À l'école de la confiance

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Camille n’a pas vraiment dormi. Son bras lance une douleur aigüe, chaque fois qu’elle bouge d’un centimètre. Elle est soulagée de voir le soleil se lever parce qu’elle retrouvera ses enfants et non pas parce que met un terme à une vie aux aguets. Cela elle n'y croit pas vraiment. Elle espère que Grégoire et Olivia pourront l'aider à trouver une autre cachette. Peut-être sur les plateaux du nord du Canada; elle sait qu'il y a un village similaire à celui-ci pour les scènes d'hiver et de films fantastiques.

Elle regarde par la fenêtre, laisse ses pensées vagabonder dans le paysage qui se dessine devant elle. Hier, à bout de force, elle s’est confiée à ces frère et sœur, sans pour autant en avoir une confiance absolue. Mais qu’est-ce la confiance ? Ce n’est qu’un sentiment, pour finir, et les sentiments ne sont-ils pas qu’une illusion ?  Mon Dieu qu’elle se sent amère ! Elle se souvient d’une conversation avec une amie qui lui avait déclaré qu’elle aimerait avoir autant de confiance qu'elle en la vie après tout ce que Camille avait vécu. C’était juste six mois avant l’accident de Simiane.Camille n’avait alors rien vécu d’extraordinaire. Certes, elle avait eu une enfance un peu moins facile qu'un autre enfant. Elle avait été abandonnée à l’âge de six ans par son grand-père dans une cour de récré, puis elle était passée, comme beaucoup d’enfants délaissés, par quelques foyers, pour atterrir à dix-huit ans chez un veuf dont elle tomberait follement amoureuse. Elle avaient encore en bouche, ces quatre années de bonheur avec Alan. Comme elle goûterait bien encore de ces années d’insouciance auprès d’Hugues. Certes, à l’époque, on pouvait dire qu’elle n’avait pas été épargnée mais il n’y avait pas de quoi se plaindre. « confiance en la vie »... C’était facile à l’époque.

Confiance...

Elle regarderait bien la définition du mot confiance, dans le dictionnaire qui trône sur la petite étagère au-dessus du bureau. Elle tente de se lever, mais elle est électrisé par le lancement de son poignet. Elle observe son bras, il est légèrement gonflé. Si elle ne le bouge pas, elle pourrait taire cette cassure pour qu’on ne puisse pas s’en servir, comme Marcial se disposait à faire.

  • La confiance, Camille ! se gronde-t-elle, silencieusement. Pourquoi tu ne fais pas confance à Grégoire et Olivia ?
  • Parce que la confiance n’est qu’une illusion ! se réplique-t-elle tout aussi vite dans son dialogue interne.

Grégoire frappe à la porte, Camille tire le drap sur la main avant de l’inviter à entrer. Il entre doucement, en faisant bien attention de ne pas renverser un plateau petit déjeuner qu’il dépose sur le lit. Il demande en désignant les deux tasses :

  • Café ou thé ?
  • Thé, merci.
  • Choco, miel ou confiture ?
  • Choco.

Tout en tartinant un toast, Grégoire lui révèle ce qu’il a trouvé cette nuit sur Marcial.

  • Très peu recommandable, ton protecteur. Joueur, il paie ses dettes en tuant. Il a une spécialité, la mort par procuration. On ne peut lui mettre aucun crime sur le dos, pourtant il est toujours très proche des victimes et il assiste à leur accident.
  • Comme un enfant qui tombe d’un avion… murmure Camille.
  • Exactement, ou une petite fille sur un écran de cinéma ! et puisque tout ça n’a pas marché, juste un quad au bout de la plage pour un carnage sans nom. Je préfère ne pas imaginer ce qu’il te réservait. S'il te plaît, ajoute-t-il en tendant le pain grillé.
  • Merci, chuchote-t-elle.

Camille dévisage Grégoire d’un œil sévère, en gardant la tartine en main. Elle hésite sur les mots à employer pour que son message soit le plus clair possible :

  • Grégoire, j’ai réfléchi cette nuit. Hier en te racontant notre histoire, je te jure que je n’ai jamais exagéré les faits. J’ai sans doute omis quelques détails, tant ces dix-huit mois ont été sordides, mais tu as bien capté que ceux qui nous recherchent sont redoutables, n’est-ce pas ?
  • Oui, bien sûr ! Je ne doute pas d’une seule de tes paroles, je te le promets. 
  • En aucun cas, je ne veux avoir ta mort ou celle d’Olivia sur la conscience. Vous m’avez déjà sorti d’un beau bourbier et je vous en remercie. Si vous pouvez seulement nous aider à quitter le navire sur la pointe des pieds, ce serait génial. Et si par hasard, vous pouviez nous intégrer dans le village du Canada, ce sera encore mieux.
  • Il y a de sérieux bémols à ton plan : les hommes qui se baladaient dans ta maison se sont bel et bien évaporés dans la nature et je doute qu’ils te laissent en paix. En plus, tu es morte et tu ne pourras pas prendre un avion comme ça. La nuit a été longue pour la police qui te recherche afin d’en savoir plus sur ce Marcial Bahon qui meurt deux fois et sur toi qui abrites un tueur à gages. Tu n’es pas dans les fichiers des personnes disparues, recherchées et même à l’état civil français. Cela les intrigue. Tout ça, n’est qu’un début ! énumère Grégoire.

