Quand le décor tombe

16 minutes de lecture
  • La firme Edelweiss est suisse, annonce Visant le mardi suivant. Comme l’explique l’article de Gonval, elle est sur le point de déposer un médicament pour soigner une des grandes plaies de notre époque : la dépression nerveuse. Ils assurent qu’il n’y aurait pas d’accoutumance, cela réduirait donc une série de symptômes et de rechutes possibles. Cette molécule d’antiaccoutumance pourrait être appliquée à d’autres maladies et aussi utilisée pour différents cas d’assuétude.
  • Génial ! Mais quel est le rapport avec Guantanamo ?
  • Ils en sont au stade du test.
  • Et ?
  • Le test n’est pas pratiqué sur des animaux…
  • M'enfin, c’est dégueulasse ! s’indigne Yohann.
  • J’te crois ! Et devinez qui est le plus gros actionnaire.
  • Ne me dis pas que c’est Nardolé ? déduit Tanguy.
  • Hé, non ! Raté : Nardolé n’a qu’un quart des parts. C’est Joachim du Bois d’Hoche, joli papa !

Tanguy devient vert, il regarde son frère affolé :

  • Visant, comment sais-tu tout ça ?

Une revue de chimie avançait les progrès de cette molécule et Visant a postulé pour un emploi en allant à une séance d’information en même temps qu’une vingtaine d’autres candidats. Ils leur ont donné un petit prospectus avec toutes les infos nécessaires. Quant aux renseignements sur la manière dont ils testent leurs produits, il a poussé l’enquête jusqu’à la Ligue des Droits Humains. Sous le manteau, un de ses amis lui a dévoilé ces atrocités. Amnesty International travaille sur le dossier, une certaine Ella Dahin en est la spécialiste. Visant lui a envoyé un mail, mais elle ne lui a pas encore répondu.

  • Tout ça commence à prendre forme, s’exclame Saïd. Reste un gros morceau : le facteur ?
  • Le facteur… reprend Tanguy. Mister James, comme on l’appelle sur les Plateaux, demeure une énigme. J’ai comparé les deux clichés, celui de Mister James et celui du Hongrois sous l’apparence duquel il s’est présenté pour être engagé. Le pourcentage est excellent. D’autant plus que le Hongrois a comme particularité un léger boitillement, comme notre bonhomme. D’autre part, le « Dieter Fischer » de la photo vit dans un village autrichien près de la Slovénie. Il y tient un petit magasin d’alimentation générale, il n’a jamais envoyé de fleurs à l’enterrement de Gonval.
  • L’autre Fischer, le collègue allemand, n’existe pas. C’est donc possible que ce monsieur X -Fischer- soit une seule et même personne, mais dont nous ne connaissons pas l’identité et qui jouerait au postier dans ce village. Si c’est le cas, c’est sans doute un flic qui aurait accès au fichier PRIS et s’y est retiré. Ça lui donnerait carte blanche. Cela ne l’empêcherait pas non plus d’être un lieutenant de Bérangère. Bref, si ce n’est pas le boiteux, on est dans le gaz et je crains que ce ne soit pas lui, mon contact s’en méfie comme de la peste, il l’a entr’aperçu souvent sur la plage la nuit. Il y rôde perpétuellement aux alentours du jardin de Camille. Je ne serais pas étonné que ce soit lui qui se cache derrière le forum. Son pseudo étant une fleur suisse et vu ce qu’on sait sur Edelweiss, je m’en méfierais.
  • D’autant plus que je ne suis pas vraiment sûr qu’il boite, intervient Saïd, dans certains rushs, j’ai l’impression qu’il change de jambe. Ça plaiderait pour le flic. Et qu’as-tu à propos d’Olivia ?
  • Elle était dans l’élite militaire italienne, ex-championne du monde en escrime, ce qu’elle apprend aux enfants. J’ai dû la croiser quand j’ai donné une formation sur mon logiciel à cette unité spéciale en Italie, mais c’était il y a longtemps et ils étaient une bonne centaine devant moi. La seule question à se poser est de savoir pourquoi elle n’est que coach dans cette boîte alors qu’elle a un parcours sans égratignure. Surtout qu’on ne quitte pas les services secrets sur un coup de tête et que celle-ci a un étroit contact avec l’O.D.D. depuis environ trois ou quatre ans, date à laquelle elle a donné sa démission. Je ne sais pas grand-chose de plus sur elle, parce que tous les militaires ne sont répertoriés qu’en partie dans mon programme. On n’y apprend que leur grade, aucun passé, aucune famille. C’est secret d’État !
  • Quant aux deux pions, l’un s’appelle Renaud Colin, il est engagé au village comme coursier. L’autre se nomme Yves Peters et est chef électro. Bref, ni l’un ni l’autre n’a quelque chose à voir avec l’école ou le boulot d’Olivia. Donc, c’est vrai que tout ça est loin d’être clair ! 

