Du plateau à Madrid, de Madrid à Turin de Turin à ...
Quand Bruno rentre chez lui, il est de très mauvaise humeur. On l’a obligé à se déplacer pour une seule prise de vue. Il fera payer ce déplacement très cher à la prod. En plus, personne n’a vraiment compris pourquoi il fallait absolument ce site alors qu’on aurait pu trouver le même décor dans les vingt kilomètres à la ronde. Il entre, découvre les rideaux fermés, l’absence des fugitifs et de Grégoire. Il interpelle tout de suite Fatima qui lui explique leur départ vers un lieu inconnu. Bruno est vert.
- Où est mon courrier ?
Fatima lui désigne le buffet. Il trifouille dans l’amas de lettres, en retire une qu’il ouvre précipitamment et en parcourt la teneur. Il prend sa voiture et démarre en trombe.
*
Sabine n’a pas pu aller au commissariat parce qu’elle aurait dû traverser le village à pied. Elle a elle-même trouvé la solution en se cachant dans les combes de sa maison. Celles-ci sont truquées pour certaines actions de film qui recherchent un décor de toit. Il y a un local technique qui pourrait convenir et qui dispose d’une sortie dérobée si le choses tournent mal.
Olivia est toujours derrière la fenêtre de chez Sabine. Elle a déjà vu Hélène qui a rejoint les rochers. Maintenant, elle observe les deux hommes qui consultent leur montre. Eux, comme elle, ont une demi-heure avant le rendez-vous. L’un d’eux reçoit un texto ; les deux hommes se lèvent précipitamment et tournent la tête vers quelqu’un qui les interpelle de loin.
C’est Bruno. Il arrive du bout de la plage avec une lettre en main. Il fixe les deux complices et les aborde fort énervé. Il désigne les rochers, puis il pointe son doigt sur Jacques, presque menaçant. Jacques semble calmer Bruno. Celui-ci continue son chemin d’un pas rageur. Les deux comparses attendent que Bruno ait disparu pour se diriger sans hésiter vers la maison de Sabine. Olivia recule. Elle cherche des yeux un lieu de repli, quand un revolver vient se planter dans son dos. C’est Bérangère.
- On va gentiment attendre son grand frère, lui susurre-t-elle. Puis on ira chez Bruno récupérer les petits Bretons.
En peu de temps, Olivia a les mains liées au dossier d’une chaise sur laquelle on l’a assise. Son portable sonne. Calmement, Bérangère met le haut-parleur et ordonne à Olivia de répondre.
- Olivia ? demande Grégoire.
- Oui, dit-elle peu assurée.
- Tout va bien ?
- Oui, souffle-t-elle, l’arme toujours sur la tempe.
- Et les poissons ? essaie encore Grégoire.
- Ils ne sont pas là, je suis chez Sabine.
- Parfait, je suis là dans cinq minutes, conclut-il.
Les deux hommes se placent directement à chaque porte tandis que Bérangère reste à côté d’Olivia. Il n’y a plus un bruit. Le temps s’éternise. Bérangère est aux aguets. Elle perd peu à peu patience. Elle regarde par la fenêtre de part et d’autre de la pièce. Il n’y a plus personne. Elle se dirige vers la porte d’entrée. Boris n’y est plus. Sans perdre une minute, elle se rend de l’autre côté. Jacques est étendu, pieds et poings liés, inconscient. La tueuse se précipite à la fenêtre de la véranda ; elle s’y évapore sans demander son reste.
- Cazzo ! s’énerve Grégoire en passant devant Olivia. Renaud, par ici !
- Bonjour Olivia, salue le « Renaud » en question, un des hommes de la sécurité.
Une demi-heure plus tard, les policiers ont embarqué les deux complices et une patrouille circule encore avec Renaud à la recherche de Bérangère. Les jumeaux se retrouvent sur la plage, de très mauvaise humeur. Ils élaborent la suite de l’opération, rapidement.
*
Tout en lançant de petits regards dans son rétroviseur, Grégoire fonce sur la route qui le mène à la falaise du touareg. La seule personne à connaître l’endroit où Grégoire les a largués est précisément Bruno. Ils avaient parlé du berger, le premier jour quand ils avaient été ensemble rendre la camionnette de la production. Il lui avait même expliqué le chemin, la piste, le tournant en épingle à cheveux impossible à discerner pour ceux qui ne le maîtrisent pas. Pourquoi a-t-il désigné les rochers en émettant un ordre ? Peut-être Grégoire les avait-il tout simplement jetés dans la gueule du loup ? Quel imbécile ! Il aurait dû s’en souvenir !
