Le cœur dans un grand huit

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Mon cœur bat bien trop vite. Être seul avec lui dans ces conditions me fait bien plus paniquer que ce que je pensais, mais je ne baisserai pas les bras. Je me suis promis de faire le plus d’efforts possible pour lui, et je ne veux avoir aucun regret.

Ses yeux d’un bleu polaire me fixent, et je me lève sous son regard. Je ne dis pas un mot, prends mon courage à deux mains et sors mon téléphone et mes écouteurs de ma poche. Je les branche, prends une inspiration et en place un dans l’oreille d’Ange, et un dans la mienne. Il ne bouge pas, ne dit rien, et se contente de me regarder.

Les rôles sont inversés, mais l’acte est le même. Cependant, la musique est différente. J’appuie sur play, et I Wanna Be Yours s’élève dans nos oreilles. Il ne me quitte pas des yeux, le visage toujours impossible alors que mon cœur est à deux doigts de s’arrêter. La mélodie forme une bulle autour de nous, j’ai l’impression que plus rien d’autre n’existe. Juste lui et moi. Cette pensée m’apaise un peu, et je murmure silencieusement les paroles de la musique :

Secrets I have held in my heart
Are harder to hide than I thought
Maybe I just wanna be yours
I wanna be yours

Cette dernière phrase se répète inlassablement, et les yeux d’Ange se ferment en les entendant. Une larme roule sur sa joue, et je ne sais pas si c’est bon signe. J’ai extrêmement peur, mais je n’ai rien à perdre, alors je laisse la musique se terminer.
Je nous retire les écouteurs, les mains tremblantes, et baisse les yeux. Son silence m’incite à parler :

- Je suis désolé, Ange. A un point que tu ne peux pas imaginer, même si la tonne de messages que je t’ai envoyée le répétait.

Je lève les yeux pour regarder son visage, pour ne pas avoir l’impression de parler à mes chaussures.

- J’ai merdé. J’ai totalement merdé, et pas qu’à la soirée. Je foutais tout en l’air en essayant de cacher tout ça, et en te cachant toi par la même occasion. Je sais que ça n’excuse rien, mais c’est la première fois que je ressens tout ça.

Il ouvre à nouveau les yeux, le regard plus doux qu’il y a quelques minutes, ce qui me pousse à continuer :

- C’est la première fois que je rencontre une personne avec qui j’ai envie de passer l’entièreté de mon temps, rien qu’à écouter sa voix, en profitant de chaque seconde. La première fois que je me sens meilleur avec quelqu’un. La première fois que je tombe amoureux. Et je pensais que l’amour, ça marchait tout seul, alors j’ai pensé qu’à moi. C’était tellement logique à mes yeux que j’ai jamais imaginé que tu puisses en douter.

Je soupire, je ne veux pas qu’il ait l’impression que je me trouve des excuses.

- Je sais que c’est ma faute. J’en suis conscient, et ça me brise le cœur. Mais laisse-moi réparer les choses, s’il te plaît. Laisse-moi te montrer à quel point tu comptes pour moi.

Ses yeux sont humides de larmes, et je le vois déglutir difficilement, comme s’il avait du mal à avaler mes paroles. Je ne sais pas quoi faire de plus pour lui prouver que je suis prêt à faire des efforts, mais quoi qu’il me propose, je tenterai.

- T’es pas le seul responsable.

Sa voix n’est pas aussi assurée qu’à son habitude, un peu comme quand il me parlait de ce qu’il ressentait vis-à-vis de son père. Ca me fait mal au cœur de lui faire ressentir ce genre de choses.

- Je savais très bien que je ne supporterai pas de me cacher à nouveau, comme si ce que je ressentais était une honte. Mais j’ai choisi d’ignorer ça. J’aurais dû te le dire dès le départ.

- Je t’ai pas tendu de perche, non plus.

- C’est normal. C’était tes premières fois.

Je hausse les épaules, attendant qu’il continue.

- C’est aussi pour ça que j’ai pas répondu à tes messages. Si je cédais, ça nous ferait du mal à tous les deux. Je voulais qu’on ait le temps d’y réfléchir.

- Et alors ? Qu’est-ce que t’en as déduit ?

Mon cœur se remet à battre à cent à l’heure dans l’attente de sa réponse :

- Je me suis dit que c’était pas le bon moment. Que ça aurait pu marcher, dans une autre vie, dans d’autres circonstances.