Depuis le début de la réunion, Yohann est anxieuse. Elle se lève régulièrement, se sert de gâteaux qu’elle mange d’une manière un peu saccadée. Pour finir, Saïd lui met la main sur un genou, et lui propose d’expliquer aux deux frères ses recherches sur la famille Drasse.

Denis, le père, travaille pour Edelweiss. Il a un poste à grande responsabilité puisqu’il gère l’ensemble des laboratoires. Une dame est venue le trouver chez lui et lui a révélé la face cachée de l’entreprise. Cette personne lui a proposé d’allervoir à Guantanamo pour qu’il se rende compte par lui-même de la situation. Il en est revenu bouleversé. Denis est devenu taciturne, a donné sa démission, se considérait être un monstre. Son épouse, Geneviève, lui a suggéré de se confier à quelqu’un. Il a accepté et a envoyé une longue lettre à Amnesty International. Deux jours plus tard, il a reçu un coup de téléphone en pleine nuit, il lui fallait d’urgence se rendre au labo. Il n’est pas revenu. Sa femme, aidée de son beau-frère qui est flic, l’a retrouvé détenu comme terroriste parmi les prisonniers de Guantanamo. Geneviève a pris le premier avion pour Cuba avec ses deux enfants, ils sont l’une des nombreuses familles qui campent autour de la base. Yohann a essayé en vain de contacter son frère, Charles Drasse, en Suisse.

  • Le numéro de téléphone que j’avais n’est pas attribué et son adresse mail obsolète. Rien sur internet.
  • Je regarderai sur mon programme où il crèche actuellement, assure Tanguy en notant le nom. Comment as-tu appris tout ça ?
  • Dans une des lettres de Gonval, il parle de ce couple Drasse-Bahon. Je me suis demandé si ce Bahon était de la même famille que Serge. Réponse positive pêchée sur internet par un arrière-cousin qui s’amuse à faire l’arbre généalogique de la famille. Ainsi, je suis allée à Nantes, me lamenter devant la porte close, moi qui aimais tellement les croissants de cet endroit ! Une voisine, une certaine Chantal Bornaman, m’a tout expliqué : 
  • Les parents de Geneviève Drasse tenaient une grosse boulangerie-pâtisserie à Nantes. Geneviève a quitté sa famille à quatorze ans parce que ses deux frères l’avaient torturée et violée, avec un sadisme peu soutenable. Les garçons avaient pris soin de se masquer mais malgré tout, Geneviève les avait reconnus et dénoncés. Seule, sa maman l’avait crue, son père avait pris faiblement le parti de ses fils, puisqu’ils avaient un alibi en béton. Elle lui avait proposé de suivre sa copine, la fameuse Chantal Bornaman, en internat à Lausanne. Celle-ci s’y était inscrite pour d’autres raisons familiales.

" Quand on vend dix croissants, continue-t-elle, on peut très bien en vendre quinze, sans que cela ne se remarque trop. La maman tenait la comptabilité de la boulangerie et envoyait ainsi tout ce qu’elle amassait en noir à sa fille. Ceci avec ou sans le consentement de son mari, on ne le sait pas.

