Un chalet au bout du monde
Dans la voiture qui les mène en Suisse, Yohann se pose sans cesse la question de savoir s’ils ont eu raison de se fier à ce facteur. Plus le chemin avance, plus elle se convainc que c’était une folie nécessaire. Comme l’en a persuadée Saïd, ils ne sortiront pas si facilement des dents du vampire de Paris. En dix jours, ils ont pu en tester toute la puissance. « Pour finir, se morfond-elle, si j’étais restée la brave sœur inconsolable, tout aurait été plus simple. Comment Tanguy a-t-il pu jouer ce rôle pendant tant de temps avec des ordures pareilles, en évitant tous les pièges ? » Elle n’est qu’une débutante, absolument pas formée à camper les James Bond.
Charles leur a tout de suite montré sur la carte leur lieu de résidence. Au bout d’une vallée, au-delà d’un petit village tout au fond de la Suisse dans le canton des Grisons, proche de la frontière italienne.
- Il n’y a pas plus loin, c’est vraiment le bout du monde ! Mille trois cent septante-deux, pardon, soixante-douze kilomètres, une belle petite trotte. J’espère que vous prendrez le volant également !
Il a tout prévu du pique-nique sans porc pour Saïd, aux sièges-enfants dans la voiture. Durant tout le trajet, il parle de Camille, Nathan et Simiane, du réveil de Simiane qui avait rempli les Plateaux d’allégresse et de l’accident de Nathan, de son sang-froid. Il raconte comment, en jouant à Mister X, il apprivoisa les enfants, lui qui n’en avait jamais vu un de près. Jeu qui, pour finir, faisait fureur dans tout le village.
Il explique le micro qu’avait dissimulé Marcial. Après bien des hésitations, Charles s’était lié avec une villageoise pour pouvoir être plus efficace, elle a été d’un grand secours pour toutes ses démarches sauf pour celle d’attirer Camille vers une confiance envers lui. Leur mère est restée sur ses gardes jusqu’à la fin. Il rigole lorsqu’il se rappelle comment Nathan et Simiane se défilaient alors qu’ils les titillaient sur leur passé. C’était devenu leur passe-temps favori. Ils s’amusaient manifestement à lui poser des questions sur la sienne, sur les chats ou sa vie à Londres. Ils avaient gagné, quand Simiane, de sa petite voix claire, lui avait demandé :
- Au fait, Mister James, mettez-vous du beurre salé sur les scones ou juste de la crème fouettée ?
Tout le minibus en a ri.
Les grands ne se sont pas lassés de l’écouter détailler cette vie aux Plateaux. C’est le son des images qui ont défilé devant eux depuis quelques mois.
En bon scientifique, Visant a fouillé au fur et à mesure les dires de Charles, vérifiant leur authenticité. La personne que leur mère redoutait le plus est le chef de la sécurité. Pourtant, l’homme est remarquable. Lui et sa sœur les ont sauvés plusieurs fois sans qu’elle s’en rende compte. Yohann a souri en réalisant que cette Olivia dont ils se sont méfiés est en réalité une agente de la sécurité. Il raconte le tournoi d’escrime, le tondu que personne ne réussit à coincer.
- Normal, c’est le scénariste, ajoute-t-il. Il enfile perruque et faux sourcils et passe inaperçu.
- Pourquoi ne les avez-vous pas tout de suite dénoncés ? demande Visant.
- Ils sont protégés par l’O.D.D., explique Charles. Si je les avais balancés, j’aurais attiré directement l’attention sur le village. J’ai fait un pacte avec eux : mon silence contre la préservation de Camille et des enfants. Ce modus vivendi a tenu jusqu’à la mort de Tanguy ou de Marcial. Je ne sais pas lequel des deux a mis le feu aux poudres de leur côté.
- Ce n’est pas eux qui ont tué le tueur ?
- Non, émet l’ex-facteur mal à l’aise. Mais ils auraient dû le faire ! Tout ce que je sais, c’est que c’est ce jour-là que le pacte entre nous a été rompu.
- C’est la mort de Tanguy, conclut Yohann. Bérangère avait essayé de le faire chanter, il lui avait répondu en l’assurant qu’il la coincerait s’il arrivait quoi que ce soit à sa famille.
Charles confirme la thèse, regrettant le manque de communication entre les R.C.C. et Tanguy. Il peste un peu, d’en observer maintenant le résultat !
Charles se dévoile comme il aurait tant voulu le faire avec Camille. Il développe toute cette difficulté à sauter au-dessus du rempart de Marcial. Au départ, il n’est pas sûr que Camille s’en rendait compte, Marcial l’assommait de boulot, il ne la laissait aller sur la plage qu’en face de chez eux sous prétexte des mauvaises intentions des voisins. Une seule personne avait réussi à franchir le barrage, c’était Sabine qui, dès les premiers jours, avait noué une belle amitié. Camille avait acquis une telle méfiance vis-à-vis du monde qu’elle croisait, qu’elle aussi était très peu réceptive aux perches qu’il lançait. Troisième entrave, et non des moindres, les curés de campagne ne voulaient pas qu’il se dévoile. Il devait donc attendre que Camille se confie pour qu’il puisse, à son tour lui avouer son rôle.
Quand il a quitté les Plateaux, il a envoyé son portable de la PJ par colis à Sabine, pour qu’elle le donne à Grégoire et Olivia. Cela leur permettra de savoir qui au domaine, est susceptible de les trahir et qui sont Anna et Jacques.
- Pourquoi pas directement à un des jumeaux ? s’étonne Yohann.
- Je ne serais pas surpris que Camille et les enfants se cachent chez eux. Ce colis dévoilerait trop facilement leur lieu de résidence. Le mari de Sabine travaille pour eux, elle les connaît bien ! Pour l’heure, ils doivent déjà avoir agi vis-à-vis de ces tueurs.
- Gast ! réalise Visant. Le coup de téléphone de tantôt, c’était ce Grégoire, Tanguy nous avait dit qu’Olivia était italienne !
En quelques phrases, Visant explique à Charles ce texto qu’il venait de recevoir.
- Nom de bleu ! s’exclame Charles. Ton téléphone est sûrement sur écoute, pourvu qu’on n’arrive pas à localiser celui de Grégoire ! À ce propos, vous avez bien jeté vos portables ?
- Bien sûr ! s’exclame Yohann, ils sont restés à la chapelle.
Quand ils sont arrivés à destination, il fait nuit depuis longtemps. Le chalet hiberne depuis plus d’un an, il est froid, son rythme cardiaque bat au ralenti. Visant avise directement la grande cheminée et allume un feu d’enfer. Tout doucement, l’habitation se réveille. Le bois crisse sous la chaleur retrouvée, les tuyaux chantent. On installe les fillettes sur un vieux divan devant l’âtre tandis que Saïd, Visant et Charles ouvrent les chambres.
Yohann est restée près de ses filles et, hypnotisée par les flammes qui dansent dans le foyer, elle s’endort profondément au milieu de ses chatons.
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