Il s’arrête un instant, la fixe exactement comme elle l’avait fait deux minutes plus tôt :

  • Camille, nous avons tous les deux très bien compris où nous mettions les pieds. En te proposant notre aide, nous ne nous sommes pas engagés à la légère. C’est d’accord ?
  • C’est pas un jeu ! insiste Camille.
  • Je n’ai jamais dit que ce serait une partie de plaisir ! rétorque Grégoire. Passons aux choses sérieuses : Simone… Simiane t’a-t-elle confié qui étaient les assassins du Cardinal ?
  • Elle n’a jamais parlé. C’est Nathan qui a joué l’intermédiaire et encore, il y a eu Gonval comme lien entre lui et nous, mais il n’a rien révélé à ce sujet. Sans doute ne les connaissait-elle pas. De temps en temps, Simiane réagit trop fort lors de petites scènes qui lui rappellent sûrement l’assassinat. Il est primordial qu’elle puisse s’en détacher, mais elle est aussi muette qu’une carpe.
  • Peut-être pourras-tu nous guider en nous racontant ces étincelles qui l’ont sortie de sa réserve, suggère-t-il en consultant sa montre. On verra ça plus tard, on doit récupérer les enfants, Michel doit déjà être parti et Renaud a fini son service depuis peu.
  • Renaud ?
  • L’homme qui les surveillait chez les Lavandiers. Habille-toi, tu vas suivre l’opération, je t’emmène au cinéma !

Grégoire fixe la robe que Camille a gardée sur elle. Il grimace en émettant :

  • Tu gardes toujours tes vêtements pour dormir ?

Il en est passablement dépité, pourtant il ne le devrait pas. Ce n’est qu’un vieux réflexe. Hier soir, elle a dévoilé l’enfer qu’elle vit depuis plusieurs mois. Il discerne la terreur qu’ils ont dû éprouver une fois la maison encerclée par les phares d’une dizaine de 4X4. Il perçoit la hantise qu’elle a dû ressentir lorsqu’à vélo, elle se faisait escorter par deux motos qui tournaient autour d’elle. Et, en particulier, il en a été malade quand il a découvert qu’à chaque pas en ville, elle était encadrée grossièrement par deux hommes. Il se morfond de lui avoir imposé, pendant la compétition d’escrime, deux de ses agents sans lui en demander la permission. Il reste décidément dans la gamme des pachydermes.

Alors, la chemise de nuit restée sagement pliée sur le tabouret, c’est normal. Elle prévoit la fuite. Il relève les yeux sur Camille qui le regarde, vaguement gênée. Il pointe un doigt vers elle et conclut d’une voix qui se veut rassurante, mais qui passe difficilement le cap de sa pomme d’Adam :

  • Je vais te donner une paire de baskets, tu courras plus vite !

Grégoire conduit Camille à travers le quartier de production. Ils se taisent tous les deux. Grégoire cherche comment l’arracher à cette tour d’ivoire. Il pense à Paulette qui lui avait suggéré de se « déboutonner ». C’est ça : pour lui donner confiance, il doit quitter résolument tout ce qui fait son plastron. Il doit rester en maillot. Son vieux short-maillot dans lequel il l’a amadoué sur la plage. Voilà sa consigne : ne rien lui cacher, se laisser dévoiler. Ce ne sera pas facile, mais c’est le prix à payer.

Camille voudrait bien poser les armes, mais elle ne sait pas où les ranger.

  • La confiance, toujours ce même truc ! Un petit effort, Camille ! tu as tablé sur cet homme et sa sœur, tu devraisjouer le jeu jusqu’au bout ! s’admoneste-elle, mentalement.

Encore et toujours cette suspicion... Elle est folle, parano. Elle s’en rend compte, mais c’est comme ça. Elle se doute qu’elle a largement vexé Grégoire quand il a constaté le coup de la chemise de nuit, même s’il n’en connaît pas la vraie raison, celle de son poignet qu’elle maintient discrètement avec son autre bras.

De peur de le froisser inutilement, Camille n’ose pas rire de la maigre tentative de Grégoire à lui donner confiance en lui filant des baskets. Elle y flotte au point de produire à chaque pas le claquement d’un sabot de cheval. Si c’est avec ça qu’elle doit s’enfuir, ils auraient tôt fait de la rattraper. Grégoire regarde les chaussures avec un petit sourire. Il vient de penser à la même chose.

  • Tu chausses du combien ?
  • 36. Pour la chemise de nuit, bredouille-t-elle, c’est parce que…
  • Chut ! Ne te défends pas, s'il te plaît, lui impose-t-il en lui posant une main dans le creux du dos. C’est à moi à m’excuser. Je te trouverai du 36 !

Ils entrent dans une salle de contrôle où une quinzaine d’écrans dérobent la vie des rues du village.

  • Celui qui nous intéresse, c’est celui-là, annonce Grégoire en montrant un moniteur. Le film s’appelle « Remake de la petite maison dans la prairie ». Assieds-toi. Voilà déjà Olivia, ajoute-t-il en désignant le poste.

Olivia conduit une carriole, déguisée en dame de l’époque. Elle en sort à la hauteur de la maison de Sabine ; elle se promène devant le la caméra en jouant distraitement avec une ombrelle.

  • C’est une discrète façon de te saluer, lui signale Grégoire avec amusement.

Elle frappe chez Sabine. C’est un enfant qui lui ouvre, on ne le voit pas, mais Olivia se penche pour lui parler. Ensuite, Sabine apparaît sur le pas de sa porte et indique la rue du doigt. Olivia entre précipitamment dans l’habitat. Le talkie-walkie de Grégoire sonne.

  • Que se passe-t-il ? demande-t-il tendu. Vers où ?

Camille se lève, regarde immédiatement parmi les écrans ; elle découvre Simiane donnant la main à un homme dont la tête est rasée ; de l’autre côté, Nathan avance au même rythme. L’homme marche à grands pas en leur parlant calmement. Simiane lui répond en sautillant à ses côtés. Debout face aux moniteurs, Camille désigne à Grégoire celui où ils déambulent.

  • Ils sont dans la rue espagnole, c’est le tondu qui les tient ! continue Grégoire dans l’émetteur. Où en sont les chevaux ? OK, tant pis pour la carriole ! On envoie les Indiens. 

Grégoire attrape un micro et somme les villageois de ne plus bouger le temps du passage de la cavalcade, puis, les yeux accrochés au visu ; il déclare à Camille en tapotant nerveusement son épaule :

  • L’action sera un peu plus sauvage, ça ressemblera plutôt à un western.