Le fils aîné, un certain Marcial, a quitté Nantes après une sombre affaire de meurtre dont il n’est sorti blanchi que faute de preuves et n’est revenu qu’au moment de la mort de son père. Il prit sa place et continua la boulangerie. Il s’aperçut assez rapidement du jeu de sa mère et lui demanda quelques comptes. Celle-ci refusa net de se justifier et la pauvre femme rejoignit son mari à peine six mois après lui. Assassinat ou non, aucun élément ne peut l’affirmer mais sa mort paraît quand même un peu louche : elle était dans la voiture avec son petit fils, les freins ont lâché dans une route sinueuse longeant la falaise. Le petit fils a eu le temps de sauter tandis que la pauvre vieille est restée prisonnière du véhicule qui s’est écrasé un peu plus loin. Se sentant sans doute menacée, la mère avait vidé tous les comptes en banque et envoyé l’argent à sa fille en petites coupures. Il ne restait plus un radis pour les garçons sauf le magasin, et encore, en indivision avec leur sœur. Les deux frères restants étaient fous de rage, bien entendu.

Marcial a été assassiné quelque temps après la mort de sa mère. La police a conclu à un règlement de compte, il était joueur et avait laissé un beau paquet de dettes en Russie.

Depuis, je me pose quand même quelques questions sur Serge : il reste le seul héritier du magasin. Il pourrait très bien avoir tué son frère, par jalousie parce que celui-ci le considérait comme son lieutenant. En plus, c’est Loïc, le petit fils rescapé de l’accident de sa grand-mère.  

  • Gonval avait quelques doutes sur Loïc, mais se portait garant du père, informe Tanguy. Les deux hommes s’entendaient comme les doigts de la main, toutes les informations passaient de l’un à l’autre. J’ai feuilleté dans mon fichier, rien ne laisse présager qu’il est vendu. Du reste, il ne nous aurait pas donné les lettres.
  • Justement à propos des lettres : pour moi, il les avait lues avant. Tout ce qui n’était ni facture ni pub avait été ouvert et recollé. Il m’a téléphoné hier soir, quand Saïd était au basket. Juste comme ça pour prendre des nouvelles. Il m’a demandé comment allaient mes filles, quel âge avaient-elles, l’école, la crèche. Il m’a ensuite mise en garde contre les abords d’école où rôdent des personnes peu recommandables... C’est trop pour que ce ne soit pas une mise en garde. Il m’a aussi demandé si j’avais bien tout retrouvé et si les factures n’étaient pas trop lourdes à honorer. Je lui ai tout de suite répliqué que je les avais toutes jetées sans même les ouvrir, le lendemain de leur réception. J’espère avoir été assez joviale pour qu’il m’imagine toujours aussi innocente qu’avant ! Tanguy, j’ai la trouille un max, il est vraiment trop bof blanc, ce Serge !

Tanguy hésite un instant en fixant tour à tour son frère et sa sœur, puis décide :

  • On va regarder sa fiche, je ne devrais pas, mais tant pis on n’est plus à ça près !

L’ensemble du clan se penche sur l’ordinateur : Du dossier médical à la manière dont Serge se déplace, tout est répertorié. Yohann est soufflée par tant de précisions, vaguement écœurée.

  • Pour tout le monde, on en sait autant ? demande-t-elle à son frère.
  • Oui ! De ta première dent à ta varicelle sans oublier tes sanctions scolaires ! On connaît tout ! Et pour t’achever le topo sur ce terrain-là, sache que ce dossier normalement top secret est sur la puce de ta carte d’identité. Sous un numéro de code sophistiqué que seul un programme déchiffre, le moindre flic qui t’arrête dans la rue a devant les yeux l’âge où tu as fait ton premier pas. Il s’en fout d’ailleurs, mais il sait aussi si tu es catho, pratiquant, ta couleur politique, tes attirances sexuelles, et si tu fais partie de l’O.D.D. ou si justement, tu les combats !
  • Ainsi, termine Saïd le nez sur l’écran, on peut y découvrir les numéros de comptes en banque. Et notre Serge en a un au Luxembourg, ouvert il y a six mois. À moi de jouer !

Saïd s’installe à côté de Tanguy avec son portable. Au bout de deux ou trois clics, il finit son analyse. Ce compte luxembourgeois est alimenté par deux sociétés anonymes, une française : 250 000 euros et une suisse : 200 000 francs suisses.