Encore faut-il que Bruno soit de mèche avec cette mafia.
Encore faut-il que Bruno pense à cet endroit.
Les plans des enfants sont tellement incongrus qu’ils ont en effet toutes les chances d’aboutir. Grégoire doit bien le reconnaître. N’empêche…
Plus il réfléchit à la situation, plus il accélère. Arrivé à la hauteur de la piste, il loupe l’entrée, doit manœuvrer pour pouvoir la prendre. Cela n’a pas échappé au Touareg du haut de sa colline. Il descend prudemment et lance sur le toit de la maison quelques cailloux, donnant le signal à sa femme.
Grégoire est bloqué cent mètres plus loin par les quelques chèvres qui composent le troupeau du berger. En apercevant le vieil homme, Grégoire se doute que c’est un moyen de défense. Toujours aussi inquiet, il sort de la voiture pour que le berger puisse l’identifier. Le Touareg lève le bras en signe d’apaisement et disparaît. Grégoire parque la jeep dans la carrière et déboule quelques minutes plus tard devant la porte de la tente. Essoufflé, il cherche dans le noir les trois fugitifs. Ceux-ci sortent d’une petite caverne cachée par un pan du voile dans le fond de l’habitat, tous les trois éblouis par la lumière. Camille découvre la mine de Grégoire et le rassure en souriant avec la même phrase que tout à l’heure :
- Cool, tout va bien. Qu’as-tu craint ?
- Tout ! avoue-t-il les mains sur les hanches, jambes légèrement écartées, en hochant la tête un peu penchée vers l’avant. Il rit soulagé.
Après le traditionnel thé, ils prennent congé en les remerciant d’une chaleureuse accolade. Grégoire se retourne sur le sentier et fixe les enfants avec un large sourire :
- Bravo ! affirme-t-il, on peut dire que vous avez assuré !
- On monte en grade ? demande Nathan, assez excité.
- Sûrement, mais il faut que j’en parle avec Olivia.
- Et de votre côté ? s’enquiert Camille, anxieuse.
- Je vous expliquerai tout ça en route !
Grégoire, la mine triomphante scrute Camille en grimpant dans la jeep :
- Je te signale que j’ai gagné mon pari, c’est Jacques et le tondu qui ne font qu’un !
- Juste, admet Camille avec un sourire, il ne me reste plus qu’à te trouver du chocolat ! Tu préfères le fondant, lait ou noisette ?
- Qu’importe pourvu qu’il soit belge.
- T’es à peine difficile, toi ! se plaint Camille, où veux-tu que je déniche du chocolat belge au Maroc ?
- J’vais t’aider, on part pour l’Europe !
- Pardon ? Les papiers sont arrivés ?
- On les prend en passant.
La voiture file entre Ifnit et Agadir. Grégoire dresse un topo de la situation, l’arrestation de Jacques et Boris, Bérangère qui s’évapore. Il ne sait pas encore déterminer le jeu de Bruno, ni celui de Sabine, ce sera le travail d’Olivia. Après avoir pris de l’essence, Grégoire sort un portable de sa poche, le dépose sur les genoux de Camille et impose :
- Tiens, c’est le téléphone d’urgence. Il ne sert qu’entre Olivia et moi. S’il sonne, décroche tout de suite, ne prononce pas un mot et écoute ce qu’elle dira.
- Tu ne veux pas le garder ? décline Camille en regardant l’appareil comme s’il s’agissait d’un scorpion posé sur ses cuisses.
- Non, j’en ai déjà deux !
- T’es fou. Je ne suis pas James Bond, moi ! Je suis trop distraite, prétexte-t-elle, paniquée.
Un sourcil levé, Grégoire la dévisage tendrement :
- Tu te débrouilles très bien pour une débutante ! Je sais que tu me rapporteras la conversation, à la virgule près. Garde-le sur toi.
- Je te rappelle que je n’ai pas de poche, lance-t-elle, toujours aussi crispée.
- Glisse-le dans ton mouchoir : c’est aussi une jolie pochette et pends-le à ton cou. Plus d’excuses, on y va ! clôt-il en démarrant.