Les enfants s’arrêtent alors que l’homme aimerait les forcer à courir. Nathan se retourne un instant puis agrippé par le bras, commence est emporté par le tondu. Le facteur les rejoint, empoigne le bras de Simiane. Le tondu furieux lâche sa prise, il leur jette un ordre alors qu’il s’apprête à se battre contre le facteur. Celui-ci leur lance une autre injonction en regardant derrière lui. Tétanisés, Nathan et Simiane les fixent tour à tour sans remuer le moindre orteil. Ils sont distraits par trois Indiens à cheval hurlant des cris de guerre qui déboulent du bout de la rue. Les enfants ont un mouvement de recul quand les Indiens arrivent à leur hauteur. Ceux-ci en profitent pour les encercler rapidement, ils les happent et disparaissent comme ils étaient venus, Nathan et Simiane à califourchon sur leur monture.

  • Gagné ! souffle Grégoire, quelques gouttes de sueur au front.

Assise sur le bord de la chaise, Camille est pâle comme un linge. Elle tremble de tous ses membres. Elle lui souffle :

  • J’ai toujours trouvé les westerns assommants, mais là, je suis anéantie !
  • Heureusement qu’on est à cette époque. Imagine qu’on soit au temps de la préhistoire ! plaisante-t-il en pressant doucement l’épaule.

Camille sourit faiblement.

  • Viens, l’entraîne-t-il, allons à leur rencontre.

Simiane et Nathan arrivent une pointe d’angoisse se lisant sur leur front. Dès qu’ils aperçoivent leur mère, leur minois se détend, ils se permettent de sourire. Deux minutes plus tard, ils se jettent dans les bras de leur mère. Nathan lève les yeux vers celle-ci et dit :

  • Quand je dirai aux copains que j’ai été kidnappé par des Indiens, ils en seront complètement jaloux !

Soulagée de les retrouver, Camille rit doucement de la réplique de son fils, même si elle pense qu’il n’aura jamais l’occasion de s’en vanter. La vie aux Plateaux, c’est fini ! Nathan s’en doute, d’ailleurs, cette petite phrase anodine a été lancée essentiellement pour brouiller les pistes, vis-à-vis des personnes présentes.

Ils montent tous les cinq dans le petit bus de Michel qui ne desserre pas les dents. Le chauffeur est furieux. Le village étant piétonnier, il était allé jusqu’au minibus à pied tandis qu’Olivia devait récupérer les enfants, dix minutes plus tard. Juste dix minutes durant lesquelles Sabine s’est laissée berner par le premier venu. Il en est fou de rage et gêné vis-à-vis de son chef. Comme convenu, il les conduit à quelques kilomètres de là, dans une crique où une voiture les attend. Il les y dépose en coup de vent et continue sa route vers la ville la plus proche. Olivia et Grégoire avisent la suite de l’opération une fois que Michel a totalement disparu. Où cacheront-ils leurs fugitifs ? Eux-mêmes ne le savent pas encore. Le problème est épineux. À court terme, il faut une solution non loin des Plateaux. Olivia et Grégoire réfléchissent aux possibilités qu’offre le domaine sans trouver un endroit judicieux : les logements sont tous occupés par cette super production, il n’y a aucun appartement de libre. Ils pourraient les placer dans la villa de Bruno, mais ils hésitent à lui confier l’affaire.

  • Pourquoi tergiverser ? intervient Camille. C’est plus grand chez lequel de vous deux ?
  • Chez moi, nettement ! répond Grégoire. C’est un duplex trois chambres.
  • Bon ! Hé bien, on ira tous les trois chez toi ! décrète-t-elle.
  • Mais Camille, tu te rends compte de ce que tu proposes ?
  • Bien sûr... Écoute Grégoire, continue-t-elle, hier, au poker, j’ai sorti ma carte confiance, je n’en avais qu’une ! Et encore, t’as constaté, y’a pas une heure, que cette carte est vachement faiblarde. Je me trompe ? Je n’irai pas chez une tierce personne. Je suis désolée, mais on s’incruste, sauf s’il y a un souci réel ! En plus, bien malin qui imaginera que je me suis réfugiée chez l’homme pour qui l’inimitié est connue de tous !
  • Mais je ne suis qu’un vieux célibataire… essaie-t-il.
  • Et ? Tes chaussettes traînent à terre ? réplique-t-elle moqueuse. Rassure-toi, je ne les ramasserai pas, je resterai à ma place !

Un des tout grands principes de Grégoire est de ne jamais laisser la moindre femme entrer dans son sanctuaire. À part sa sœur, bien entendu. Effrayé, Grégoire regarde Camille et cherche désespérément les arguments pour la dissuader.

Camille a gardé Grégoire en point de mire. Elle observe sa mimique, ses sourcils sautillant sur son front démontrent le grand désarroi de l’homme. C’est plutôt bon signe.

Olivia s’amuse à voir son frère patiner de la sorte. Grégoire fixe tour à tour les deux femmes, il s’arrête sur le regard franc de Camille. Elle le scrute, observe sa réaction. La boulangère penche imperceptiblement la tête, entre dans la sienne et ramollit la croûte du vieux célibataire qui s’est formée au-dessus de sa pâte à lui. Elle le malaxe, le pétrit doucement, l’oblige sans un mot à se désencroûter. Elle lui enlève son plastron. Il soupire longuement, interroge Olivia des yeux. Sourire aux lèvres, elle acquiesce d’un haussement d’épaules.

  • OK ! capitule-t-il, montez dans la voiture, on y va.

En route, il toise légèrement Camille et, piqué, il déclare :

  • Je te signale au passage que mes chaussettes ne traînent jamais à terre !
  • Tu m’étonnes ! répond Camille avec un premier sourire depuis longtemps.

