Le facteur

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Nardolé est loin d’être beau joueur, il n’apprécie pas du tout d’avoir perdu la face. La petite Squiban a joué avec le feu, comme sa mère. Avec la même arrogance. Il y a dans ces deux femmes, une insoumission qui le hérisse. Il n’avait pas fini de bouffer la mère, il se rattrapera sur la fille. Il la dégustera. Il lui boira son sang jusqu’à plus soif et ce vampire a entamé son festin : Saïd n’a plus de boulot, la crèche refuse dorénavant Anna-Lou et Leïla n’a plus droit à la cantine. Les enfants devront changer d’école, elles ne sont pas baptisées. Son téléphone est sur écoute, la maison aussi. Plus d’internet, coupure d’électricité tous les soirs de 18 à 21 heures.

Et il n’en est qu’à l’apéro. Pour le plat consistant, c’est moins facile qu’en Bretagne. Il a bien essayé sa recette de « l’homme désobligeant aux abords de son logis » mais son mari - ce suppôt de Satan - a envoyé ses frères. Il a dû battre en retraite avant de déclencher une guerre des religions. Maintenant, Nardolé hésite. Il suit la progression de ses pions avec la moue de dégoût et de fureur qu’il garde à chaque fois qu'il s'occupe de l'affaire Varnas-Squiban. Il prépare son mets et il sera salé, extrêmement épicé.

Les Squiban sont rôdés. Ils parlent pour ne rien dire, ils se laissent talonner pour mener les suiveurs par le bout du nez. La famille de Saïd est sur le pont, ça les amuse. Ses deux petits frères ont appelé leurs copains, ils jouent les gardes du corps avec joie, ils se croient dans une série de Netflix.

Bien sûr que la troupe est pistée depuis Paris par une grosse Audi noire. Juste par pure provocation, Saïd les a même attendus après qu’un feu soit passé au rouge entre les deux véhicules. La fratrie s’arrête sur le parking de la plage de Panfoul.

Visant se déplie en s’extirpant de la Kangoo. Il regarde la mer et ne peut s’empêcher de sourire.

  • Chouette, s’exclame-t-il, il y a du vent !

Pareil à lui-même, Visant ne se soucie absolument pas de la voiture noire. Il n’a pas non plus remarqué que les occupants de cette Audi sont coincés à l’intérieur de l’habitacle par deux autres voitures qui sont arrivées simultanément quelques secondes après eux et se sont garées bien trop près pour ouvrir une de leurs portes. Il ne s’est pas non plus rendu compte que celle-ci était légèrement plus basse que d’habitude, les quatre pneus complètement dégonflés.

Grisé par le vent, Visant ne pense même plus au courriel reçu de Jonas, hier soir, dans sa boîte mail personnelle. La phrase était courte et énigmatique :

« Loup de mer tué, la poste fera foi. Jonas »

Visant ne se pose pas la question à savoir qui est le loup de mer tué, ni qui est cette poste qui fera foi. Aura-t-il une lettre ? Sans doute. Il a, malgré tout, et pour la première fois, épluché son courrier en commençant par les factures. Rien. Tant pis. Il a imprimé le message pour Yohann et Saïd, il l’a glissé dans la poche de son jeans pour l’oublier par la suite.

Coup de chance, il fait beau pour cette fin novembre, un doux soleil d’automne les accompagne. L’œil de Visant navigue au-delà des flots. Revigoré d’en respirer l’iode, il hurle à sa sœur et Saïd :

  • On a bien fait de venir aujourd’hui, c’est un temps idéal !

Yohann le regarde, interloquée. A-t-il déjà oublié le but du pique-nique ou bien est-ce une phrase lancée à l’intention des pieuvres prisonnières de leur aquarium de luxe ? Saïd ne doute pas de la réponse, il sourit à sa femme mi-moqueur, mi-fataliste en secouant la tête, tandis qu’il débarque sacs à dos et anorak.

La chapelle est isolée au bord d’une falaise, un sentier de grande randonnée passe à proximité. Leïla et Anna-Lou sont chargées sur les dos, la promenade débute. Ils arriveront par le sud.

