Jari face à l'Empereur

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Pour comprendre la suite, il me faut passer par quelques brefs rappels historiques, je le crains. Il faut, a minima, être conscient de la situation politique dans laquelle la galaxie s'était retrouvée à l'issue des dernières guerres. Rappelons en particulier que les Seelluss détenaient toujours le pouvoir sur Coreberr, la planète au centre du système de Corellia et de la galaxie, qui abritait le Sanctuaire et le Conseil Galactique. Ce conseil fonctionnait toujours, mais sous l'emprise des « faces de mouches », comme aimait à les appeler un certain général de la Fédération Humaine, grand poète parmi ses pairs, malheureusement plus de ce monde aujourd'hui.

La plupart des autres nations n'étaient que partiellement satisfaites de la situation, mais s'en contentaient néanmoins, ayant encore à l'esprit le prix de la guerre. Néanmoins, les gouvernants étaient prêts à tendre l'oreille à celui qui leur proposerait une solution moins coûteuse, ce que fit Jari.

Il passa les semaines suivantes en tournée à travers la galaxie, exacerbant les exactions des Seelluss et ventant les mérites de leur éradication, qu'il offrait sur un plateau. Ses antécédents génétiques lui permirent de s'entretenir avec tous les puissants de cet univers, et son tableau de chasse récemment rempli dans le système 10 lui valut une écoute attentive.

Jari se retrouva bientôt à la tête d'une armée digne des plus grandes batailles auxquelles avaient participé ses parents. Toutes les nations voyaient en lui ce qu'il avait toujours été : le plus prometteur des humains, l'outil de l'unification des nations, le Demi-Dieu venu pour libérer les opprimés. À cela s'ajoutait bien sûr le détenteur d'une technologie sans pareil et susceptible de faire basculer du bon côté n'importe quelle bataille en un clin d'oeil : la téléportation sans conduit. Personne ne savait d'où il la détenait. Les soupçons s'étaient évidemment posés sur les Narweens qui l'avaient hébergé, mais ces derniers avouèrent ouvertement, honteux, leur incapacité à reproduire une telle chose. Tout ce mystère ajoutait le fuel nécessaire aux croyances en la divinité de l'enfant prodige.

Ainsi, par une combinaison des pouvoirs mystiques de Jari et de toutes les flottes qui l'avaient suivi, le système de Corellia fut bientôt libéré de la moindre présence Seelluss. Je vous ferai grâce des détails de ces affrontements, qui n'ont en réalité guère d'intérêt pour l'Histoire. À quoi bon relater les manoeuvres grossières des uns et des autres, faire mijoter le suspens d'un projectile qui traverse l'espace en direction de sa cible en effleurant ici et là les navires alliés, ou vous décrire l'effroi de ceux qui le virent entrer en contact avec leur vaisseau, leur écran, puis la base du crâne de leur collègue ? Tout cela ne servirait à rien. Nous nous en passerons donc. Si c'est après ce genre de récits que vous courrez, alors continuez de courir, fuyez maintenant, tant qu'il est encore temps.

Si vous vous souvenez de la taille du hangar du Sanctuaire sur Coreberr (si, si, vous le pouvez, j'en suis sûr), vous n'aurez aucun mal à imaginer les flottes unies contre les Seelluss parquées à l'intérieur, emplissant pour la première fois depuis des siècles ce cylindre, ses postes d'arrimage et ses pontons. Les couloirs du Sanctuaire étaient eux-aussi dimensionnés pour accueillir autant de visiteurs. Ceux-ci purent donc nonchalamment converger vers la grande salle d'audience du Conseil, le plus gros des équipages se dirigeant cependant vers la cantine pour fêter comme il se devait cette victoire et laisser le soin aux chefs, commandants, officiers, généraux et autres gouverneurs de discuter sérieusement de l'avenir. Cela peut paraître bien légitime, et tout aussi anodin, mais qui peut se targuer de savoir ce qui relève de l'anecdotique sans connaître ce que nous réserve le futur ? Les futiles battements d'ailes d'insectes ne sont-ils à l'origine de tempêtes ?

De nombreux tournants majeurs de l'Histoire sont nés dans la salle du Conseil. Ici ont été votées toutes les lois galactiques. Ici ont pris forme les grandes alliances, se sont jouées les luttes pour le pouvoir suprême. Ici fut créé le Nouvel Empire.

Toutes les personnalités s'étaient assises au hasard dans l'amphithéâtre, car les places réservées à chaque nation n'étaient pas suffisantes pour des délégations aussi fournies. Le siège de Détenteur des Clés, au centre de la salle, restait vide, marquant l'absence des Seelluss et contribuant à l'atmosphère de la salle, qui respirait la satisfaction de la victoire et la conviction d'avoir oeuvrer pour le bien.

Le silence se fit lorsque Jari entra pour s'installer le plus naturellement du monde dans le siège central. Pendant un temps, on entendit quelques respirations bruyantes, quelques mouvements d'étoffes remises en place, voire quelques cris étouffés. Puis, le silence retomba, montrant, par l'absence de plaintes, l'acceptation de tous. Le discours put commencer, sous l'écoute attentive de tous ceux qui connaissaient Jari et savaient combien était chère sa parole, qu'il ne délivrait qu'avec discrétion et parcimonie :

--- Chers amis, fidèles parmi les fidèles. Vous êtes venus à mon appel. Je vous en serai éternellement reconnaissant. Pour vous le signifier, j'accepte la lourde tâche de diriger le Nouvel Empire, celui qui réunit toutes les nations, qui unifie aujourd'hui et à jamais toute la galaxie.