Un brin contrarié par cette réponse qui pourrait être prise au pied de la lettre, Grégoire la dévisage un instant. Il croise le regard malicieux de Camille et s’y laisse fondre délicieusement. « seulement rester en maillot, ce ne sera pas si difficile ».



*




Nathan et Simiane explorent la maison en courant partout sous l’œil affolé de leur hôte. Le pauvre homme n’a jamais vu un enfant de près, il les regarde comme si on avait lâché une horde de chiens sauvages dans un magasin de porcelaine. Et c’est son magasin ! Les petits découvrent la piscine avec joie, car même si cette retraite est une prison, autant qu’elle soit dorée !

Au bout d’un premier bain, Nathan entame la séance des questions « pourquoi - comment ». Les trois ont les pieds dans l’eau. Assise entre les deux enfants, à l’angle de deux bords de la piscine, Camille explique la situation de manière sereine et précise. Grégoire est scié de la façon dont elle leur parle. Elle ne leur cache rien, ni l’identité de Marcial, ni la trahison de Serge, ni les personnes au village qui comptent les éliminer. Il n’y a qu’une chose qu’elle tait résolument, ce sont ses doutes vis-à-vis de Tanguy. Il ne s’imaginait pas que parler aux enfants pouvait être si simple. Il croyait devoir omettre des éléments, utiliser un vocabulaire spécifique et, oserait-il se l’avouer, il en avait franchement peur.

Les deux petits acceptent les explications sans sourciller ; ils ne s’étonnent de rien, même pas de la véritable identité d’Henry Valentin. Sans doute en savent-ils davantage et ne font-ils que constater la progression dans le tunnel au fond duquel ils sont coincés. Camille a raison, il faudrait qu’ils se livrent. Autant pour eux que pour l’enquête. Ils seront sûrement aussi difficiles à convaincre que leur mère.

Simiane demande à brûle-pourpoint :

  • Et Grégoire ?
  • C’est le chef de la sécurité. C’est grâce à lui et à Olivia, si nous sommes encore vivants.
  • Et les poissons ? s’inquiète Nathan.
  • Je pense qu’ils tournent bien gentiment dans leur bocal, répond Camille en jetant au-dessus de ses enfants un œil sur Grégoire qui fronce les sourcils.

Il se demande en quoi les poissons ont une telle importance aux yeux de Nathan. D’autant plus qu’il ne se souvient pas avoir vu des poissons rouges chez eux, sans doute dans la chambre du garçon, en déduit-il. Il s’apprête à répondre qu’il ira les chercher, mais Camille reprend avant qu’il n’ouvre la bouche :

  • Nathan, tout ce que je sais, c’est qu’on ne s’en sortira pas seul. En intervenant pour moi, et en vous kidnappant de la sorte, lui et Olivia ont pris un risque énorme : ils se sont mis en danger pour nous. Tu te rends bien compte que votre kidnapping est loin d’être passé inaperçu.
  • Sauf si tout ça n’est encore qu’une autre mise en scène, souligne le gamin.

Grégoire est soufflé par cette remarque. Comment un enfant pouvait-il être à ce point méfiant ? Il commence à entrevoir les dégâts d’une vie aux abois. Camille n’était pas seule dans sa tour de garde. Chacun y a son rôle : Nathan est le chevalier, Camille le guetteur, Simiane au sommet, entre les créneaux, tient l’étendard contre vents et marée. Du haut du donjon, elle semble garder une vision différente de la situation, plus confiante, sûre que Nathan sera toujours prêt à bondir. Elle se maintient résolument dans l’insouciance, balançant doucement le drapeau, comme elle joue actuellement avec ses pieds dans l’eau. S’il avait soupçonné la hauteur de leur rempart, Grégoire en perçoit maintenant l’épaisseur rendant l’espace trop étriqué pour respirer. Il se tait, même si l’accusation lui est adressée. Il laisse Camille réagir.

  • Exactement. J’y ai pensé aussi. Alors de deux choses l’une, soit ils connaissaient déjà tout et je ne leur racontais que notre point de vue ; dans ce cas, on serait morts actuellement. Soit, ils sont en dehors de tout ça et autant qu’ils sachent pourquoi désormais leur vie est en danger. Je leur ai tout expliqué, à lui et à sa sœur, Olivia.
  • C’est ta sœur ? s’exclame Simiane en se retournant vers Grégoire avec un large sourire.
  • Oui, c’est même ma jumelle ! répond Grégoire en s’asseyant à côté d’eux. Votre maman a eu raison de se fier à nous. Nous vous protégerons, je vous le jure ! Nous trouverons un moyen pour que cette histoire puisse se clore définitivement.

Simiane et Nathan le dévisagent d’un air désolé, un peu fataliste et désabusé.

  • T’arriveras pas, réplique Nathan.
  • Et pourquoi pas ? rétorque Olivia en arrivant avec des crèmes glacées. J’en ai marre que vous nous preniez pour des mauviettes, ajoute-t-elle faussement froissée ; ce qui fait sourire Simiane.
  • Ils sont trop forts ! argumente Nathan. Il faudrait une armée entière pour en venir à bout.

Olivia prend le temps de distribuer les glaces. D’un geste, elle ordonne à Grégoire de s’écarter un peu pour qu’elle puisse s’asseoir à côté du garçon. Elle plonge ses pieds dans l’eau ; puis elle plante consciencieusement ses yeux dans ceux de l’enfant.

  • Nathan et Simiane, il est temps que je vous confie un secret, je sais que vous ne le répéterez pas. Tu comprendras pourquoi Grégoire et moi pouvons vous sortir de là. Vous nous promettez le silence, hein ?

Les deux petits hochent la tête gravement.

  • Nous sommes tous les deux de grands spécialistes dans l’armée italienne. Nous sommes formés à libérer des otages. Même si nous avons quitté les services secrets, on vient encore nous chercher de temps en temps. Bref, sans se vanter, on est les meilleurs ! rassure-t-elle. Et pour débarrasser trois personnes de l’emprise de l’O.D.D., une simple compagnie est bien trop bruyante ! Il vaut mieux être deux. On y parviendra, je te le jure.
  • Vous êtes deux Mister X ?
  • Ouaip, répond la coach avec un sourire complice.