J’ai l’impression de recevoir un coup dans le ventre, et toutes mes émotions remontent dans ma gorge pour y laisser un nœud désagréable. Je baisse la tête pour qu’il ne voie pas mes larmes.

- Mais après, je me suis rendu compte que c’était bien trop dur sans toi. Moi non plus j’avais jamais ressenti ça, Jules. Je me suis jamais senti comme je me sens avec toi, et ça me déchire bien plus le cœur d’être sans toi que d’être caché.

Tout mon corps se remet en marche et je relève brusquement la tête. Il ne pouvait pas le dire dès le début ?

- J’attends en vain d’avoir le déclic qui me fera passer à autre chose, je me rassure en me disant que ça ne fait qu’une semaine, mais…

- Ca semble insurmontable. Je sais. Mais on peut retourner en arrière. J’en suis sûr. En changeant les trucs qui ont tout fait foiré. On a le droit à une deuxième chance.

Les mots sortent en trombe de ma bouche, j’y crois tellement. Je le fixe, les yeux écarquillés, et les siens se plisse dans ce sourire heureux que j’aime tant.

- Oui, je pense que c’est juste.

Il a un air amusé alors que le soulagement s’empare de mon corps. Je fais le premier pas vers lui, posant une main sur sa joue, appréciant la vue de son visage enjoué que j’ai failli perdre à jamais. Je l’embrasse. Je l’embrasse comme si c’était la première et la dernière fois, et il me serre fort contre lui, comme s’il ne voulait plus jamais être séparé de moi.

Le moment est irréel, j’ai peur de me réveiller. J’ai peur d’avoir tout inventé. Je ne veux plus jamais le laisser partir. Au bout de plusieurs minutes, nous reprenons notre souffle en posant nos fronts l’un contre l’autre. Ses yeux restent ouverts, tout comme les miens. Je ne veux plus rater un seul de ces moments. Je veux en vivre le plus possible.

Nous ne bougeons pas pendant plusieurs minutes, collés l’un à l’autre, et je finis par rompre le silence :

- J’ai fait mon coming-out à ma sœur. Et à Lucas et Baptiste, je murmure.

Il fronce les sourcils en entrouvrant la bouche, comme s’il hésitait sur sa manière de réagir.

- Je ne voulais pas te forcer à le faire, finit-il par dire. C’est quelque chose que tu dois faire quand tu t’en sens vraiment prêt.

- Je sais. Je comptais d’abord te parler avant de tout leur dire, mais j’en avais besoin. Cette situation m’a juste donné le courage de le faire. Et ils ont réagi à merveille, je me sens bête d’avoir été si nerveux.

- C’est normal, et félicitations.

- Ca se félicite, un coming-out ?

- On me l’a dit, alors tu dois y passer aussi, rigole-t-il.

J’adore le son de son rire. Il m’avait incroyablement manqué.

- Je vais devoir te faire réviser.

- Le théâtre ? je demande.

Il hoche la tête.

- C’était courageux. Tu te surpasses.

- Seulement pour toi, je réponds avec un clin d’œil.

Il rit à nouveau, et je le regarde tendrement :

- Je suis sérieux, Ange, j’aurais jamais eu la force d’avancer autant sans toi.

Ses yeux sondent les miens un court instant, et il pose une nouvelle fois son front contre le mien en murmurant :

- Je t’aime.

Les papillons dans mon ventre s’envolent tous en même temps pour venir chatouiller les parois de mon estomac, et mon cœur se compresse de bonheur :

- Je t’aime aussi, je réponds, comme si ce n’était pas évident.

Il se penche pour m’embrasser avec intensité, mais nous sommes soudainement interrompus :

- J’ai trouvé !

Nous nous retournons tous les deux brusquement vers Mme Tonirelli, qui nous regarde avec de grands yeux pleins de larmes, les bras ouverts dans notre direction.

- La pièce, j’ai trouvé !

- Vous êtes là depuis…

- La vie d’Yves Saint Laurent. Et son compagnon de toujours, Pierre Bergé. Les garçons, vous êtes la source d’inspiration d’un futur chef d’œuvre.

Elle essuie théâtralement ses larmes en s’avançant vers nous pour nous donner une petite tape amicale dans le dos, avant de s’en aller.

C’est sûrement la journée la plus étrange de toute ma vie.

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