Aux abords de la plage de Trémazan, au nord de la chapelle, un minibus vert immatriculé en Allemagne s’arrête. Un homme en sort et se prépare à une balade vers le sud. Il enfile calmement ses bottines de montagnard, enveloppe le bas de son pantalon dans de grosses chaussettes rouges et part d’un bon pied sur le Sentier des Douaniers.

La famille est déjà sur place. Elle s’est installée à l’abri du vent, au soleil, contre un des murs du bâtiment. Le pique-nique déballé, Yohann donne à manger aux enfants. Un premier couple de marcheurs les accoste : un bon appétit, une info sur la chapelle, sur la stèle celte, puis les randonneurs continuent leur route.

Visant fixe la mer. Il est fait pour la Bretagne, à moins que ce soit la Bretagne qui soit faite pour lui. Chaque fois qu’il se laisse envahir par le vent, au bord d’une falaise, il se demande pourquoi il traîne encore à Paris. Dès que possible, il s’établira en télétravail, il se le promet à chaque rafale. Il met les mains dans les poches de sa veste, tâte son portable, il se souvient de l’avoir éteint, l’avant-veille avant d’entrer au cinéma. Il le rallume.

Son téléphone vibre directement. Machinalement, il lit le message qui y est inscrit, y répond, puis il crie à la cantonade :

  • Vous connaissez un certain Vincent qui serait l’ami de Tanguy et qui habiterait un pays dont le préfixe est 21 ?
  • Non, pourquoi ? demande Yohann
  • Je viens de lui apprendre sa mort.
  • Tu aurais pu le prendre au téléphone, à la place de la lui annoncer par un texto ! lui reproche Yohann. Imagine ta tête si tu recevais ce genre de message !
  • Trop tard ! déclare-t-il en se replongeant dans le vent. De toute façon, c’est encore trop dur à prononcer… murmure-t-il pour lui-même, pour la mer, pour Tanguy.
  • C’était pas 212 par hasard ? approfondit Saïd.
  • Ah ben oui, 212 666 847364.
  • C’est un portable du Maroc ! Passe-moi ton téléphone !

Saïd recompose le numéro et s’apprête à répondre en arabe au cas où le message serait un code. Il tombe sur un répondeur et raccroche légèrement déçu.

  • C’est en italien, j’ai rien pigé.

Yohann est très anxieuse. Elle n’arrive pas à savoir de quel bois est façonné l’homme qui les a interpellés, dix jours plus tôt. Elle redoute la clé de l’énigme. Dans les petits cartons de condoléances, ils ont découvert celui de Jonas, ce curé si mystérieux à la tête de la résistance :

Chap. 14 du livre des psaumes

« Tous ces gens qui font le mal, n'ont-ils rien compris ?

Car ils dévorent mon peuple !

Jamais ils n'invoquent l'Éternel !

Ils seront saisis d'épouvante,

car Dieu est avec les justes. »

Dieu aura reconnu un des siens. Nous resterons avec vous. Jonas »

Donc, Jonas était là. Cela lui a fait plaisir de savoir que ce prêtre avait une si grande estime pour son frère. Serait-ce ce Pierre Dupuis ? se demande-t-elle depuis lors. Pourquoi Tanguy avait-il voulu qu’il soit témoin de son assassinat ? Le dernier texto qu’elle avait reçu de Tanguy avait été envoyé après sa mort. Est-ce cet homme qui en serait l’auteur ? Et dans ce cas, comment connaissait-il le code qu’ils avaient convenu entre eux ? Elle imagine mal Tanguy avec son assassin dans son dos donner ses dernières instructions... Peut-être ce Pierre Dupuis est-il de mèche avec l’O.D.D. et puis, c’est quoi cette histoire de matou ? Pourquoi prétend-il qu’il n’est pas le bon ? Yohann remue toutes ces questions depuis dix jours sans trouver le moindre fil qui conduirait à la sortie du labyrinthe. Dès lors, elle attend avec impatience cette entrevue et elle la redoute tout autant, non pas pour sa vie, mais pour sa teneur.