Grégoire ne voit vraiment pas ce que pourrait être un Mister X.  Il regarde sa sœur, interrogateur, sans rien ajouter. Olivia ne s’en soucie pas ; elle continue sur sa lancée :

  • Si Camille nous a révélé l’ensemble de votre histoire, il est essentiel que vous nous la racontiez vous-mêmes, cela nous permettrait d’avoir des précisions que votre mère ignore. Que ce soit en Bretagne, dans l’avion, ou au village, tous les détails ont une énorme importance !

Nathan réfléchit et fixe Simiane, Camille perçoit la boule de leur château enneigé se refermer autour d’eux. Ils se cristallisent un moment. Les trois adultes se taisent sereinement. Très pâle, Simiane refuse de la tête, apeurée :

  • Il y a encore Serge, articule-t-elle d’une toute petite voix, seulement pour son frère.

Olivia et Grégoire observent la fillette qui s’est barricadée au sommet de sa tour, cachée derrière un créneau, le drapeau en boule entre les genoux. 

  • Ce n’est pas grave, réplique doucement Olivia. Ça ne change rien sur la confiance que j’ai en vous.

Tous mangent la glace en silence.

  • Vous êtes de véritables espions ? ose enfin Nathan, ébahi.
  • À peu de choses près. Les Bahon ne nous font pas peur : Serge, Marcial et Loïc ne sont que de minuscules tueurs, rétorque-t-elle désinvolte, un peu méprisante. Je vous promets que d’ici peu, Serge sera sous les verrous.

Émerveillé, Nathan les regarde tour à tour bouche ouverte.

  • Des vrais espions ? insiste-t-il. Comme James Bond ?
  • Mmm, acquiescent les deux protecteurs, la mine assez fière.
  • Je peux devenir votre adjoint ? demande-t-il timidement.

Olivia se tourne vers son frère. Ils conversent deux secondes en silence puis Grégoire lui répond très sérieusement :

  • Tu te débrouilles déjà pas mal ! Manifestement, on t’a forcé à un rude apprentissage ! On est assez d’accord pour te prendre comme élève, mais…
  • Moi aussi, interrompt Simiane, suppliante.
  • Ben justement, c’est ce que j’allais expliquer : c’est plus facile de travailler en binôme. Qu’en penses-tu, Olivia ?
  • O.K., premier exercice : terminer cette affaire ensemble.
  • Et pour la finir, on doit tout vous dire ?
  • On gagnerait du temps mais si vous avez peur, on attendra.

Re-boule fermée autour du château enneigé. Les deux petits se concertent de nouveau, les adultes patientent tranquillement. Camille apprécie la manière dont cela se déroule. Elle aime le respect qu’ont instauré Olivia et Grégoire face aux mystères des enfants. À Douarnenez, quand les policiers avaient interrogé Simiane, ils n’avaient pas réussi à la sortir de sa terreur par manque de psychologie élémentaire. Simiane s’était retranchée encore plus loin dans son tunnel, sans pouvoir apercevoir la moindre lumière. Ici, les cartes ont été distribuées autrement. Simiane et Nathan se sentent déjà en sécurité et s’ils ne dévoilent rien aujourd’hui, ils arriveront un jour à larguer leur histoire.

  • Plus tard, soufflent-ils d’une seule voix.

Grégoire se lève calmement et revient quelques minutes après, avec un plateau une cruche d’eau fraîche, du jus de fruit et des verres. Il sert tout le monde, laisse passer un temps et regarde Olivia qui acquiesce de la tête. Il s’est accroupi devant la piscine à côté des enfants.

  • Bien, bravo ! reprend-il avec un petit sourire satisfait. Vous avez raison, attendez d’avoir totalement confiance en nous, c’est une bonne réaction. Pour nous, c’est évident : nous sommes sûrs de vous, et on ne se trompe jamais.
  • Jamais ? demande Nathan, sceptique. Tu sais toujours si la personne ne va pas te tuer?
  • Affirmatif ! Tuer, ou simplement nous trahir !

Désespéré, Nathan fixe un instant sa mère. Camille ne comprend pas ce que ce regard cache. Nathan se retourne vers Grégoire et Olivia. Il se mord la lèvre et poursuit son interrogatoire :

  • T’as jamais eu peur qu’Olivia ne t’aime plus parce que tu aurais dit ou fait quelque chose de travers ?

Grégoire se force à réfléchir. Il analyse la question, dévisage sa sœur, et répond :

  • Négatif ! Mais pour tout t’avouer, nous n’avons jamais été dans le cas.
  • Ce n’est pas vrai, intervient Olivia. On a déjà été dans cette situation. Souviens-toi, Grégoire, L’adjudant-chef qui t’a traité de femmelette alors que tu refusais de lui obéir pour un exercice que tu trouvais inutilement dangereux. Il te hurlait que si tu ne t’exécutais pas, tu n’oserais jamais plus me regarder et que moi, je serais tellement honteuse d’avoir un frère pareil, que je demanderais ma mutation pour Tombouctou.
  • Et ? s’enquiert Nathan, tu as été obligé de le faire ou Olivia a demandé sa mutation ?
  • Jamais je n’aurais fait ça ! réfute formellement Olivia.

Olivia et Grégoire se rappellent l’anecdote sans pour autant la dévoiler. Ils en sourient, complices.

  • Qu’est-ce que t’as fait ? insiste Simiane intriguée par ce sourire béat.
  • Non, on ne peut pas vous le raconter ! répond Grégoire en riant.
  • Allez ! exige Simiane avec son regard papillon.

Grégoire hésite, s’apprête à craquer sous le charme de la fillette, puis se rétracte.

