Xomi, Xali et le petit Jari

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Le petit Jari partit donc explorer la galaxie.

Il put prouver à tous qu'il savait parfaitement manier un vaisseau ultrarapide sans l'aide de personne. Il put tester ses réflexes et son habileté en traversant des champs d'astéroïdes moyennement bien cartographiés. Il put vérifier ses capacités d'adaptation et ses aptitudes à la survie en milieu hostile en visitant quelques mondes à la faune et la flore plus ou moins accueillantes. Il alla même jusqu'à traverser les étendues désertiques d'Akat, la planète rouge sur laquelle son père défit les hordes de Krakenis, sans équipement plus sophistiqué qu'une gourde et un couteau.

Une fois de plus, tous ces tests furent passés haut la main par cet enfant exceptionnel, qui avait hérité de toute la force et la dextérité de son père, ce soldat d'élite de la Fédération, mais qui était surtout doté de la même détermination que sa mère, cette femme capable de se lever contre son gouvernement et d'entreprendre une guerre contre les nations les plus puissantes à elle seule, sur la base d'une simple conviction personnelle.

Après de multiples aventures aux six coins de la galaxie, cet enfant atteignit l'âge de quatorze ans en ayant traversé plus d'années lumières et surmonté plus de difficultés que la plupart des hommes qui mourraient de vieillesse à cet instant. C'est probablement sur la base d'une réflexion similaire, reconnaissant qu'il ne lui restait que peu de choses à découvrir par lui-même, que le jeune Jari prit la décision de poser ses valises.

Mais pour cela, il fallait commencer par poser le vaisseau. Cela n'aurait pas dû soulever la moindre difficulté pour un pilote aussi expérimenté et habile que Jari du haut de ses quatorze ans. Mais la réalité d'un monde peuplé d'autres choses que de simples animaux sauvages facilement classés en deux catégories, les prédateurs et les proies, et au comportement parfaitement prévisible, se rappela à lui d'une manière assez irritante.

Jari avait pourtant savamment planifié son atterrissage en prenant en compte tous les facteurs qu'il était raisonnable de considérer. Il savait sur quelle planète il souhaiter se poser. Il savait qui il souhaitait y rencontrer. Et il savait dans quel bâtiment cette personne passait la plupart de ses journées. En revanche, il ne connaissait, pour ainsi dire, pas le moins du monde les moyens de transports locaux, n'avait qu'une confiance limitée dans sa capacité à se repérer dans un dédale de ruelles inconnues et, pour être franc, en avait un peu marre de rester seul et devenait impatient de retrouver la personne à qui il souhaitait rendre visite. Il orienta donc sa réflexion sur un atterrissage le plus proche possible du bâtiment en question. Deux options s'offraient à lui. La première consistait en une aire spécifiquement prévue pour le transit de vaisseaux de toutes les tailles imaginables et semblait parfaitement adaptée à un croiseur de combat humain pour lequel la piste numéro trois, présentement libre, conviendrait tout à fait. Après quelques secondes d'hésitation, il décida néanmoins d'opter pour la seconde option. En effet, la première impliquait d'ignorer moult signaux indicateurs, alarmes et messages incendiaires rappelant l'interdiction de pénétrer sur une aire réservée à d'autres vaisseaux que le sien, de déjouer un certains nombre de mécanismes de défense et probablement de se frayer un passage jusqu'au sol à coups de canon. Après un rapide calcul, Jari fut convaincu que cela était dans ses cordes, mais préféra éviter une telle dépense d'énergie (et de munitions) inutile, non sans quelques regrets pour cette arrivée pleine de panache qui aurait eu le mérite de rapidement prévenir son hôte de sa venue.