*
Olivia marche rageusement vers chez Sabine. Rien ne se passe comme prévu, Grégoire a dû partir seul, Bérangère est toujours dans la nature et surtout, oui surtout, rien n’est réglé quant à l’implication de Bruno dans cette galère. Elle en est autant, si pas plus furieuse que son frère. Elle va jusqu’à se demander si la relation qu’ils commencent à installer tout doucement et à l’abri des regards de Grégoire, n’est pas tout simplement calculée de sa part. Olivia est de très mauvaise humeur. Elle a foncé chez Bruno, pour de plus amples explications. Il n’était pas là, il y avait juste Fatima qui balayait le salon. Plus de fête, a-t-elle expliqué, Bruno a tout annulé.
Elle frappe violemment à la porte de Sabine. Olivia refuse sèchement le verre d’eau, attend bras croisés sans piper mot que Sabine se dévoile. Elle reste froide en écoutant le préambule. La lavandière s’excuse d’abord de ne poser les cartes sur la table que maintenant, elle admet avoir eu peur quand on lui a appris la mort de Hugues et la disparition de Camille et de ses enfants. Elle avoue enfin son rôle de messager envers Tanguy. Elle a préparé tous les courriels de ses entretiens qu’elle tend à Olivia. Les mâchoires serrées, Olivia s’empare de la liasse de papiers. Elle est toujours aussi seche, elle n’a jamais apprécié les « messagers ».
- Pourquoi tu ne te mets au tapis qu’aujourd'hui ? claque-t-elle. Tu es très bien placée pour savoir que l’équipe de la sécurité cherchait à les protéger !
- Quand Camille m’a confié son histoire, je lui avais promis le silence et en renseignant Tanguy, je les protégeais aussi...
- Comment savais-tu que le scénariste était dangereux ?
- C’est mon ordinateur qui me l’a dit.
- C'est-à-dire ? s’exclame Olivia en la fixant, sceptique.
- Mon PC me possède, se plaint la lavandière d’une petite voix timide. Il ne fait pas ce que je veux. Dès que je l’allume, il ouvre mes dossiers, il s’exprime, et m’impose des missions à accomplir.
- Explique-moi ça, soupire Olivia, exaspérée.
Sabine raconte comment sa machine a pris possession de ses maigres moyens, lui imprimant tous ses courriels puis exigeant de se confier à Olivia. Celle-ci est sciée. Elle hésite une seconde, téléphone à Arobase, lui demande de se mettre en réseau et allume la bécane.
Une fois l’ordinateur sous tension, Sabine s’éloigne d’un pas comme si l’appareil allait lui sauter à la gorge, tandis qu’Olivia s’assied devant lui. Un écran bleu apparaît avec comme message :
« Merci de décliner votre identité »
Le petit curseur clignote dans une fenêtre où l’utilisateur doit entrer son nom.
- Si j’écris n’importe quel prénom, il refuse de continuer, explique Sabine de loin. Les enfants sont furieux, l’ordinateur les envoie jouer sur la plage ou ailleurs. Il a même suggéré à Arnaud d’étudier à la place de chatter ! Si c’est le mien, il me transmet un autre message, vas-y, ça te concerne, tu verras que je ne t’ai pas menti !
Olivia tape alors « Sabine ». Un message apparaît aussitôt :
- « Sabine, nom d’une pipe ! Tant que ce n’est pas Olivia, je ne te laisserai pas en paix ! Appelle Olivia ! C’est un ordre. »
- « Depuis quand les machines donnent-elles des ordres à ceux qui les commandent ? » écrit Olivia, toujours d’une humeur exécrable.
- Olivia ? répond l’ordinateur.
- Oui.
- Enfin ! Dis à Sabine de se retirer.
Sabine obéit sans qu’Olivia ait besoin de se retourner.
- Elle est sortie.
- Merci de répondre à cette question pour être sûr d’être en face de la bonne personne : comment s’appelle la chatte que tu avais apprivoisée sur la terrasse de la caserne ?
- Ce n’est pas moi qui l’avais apprivoisée, mais Grégoire. Cette chatte se nommait Napoléon, nous pensions que c’était un mâle.
- Bien ! Voici mon message :
- Stop ! coupe Olivia. Décline d’abord ton identité !
- Jonas.
- Mais encore ? Je ne connais personne sous ce prénom !
- Vraiment ? Les grands chatons vont bien et sont en sécurité. Merci de les rejoindre pour clore définitivement l’affaire.
- Où sont-ils ?
- Où que vous soyez, c’est eux qui prendront contact avec vous.
L’écran s’éteint. L’ordinateur ne donne plus rien. Le disque dur est manifestement mort. Après quelques essais, Olivia s’apprête à prendre congé de Sabine pour se rendre directement chez Arobase. Elle signale au passage qu’un technicien viendra lui remettre une autre machine.