  • Négatif, même sous la torture je ne dirai rien des aventures d’Olivia ! déclare-t-il allègre. C’est à elle à vous la révéler et si elle ne le veut pas, tant pis pour vous.
  • Olivia ? ronronne Simiane.
  • On était jeunes et c’était une stupidité qui aurait pu très mal tourner. On n’en est pas très fiers !

Simiane continue à jouer la chatte, passe de l’un à l’autre, les titille, sans qu’ils avouent la bêtise commise. Plus ils traînent, plus ils en rient. Ce qui provoque chez la gamine une détermination sans limites. Pour finir, elle se love contre Grégoire toujours accroupi devant la piscine.

  • Tu ne diras vraiment rien ? minaude-t-elle, espiègle.
  • Rien !
  • Tu vas le regretter, gronde-t-elle en une fois, en poussant l’homme à l’eau.

Surpris, Grégoire perd l’équilibre, tombe dans la piscine et remonte à la surface, complètement abasourdi de s’être laissé décontenancer par une gamine. Il s’ébroue, avale son amour-propre sous le rire vainqueur de la fillette. Celui-ci n’a pas le temps de s’éterniser, directement interrompu par Olivia qui à son tour la jette à l’eau.

  • Je défends toujours mon jumeau ! annonce-t-elle.
  • Et moi, ma sœur ! hurle Nathan en poussant Olivia à son tour.

Celle-ci entraîne Nathan dans la piscine

Camille s’est retirée juste à temps pour ne pas être trempée. Elle est encore troublée par le regard implorant de Nathan, elle se doute que le secret qu’il cache doit être tenu sous une menace la concernant.

Au bout de ce bain forcé, la chemise et le short de Grégoire dégoulinent sur le fil à linge, tandis que les quatre protagonistes se laissent sécher à plat ventre au bord de la piscine, Olivia révèle la bêtise de gamins qu’ils avaient infligée à l’adjudant. Chaque soir, l’homme était ivre mort. Il s’était réveillé un matin, en caleçon au sommet du toit le plus haut de la caserne. À ses pieds, dans la cour, tous les élèves de l’école militaire le sommaient joyeusement de descendre. Il n’y avait aucune preuve, mais l’exploit était largement signé. Si ce manque de traces les dispensait d’un tribunal militaire, ils furent aussitôt convoqués chez leur père qui était le colonel du régiment. Celui-ci n’appréciait pas les représailles de ce type. L’instructeur aurait pu tomber, cela aurait pu très mal se terminer. Ils les avaient sévèrement admonestés même si la victime était connue pour ses exercices dégradants ou, comme l’avait pertinemment analysé son fils, inutilement dangereux.

  • Et votre papa, il vous aimait toujours après ça ? s’informe Nathan.
  • Bien sûr ! Un papa ou une maman aiment au-delà de n’importe quelle bêtise ! affirme Olivia, péremptoire. Nous avons été punis et nous le méritions mais cela ne changeait rien à l’amour et la confiance que nous octroyait notre père.

Elle prd toenut doucement la main du garçon et ajoute :

  • Ne doute pas, Nathan, ne doute jamais de ceux qui t’aiment. Ils ont des ressources inépuisables pour t’aimer au-delà de tout !

Nathan hoche la tête. Il lance encore un regard craintif vers Camille, puis murmure rien que pour lui :  

  • Oui, mais moi c’est plus grave… 
  • Je t'aimerai toujours, murmure Camille, n'en doute pas, s'il te plait.
  • j'pense pas... soupire Nathan, les larmes plein les yeux.

Camille en a des frissons. Elle voudrait l’assurer de son amour, mais se sent tellement démunie qu’elle se tait, décomposée devant le vertige de son fils. Elle serre tendrement la main de l’enfant puis la tapote gentiment. Tous continuent leur bain de soleil en silence.

  • Si je te le jure, émet-elle enfin.  

Grégoire se lève sur les coudes et avec un sourire engageant, envoie :

  • Vous êtes vraiment de très bons éléments ! Vous venez de nous obliger à cracher le morceau ! Passons directement à la première leçon. En prémices, voici la règle de base : on ne se cache rien. Dès que vous vous sentirez prêts, vous nous raconterez votre histoire, pas avant. D’ici là, si vous avez un doute, vous l’émettez. Le moindre détail qui cloche ou qui ne vous paraît pas normal doit être exprimé, on avancera plus vite d’une part, d’autre part en cas de danger, on reste toujours sur la même longueur d'onde. Affirmatif ?
  • Affirmatif ! répondent les enfants déjà assis face à leurs instructeurs.
  • Bon eh bien, première leçon, ajoute-t-il avec emphase. Les deux premiers trucs essentiels, un pour rassurer le coéquipier parce qu’on gère la situation et l’autre pour demander de l’aide.
  • C'est-à-dire ? tente de débroussailler Nathan.
  • Eh bien, quand on est dans une position difficile, il faut pouvoir communiquer sans que l’ennemi le sache, tu es d’accord ?
  • Oui, appuie Simiane en s’adressant à Nathan, c’est le coup des poissons !

Songeur, Grégoire les dévisage un instant, réalisant que la phrase lancée plus tôt par Nathan était un code entre eux. Il les désigne du doigt avec un demi-sourire. 

  • OK ! constate-t-il. Et la réponse « Ils tournent gentiment dans leur bocal » signifie que tout va bien ?

Les trois fugitifs hochent la tête dans un ensemble parfait. Grégoire se tourne vers sa sœur, scié :

  • Ils ont parlé avec un code sans qu’on s’en rende compte ! Et moi qui cherchais déjà un stratagème pour récupérer ces poissons !

Nathan et Simiane se bidonnent.