Saïd est plus calme. Oui, ils en sauront plus mais ces curés sont assez tordus pour ne leur en dévoiler qu’une infime partie qui les laissera encore plus perplexes qu’avant. Il prend donc ce rendez-vous avec des pincettes et il craint que ce pique-nique fasse plus de mal à Yohann qu’autre chose. Elle ne parvient pas à surmonter la mort de son frère et elle peine à supporter les petites agressions que Nardolé leur impose. Il sent qu’elle ne tiendra pas longtemps sous les serres que ce vautour a refermées sur eux. Il leur faudrait des vacances. Un vrai congé loin de ces tourments. Il a déjà regardé les prix pour le Maroc, ils partiraient bien à Taroudan chez ses grands-parents. Trop cher pour l’instant. Il l’envisagera quand il aura retrouvé un job. Saïd observe au loin le chemin et il aperçoit le randonneur suivant.

  • On va avoir de la visite, dit-il, mais ce n’est toujours pas notre mouton, la toison n’est pas la même, déclare-t-il. 

Il s’assied à côté de sa femme et grignote une carotte. Visant quitte le vent, ivre de sa force et prend place entre ses deux nièces. Il installe Anna-Lou avec tendresse sur ses genoux. Il adore ces fillettes. En fait, il adore les enfants. Dès qu’il y en a à proximité, on peut être sûr que Visant n’est pas loin pour les faire rire, les taquiner ou improviser un jeu. 

Anna-Lou se met à pleurer en s’accrochant au blouson de son oncle. Elle fixe le randonneur planté derrière ses parents. Leïla reste la bouche ouverte, le morceau de pain collé à ses lèvres, tétanisée.

Campé sur deux jambes de marcheur invétéré, mains sur les hanches, l’homme considère le reste de la tribu avec curiosité.

  • Hé bien, remarque-t-il, en voilà de beaux chatons !
  • Le facteur, émet à voix basse Yohann, clouée sur place.

Saïd s’est levé d’un bond, se dresse face au visiteur. Visant s’est précipité sur les filles, et les encadre prudemment. Toujours très décontracté, le promeneur les regarde tour à tour. Il finit son tour d’horizon en dévisageant Yohann et tout en hochant la tête, déclare :

  • Même attitude que Camille, on ne m’a pas menti ! Sauf que Camille n’aurait pas dit ça !
  • De qui parlez-vous ? souffle Yohann, encore sur le coup.
  • Ça, c’est tout à fait Camille ! rit James heureux. Vous permettez ? s’impose-t-il en prenant place au bord de la nappe. Asseyez-vous, nous n’avons pas beaucoup de temps devant nous et tout ça doit paraître naturel !

Saïd s’accroupit sur la défensive. Le facteur, détendu, prend un œuf dur qu’il écaille consciencieusement.

  • Je vais tout d’abord me présenter : Charles Drasse. Confrère de Tanguy en Suisse. Je l’ai déjà rencontré lors de formations qu’il donnait à propos de son logiciel qui en faisait sa notoriété mais ce n’est là que pure coïncidence. 
  • Vous êtes le frère de Denis Drasse ?
  • Exactement. Si vous connaissez son histoire, je peux passer à l’étape suivante. Je suis à la recherche de ce qui pourra le libérer de Guantanamo.

C’est ainsi que se dévoile l’homme qui n’est ni le Hongrois ni l’Autrichien. Ayant mené une enquête parallèle, il est tombé sur les mêmes conclusions que les Squiban. Denis ayant disparu trois mois après la mort du Cardinal Fernandez, Charles Drasse n’a pas fait le lien directement entre Guantanamo et l’assassinat du Cubain. Il a été fort aidé par Amnesty International qui l’a mis sur la piste bretonne, suggérant que pour supprimer le goulag cubain, il fallait élucider l’homicide du Cardinal Fernandez. Il avait un vieil ami, Pierre Dupuis, qui l’a secondé dans ces recherches. Ils n’avançaient pas. Au bout de quelques mois, il reçut un autre mail d’Amnesty lui révélant un unique témoin, une fillette de sept ans. Reparti pour la Bretagne, son instruction l’aiguilla vers Simiane.

