Un nouveau Jules

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L’ambiance à la maison a été froide pendant plusieurs jours. Maintenant – même si je n’adresse toujours pas la parole à mon père, attendant qu’il s’excuse – il semble essayer de montrer à travers des regards hésitants qu’il aimerait engager la conversation. Je ne l’aide pas, j’attends en silence qu’il vienne vers moi.

Bref, en gros, la maison est devenu un désert de discussion quand mon père s’y trouve, alors le lycée est un soulagement. Je m’y sens étrangement super bien, ce qui n’était pas arrivé depuis la primaire, et je sais que tout ça est dû à Ange. Enfin, grâce aux répercussions qu’a eues Ange dans ma vie. Sans lui, je serais toujours le mec qui se dit hétéro et qui n’ose pas aborder les gens à qui il meure d’envie de parler.

Le groupe de théâtre, aussi, me libère à un point que je n’aurais pas cru possible. J’adore jouer, incarner des rôles pour de courts instants, les remodeler pour qu’ils m’aillent, et je crois que je suis doué pour ça. Le thème de la pièce a été annoncé au reste de la troupe, et visiblement, une histoire d’amour homosexuel drapée dans la biographie d’Yves Saint Laurent a semblé les réjouir. Enfin une histoire qui sort du classique, mais intéressante et qui touche un sujet que beaucoup défendent avec ferveur. La promotion de la pièce est deux fois plus importante qu’habituellement : en plus des affiches dans les couloirs, les ventes de places se font physiquement avec un stand décoré et des badges et des t-shirt ont été créés par les plus motivés d’entre nous (Axelle en faisant évidemment partie). J’adore cette ambiance. Être le membre d’un groupe de personnes réunies sous le même centre d’intérêts, à parler joyeusement d’un projet commun, avec Ange, qui plus est. D’ailleurs, c’est aussi extrêmement agréable de pouvoir l’embrasser ou lui ébouriffer les cheveux quand je le veux et devant n’importe qui, simplement parce que je l’aime et que je me sens bien avec lui.

En bref, ma vie depuis que je suis moi-même est on ne peut plus agréable (à l’exception d’un Michael égoïste qui fuit mon regard la plupart du temps à la maison).

- Salut les tourtereaux ! Ma mère m’a enfin donné l’argent ! lance Baptiste en me tendant une enveloppe.

- Oh, arrête de parler d’amour, tu veux ? ronchonne Lucas en posant à son tour une enveloppe devant moi. Et arrêtez d’avoir l’air si… heureux, tous les deux.

- T’as encore rompu avec Juliette ? s’étonne Ange.

Son air surpris surprise prouve qu’il manque encore d’ancienneté dans la bande.

- Oh, s’il te plaît, ne le lance pas sur ce terrain, intervient Sarah, sortie de nulle part. Il m’en a parlé pendant touuuute l’heure d’espagnol et j’ai bien failli pleurer avec lui.

- Pleurer ? je demande.

- Cette fois, ça a bien l’air d’être une rupture définitive, annonce gravement Baptiste.

Je plisse les yeux, encore sceptique.

- Bon, tu nous raconteras tout ça ce midi…

- Pitié, non, souffle Sarah.

- … Maintenant partez, vous bloquez nos autres futurs fans.

- A plus, Yves et Pierre ! lance Baptiste en s’en allant.

- Il va spoiler la pièce, quel idiot, dit Ange avec un petit sourire, avant d’embrasser ma joue. Je reviens dans cinq minutes, Axelle m’appelle pour que j’essaie le T-shirt.

Il part en éclair, et je me tourne vers les élèves qui attendent de recevoir leurs places. Il y a quelque chose d’étrange dans le fait de me voir sur ces petits flyers que je leur donne. Moi et Ange, personnages principaux, entourés de tous les autres comédiens. Je n’y ai presque pas cru, quand j’ai obtenu le rôle d’Yves. J’avais tellement peur que les autres m’en veuillent. Après tout, j’étais arrivé en cours de route, et ils auraient pu croire que j’avais obtenu le rôle grâce à Ange, qui lui est vraiment bon acteur. Mais non, à l’annonce des rôles, tout le monde a semblé ravi, comme si ça tombait sous le sens et que j’étais destiné à ce rôle. D’ailleurs, il est vrai qu’il me va bien. Enfin, je n’ai pas la prétention de dire que je ressemble au personnage, mais un jeune homme doué pour le dessin, gay et angoissé la plupart du temps, c’est un portrait familier pour moi. Plus je le joue, plus je suis heureux d’avoir intégré ce groupe. Et une nouvelle fois, c’est grâce à Ange.