  • Je m’en doutais ! détermine Olivia en fixant Nathan d’un regard complice. C’est ce que tu m’as demandé de répéter à ta maman, hier sur la plage ! Mais la phrase n’était pas exacte, se souvient-elle. Camille, tu as dû paniquer plus qu’autre chose !
  • C’est Sabine qui a cafouillé, peste un peu Nathan. Elle trouvait plus naturel de parler de mer et non de bocal !
  • Bravo, vous êtes vraiment d’excellentes recrues ! Avec tout ça, on arrivera rapidement à la fin de vos ennuis !
  • Et vous, quel est votre truc ? reprend Nathan sérieusement.
  • Si on gère et qu’on est à côté de la personne, on pince les lèvres comme ça, montre-t-il. Si on demande un relais, on sourit !
  • C’est pas logique, ça devrait être l’inverse ! objecte Simiane.
  • Négatif ! réfute Grégoire. Réfléchis bien, il ne faut pas que l’adversaire sache où on en est !
  • Ah je comprends ! s’illumine la petite figure. Mais si vous êtes trop loin pour voir la tête ?
  • On a un mouchoir spécial. Regarde, répond Olivia en sortant de son short une pochette verte à minuscules fleurs bleues réversible. Comme ça, ça veut dire que tout est OK. Si je le retourne comme ça, il devient rouge à pois jaunes et ça, c’est danger, SOS !
  • Waaa, c’est génial !
  • Affirmatif ! C’est Olivia qui a mis ça au point. Vous verrez, c’est capital. Vous en aurez chacun un. Il faudra toujours l’avoir sur soi. On gardera aussi le coup des poissons quand on est au téléphone par exemple, on n’avait rien trouvé pour cette situation !

Camille observe la scène en souriant. Nathan et Simiane s’enthousiasment pour le projet. Elle se doute qu’une bonne partie du discours des deux hôtes contribue à rassurer les enfants. Elle ne perçoit pas précisément où se situe la limite entre leur cinéma et la réalité, mais Nathan et Simiane sont soulagés d’entrer dans la cour des grands et de se sentir enfin protégés par des pros. Elle aussi commence tout doucement à entrevoir un bout de ciel bleu. Grégoire la dévisage légèrement moqueur, il devine qu’elle n’y croit qu’à moitié.

  • Camille, tu auras aussi ton mouchoir, tu l’utiliseras ? 
  • Affirmatif ! répond-elle en désignant sa bouche elle ajoute : Je m’exerce déjà aux grimaces !

Nathan et Simiane replongent dans la piscine tandis que les trois adultes s’assoient à l’ombre d’une bignone.

  • Excuse-nous de te bousculer, commence Grégoire à Camille. On doit continuer notre enquête.
  • Tu ne me bouscules pas du tout ! Plus vite elle sera terminée, plus vite tu seras débarrassé de nous ! 
  • Le but n’est sûrement pas de me « débarrasser de vous » mais de vous délivrer des ennuis ! rectifie-t-il doucement. Connais-tu ce tondu qui donnait la main aux enfants ?
  • Non, je ne l’ai jamais vu !
  • Ça m’énerve, il nous échappe depuis plusieurs mois. C’est un squatteur, il tourne autour de la rue des Espagnols, on n’arrive pas à le coincer. La dernière fois, c’était à la compétition. Il faut comprendre pourquoi il s’intéresse à Nathan et Simiane et comment il savait qu’ils étaient chez Sabine.
  • C’est l’amoureux d’Anna, annonce Simiane la tête dépassant de la piscine, mais c’est un secret ! Je l’ai vu souvent chez elle quand on s’amusait en espagnol, on a même joué avec lui à Trivial Poursuit.
  • Trivial Poursuit ? s’étonne Camille.
  • Oui, on pose des tas de questions à chaque bonne réponse, on reçoit un camembert. Quand on a six fromages, on a gagné. C’est d’ailleurs moi qui ai gagné !
  • Ah bon ?
  • Il y avait trois énigmes sur la Bretagne ! Du coup, j’ai fait une photo avec Anna en tenant ma médaille en chocolat.
  • Bravo, s’exclame Olivia pensive. Tu sais comment il s’appelle ?
  • Mi-corazon, il ne parle qu’espagnol ! grimace la gamine avant de replonger dans l’eau.
  • À moi de jouer Trivial Poursuit ! reprend Camille. Il y quelques trucs qui m’intriguent.
  • Oui ?
  • Olivia, pourquoi as-tu appris le chant avec des chats aux enfants ? Quel est votre lien avec la firme pharmaceutique Edelweiss ? Et en quoi cela me concerne-t-il ?
  • C’est pas Olivia qui nous l’a apprise, c’est madame Amélie, intervient à son tour Nathan, en sortant de l’eau. Elle voulait qu’on la mémorise pour faire une surprise à Paulette.
  • En effet, acquiesce Olivia. Je ne connais cette chanson que parce que les enfants me l’ont récitée sur le chemin de l’école. Pourquoi t’y intéresses-tu ?

Tandis qu’ils chantent la comptine, Camille explique les similitudes entre leur histoire et celle des chats de Basile qui s’y dessinent indubitablement. Olivia propose dès lors de se renseigner sur l’auteur de ce chant et pour quelle raison on le destinait à Paulette.

  • T’auras du mal ! s’exclame Simiane. Madame Amélie a pris son congé de maternité, elle est rentrée en France pour accoucher.
  • Dans la phrase « Jonas cacha la chatte et ses chatons », Jonas c’est qui ? demande Grégoire au bout d’un moment.
  • Le chef des Curés de Campagne.
  • Mais encore ? Il m’a envoyé un mail hier matin me suppliant de veiller sur vous.
  • Son nom est bien gardé. C’est un pseudo qui est en rapport avec le récit de Jonas dans la Bible. Il n’y a que ses proches qui sont informés de son identité.
  • Ce type sait qui je suis, il ne m’a pas écrit sur mon adresse de la société, mais l’adresse privée. Il a dû se dérouler quelque chose pour qu’il perçoive que le danger était accru. Et pourquoi des chats ? pointille Grégoire. Que le corbeau soit la soutane ça se tient, mais un oiseau ne s’en prend pas aux chats !
  • Tu ne vois pas le rapport avec mes messages sur le forum ? réplique Camille.
  • Quel forum ?
  • Ben celui sur la vie quotidienne des chats !
  • Pourquoi veux-tu que j’aille sur ce forum ?
  • Tu ne surveilles pas ce qui se passe sur la Toile ?
  • Non ! s’indigne-t-il. Chacun y surfe comme il l’entend !
  • Excuse-moi Grégoire, j’ai cru que tu étais derrière certains post, commence Camille en racontant ce qui s’était chatté sur le net, ainsi que la mort de Gonval.