  • On peut voir la fiche de son frère ? propose Visant. Le Marcial ?
  • Possible, si elle n’a pas déjà été supprimée, s’exécute Tanguy en pianotant sur son clavier. Coup de chance, la voilà !
  • Il ressemble à Loïc ! constate Yohann en découvrant la photo.

Saïd note directement le numéro de compte et continue l’analyse sur son portable. Au bout de laquelle il s’exclame :

  • Pour un mort, Marcial est vachement dépensier. Il vient d’acheter un appartement à Panama et il a reçu une petite somme rondelette, il y a juste deux jours.

Yohann n’a pas quitté les yeux de l’écran. Elle regarde la photo de ce Marcial avec attention. Au bout d’un moment, elle suggère :

  • T’as encore les portraits-robots de Henry Valentin ? Je ne serais pas étonnée que ce soit lui.

Tanguy fixe sa sœur un instant puis le portable :

  • Punaise ! C’est sûr. Je ne peux pas accéder au logiciel d’ici. Je te donnerai la réponse demain.
  • Si c’est lui, c’est parfait, il quittera le village dans les prochains jours, en entraînant dans son sillage la redoutable Bérangère, le tondu, et peut-être même le facteur ! s’exclame Visant.
  • Sûrement pas, émet Tanguy, dubitatif. Loïc a passé deux ans chez lui avant de revenir à Douarnenez. À mon avis, il ne lui a pas appris uniquement à faire du pain… Dès que j’en aurai la certitude, je préviendrai aussi leur service de sécurité et mon contact. Le tout est de savoir sous quel personnage il se cache. Ce qui m’étonne c’est que Bérangère ne l’ait pas encore exécuté, elle doit avoir flairé un plus gros poisson et attend des instructions pour le gros, tandis qu’elle titille le petit. 

« Salut Tanguy,

Camille est véritablement au bout du rouleau. Elle ne va plus tenir le coup très longtemps. Hugues est rarement sobre et une fois les quelques verres absorbés, il est très violent. Il tient sa famille sous une persécution continue. Les enfants ne veulent pas rester avec leur père sans Camille et redoutent de la laisser seule avec lui. Camille cache quelque chose d’important vis-à-vis de lui.

L'autre jour à la compétition, mon fils a gagné un appaeril photo jetable. J’ai fait une photo de ta famille . On m’a volé l'appareil photo juste après. Ce ne peut être ni Hugues ni Camille, ils étaient partis depuis peu. Ce n’est pas Anna non plus, elle n’était pas là. Je ne vois pas qui d’autre au village, s’intéresserait à cette photo. Hugues exige que je le retrouve et que je lui remette la photo et le négatif. J’ai avoué à Camille qu’on me l’avait chipé. Elle est devenue verdâtre, elle n’ose pas l’avouer à Hugues, tellement elle l’appréhende. J’en suis malade, j’en ai parlé à Michel qui détient quelques ficelles.

D’autre part, une figurante plus âgée paraît être au courant de l’affaire. Elle s’appelle Paulette, c’est la couturière, tu l’auras sans doute reconnue dans les rushs ? Si tu pouvais m’en dévoiler un peu plus sur elle… Nous nous sommes retrouvées toutes les deux à masser les pieds de Camille, hier soir sur la plage. Elle a traité Hugues de « pitbull », et m’a sorti une phrase qui en dit long sur leur histoire. J’attends de tes nouvelles ».

Guillaume Champin déboule dans le bureau de Tanguy, et s’assied en face de lui. Il a le courriel en main. Guillaume est le seul à être au courant de l’affaire. Ingénieur du son, il a suivi ses études avec Tanguy. Ils sont entrés dans la police ensemble, et l’aîné Squiban a une confiance aveugle en lui. Guillaume est quelqu’un d’extrêmement réservé, utilisant cinq mots, là où la plupart en lâchent quinze. C’est lui qui reçoit les mails de Sabine, Tanguy se sachant surveillé. Tanguy lit le courrier.