Évidemment. Il aurait dû y penser plus tôt : l’heure, le chemin de l’école qui ne peut que passer par le lieu du meurtre. Presque trop facile, comment la police locale n’avait-elle pas poussé l’investigation de ce côté-là ? Il épia la famille pendant deux semaines, comprit qu’elle était étreinte dans un étau épouvantable, on était en train de les tuer à petit feu. Il retourna en Suisse, organisa un refuge et leur fuite. Mais quand tout fut prêt, les Varnas avaient disparu. À quelques heures près.

Il s’est effondré chez Pierre Dupuis. Pierre l’a longuement écouté, observé, puis lui a demandé d’aller se promener le reste de la journée sur l’île d’Oléron devant laquelle il logeait. Quand Charles est rentré de sa balade, un billet d’avion l’attendait. Le lendemain, il était aux Plateaux. Il ne sait pas ce qui s’est passé cet après-midi-là, ne connaît pas les ficelles que Pierre a tirées pour l’envoyer les protéger. Il s’en moquait et même, s’il avait sur place une mission de surveillance auprès des R.C.C., ce qui lui importait, lui, c’était de pouvoir rencontrer cette famille et de les pousser à se confier pour pouvoir terminer sa quête.

Au village, il a tout de suite été frappé par la dextérité d’Hugues à s’improviser boulanger. À la première trêve, il s’est aperçu que ce n’était pas lui.

  • Pardon ? suffoque Yohann. C’est qui, alors ?
  • Marcial Bahon, continue Charles Drasse. Je suis parti avec mon ordinateur portable de la police fédérale helvétique, dont je faisais partie. Grâce au programme de votre frère, j’ai immédiatement identifié l’homme, sans savoir qu’il était dangereux. Je voulais prévenir les curés de campagne, sans pour autant me dévoiler. C’est à ce moment-là qu’indépendamment l’un de l’autre, Pierre Dupuis et moi avions reçu un courriel de Gonval, le matin de sa mort avec l’adresse du forum et comme unique commentaire « Voilà l’adresse dont nous avions parlé l’autre jour, tu y trouveras tous les renseignements nécessaires pour t’occuper des chats. » Si, de mon côté, j’en ai tout de suite capté le sens, Pierre a cru que le mail avait été transféré par erreur.
  • Le seul courrier pour Camille est arrivé une semaine après. Qui pouvait leur écrire alors que, pour la planète entière, ils étaient morts ? Mon rôle de protecteur dans l’ombre m’autorisait à ouvrir le courrier, c’était l’avis nécrologique de Gonval. Je l’ai gardé, le forum était peut-être un moyen discret de communiquer avec elle et j’ai envoyé une couronne dont la légende parlait de trois petits chats sur une falaise, en espérant que du côté français, il y aurait quelqu’un qui déchiffrerait le message. Grâce au ruban sur les fleurs, Pierre a compris enfin le but du site et a pris le relais. Nous ne savions pas jusqu’où vous étiez au courant. Nous nous sommes tus, escomptant que ce Marcial ait été mandaté par Gonval et soit donc une personne fiable.
  • Et Hugues ?
  • Hugues a été tué par Serge et son frère, le vendredi avant leur départ de Bretagne. C’est ce qu’a découvert Tanguy et qui lui a valu la mort.
  • Impossible, on l’a vu le dim… Gast ! s’arrête Visant en plein vol. Il se tourne vers sa sœur et dénoue :
  • Yohann, je t’avais dit que ce dimanche n’était pas normal ! C’est vrai, Hugues enroulé dans une couverture avait des lunettes noires, et une écharpe. Il n’a accompli qu’une courte, très, très brève apparition…

Yohann regarde Visant en hochant la tête, tout lui revient en une fois : la discussion autour de Lourdes, les traits tirés des petits et de Camille, son regard si triste et, surtout, la scène dans la cuisine, la manière dont elle sombrait dans les eaux profondes…

  • Pauvre maman, elle a dû déguster pas possible ! murmure-t-elle entre ses dents.
  • Oui, en effet et encore plus que vous ne pouvez le présumer. Nathan aussi. Cet imposteur est une crapule. Si nous avions su qu’il était tueur à gages, nous l’aurions directement éliminé, lui affirme l’ex-facteur à mi-voix, avec au fond de la gorge, un relent d’amertume.

