloween.

- Pardon ? s’exclame Lucas. Tu la connais aussi bien que moi, non ?

- Euh… pas vraiment, non.

- Si tu ne viens pas déguisé, elle ne te laissera même pas entrer. Crois-moi, cette meuf est têtue. Plus que n’importe qui. Plus que Lola, même.

Lola est ma petite sœur. Lucas et elle ont toujours adoré se chamailler.

- Aaaaargh.

Je rejette ma tête en arrière. Pourquoi sort-il avec une fille si compliquée ? J’appuie mes poings sur mes yeux, me forçant à réfléchir.

- Bah, en parlant de Lola, pique-lui une robe ? me propose Baptiste.

Je le regarde comme s’il avait perdu la tête. Ce n’est pas une question de vêtements, mais une nouvelle fois de timidité. Hors de question que je me pointe dans une fête bondée de lycéens avec une robe. Oui, bon c’est vrai que j’aimais bien le faire quand on était petit. Mais pas devant une tonne d’adolescent-vipères.
Soudain, une idée me traverse la tête. Absolument parfaite pour tout le monde.

- Attendez-moi là, je dis aux garçons.

Je monte quatre à quatre les escaliers pour rejoindre la chambre de mes parents, avant de redescendre à la même vitesse, muni d’un simple drap blanc. Je le dépose sur ma tête, me tourne vers les garçons :

- Bouh. Vous êtes les chasseurs de fantôme, je suis le fantôme.

C’est le déguisement parfait. En accord avec celui de mes potes, premièrement. Mais surtout, il me cache. Et l’idée que personne ne me voit vraiment à cette soirée me plaît plutôt bien, surtout si je compte en passer une partie avec Ange. J’enlève le drap de mon corps, pour découvrir mes deux amis, un demi-sourire au visage :

- Ouais, OK, ça se tient, dit Lucas.

- Mais faut faire des trous aux yeux, si tu ne veux pas être un fantôme aveugle.

- Bien vu.

Nous nous collons donc au découpage, au même moment où ma sœur descend les escaliers, vêtue d’un costume de femme-pirate qui lui donne un air de sauvage. De sauvage plutôt soignée, quand même.

- Wouah. T’as tout donné, Lola Sparrow.

Elle tourne sur elle-même, puis réajuste son cache-œil. Elle me ressemble beaucoup, mais avec la tonne de crayon noir dont elle a orné ses yeux bleus, son regard est beaucoup moins fade que le mien.

- Tu t’es faite si canon uniquement pour ouvrir la porte aux gamins ? demande Lucas.

- Non, figure-toi que ta copine m’a invité à sa soirée, idiot.

- Depuis quand Juliette est pote avec des premières ?

Le principal argument de Lucas dans ses chamailleries avec ma sœur, c’est le fait qu’il soit plus âgé qu’elle. D’une misérable année.

- Depuis votre dernière rupture, elle est venue pleurer et t’insulter dans mes bras à une soirée.

Baptiste et moi rions en silence alors que Lucas ne sait plus quoi dire. Lola a toujours le dernier mot, c’est fou qu’il s’obstine encore à la taquiner.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Em ' ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0