... et un ange

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La nuit est déjà tombée alors que nous marchons jusque la maison de Juliette. Deux chasseurs, un fantôme et une pirate. Un groupe intéressant. Il n’y a plus aucun enfant dans les rues, et mis à part le bruit de nos pas et la voix de Baptiste, le silence est complet. Seul le vent est de sortie, et il s’infiltre doucement par les fentes de mon costume, que nous avons découpées pour que je puisse me servir de mes bras, et que je ne sois pas un fantôme manchot. Pris d’un frisson, je glisse les mains dans mes poches. Un sourire se dessine sur mes lèvres, camouflé par le drap blanc : je sens un petit papier sous ma main. Obnubilé par ma rencontre avec la mère d’Ange, j’en ai oublié de vérifier mes poches en rentrant. Je sors le post-it de ma veste pour le lire, impatient. La lumière ne m’aide pas, mais je déchiffre l’écriture d’Ange comme s’il faisait jour :

J’arriverai plus tard, mais tu me retrouveras facilement, promis :)
PS : si j’avais ton talent, je t’aurais dessiné mon costume

Mon sourire s’agrandit alors que j’imagine un petit canard-chasseur, fantôme ou pirate, avant d’imaginer Ange dans toutes ces tenues. Dans chacune d’elles, il est magnifique. Et cela ne fait qu’accentuer mon impatience de le voir.

- Qu’est-ce que tu regardes, comme ça ? me demande ma sœur, la voix emprunte de curiosité.

Je fourre le papier dans ma poche en me rappelant que je ne suis pas seul.

- Rien, un ticket de caisse.

- Hmm.

Je ne vois pas son visage, le drap réduisant considérablement mon champ de vision, mais j’espère qu’elle est convaincue.

Emma ne m’avait pas prévenu qu’elle serait à cette soirée, ce qui est assez étonnant, puisqu’on se parle beaucoup de nos vies respectives. Cependant, elle pensait sûrement que je comptais esquiver la seule soirée déguisée de l’année, et dans d’autres circonstances, elle aurait eu raison. Mais il y a Ange. Et il me pousse à sortir de ma zone de confort.

Je ne suis pas vraiment paniqué à l’idée que je doive me cacher de ma sœur, en plus de Lucas et Baptiste, ce soir. En fait, l’idée même de parler d’Ange à Emma ne m’horripile pas. Mais elle me pousserait sûrement à en parler aux autres, et ça, c’est une autre histoire.
Emma est comme ma sœur jumelle, née dix mois plus tard. Elle me parle de tout, et vice versa. Je n’ai aucune gêne avec elle, c’est comme parler à mon reflet dans le miroir. Un reflet qui écoute, qui conseille et qui rassure. Nous avons partagé trop de choses pour qu’une connerie telle que mon orientation sexuelle nous sépare, et ça me soulage. Mais je ne suis pas encore prêt à apprendre ce qu’elle me dira. Parce que je sais que ses conseils seront les bons, comme toujours.

Du plus loin que je me souvienne, on s’est toujours fait confiance. La première fois qu’elle a eu ses règles, par exemple, c’est à moi qu’elle l’a dit. Pas à ma mère, pas à mon père. A moi. J’avais à peine 12 ans, et je n’avais absolument aucune idée de ce qu’il fallait faire. Alors on l’a dit à notre mère, et elle nous a fait nous asseoir dans le salon, pour nous expliquer à tous les deux comment fonctionnent les règles, et comment se servir d’une serviette hygiénique et d’un tampon. Je suis un expert sur le sujet, maintenant.
Ma mère a toujours tenu à ce que je sois aussi informé que ma sœur sur ce genre de sujets, c’est une règle d’or chez elle. Depuis cette époque, j’ai toujours une serviette et un tampon dans mon sac, au cas où ma sœur ou n’importe quelle autre fille en aurait besoin.

Au bout de quelques minutes, de la musique me tire de mes pensées : on est arrivés. Je sens mon cœur s’affoler, et je ne saurais dire si c’est à l’idée de voir Ange, ou à l’idée que lui et mes meilleurs amis soient réunis. Lucas sonne, et c’est Juliette qui lui ouvre, tout sourire, ses dents blanches ornées de deux canines de vampires qui s’ajoutent à un costume de chat qui lui va plutôt bien.

Lucas la complimente, et les joues de Juliette, maquillées de trois moustaches de chat chacune, rougissent. Elle nous laisse entrer, et nous pénétrons dans sa maison, transformée en un Halloween en trois dimensions, pleines de citrouilles, têtes de morts et chauves souris. Lucas avait raison, Juliette ne fait pas les choses à moitié. J’ai bien fait de venir déguisé. Je me dirige vers la table, où trônent de nombreux biscuits en formes d’araignées et de fantômes, et des cocktails rouge sang, en me faisant la réflexion que notre hôtesse devrait devenir organisatrice d’évènements. Baptiste me suit de près (il partage avec moi la passion pour la nourriture), et nous nous servons un verre avant de commencer à nous goinfrer de petits gâteaux.

- Oh mon dieu, Jules, dit-il.

- Ouais, je sais, c’est délicieux.

- Non, non.

Il me donne un coup de coude, et je me retourne en fronçant les sourcils pour suivre son regard. Sarah, dans un déguisement de Marylin Monroe qui lui va étonnamment bien.

- C’est mon jour, Jules. Souhaite-moi bonne chance, c’est maintenant ou jamais.