Sabine regarde un moment Olivia, hésite à prolonger l’entretien, tellement la coach est cassante. Elle tient dans sa main une enveloppe, qu’elle triture du bout des doigts.
- Il y a quelque temps, les enfants ont ramené de l’école une chanson qui avait été réécrite…, commence-t-elle timidement. Tu dois la connaître, il s’agit d’un corbeau qui veut tuer ses chats…
- Oui, répond Olivia, en réajustant sa coiffe devant le miroir.
- Je me demandais qui pouvait l’avoir si mal recomposée et pourquoi gâcher un chant initialement beaucoup plus drôle…
- Et ?
- C’est Paulette.
- Paulette ? se retourne Olivia. Elle ne donne pas cours de musique !
- En effet. En fin de grossesse, madame Amélie était épuisée. Paulette lui a proposé de lui masser les pieds, l’instit y allait presque tous les jours. Lors d’une des séances, Paulette a appris ce chant à l’enseignante prétextant que c’était celui d’un spectacle où jadis, quand la couturière était au cours préparatoire, elle jouait la chatte. Madame Amélie aurait aimé lui faire la surprise, pour son anniversaire, de réaliser le même spectacle avec les élèves. Une chose est sûre, Paulette maîtrise leur histoire de A à Z et elle ne supportait pas Hugues.
Sabine explique le massage sur la plage. Elle lui raconte comment la vieille dame l’avait enjointe à rompre les consignes de sécurité dictées par Tanguy.
Olivia reste un moment pensive. Elle parcourt le mail envoyé trois heures avant la mort de Tanguy. Elle y lit le portable disparu, les interrogations sur Paulette et dévoile que Michel détient quelques ficelles. Sans le vouloir, cette godiche de Sabine a dégoupillé une bombe en photographiant la famille. Si Marcial avait un complice à Paris, c’est elle qui a mis le feu aux poudres. Olivia se souvient parfaitement de la scène, y assistait aussi Paulette, toujours Paulette ! Pour peu, Sabine renseignait quelqu’un d’autre que Tanguy, peut-être un comparse de la couturière.
- Tanguy t’a-t-il répondu ces derniers jours ?
- Les dernières nouvelles de lui, c’était le lendemain de la mort d’Hugues. Il m’a juste envoyé ce petit mot :
« Merci pour tout. Ils ont rejoint la famille. Un dernier petit service : un colis arrivera par la poste, remets-le à qui de droit. »
- Et le colis ? demande Olivia.
- Il est arrivé le jour de l’incendie du duplex de Grégoire. Alors, je l’ai refusé, avoue Sabine. J’ai eu trop peur.
Olivia est à cran. Tanguy devait être bien seul pour confier ce genre de mission à cette cafouilleuse. Sabine risque :
- Tu as des nouvelles d’eux ? Et de Tanguy ?
- Tanguy est mort trois heures après que tu aies envoyé ce mail, rétorque-t-elle sèchement.
Sabine est blême. Elle s’est assise sur le coin d’une chaise, murmure entre ses lèvres :
- Je l’ai tué, c’est ça ?
Olivia regarde la lavandière anéantie. Elle soupire longuement :
- Excuse-moi, je suis sur les dents. En les prenant en photo, tu as accéléré les événements, c’est sûr. Paulette les a peut-être provoqués insidieusement, c’est plus grave. Tu sais autre chose ou tu soupçonnes quelqu’un d’autre ?
- Le facteur. Il n’est pas net. Il n’a pas arrêté de jouer au chat et à la souris avec Camille. Il ne m’adresse la parole que pour essayer d’entrer en contact avec elle. Et depuis que j’ai découvert que Paulette a écrit cette chanson, j’en suis d’autant plus persuadée. Ces deux-là ne se détestent pas vraiment, ce n’est qu’un jeu.
- Ah bon ?
- Quand Simiane a commencé à parler, Paulette était dans la boulangerie.
- T’es sûre ?
- Certaine ! affirme Sabine, en se remémorant la scène qu’elle raconte au fur et à mesure à Olivia.