Il sort de son sac une enveloppe de laquelle il extrait quelques photos qet les faits fait circuler :

  • Je n’en suis pas très fier, je ai piqué un appareil jetable à la grande amie de Camille sur les Plateaux. Elle avait fait des photos d'eux, et il n’était pas prudent qu’elle les garde . Vous y verrez l’état de vos proches.

Le cliché circule en silence. Tous observent consternés, la mine défaite de Camille, la silhouette affaissée de Nathan, la main de Marcial qui enserre la nuque du gamin, l’autre main qui balaie une mèche de cheveux imaginaire cachant de la sorte une grande partie de son visage. Seule Simiane, petit sourire aux lèvres regarde l’objectif avec une pointe d’insouciance. 

  • Et Tanguy ? Qui l’a tué ? émerge Visant.
  • Serge.
  • Comment savez-vous tout ça ? Qui nous a prévenus du danger imminent après la mort de Tanguy ? Pourquoi n’avez-vous pas averti Tanguy de l’imposture de ce Marcial ? Et pourquoi c’est vous qui êtes ici et non Pierre Dupuis ? vascille Yohann.

Charles prend le temps de répondre le plus clairement possible aux questions.  Il explique l’ultime coup de téléphone de Tanguy à Pierre Dupuis, avec Serge dans son dos. James raconte aussi la mort de Pierre sur la route, juste après l’enterrement. Il enchaîne sur la celle de Marcial et la disparition de Camille et des petits. Son inquiétude face à eux.  Par contre, il avoue son ignorance sur la personne qui les a prévenus.

Les Bretons sont assommés. Ils demeurent un long moment silencieux. Où est la part du lard et celle du cochon ? Jusqu’où ce pseudo facteur, peut-être le frère de ce Drasse, les mène en bateau ? Ils se regardent, perplexes.

  • Vous ne nous avez pas dit ce que vous attendez de nous ? émerge enfin Saïd.
  • Le seul moyen de terminer cette affaire est qu’elle éclate au grand jour. En gros, je voudrais appliquer le plan que j’avais prévu avec la branche Varnas de votre famille. Je vous emmène tous les cinq en Suisse, d’une part et on retrouve la partie Varnas d’autre part. Ensuite, on sollicite un procès en Suisse ou à La Haye.
  • Rien que ça, s’exclame Yohann, abasourdie.

Les trois adultes le fixent, pétrifiés. Muets. Le Suisse plonge dans le silence pour insister :