Nous nous retrouvons à sept à midi, Juliette manquant à l’appel pour une durée encore indéterminée. Ce nouveau rituel est un changement que je ne supprimerais pour rien au monde : même si j’adorais notre groupe de trois, avec Lucas et Baptiste, ces nouvelles têtes ne font que nous rapprocher un peu plus, et tout le monde en profite. Je passe aussi beaucoup plus de temps avec ma sœur, qui s’est naturellement greffée à la bande, et c’est un autre avantage. La vie en rose : c’est comme si je vivais dans une série B.

- Hors de question que je me mette en bout de table, lance Lucas. Ca va encore me rappeler que je suis célibataire.

Sarah souffle lourdement et se décale d’une place (au grand bonheur de Baptiste qui se retrouve en face d’elle).

- T’es culottée de râler, pendant combien de semaines on a entendu parlé d’Arthur, nous ? ronchonne Lucas, d’une humeur massacrante.

- Hé, vous aviez promis de ne plus jamais prononcer son nom ! réplique-t-elle avec indignation.

- Ne dis pas vous, Sarah, je t’ai toujours respectée, moi, intervient Baptiste en posant une main sur celle de sa voisine.

- Voilà, c’est toujours de ma faute… râle Lucas.

Je souris malgré moi devant son air de chien battu, et Emma se penche vers nous pour nous expliquer la situation :

- Juliette l’a encore accusé de l’avoir trompée, sans aucune preuve. Il avait beau se défendre comme il voulait, elle n’écoutait rien…

- Ouais, la routine, quoi… l’interrompt Axelle, attentive.

- Oh que non. Je m’étais rapprochée de Juliette, et j’ai remarqué qu’elle parlait à un autre garçon, je lui en ai parlé et elle m’a littéralement incendiée. Cette histoire de tromperie n’était qu’un prétexte lâche pour le quitter, mais je n’ai rien dit à Lucas, ça lui ferait de la peine.

- Mais ça lui permettrait de ne pas retomber dans les filets de Juliette, argumente Ange, on ne peut plus investi dans cette rupture

- C’est vrai… Je verrai au moment venu. Juliette me hait, maintenant, alors cette histoire est une arme contre elle si elle refait un mauvais coup à Lucas.

- Mais… tu n’es pas la personne qui aime le plus lui faire des mauvais coups ? je demande.

- Mais non, je le taquine juste. Il ne mérite pas qu’elle se foute de lui comme ça.

Nous hochons la tête, tous étonnés de l’investissement de ma sœur vis-à-vis de Lucas.

- Bon, lance soudain ce dernier. Ca ne vous dirait pas de me changer les idées ce week-end ? On se voit jamais hors des cours, et là, j’en ai besoin. A condition que Jules et Ange n’aient pas trop l’air amoureux.

Je lève les mains, comme pour prouver mon innocence.

- Je vous aurez bien proposé de venir à la maison, mais tout ce monde… C’est pas ouf pour mon frère, il a besoin d’être au calme, en ce moment.

Il ne s’épanche pas sur le sujet, mais je me doute qu’il est dans une période compliquée, alors tout le monde essaie de trouver une solution.

- On pourrait faire ça à la maison ? propose Emma. On n’a pas de sous-sol aménagé comme toi, mais ça peut faire l’affaire.

Je hoche la tête, et Baptiste s’anime soudain :

- Mais vous avez la cabane !

Je le regarde comme s’il était dingue, il veut qu’on meure de froid ?

- On est en hiver, Baptiste. Et elle est quasiment en ruines.

- On a qu’à la retaper, ça nous réchauffera, et comme ça elle sera prête pour cet été.

Je grogne, mais l’idée semble plaire à tout le monde, y compris à Ange.

J’accepte.

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