Elle décrit aussi le dernier jour de Camille et des enfants aux Plateaux :
- Quand je suis rentrée dans la boulangerie, un homme en sortait. Il avait la figure bien amochée par une bagarre ou un accident. On s’est regardés un instant, et je l’ai reconnu au bout d’une ou deux secondes, c’était James. Alors que j’allais le saluer, il a pris la parole le premier :
« Taisez-vous, Sabine, a-t-il imploré. Je le fais pour eux, ils sont en grave danger. » Il avait un air tellement suppliant et moi, j’étais tellement surprise que j’ai juste hoché la tête. Je l’ai cru de mèche avec vous. Une fois rentrée à la maison, tu étais déjà revenue avec les enfants, je me suis occupée d’eux, ils étaient assez sonnés comme ça, pour en remettre une couche ! Plus tard, lors du fameux drink organisé par Paulette...
- Non, l’interrompt Olivia, le cocktail était organisé par Bruno pour Paulette.
- Ah ben non ! assure Sabine. J’ai bien vu Paulette intercepter Bruno pour le convier au verre !
- Quand ça ? demande Olivia de plus en plus abasourdie.
- Le matin, juste avant le tournage. Ils ont causé tous les deux et elle l’a pris à part une ou deux minutes, pour orchestrer la fête.
- Poursuis, impose Olivia à mi-voix.
- Quand les boulangers sont arrivés à la réception, Paulette s’est directement dirigée vers eux et s’est emparée de la bouteille de whisky en les remerciant chaleureusement. Elle a dressé un plateau sur lequel elle a disposé trois verres identiques. Ensuite, elle a servi un des verres de whisky et les deux autres de jus de pomme. Bruno est venu vers elle et elle lui en a pointé un qui était sur le côté. Puis toujours très décontractée, elle s’est dirigée vers le couple. Hugues a pris le verre qui était devant lui et bien plus rempli. Bruno est arrivé quelques secondes plus tard, ils ont trinqué à trois, Camille ayant refusé d’en prendre. Hugues s’est resservi tandis que les deux autres ont décliné l’invitation. Au bout d’un quart d’heure de conversation, ils se sont séparés et Paulette a vidé le reste de la bouteille dans le sable.
- Merci Sabine, murmure Olivia.
- Une dernière chose, Olivia. Et j’aurai la conscience totalement tranquille. Voici une enveloppe pour Camille. Je voudrais que tu la lui transmettes.
- Tu peux compter sur moi, réplique Olivia en l’enfouissant dans sa jupe.
- Sont-ils hors de danger ? murmure Sabine véritablement inquiète.
Olivia hésite à lui répondre, en la fixant d’un œil fatigué. Profondément gênée, Sabine marmonne quelque excuse pour son indiscrétion et ouvre la porte à la caoch.
Olivia oscille entre une visite chez Paulette ou d’abord chez Arobase. Le technicien, opte-t-elle. Elle espère qu’il aura pu déterminer ce Jonas qui s’amuse à posséder la pauvre lavandière !
Arobase l’accueille très excité, le hacker a émis depuis l’ordinateur personnel du technicien. Dès qu’Arobase l’a démasqué et qu’il a éteint sa machine précipitamment, Jonas a poursuivi depuis la France. Il jurerait que c’est une personne proche des milieux de la P.J. parce qu’elle a utilisé un virus nommé « rat » qui détruit toutes les données du disque dur de manière sûre et définitive. Aucun des messages de cet homme n’est envoyé par le même ordinateur, ni du même pays. Celui de Grégoire et celui de James ont été diffusés par deux P.C. différents à vingt minutes l’un de l’autre, l’un venant d’Allemagne, l’autre de Suède. Il doit créer de mini chevaux de Troie, entrer dans la machine d’un particulier, larguer son mail et se retirer aussi rapidement.
Tandis qu’ils discutent de ces résultats, une phrase danse sur l’écran du superordinateur du responsable informatique. Olivia, muette, la désigne du doigt :
« Olivia, ne me cherche pas plus loin. Merci de veiller sur eux,
Jonas ».
Elle se précipite pour répondre, mais à la première lettre tapée, le moniteur s’éteint de la même manière que celui de Sabine.
- Non, hurle Arobase, pas le rat !
Un petit rat surgit alors sur l’écran, en dessin animé. « Je t’ai fait peur, hein ? », émet-il dans un phylactère. Le visu reprend son aspect habituel. Arobase n’en revient pas, il transpire à grosses gouttes en l’enserrant nerveusement. Il empoigne la souris et consulte ses dossiers. Tout y est, mais il n’arrive plus à accéder à certaines machines. Un message non dépourvu d’humour apparaît à chaque tentative. L’historique est également effacé.