Il engagea donc la manoeuvre qui devait l'amener à hauteur de la seconde option. Celle-ci était à première vue moins évidente, car non prévue pour accueillir des vaisseaux, et encore moins des vaisseaux de cette taille. Cela consola un peu Jari qui se dit qu'il serait probablement le premier à poser un engin sur cette place au milieu de la ville. L'aspect technique de l'opération ne l'inquiétait pas le moins du monde. Après tout, il avait déjà réussi plusieurs dizaines d'atterrissages sur des zones bien plus rocambolesques et bien moins adaptées que celle-ci. Le côté tactique de l'affaire paraissait tout aussi rassurant. Ici, il n'y avait point de tourelles de défense, ni de vaisseaux de combats parés au décollage. À bien y regarder, il n'y avait même pas le moindre panneau indicateur précisant qu'il était interdit de poser un croiseur de combat sur cette grande place centrale et fort bien située au pied de l'immense pyramide que certains appelaient Palais Royal et que Jari ne considérait alors que comme la demeure de celui à qui il rendait visite.

Cette aire de stationnement improvisée aurait dû faire l'affaire. Mais voilà, la réalité s'en mêla et la grande place de parking qui n'était autre que la majestueuse Place Royale se révéla bondée de Xiliains, effrayés par l'arrivée impromptue d'un vaisseau de combat au-dessus de leurs têtes et courant en tous sens, se heurtant les uns les autres dans une confusion des plus totales, digne d'une fourmilière grandiose, mais peu convenable pour une place royale.

Jari dut freiner son approche, laissant le temps au chaos ainsi créé de se dissiper, ce qui, pour son plus grand bonheur, fut moins long qu'escompté. En effet, quand il fut clair que le vaisseau tentait véritablement une manoeuvre d'atterrissage au beau milieu de la plus belle place de toute la planète Xiril, celle-ci se vida promptement, chaque Xiliain identifiant soudain le coin de la place le plus proche et la ruelle la plus à même de lui offrir une échappatoire, avec une perspicacité du même tonneau que celle qui illumine parfois l'esprit de celui qui joue sa vie en moins d'une milliseconde face à un danger imminent.

Le croiseur put donc terminer de se poser sans que la vie de quiconque ne soit écourtée, ce qui était pour le mieux, car, ne l'oublions pas, Jari n'était ici que pour visiter un vieil ami, sans la moindre intention de nuire aux Xiliains. Non, ce genre d'intentions lui viendraient plus tard. Pour le moment, sa motivation principale était de retrouver celui qui lui avait parfois rendu visite sur Taklo, sans jamais oublier d'apporter un cadeau. Cependant, une fois passé le sas de son vaisseau et le pied posé sur le sol, quelques dizaines de Xiliains lourdement armés le séparaient encore de son ami. Leur armure ne laissait que peu de place pour entrevoir le cuir épais, marron et craquelé, de leur peau, et ne laissait que peu de chance à un enfant de quatorze ans armé en tout et pour tout d'un couteau à la ceinture et protégé par une veste de cuir craquelée elle aussi, mais noire et trop courte d'un an.

C'est à cet instant que Jari se prit à penser qu'il aurait peut-être dû envoyer un message pour prévenir de son arrivée. Mais il faut l'excuser. Notre jeune héros avait été coupé de la civilisation depuis de nombreux mois et n'avait pas nécessairement toutes les convenances sociales en permanence à l'esprit. Cet esprit eut néanmoins un sursaut de lucidité qui sauva la vie à Jari en lui imposant, presque par réflexe, de lever les bras face aux armes pointées sur lui. Dans un second temps, son cerveau réussit à lui faire prononcer les quelques mots de Xiliain que son vieil ami lui avait enseignés :

--- Groundun Ak !

Ce que l'on pouvait traduire par bien le bonjour à vous chers amis, mais que les soldats, certainement à cause de la distance les séparant de Jari, et peut-être aussi un peu à cause de son fort accent humain, ne comprirent pas immédiatement.