- Baptiste, elle est avec ses potes, tu devrais attendre un peu.

Il ne m’écoute pas, évidemment, et part d’un pas décidé vers Sarah, dont les sourcils maquillés se lèvent quand mon ami pousse les siens pour lui parler. Repoussée par Baptiste, une Wonder Woman rousse me bouscule en reculant, et quelques gouttes de mon verre se renversent sur mon drap blanc, comme un déjà vu. Pour parfaire cette ironie, je lève les yeux vers l’héroïne pour reconnaître Axelle, la meilleure amie d’Ange, à qui je n’ai jamais eu l’occasion de reparler depuis la soirée.

- Oh, je suis vraiment désolée, je t’avais pas vu !

- C’est normal, je suis un fantôme.

Elle rigole alors que je tente vainement d faire disparaître la tâche rosée sur mon déguisement. Je finis par abandonner, et lui demande :

- C’est une habitude, chez toi, de me dire bonjour en m’arrosant ?

Elle fronce les sourcils, confuse, ce qui me confirme qu’elle ne m’a pas reconnu. Je lève le drap au dessus de mon visage en souriant, avant de lui dire :

- Je suis Jules. Tu m’as vomi dessus y a un mois, mais je pense pas que tu te souviennes de moi.

- Oh ! Jules, je t’avais pas reconnu ! Evidemment que je me rappelle ! (elle pose une main sur sa bouche d’un air honteux) Je suis vraiment désolée pour ça aussi.

- T’inquiète, mon t-shirt a été lavé, il ne se souvient de rien.

Elle rigole à nouveau, puis marque une pause avant de reprendre.

- En fait, je ne t’aurais sûrement pas reconnu si Ange ne me parlait pas de toi six heures par jour.

Je me sens rougir, et je suis content que le drap masque mon visage.

- Il t’aime vraiment bien, tu sais. Si tu lui fais du mal, je serai obligée de te tuer. Même si t’es un mec drôle.

Je ris, comme si c’était une plaisanterie, malgré son air on ne peut plus sérieux. Ca me paraît plutôt irréel, que je puisse faire du mal à Ange. A vrai dire, j’en serais incapable. Maintenant que je me suis habitué à lui dans mon monde, je ne me vois plus sans, et je ferai tout pour qu’il y reste. J’ai plutôt peur que lui se lasse de moi. Il me semble irréel, trop bien pour moi, et pourtant, je me sens spécial avec lui. C’est un sentiment étrange, de se sentir meilleur en compagnie d’une personne. Etre soi-même, sans aucun masque. J’adire ça, mais si ça m’effraie un peu.

- T’inquiète pas pour ça, je tiens trop à lui pour tout gâcher.

Mes joues chauffent à cet aveu, alors qu’Axelle me regarde droit dans les yeux, comme pour analyser mes mots. Elle paraît satisfaite, et hoche la tête avant de la tournée vers le buffet :

- Tu comptes tout manger avant que tous les autres n’arrivent ?

- C’était le but, en effet. Baptiste m’a lâché, alors je te laisse m’aider, si tu veux.

- Je suis d’accord pour les biscuits. Mais je te laisse la sangria, ma dernière cuite ne m’a pas laissé de bon souvenirs, répond-elle avec un clin d’œil.

Je continue à manger les petits fantômes, alors qu’Axelle s’occupe des araignées. J’observe Baptiste, les joues rouges, qui (étonnamment) parle toujours à Sarah.

- Surprenant qu’elle ne l’ait pas encore repoussé, je dis à Axelle.

- Sarah ? Elle est trop gentille pour ça.

- Vous êtes amies ?

- Oui, depuis la seconde, je dirais. C’est ton pote, le garçon qui lui parle ?

- Ouais, c’est Baptiste. L’un de mes deux meilleurs potes.

- Oh.

Elle hoche la tête, et je ne peux m’empêcher de me demander ce qu’elle pense. J’imagine qu’Ange lui a dit que je n’ai jamais parlé de lui à mon entourage, mais j’imagine aussi qu’elle ne trouva pas ça lâche, ou bien elle ne me parlerait pas.

La conversation continue comme si de rien n’était, les minutes défilent et de plus en plus de monde arrive. Axelle est de bonne compagnie, et nous nous amusons à noter les déguisement de chaque nouvel arrivant :

- Et la Harley Quinn, là bas ? me demande-t-elle.

- Oh, c’est du vu et revu. Je mettrai trois sur dix, pour l’effort.

Elle se tourne vers moi en haussant les sourcils :

- C’était ma tenue de l’année dernière, donc molo. (elle marque une pause en regardant la Harley Quinn en question) Moi je dirais sept, son costume lui va bien et elle a même teint ses cheveux, mais elle ne sera jamais aussi badass que moi.

Je rigole alors qu’elle rejette ses cheveux en arrière, et nous cherchons une nouvelle personne à noter, quand mes yeux se posent sur une silhouette familière. Grand, tout en blanc, un serre-tête-auréole sur le crâne et deux ailes dans le dos. Il illumine la pièce, il est déguisé en son propre prénom, et je me demande comment j’ai fait pour ne pas le deviner.

Ses yeux bleus tombent sur moi, et malgré le drap qui me recouvre, je sais à son expression qu’il m’a reconnu. Axelle nous regarde l’un après l’autre, un grand sourire sur le visage, avant de lancer par-dessus la musique :

- Bon, je crois que je vais vous laisser.

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