  • Je viens de vous brosser l’histoire sans en démêler les détails, je peux y entrer si cela ne vous suffit pas. Du reste, on m’a raconté le bras de fer entre Yohann et Nardolé, vous serez exsangues avant lui. Je vous en prie, suivez-moi. Je ne sais pas jusqu’où vous êtes au courant, mais en me reconnaissant vous m’avez prouvé que Tanguy ne vous a rien caché, si ce n’est ce qu’il venait de découvrir, la mort d’Hugues. C’est un moyen pour vous de vérifier mes dires.
  • Juste un petit truc qui m’ennuie, réplique Visant. Maman savait-elle qu’elle vivait avec l’assassin d’Hugues ?
  • Non, il s’était présenté comme un curé de campagne nommé Henry Valentin, boulanger à Moscou.
  • OK ! ça se tient, approuve Visant. Mais vous, comment n’avez-vous jamais croisé le beau-frère de votre frère ?
  • Geneviève a quitté sa famille à quinze ans, sous la menace de ces frères. Elle n’a gardé contact qu’avec sa mère et une grande amie, Chantal Bornaman.
  • Exact, en convient Yohann. Vous faites un sans-faute.
  • Si je comprends bien, en déduit Saïd, son morceau de carotte toujours en main. Vous nous demandez de vous suivre dès maintenant ?
  • Oui, ma voiture est un minibus vert foncé immatriculé en Allemagne, garé aux abords de la plage Trémazan. Partir sur-le-champ est plus facile, votre disparition sera plus crédible, Nardolé n’a pas le temps de mettre ses pions en place. La police vous recherchera, n’en doutez pas. Vous êtes actuellement sous sa protection, Tanguy était fort apprécié et ils ont adoré le coup de gueule de Yohann à la morgue. Néanmoins, ils ne résisteront pas longtemps, le flic chargé de l’enquête est un vendu. Il cherche là où il est sûr de ne rien trouver. Ce que j’espère, c’est qu’en vous évaporant de la sorte, la P.J. rouvre le dossier brûlant de toute l’affaire de Simiane. Si c’est le cas, Nardolé et du Bois d’Hoche sont à la fin de leur règne. Je ne vous oblige à rien. Si vous hésitez, nous pouvons nous donner rendez-vous ailleurs. Soyez sans crainte, comment aurais-je pu venir jusqu’à vous si je n’étais pas en contact avec les R.C.C. ?
  • Qu’est-ce qui vous assure qu’on a confiance dans les R.C.C. ? réplique Yohann impétueuse. Jusqu’à présent, on ne peut pas vraiment les féliciter, ils larguent ma mère et les petits avec l’assassin de leur père et mari, ils jouent aux inquisiteurs en coinçant Tanguy dans une crêperie, ils gardent les cartes qui nous auraient permis d’éviter sa mort...
  • Ils sauvent Simiane d’une exécution certaine, interrompt Charles Drasse en fixant Yohann. Ils éloignent définitivement Marcial de Camille et des enfants, ils les protègent tout le long de leur séjour aux Plateaux. Ce n’est pas eux qui ont gardé les cartes, mais Tanguy qui ne voulait plus entendre parler d’eux. Peu après l’épisode de la crêperie, Pierre lui a écrit pour s’excuser, et lui a assuré son soutien.
  • Comment ont-ils fait pour écarter Marcial des autres ? interroge Visant.
  • Dès le coup de téléphone de Tanguy, Jonas a envoyé un courriel au chef de la sécurité à son adresse personnelle, pour être sûr qu’il le reçoive à temps. Celui-là les a éloignés le plus vite possible.
  • Gast ! mon mail, se souvient enfin Visant.

Il le sort de sa poche et le montre à Yohann. Yohann le lit, sermonne son frère d’un regard sévère et le passe à Saïd.

  • Vous êtes Jonas ? demande Saïd en gardant le papier en main.
  • Personne ne connaît l’identité de Jonas, répond sincèrement Charles et, tout en cherchant dans son sac une feuille qu’il tend à Yohann, il prolonge en désignant le mail de Visant :
  • Je suppose que c’est un courriel de Jonas ? J’en ai eu un aussi me donnant les instructions pour venir jusqu’ici. Ce type est partout, il ne sait pas pourquoi je me suis fait membre des R.C.C., alors qu’au fond, mon intérêt ne se limite qu’à Guantanamo.

Charles consulte sa montre. Il hoche la tête légèrement pressé, trifouille dans son sac, puis reprend en les scrutant l’un après l’autre :

  • Écoutez, vous êtes ma dernière cartouche pour sauver mon frère et le reste de votre famille. Je comprends très bien vos méfiances et, si j’étais à vos places, je ne suis pas sûr que je me suivrais ! Je vais partir vers mon véhicule, je me baladerai sur la plage jusqu’à 15 h. Si vous vous décidez, montez à bord du minibus, il sera ouvert, je vous rejoindrai directement. Voici une carte SIM hollandaise, vous pouvez rassurer vos frères qui surveillent votre Kangoo. Annoncez-leur votre départ en vacances, qu’ils gardent encore votre voiture une ou deux heures, cela nous laissera une marge de manœuvre. Ne leur révélez pas notre destination, on ne sait jamais qu’ils soient sur écoute.

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