S'ensuivirent quelques minutes peu réjouissantes pour le jeune garçon, durant lesquelles il fut brusquement saisi et emmené dans une direction opposée à celle qu'il visait. Mais il aurait dû s'en douter. Les militaires qui attrapent un hurluberlu tombé du ciel devant la résidence de leur roi ont, en général, plutôt tendance à l'escorter vers une cellule isolée que vers la salle de réception du palais.

Cependant, la chance sourit parfois aux plus démunis. Ou du moins, aux démunis qui comptent un roi dans leurs amis. Le Roi en question, observant la scène depuis la terrasse au sommet de la pyramide, mais ne pouvant distinguer le moindre détail compte tenu de la hauteur et de la largeur de la base de ladite pyramide, demanda à son garde le plus proche de voir ce qu'il se passait. Le garde déplia alors son écran tactique, se connecta à la caméra du chef d'escouade présent sur la place et projeta le flux vidéo devant les yeux de Sa Majesté.

Xomi n'eut aucun mal à reconnaître le jeune homme, malgré les quelques années écoulées depuis sa dernière entrevue. Il sourit, se sentant flatté que l'enfant de ses anciens compagnons qu'il appréciait tant se souvienne de lui et semble l'apprécier en retour au point de faire le voyage jusqu'ici pour le saluer. Xomi fut ému, mais garda ses émotions pour lui sous son masque de roi. C'est donc en tant que Roi du Royaume de Xila, Xomiro Premier du nom, qu'il commanda que l'homme soit relâché sur le champ et escorté jusqu'à ses appartements, là où il pourrait se contenter d'être Xomi, laissant Xomiro Ier au vestiaire le temps des retrouvailles.

Alors, Jari fut amené, dans un déluge d'excuses et de bonnes manières exagérées, jusqu'au Roi. Cela prit un certain temps. Pour cela, il fallut en effet faire demi-tour, traverser la grande place avec toute la lenteur due au respect de celle-ci, qui avait par ailleurs déjà été bien maltraitée, puis gravir la pyramide jusqu'à son sommet. Jari regretta alors de ne pas avoir entrevu plus tôt la troisième option qui consistait à placer le croiseur en vol stationnaire à la pointe de l'édifice pour se laisser tomber directement et sans effort sur la terrasse qui lui paraissait à cet instant aussi minuscule qu'inatteignable.

Il ne faut pas croire que les Xiliains sont technologiquement en retard au point de ne pas savoir construire un ascenseur, mais il est des coutumes et des traditions ancestrales qui leur importaient particulièrement de conserver intactes. Celle de devoir prouver sa valeur avant d'accéder aux plus hauts dignitaires de la nation (dans tous les sens du terme) en était une. La valeur testée ici était autant physique que psychique, car les immenses marches constituant les différents niveaux de la pyramide se révélaient à leur approche dissimuler des dizaines de marches à taille (presque) humaine sur leur flan, décuplant ainsi dans l'esprit du valeureux candidat la quantité d'effort à fournir. Les plans de la pyramide avaient par ailleurs été dessinés pour décourager les moins déterminés par une ascension dont la difficulté allait croissante avec l'altitude. En effet, chaque niveau gravi débouchait sur une large esplanade plane permettant de recouvrer son souffle avant d'aborder l'escalier suivant. Mais la largeur de cette aire de repos diminuait à chaque étage, pour finir par disparaître totalement à l'approche du sommet qui semblait rester perché à une hauteur encore difficilement atteignable, alors même que l'on commençait à friser les derniers paliers.