  • T’aurais pu prendre un contact un peu moins amateur, Tanguy, maugrée Guillaume. Faire une photo d’eux comme ça, c’est vraiment pas malin ! Puis parler à son mari « qui détient quelques ficelles » encore plus scabreux. Change de balance.
  • Impossible, je n’ai pas vraiment le choix ! Je ne connais pas grand monde là-bas ! Quand j’y suis allé, c’est elle qui m’a reconnu ; elle était sacristine à la paroisse. Elle s’est fait renvoyer parce qu’elle prenait la pilule, c’est le pharmacien qui l’a dénoncée. Je ne lui ai rien raconté de l’affaire, juste demandé une petite surveillance discrète contre quelques euros. Elle a six gamins et s’en sort difficilement. Le plus ennuyeux, c’est cette Paulette ; je crains que ce soit la podologue de Martine. Si c’est le cas, on est dans le caca, je suis tombé dans un piège…
  • Et dans ce cas, c’est peut-être elle, la voleuse ! Te voilà avec une seconde Bérangère et celle-ci, tu ne pourras pas la museler ! 

L’écran de l’ordinateur de Tanguy envoie le résultat de ses recherches sur le fichier FIP.

  • On est bien dans la merdouille, déclare-t-il. Le frère de Serge est sur place, sous le nom de Henry Valentin. Ma main au feu qu’il n’est pas là pour rien.
  • Je croyais qu’il était mort.
  • Il s’est fait disparaître. Je n’ai pas encore eu le commissaire chargé de l’enquête. On en saura sûrement plus d’ici cet après-midi.
  • Dépêche la police locale, conseille Guillaume. Ils seront tout contents d’arrêter un tueur à gages !
  • Il y a sept cent cinquante personnes dans cette société, c’est trop pour pouvoir le localiser rapidement avant qu’il ne s’en doute. Il est horriblement redoutable, ce mec ! J’ai vérifié dans les fichiers, on n’arrive pas à le surprendre. Bérangère est une amatrice à côté de lui.
  • Et le service de sécurité ? Ils doivent connaître les habitants un peu mieux.
  • Ils n’ont pas un système de protection très performant. D’après ce que j’en sais, il n’y a qu’une dizaine de gardes qui patrouillent de temps en temps aux périmètres du domaine quand une star débarque. On leur faxera le dossier judiciaire. C’est mauvais, mauvais tout ça ! Guillaume, retourne à ton bureau, somme-t-il. Trouve-moi un billet d’avion pour Agadir, le plus tôt possible, et réserve-moi une voiture. Applique ensuite le rat sur ton ordinateur.

Guillaume fait directement demi-tour et s’apprête à sortir quand Tanguy ajoute précipitamment :

  • Je mettrai deux lettres sur le haut de mon armoire : l’une sera l’explication des mesures de sécurité à prendre, l’autre une lettre pour Camille. S’il m’arrivait quelque chose, tu pourrais t’en occuper ?
  • Bien sûr.
  • Faxe le rapport de Nantes à ce numéro, ajoute-t-il en le griffonnant sur un post-it. Je t’enverrai un texto d’Agadir. Si tu ne reçois rien, applique les mesures de sécurité.

Guillaume observe son ami qui hésite à poursuivre.

  • Autre chose ?
  • Protège ma famille, lâche l’aîné sur un ton un peu suppliant. Je te laisserai un dossier au même endroit.
  • T’inquiète pas, promet Guillaume à mi-voix.

Guillaume revient vingt minutes plus tard, le billet en main. Il a eu un mal fou à trouver une place parce que c’est la Fête du Mouton, il tend le papier et murmure entre ses dents :

  • Prends garde à toi.

Tanguy est nerveux, inquiet. Plus il y pense, plus il est persuadé du danger imminent. Il quitte la PJ sur les dents, contrarié par ce rapport qui n’arrive pas.

Tanguy est en train d’ouvrir sa porte quand Guillaume lui téléphone. Le rapport est arrivé et il lui en résume le contenu. Tanguy l’écoute tout en avançant vers son bureau, Marcial était mutilé au point qu’ils avaient eu du mal à l’identifier. Son frère l’a reconnu à un tatouage sur l’épaule. On n’a jamais retrouvé les assassins. Règlement de compte sans doute, l’homme avait beaucoup de dettes de jeu à Moscou. On l’a découvert deux mois après sa mort, dans une carrière près de Nantes. La date de son décès a été estimée aux alentours du 24 février. L’affaire a été rangée sans suite.