- J’ai rarement vu un mec aussi doué, s’extasie le technicien. Si tu le trouves, remets-lui une proposition d’emploi de ma part ! Tu veux son profil ? Un jeune entre quinze et trente ans. Sans doute no-live, pour être tout le temps devant sa machine. Il apparaîtra sur facebook avec trois mille amis, mais pas un seul qui ne soit pas virtuel.
- Tu pourrais me le retrouver ?
- Pas maintenant, il est trop prudent. Tôt ou tard, les hackers sont tellement fiers de leurs exploits qu’ils se dévoilent sur le net. Je te promets que je vais le pister ; c’est un jeu pour moi et celui-ci mérite vraiment mon attention. Je te tiens au courant.
- Volontiers, dès que tu as du neuf, envoie-moi un mail. J’ai quelques petits soucis familiaux, je rentre en Italie pour un mois.
Olivia quitte le siège central pour la maison de la couturière. En passant devant la réception, le préposé à l’accueil l’apostrophe pour lui montrer le colis qui a été livré, il y a plus d’une semaine. Il est adressé à Mister X et l’agent se demande à qui il doit l’envoyer. Olivia s’approprie le paquet.
Olivia arrive chez Paulette. A priori, il ne devrait pas y avoir de monde, elle frappe néanmoins à la porte. À son grand étonnement, celle-ci s’ouvre. Bruno est devant elle. Olivia plonge directement les mains dans ses poches et prend une allure décontractée. Bruno lance joyeusement :
- Tu en as mis du temps ! Je t’attendais !
- J’avais du boulot ailleurs, se défend-elle avec le sourire.
- Entre, l’invite-t-il. En la précédant dans le couloir.
Olivia le suit. Ils arrivent au salon où l’ordinateur de la vieille femme est allumé.
- Tu t’occupes de ton courrier en retard ? plaisante Olivia, en avisant la machine.
- Ma grand-tante est morte.
- Paulette ?
- Tante Paulette est décédée hier dans un hospice à Namur, précise Bruno. La couturière, c’est quelqu’un d’autre. Elle m’a laissé un mot et nous a préparé une tartiflette avant de partir. C’est son cadeau d’adieu, un petit coup de pouce, a-t-elle griffonné. Je vous ai menti, Olivia : j’en savais plus, mais vous ne m’avez pas tout raconté ! On va s’expliquer : vous ne pourrez pas vous en sortir comme ça ! J’ai annulé la fête de ce soir pour un tête-à-tête avec toi.
Bruno enlace Olivia par la taille, celle-ci répond en déposant les bras sur ses épaules. D’un mouvement rapide, Bruno glisse ses mains dans les poches d’Olivia et empoigne le portable allumé. Il sourit en l’apposant à son oreille.
- Ben non, Grégoire, t’es pas convié ! annonce-t-il dans le combiné.
Quand le portable vibre sur la poitrine de Camille, sans la moindre hésitation, elle décroche et écoute la conversation. Durant ce temps, Grégoire a arrêté le véhicule sur le bord de la route. Une fois la communication interrompue, elle rapporte à Grégoire l’ensemble du contenu, mot à mot. Grégoire devient vert, tendu, furieux. Il se tait, fulmine. Il plisse les yeux en fixant un point précis sur l’horizon, les veines de son cou se gonflent au rythme de sa colère, ses mâchoires se serrent. Sa pomme d’Adam ne parvient plus à avaler.
Le portable vibre à nouveau, c’est un texto :
« les poissons tournent gentiment dans leur bocal »
Grégoire ne se calme pas pour autant. Il sort de son portefeuille quelques cartes SIM, en choisit une qu’il place nerveusement dans son portable et grince entre les dents :
- OK, on applique le plan B.
- On peut savoir ce qui se passe ? demande doucement Camille.
- Cazzo ! Quelle ordure ! enrage-t-il en frappant du poing sur le volant. Bruno, puant ! les surprend Grégoire en arrivant par l’autre côté. Je n’en reviens pas !
- Je ne suis pas d’accord, déclare Nathan du fond du véhicule. C’est pas parce qu’il veut s’expliquer avec Olivia qu’il est puant ! Vous non plus, vous n’avez pas été corrects avec lui !
- C’est vrai ça ! continue Simiane plus doucement ; sinon, Olivia n’aurait pas écrit le texto. Tu peux être tranquille, Grégoire !
Camille se tourne vers Grégoire avec un petit sourire malicieux. Elle attend qu’il réagisse, ce qu’il tarde à faire. Encore de mauvaise humeur, il fixe les enfants tour à tour puis, il répond, encore fâché :
- OK, vous avez raison ! N'empêche, c’est ma sœur !
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