Apprenant que Camille lui avait octroyé le rôle du chardon ou du roi des Alpes, Grégoire passablement vexé. Mais résolu à ne pas s’emporter, il mord sur sa chique en avalant à grandes gorgées son verre d’eau.

  • C’est quoi cette histoire d’Edelweiss ? reprend-il un peu brutalement malgré tout.
  • Marcial m’a prétendu que ton père détenait la moitié des parts du groupe Edelweiss. J’aurais dû en pâlir. Mais je ne comprends pas pourquoi.
  • Non, sorry ! On n’a aucune action là-dedans ! Il voulait manifestement t’éloigner de moi, donc il devait être informé de mon véritable boulot. Ça sous-entend qu’il avait des complices côté technique.
  • Et côté village ! ajoute Olivia.

Simiane secoue le bras de sa mère en intervenant à son tour :

  • Maman, je pense que Paulette...

Elle n’a pas fini ces trois mots que Camille grimace en lâchant un faible cri de douleur, Simiane ayant bousculé le mauvais poignet. Grégoire et Olivia tiquent en remarquant la tête de Camille.

  • Que se passe-t-il ? s’inquiète directement Grégoire.
  • Ce n’est pas grave, souffle faiblement Camille, après avoir repris son souffle. J’ai fait un faux mouvement.

Elle cale la main contre son ventre.

  • Tu disais à propos de Paulette ? demande-t-elle à Simiane.

Simiane ne répond pas en scrutant sa mère dont les lèvres sont devenues bleues et le teint cireux. Olivia s’est levée et disparaît immédiatement.

  • Qu’est-ce que t’as, Maman ? pose-t-elle au bout d’un moment.
  • Ça va passer ! persiste-t-elle. Paulette ? 

Grégoire se lève d’un bond et s’accroupit devant Camille.

  • Je peux voir, exige-t-il doucement.
  • Il n’y a pas grand-chose à voir, émet timidement Camille, en dégageant précautionneusement son bras.

Olivia revient avec une poche de gel réfrigérant et la pose délicatement sur le poignet. 

  • Montre ton autre main, sollicite-t-elle posément.
  • Ne t’inquiète pas, il est à peine gonflé, minimise Camille en ajustant les deux poignets côte à côte. C’est sans importance. 
  • Cazzo Camille ! s’exclame Grégoire. T’as fait ça comment ?

Camille explique la scène du couteau dans l’atelier. Grégoire est fâché sur lui-même de ne pas avoir réalisé qu’elle soutenait son poignet, depuis lors. Il se lève et marche rageusement vers la piscine. Il se retourne précipitamment et déclare :

  • On va faire des radios.
  • Non ! décide Camille calmement. Je crève de mal et c’est sans doute cassé, c’est vrai. Mais oublie les radios. Si tu as une attelle qui traîne ou un simple bandage, cela me soulagera.

Grégoire toujours aussi impétueux insiste pour qu’elle soit soignée convenablement en décrivant toutes les conséquences d’une fracture mal remise. Camille ne flanche pas, elle préfère le risque des conséquences au risque d’être découverts. Plus Grégoire s’entête, plus Camille entre dans la suspicion. Olivia observe Camille. Elle est méfiante, vigilante bien trop. Elle va les mettre à l’épreuve, refusera de se laisser mener. C’est ça qui sera le plus difficile à gérer, mais c’est aussi pour ça qu’elle résiste depuis si longtemps. D’un geste, Olivia stoppe le discours de Grégoire :

  • Camille, demande-t-elle. Comment voudrais-tu être soignée ?
  • Une attelle et de la pommade à l’arnica.
  • OK, acquiesce la coach. Je te trouverai ça.

Encore furieux de ne pas pouvoir la protéger comme il le voudrait, Grégoire file directement vers sa pharmacie. Olivia le rejoint quelques minutes plus tard. Tous les deux plongés dans les bandages échangent quelques mots en italien, Grégoire s’enflamme encore sur l’inconscience de Camille et l’intervention d’Olivia. Celle-ci le calme en expliquant la réaction de Camille, ce qu’il accepte sans pour autant la cautionner.

  • En français, ça donne quoi, votre conciliabule ? émet Camille adossée au chambranle de la porte en soutenant son poignet, la mine encore craintive.

Grégoire et Olivia relèvent la tête ensemble. Camille les fixe une petite crainte au fond des yeux. Elle persiste et signe dans la défiance. Grégoire observe son oiseau blessé qui ne parvient pas à savoir si la branche sur laquelle il s’est posé se rompra dans les minutes qui viennent. Il voudrait lui répondre par un flot de paroles inutiles lui exprimant son envie de la voir nicher sous son aile protectrice, dans une relative quiétude.

Non même plus, dans une paix absolue.

Et encore plus, si c’était possible...

Il accentue les sourcils en les élargissant un maximum.

  • Ça donne : j’aimerais que tu sois bien ici, bredouille-t-il. Excuse-nous, Camille. L’italien est notre langue maternelle. Je te jure qu’on ne vous fera pas de mal. Tu ne pourrais pas essayer la confiance ?
  • Je veux bien tenter, mais ça va être difficile ! avoue Camille à mi-voix. Même très dur. Ce n’est pas de votre faute.
  • Je l’espère ! chuchote-t-il ému. Me permets-tu quelques leçons de confiance ?  
  • On peut toujours y travailler, murmure Camille en souriant faiblement. Je serai une très mauvaise élève !

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