Jari était jeune, en pleine forme et plutôt impatient d'en terminer avec ce supplice architectural. Il lui fallut néanmoins une bonne heure avant de se hisser jusqu'à la terrasse royale, qui lui offrit en retour une vue panoramique à couper le souffle au plus essoufflé de ses visiteurs. Le jeune homme se tourna dans toutes les directions et put admirer les merveilles de Xiril, sa vision n'étant obstruée à aucun moment par autre chose que les deux soldats qui avaient fait l'effort de l'accompagner. En revanche, il ne vit pas celui qu'il était venu voir, car celui-ci l'attendait dans ses appartements, préférant éviter une explosion de joie peu convenable devant trop de monde. Il dut donc se résoudre à continuer d'avancer, mais avec cette fois avec la certitude de ne plus avoir à monter plus haut. Les gardes le conduisirent en effet jusqu'à un escalier dissimulé dans une ouverture à même le sol et entamèrent la descente. Après quelques passages et péripéties labyrinthiques mais heureusement planes, Jari se retrouva finalement invité à entrer dans le salon privé du Roi.

***

Jari passait un séjour agréable au palais, hébergé par Xomi et Xali, sa magnifique épouse (à en croire les Xiliains qui n'usaient certainement pas des mêmes critères que les humains, ou que vous et moi) et Haute Ambassadrice de Xila. Rien de l'historique houleux qui permit à Xali d'accéder à cette fonction ne transparaissait dans les manières du couple royal. Elle, qui d'habitude n'accordait que peu d'attention au garçon lors de leurs visites sur Taklo, fit tous les efforts possibles pour que Jari se sente comme à la maison au palais. En réalité, la Haute Ambassadrice portait en elle la tristesse de ne pas avoir pu donner de progéniture au Roi, tristesse qui se muait en gêne presque irritante lorsqu'elle était face à un enfant et qui expliquait son manque d'attachement à Jari. Néanmoins, une fois qu'elle comprit que Jari était loin de chez lui et de ses parents pour de longs mois en perspective, elle l'accueillit comme un enfant que l'on adopte et à qui l'on délivre tout son amour.

Xomi aussi se laissa aisément embarqué dans ce rôle de père adoptif improvisé et considérait, chaque jour un peu plus, Jari comme le fils qu'il aurait dû avoir, exceptionnel, ambitieux, apte à accomplir de grandes choses, autrement dit, doté de toutes les qualités de sa compagne. Le jeune homme eut alors tout le loisir d'améliorer sa connaissance de la langue xiliaine d'une part et de l'Histoire d'autre part. Il passa ainsi un nombre d'heures incalculables à écouter les leçons de Xomi sur les événements majeurs des derniers millénaires et un nombre encore plus grand à éplucher les archives de la Chambre du Conseil Galactique. Cette dernière activité fut ce qu'il trouva de mieux pour rester seul une part significative de son temps sans offenser son hôte qui voyait là une occupation fort louable. Pour dire vrai, Xomi arrivait à un âge avancé et commençait à être sujet à une certaine nostalgie. Il y voyait donc surtout sa propre jeunesse et ses premiers jours passés dans cette salle, juste avant que toute la galaxie ne se transforme en un chaos duquel le jeune diplomate sans grande confiance en lui qu'il était alors ressortit bien moins naïf, couronné Roi, et marié à celle qui l'avait ensorcelé et trahi, mais à qui il dédiait sa vie.

Jari se promenait aussi parfois vers la base militaire jouxtant le palais, celle dont la piste numéro trois lui était apparue comme la première option lors de son arrivée sur Xiril. Il avait peu à peu sympathisé avec les gardes, puis quelques techniciens et, in fine, avec la plupart des responsables des systèmes de défense. Suite à de nombreuses discussions avec les militaires, il en apprit suffisamment sur ces systèmes pour se réjouir de n'avoir pas opté pour la première option ce jour-là, mais aussi pour être certain de pouvoir choisir cette option en toute sécurité à l'avenir, pour peu que le besoin s'en fasse sentir.

L'avenir, il est trop tôt pour en parler. Mais nous pouvons néanmoins souligner que ce besoin de franchir les barrières défensives faisait écho aux ambitions et aux désirs de grandeur de Jari.

***

Deux années passèrent ainsi, dans une sorte de plénitude lancinante, jusqu'au jour où Xomi reçut une triste nouvelle.

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