Cherry Blossom (1/4)

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Minuit sonne lorsque Alexander s'accoude au comptoir du club le plus renommé de la capitale. C'est en un soupir résigné qu'il détaille les corps se mouvoir sur la petite piste de danse. Les lumières stroboscopiques lui font plisser les yeux tandis qu'elles éclairent et font luire les peaux moites des danseurs en sueurs.
Ce soir, c'est dans une bouteille de whisky qu'il aimerait noyer ses soucis, les immerger et s'imprégner de l'alcool jusqu'à ce que son esprit embrumé se mette en pause.
Après une journée de travail éreintante, une altercation graveleuse avec son supérieur qui pense pouvoir user de sa position pour assouvir ses désirs pervers avec ses subalternes et un propriétaire qui le harcèle pour les loyers impayés, il se retrouve seul et désespéré.
C'est sur les conseils de sa cadette qu'il a décidé de sortir pour tenter d'apaiser ses tourments, seulement c'est dans son lit qu'il aimerait être afin de se lamenter pour délivrer son âme emprisonnée. Il n'a jamais apprécié se mêler à la foule, préférant une soirée tranquille devant un film plutôt qu'au milieu de gens survoltés. Casanier de nature, durant ses années universitaires, il passait son temps à bouquiner ou visionner des séries lorsque ses amis sortaient. Les choses ne se sont pas arrangées lorsqu'il a atteint la trentaine, s'isolant davantage, cloîtrer dans son petit appartement mal agencé. Un deux pièces impersonnel qui dépeint la morosité de sa vie sans saveur. Pas de tableaux ni de photos pour apporter un peu de chaleur, seulement quelques murs jaunis par la nicotine des nombreuses cigarettes qu'il s'enfile inlassablement. C'est le seul moyen qu'il a trouvé pour calmer ses nerfs et atténuer ses angoisses. Enfin, cela fait bien longtemps que l'effet s'est estompé, mais c'est avec ardeur qu'il refuse les anxiolytiques que tente de lui prescrire son médecin.
Les yeux rivés sur son verre de whisky à moitié vide, Alexander observe le liquide ambré danser quand il joue du poignet. Désabusé, il avale d'un trait les quelques gorgées puis fait signe au barman de l'approvisionner.
Il est bien décidé à ne pas s'arrêter, peut-être que cette nuit, il oubliera enfin la tristesse de son existence esseulée.

De l'autre côté de la salle, attablé avec des amis, Évan rit à gorge déployée. Sa bonne humeur est lisible dans l'obscurité de son regard, pourtant, son cœur amoché hurle son désespoir. Pour faire semblant il est excellent. Après des années de secrets et de silences, il parvient à tromper le monde à l'aide de sourires faussement assurés et de clins d'œil qui lui donneraient presque l'envie de régurgiter.
Pourquoi se plaindrait-il ? Sa vie semble parfaite de tous les côtés. Entouré d'une famille aimante, propriétaire d'une demeure qu'il a fait bâtir et chirurgien comme il le rêvait étant enfant, il n'a rien à regretter. Enfin, c'est ce qu'on dit mais Évan est loin d'être de cet avis.
Un sourire aux lèvres, il feint l'amusement quand son meilleur ami tente d'être drôle, se moquant des danseurs amateurs qui se déhanchent sur une musique qui résonne trop fort.
Pour éviter de participer à la conversation qui ne l'intéresse nullement, il se cache dernière son verre de soda à l'orange, sirotant lentement le breuvage pour ne pas avoir à parler. Rire quand la situation s'y prête est simple pour lui, mais par moments, il aimerait simplement être honnête et laisser s'épancher ses sanglots en revivant un passé qu'il souhaiterait retrouver. Pourtant, c'est impossible et il le sait.
Il ignore encore pourquoi il a accepté cette invitation à sortir, probablement pour s'éloigner un peu de sa femme qui l'étouffe et qu'il ne parvient pas à aimer. Il l'apprécie, c'est certain, mais son cœur bat pour une tout autre personne et cela depuis bien des années.
Fils de parents chrétiens, il a subi son adolescence en se privant de ce qu'il désirait. Impossible pour lui d'assumer, il a fini par se résigner.
Alors que ses pensées s'emmêlent, que les discutions s'animent, Évan lève la tête afin d'examiner l'endroit dans lequel il se trouve. C'est la première fois qu'il met les pieds dans ce club et pour cause, rares sont les soirées durant lesquelles il ne travaille pas.
Toujours dissimulé derrière son gobelet au liquide sucré, son regard s'égare vers le comptoir. Il sent tout à coup son cœur s'enrager, puis ses yeux s'écarquiller alors qu'une silhouette familière se présente sous les néons blancs du bar.
Dos voûté tel un homme aux épaules surchargées, cheveux dorés comme un champ de blés ensoleillé, pas de doute, il le reconnaît. Sans même voir son visage, ni ses yeux aux iris semblables à deux jades éblouissants, il sait pertinemment de qui il s'agit. C'est la personne qu'il a quitté, à regret, il y a de cela une année.
Les doigts tremblants, il récupère son téléphone dans la poche de son jean, l'examine les sourcils froncés puis se redresse à la hâte. Prétextant un appel important, une urgence à l'hôpital qu'il ne peut ignorer, il quitte ses amis sans un regard en arrière.

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