Jane, Rick et le petit Jari

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Jane et Rick étaient en partance pour Najol, dans le système 36, là où le virus informatique le plus dangereux de l'univers répandait la terreur au coeur de la communauté scientifique Narween, mais aussi de tout le peuple Narween dans son ensemble. Malgré cette destination peu joyeuse, ils évoquaient déjà leur future vie de couple rangé qu'ils entreprendraient après la guerre, rêvant aux plages de sable fin entourant les lagunes turquoises et aux longues journées bienheureuses.

Les Dieux les laissèrent ainsi dériver vers leur destination et discuter de choses aussi peu intéressantes que convenables. Ils finirent donc bien par atteindre Najol et mettre fin à la dernière des dernières guerres galactiques. En effet, celle-ci semblait bien être la dernière. Une fois laissés à eux-mêmes, les habitants de la galaxie se retrouvèrent bien plus conciliants et, sans être poussés par leurs Dieux, bien moins enclins à guerroyer.

La paix put donc se répandre à travers l'Univers Connu. Jane et Rick décidèrent de s'installer sur Taklo, là où la chef des Hommes Libres pouvait gouverner. Il y avait bien beaucoup d'eau, quoique d'une couleur trop sombre pour être qualifiée de turquoise, et, en vérité, très peu de sable fin.

Ils vécurent néanmoins heureux, et mirent au monde un enfant exceptionnel qu'ils appelèrent Jari (ce qui est bien plus joli que Rija, il faut en convenir et les en remercier). Cet enfant était exceptionnel à plus d'un titre dès sa naissance, et sembla passer sa vie à faire tout ce qui lui permettait de mériter ce qualificatif.

Jari était tout simplement le premier enfant issu d'une union entre un homme de la Fédération Humaine et une femme des Hommes Libres. Très vite, il devint le symbole d'une union bien plus large, que ses parents contribuèrent à créer : l'Union des Humains, regroupant l'ensemble des êtres humains, réconciliant les Hommes Libres et ceux de la Fédération, et réunissant sous une seule bannière toute l'humanité, du moins si l'on en croit le slogan et les brochures touristiques de l'Union. En réalité, il restait quelques civilisations primitives, encore plus ou moins indépendantes et pouvant être qualifiées d'humaines, disséminées ici et là dans la galaxie. Nous en verrons quelques exemples plus tard. De fait, ces sociétés de nature humaine étaient coupées du reste de la galaxie et donc de l'Union. Elles étaient bien souvent le résultat de tentatives prématurées et mal finalisées d’émancipation des humains au cours des millénaires précédents. Les humains avaient depuis longtemps réalisé que leur Terre ne leur permettrait pas de survivre indéfiniment et, périodiquement, ils lançaient une expédition à travers l'espace au petit bonheur la chance, espérant ainsi ensemencer l'univers avec les graines de leur avenir. L'idée n'était pas mauvaise en soi, mais il faut avouer que les chances de succès de telles entreprises sont minimes, surtout compte tenu des connaissances de l'époque et du manque évident de préparation des équipes. Les quelques humains qui survécurent à ce genre d'épopées et aux atterrissages douteux en perdirent rapidement jusqu'à la mémoire de leurs origines, développant une nouvelle civilisation d'autochtones sur chaque planète ainsi conquise.

Mais revenons à l'enfant de Jane et Rick. Celui-ci comblait de bonheur ses parents. Cependant, pour un observateur extérieur, il ne paraissait pas respirer la joie de vivre. Il n'était pas muet, mais ne parlait pour ainsi dire presque jamais. Il était encensé par toute l'humanité prête à se mettre à ses pieds, voyant en lui leur leader naturel en devenir, mais se contentait de traiter toutes ces marques de respect avec la plus grande désinvolture qui le caractérisait tant. Il ne semblait avoir aucun centre d'intérêt particulier, et peu de gens pouvaient s'enorgueillir de l'avoir fait sourire. Il n'était pas triste pour autant. Il participait volontiers à toutes les activités proposées, remplissait avec soin toutes les missions qui lui étaient confiées et réussissait haut la main tous les tests auxquels il pouvait être soumis, et ce, dans tous les domaines.

Jari était par ailleurs un enfant très indépendant qui se plaisait à vaquer seul à ses occupations, nécessairement secrètes car intériorisées. En fait, nul ne savait ce qui pouvait se tramer dans l'esprit de cet enfant, qui ne semblait bien souvent que rester assis à observer l'horizon ou déambuler sans but précis. Ses parents ne s'en inquiétaient pas outre mesure, voyant en lui un petit homme dont la posture était digne d'un grand penseur. Ce penchant naturel pour la solitude et ce besoin d'indépendance leur sautèrent néanmoins aux yeux le jour de son treizième anniversaire, lorsqu'il leur annonça son départ.

Jane et Rick furent surpris par cette brusque apparition d'un but dans la vie de leur enfant, mais ne purent rien y faire. Sa détermination était inébranlable et jamais ses parents ne l'avaient vu exprimer un souhait avec autant de force. Qui plus est, sa mère était elle-même connue comme une figure de la liberté et pouvait difficilement s'opposer à une quête personnelle présentée comme inéluctable par son principal sujet.

Jari avait tout préparé en secret, non seulement dans son esprit, mais également dans les faits. Il disposait d'un croiseur qu'il avait appris à piloter et chargé de tout le nécessaire pour un long voyage. Cependant, quand on lui posait la question de la destination de celui-ci, il restait assez vague, et prétendait vouloir découvrir la galaxie par lui-même. En vérité, il est fort probable qu'il ne cherchait à faire rien de plus que ce que tous les enfants cherchent à faire s'élever à la hauteur des attentes de ses parents et mériter leur reconnaissance.

Ses parents n'avaient pourtant jamais évoqué la moindre attente à son égard, laissant libre court à ses envies si rares fussent-elles. Mais ses parents n'étaient pas que ses parents. Ils étaient, ou du moins avaient été dans ce qui semblait être une autre vie, Jane et Rick, les humains capables de tenir tête aux puissants Gromov, de contribuer à l'anéantissement des monstres Myrides, de mener la lutte contre les envahisseurs Krakenis, de sauver le peuple Narween de l'invasion des IA, de recréer l'osmose entre tous les humains et d'imposer la paix à toute la galaxie. Alors oui, ils n'avaient rien demandé à leur fils, mais ils n'avaient en réalité pas besoin de parler pour que cet enfant se sente investi du besoin de parcourir l'univers et d'accomplir de grandes choses.

Son père émit quelques doutes, en particulier sur sa capacité à piloter seul un croiseur qui était déjà délicat à manier avec un équipage réduit à quatre hommes expérimentés. Mais sa mère avait confiance en lui et retint le père de retenir son fils.

Ainsi partit Jari, vers une destination inconnue de tous, probablement aussi de lui-même, mais, néanmoins, vers ce qui se révéla être son destin et, de manière fortement intriquée, celui de la galaxie et de tous les êtres vivants, ou, au minimum, de tous ceux encore en vie à ce moment.

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