Le niveau sonore recommença à s'élever dans l'incompréhension générale. Xomi, Roi des Xiliains, qui avait été un des premiers à répondre l'appel de son ami qu'il considérait encore comme son fils adoptif, sentit sa fibre de diplomate vibrer à nouveau et se leva pour prendre la parole :

--- Jari, mon ami, je ne comprends pas. Quel est ce nouvel empire dont tu nous parles ? Les nations sont enfin libérées des Seelluss, elles peuvent à nouveau discuter normalement au sein du Conseil Galactique pour décider ensemble de la politique générale. Nous sommes face à une occasion historique de rétablir l'ancien système béni. De quoi d'autre aurions-nous besoin ?

Le petit homme se tourna d'un air triste vers celui qui lui avait appris la politique :

--- Tu me déçois Xomi. Comment peux-tu croire ce que tu viens de dire ? Tu sais très bien que les temps que tu appelles de tes voeux étaient soumis à la volonté des Anciens. Eux seuls avaient la force de faire fonctionner ce système, de maintenir les nations à leur place. Vous, quel que soit votre race, vous n'aspirez qu'à prendre le dessus sur vos voisins. Vous vous soulèverez contre le moindre petit avantage qu'ils auront soi-disant acquis.

Jari parcourait maintenant toute la salle du regard, faisant baissé les yeux à ceux qui reconnaissaient là certains de leurs travers. Sa voix s'amplifiait à mesure qu'il prononçait ces paroles historiques :

--- Vous ne savez pas vivre ensemble. Vous n'en êtes pas capables. Vous vous êtes tous gargarisés lorsque je suis venu vous présenter les travers des Seelluss, mais la vérité est que vous ne feriez pas mieux qu'eux ! Aucun de vous n'est digne de gouverner. Quant à vous laisser gérer vos histoires entre vous, sans garde-fou, laissez-moi rire ! J'ai déjà vu bien trop d'enfants gérer leurs histoires à la récréation hors de la vue de la maîtresse. Et je vous y vois comme si vous y étiez, arracher à l'un ce que l'autre vous a subtilisé tout en accusant un troisième et en criant à l'aide. Vous n'êtes pas digne de la galaxie !

Nul autre que le silence accueillit cette tirade. Jari reprit, se penchant en avant pour accentuer l'intensité de son regard qui scrutait l'assemblée :

--- Dorénavant, je suis votre Empereur ! Je suis celui qui fera tourner la galaxie. Je suis celui qui vous tiendra en laisse, qui vous surveillera quand vous croirez mener vos basses oeuvres en cachette. Je serai la justice. Je veillerai sur vous et les milliers de monde de l'Univers Connu. Je serai tout cela, et bien plus encore, Moi, votre Empereur.

Un cri désespéré transperça l'air :

--- Non !

Son origine était difficile à déterminer, le crieur trouvant le courage dans l'anonymat. Le flou de ce cri permettait de s'y rallier sans trop se poser de questions. Bientôt, des dizaines de protestations similaires s'élevèrent de la salle dans un désordre total :

--- Non ! Nous n'en voulons pas !

--- Nous non plus !

--- Assez de ses gouverneurs ! Laissez-nous tranquilles !

--- Pas question !

Il y avait là une foule d'anonymes qui n'osaient ni se lever ni donner leur nom, et que Jari tenta de calmer en levant sa main droite, avec un effet limité :

--- Jamais de la vie !

--- Descends de là !

--- Ce n'est pas à toi de décider !

--- Saligot !

--- Humain !

Alors, il baissa sa main.

L'effet fut instantané, et nettement plus marqué. Le silence, encore lui, revint sur le devant scène. Plus personne ne protesta. Plus personne ne parla. Respirer était en fait déjà difficile pour eux, ou, plus exactement, pour ceux qui le pouvaient encore. Ils étaient sous le choc, aux prises avec la vue de leurs voisins ensanglantés, agonisants au sol. Les protestataires anonymes avaient été identifiés, jugés et exécutés par la foudre divine. L'injonction silencieuse du silence qui s'imposa à tous était claire : ici règne le silence. La menace, tout aussi claire, n'avait pas besoin d'être explicitée quiconque briserait le silence se tairait à jamais. Le silence dura, et dura encore quelques minutes, le temps d'imprégner tous les esprits de sa signification profonde, de la résignation de tous. Jari était l'Empereur. C'était un fait.

Le silence perdura encore lorsque tous prirent congé de leur souverain, lorsqu'ils regagnèrent leurs quartiers ou leurs vaisseaux, baissant les yeux devant les fusils des militaires arrivés de nulle part. Ce silence avait le goût de celui qu'arborent ceux qui s'en vont annoncer une triste nouvelle à la famille d'un défunt.

Plus tard, dans l'appartement du Détenteur des Clés, Jari lui aussi était silencieux, mais ce silence était différent. Comme celui que l'on entend quand l'humble jouit de la victoire en son fort intérieur, ses traits illuminés par l'esquisse d'un sourire discret. Jari était satisfait de lui, de ce qu'il avait accompli. Il n'avait jamais aimé regarder dans un miroir. Jusqu'à aujourd'hui. Aujourd'hui, il y voyait de quoi être fier. Il était face à l'Empereur de l'Univers Connu.

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