Le 24 février… Une semaine avant la disparition de sa famille. Trois jours avant leur départ…

Purée ! réalise soudain Tanguy, la main sur la poignée de la porte de son bureau.

Il refait le tour du dernier repas familial, si tranquille. Autant Maman était nerveuse, les yeux gonflés, autant Hugues était serein, faut dire qu’il était arrangé avec sa grippe… Sa grippe : de belles lunettes noires et une écharpe jusqu’au nez, deux minutes à tout casser, avec eux…

La phrase de la lettre de Camille lui revient :« Ils finiront par nous tuer tous, puisqu’ils ont déjà commencé... ».

  • Ils ont tué Hugues, ce Marcial a pris sa place ! J’espère que je n’arriverai pas trop tard ! Faxe le tout.

Gardant le téléphone contre son oreille, il observe son bureau depuis la porte où il se tient. Tous les rushs classés dans son armoire ont été encaissés soigneusement et reposent à terre, le long du mur. Dans le reflet de la vitrine derrière lui, il aperçoit Serge dans son dos. Je suis mort, réalise-t-il. Et je viens de tuer Camille et les enfants en donnant tout haut cet ordre à Guillaume. Sans se laisser démonter, il reprend sa communication par :

  • Jacques ? T’es toujours là ? Stoppe tout, on vient de me cambrioler, je téléphone à Jonas !

Serge hésite, il patiente le temps du coup de téléphone suivant. Tanguy compose le numéro de Pierre Dupuis, ce fameux curé de campagne qui avait organisé « son procès » dans la crêperie. Il avait reçu quelques semaines plus tard une lettre d’excuses qui assurait également son soutien dans la protection des chatons. Tanguy avait ricané, le curé avait dû se faire taper sur les doigts par Jonas. Il avait snobé l’aide, sans donner suite ni à la missive ni aux résultats qu’il obtenait avec sa fratrie. Mais ici, Pierre est peut-être l’unique planche de salut pour protéger Camille et les petits. Grâce à un jeu de cartes de téléphone incalculable, personne ne saura à qui il téléphone.

  • Bonjour, c’est Tanguy, s’annonce le jeune homme, dès que la communication est établie.
  • Bonjour Tanguy, répond Pierre au bout d’un moment.
  • Vous êtes seul ?
  • Oui, parlez sans crainte.
  • Un certain Marcial Bahon a tué Hugues pour en prendre sa place. C’est un tueur à gages très dangereux, je ne sais pas quoi faire. Je n’ai aucun contact ni ici ni ailleurs, pouvez-vous m’aider ? 
  • Le RCC les protégera, vous pouvez leur faire confiance. Il y a un membre aux Plateaux qui veille sur eux depuis leur arrivée.
  • Ah bon ? souffle Tanguy abasourdi. Merci.
  • Tanguy, bredouille Pierre, si vous saviez comme je m’en veux pour la crêperie, c’est Serge qui a tout manigancé.
  • J’m’en doute, murmure Tanguy. Il est partout !

Tanguy sent le canon de l’arme dans sa nuque, Serge lui prend le portable des mains et continue la conversation :

  • Bonjour Jonas ! Je vais tuer ce petit fouineur devant tes yeux, enfin façon de parler. Soit tu te démasqueras et je ne donnerai pas cher de ta vie, soit tu laisseras ce crime impuni ! À toi de choisir !

Serge oblige Tanguy à s’asseoir derrière sa table de travail. Une lettre annonçant son suicide est devant lui, il le somme de la lire tout haut. Puis calmement, le boulanger braque son revolver sur la tempe droite de Tanguy et susurre :

  • Dommage, Tanguy. Mon frérot n’aime plus du tout jouer à papa et maman avec ta mère !
  • Crapules ! grince Tanguy.

Tanguy place sa main gauche sur son cœur.

Serge tire froidement.

Annotations

Vous aimez lire Yaël Hove ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0