Sport d'hiver
Quand ils entrent dans leur chambre d’hôtel, à la Haute-Nendaz en Suisse, Olivia les attend. Grégoire empoigne autoritairement le coude de sa sœur et l’entraîne dans la chambre adjacente, brûlant de connaître les détails du tête-à-tête avec Bruno.
Olivia a acheté une foule de vêtements que Nathan et Simiane s’amusent à passer. Camille, épuisée, s’est affalée dans un fauteuil et les regarde déambuler, attendrie. Elle entend les jumeaux s’exprimer en italien de l’autre côté de la porte. Grégoire s’emporte régulièrement, Olivia le calme immanquablement. Elle sourit en imaginant Grégoire sévère, écoutant les explications de sa sœur. Olivia est la seule à maîtriser les fougues de son frère et à lui tenir tête. Comment n’a-t-il rien remarqué des regards de Bruno sur Olivia ni de ceux qu’elle lui renvoyait ?
Grégoire et Olivia entrent dans la pièce. Grégoire affiche une mine encore légèrement contrariée tandis qu’Olivia fait un clin d’œil complice à Camille. Le frère avise l’attitude vaguement moqueuse de Camille et devance tout de suite ses propos :
- Non, je ne suis pas macho ! C’est ma jumelle, c’est tout !
Camille se défend par une mimique faussement offusquée exprimant son innocence face à une telle accusation.
Olivia explique l’enquête qu’elle a effectuée au village. La mission de Sabine, le message d’Arobase. Elle raconte la mise en scène du facteur, de Paulette et de Bruno.
- Que le facteur joue dans cette affaire, ça, ça ne nous étonne pas, mais Paulette ! dit Camille. Je n’aurais jamais cru ! Et Bruno est complice...
- Complice, c’est vrai. Il ne s’en cache pas d’ailleurs. Il savait que Marcial n’était pas recommandable, sans pour autant connaître son identité. C’est Marcial qui avait laissé la porte ouverte de la boulangerie, lors de la scène de l’assassinat dans le magasin et non Jacques. Quand Camille est partie avec Simiane en faisant le tour de la maison pour rentrer par le jardin, Paulette s’est précipitée dans la boutique et, le tournage étant interrompu, a exigé un tête-à-tête avec son neveu. Sous le sceau du secret, elle lui a raconté grosso modo votre histoire. Le dernier matin, elle lui a révélé qui était cet homme et, quand Bruno a vu la tête de Camille, il lui a assuré son soutien. Il croyait en toute bonne foi qu’on l’endormait pour le remettre à la police. Quand il a appris qu’il était mort, il a exigé que Paulette s’explique, d’où leur petit rendez-vous au marché. À ce moment-là, il se figurait encore que c’était sa tante. Il ne connaissait pas très bien sa famille. Bruno a une maman belge et un père suisse. Il a vécu en Suisse toute son enfance, ne voyant qu’extrêmement rarement la branche du nord. Et les quatre ou cinq réunions de famille où ils auraient pu se croiser, l’un ou l’autre n’y était pas.
- La question actuellement est de savoir qui est cette pseudo Paulette ? C’est une finaude ! Quand nous étions chez elle, continue Olivia ; elle avait prévu que nous y arriverions l’un et l’autre. Elle avait préparé une tartiflette qu’elle avait mise dans son congélateur ; elle avait envoyé les consignes par la poste, de la manière dont on devait réchauffer le plat aux portables à éteindre. Elle avait aussi deviné que vous étiez sous notre protection, parce qu’elle avait déterminé à la façon dont tu tenais ton poignet, que celui-ci devait être dans un sale état. Quand on s’est croisés à la pharmacie, elle a compris que l’attelle était pour toi et non pour moi. Je capte maintenant pourquoi elle nous a donné un cours sur le maintien d’un membre cassé !
- Elle est de notre côté, intervient Nathan, ça c’était déjà sûr mais maintenant c’est certain !
- C’est aussi une encyclopédie vivante sur Edelweiss, signale Olivia en racontant la partie Edelweiss de l’affaire.
- Ce qui nous reste à examiner, détermine Camille, c’est pourquoi ces deux-là, le facteur et Paulette, s’intéressent à ce bourbier, au point de commettre un meurtre. Tu crois qu’ils ont tué Marcial à cause de nous, je veux dire pour nous protéger, les enfants et moi ?
Grégoire opine catégorique.
- Quelle folie ! Ils n’auraient pas dû !
- Je ne pense pas qu’ils aient eu le choix ! Marcial t’aurait liquidée, il était bien parti pour ça, souviens-toi.
- N’empêche, comme dit Bruno, ils auraient pu l’endormir et le livrer à la police…
- Et on aurait eu les flics directement chez Grégoire, cerne Olivia. Tu penses bien que Marcial vous aurait immédiatement balancés et chargés. Les enfants auraient été rendus à la famille, à un de tes grands, et toi tu serais sous les verrous. Les petits n’auraient pas si tôt mis un pied en France qu’ils auraient eu un « accident » !
Olivia continue son rapport en expliquant le rôle de Sabine, ses cafouillis et désigne le paquet refusé dans la panique. Camille passe sa main sur l’écriture de l’adresse.
- Mister X ! Eh bien voilà, quand on parle du loup… pour moi, c’est du facteur !
- De James ?
- Oui, c’est lui. C’est soit un cadeau, soit une bombe. Sabine a raison d’en avoir peur. On va enfin démasquer cet homme. Ouvrez-le, je parie que c’est pour vous !
- Pour nous ?
- Toi et Olivia. Ou bien l’un ou l’autre. Dans un cas comme dans l’autre, ce n’est pas pour moi.
Grégoire découvre un portable accompagné d’un dossier sur lequel il est écrit : G. et O., nos misters X.
- Bien vu ! reconnaît-il.
Une enveloppe s’échappe, sur laquelle Camille lit un dernier mot du facteur :
« Du courrier pour vous miss Camille, excusez le retard… Je ne savais pas où le livrer. »
Aussi blanche que l’enveloppe, Camille reconnaît l’écriture de son fils et ouvre le courrier en tremblant :
« Maman,
Pardon pour ces cachotteries, pardon pour ces deux dernières années où tu m’as vu filer vers des sphères que tu exécrais tant. Pardon, pardon, pardon. (Tu vois, depuis que je vis avec ces crapules, j’ai au moins appris une chose : dire pardon !)
Nathan t’aura expliqué les raisons qui m’ont conduit à jouer de la sorte.
Visant, Yohann et Saïd m’ont aidé à vous protéger ces derniers mois, nous avons vu les rushs de tous les films qui se déroulaient aux Plateaux. Tu ne peux pas savoir comme cela nous réconfortait de vous voir déambuler vivants. Ces derniers jours, le vent a tourné.
Maman, si tu reçois cette lettre c’est qu’ils m’ont tué, mais c’était écrit depuis que Simiane est passé sous les roues de ce taliban. Je ne regrette qu’une seule chose, c’est de ne pas pouvoir t’embrasser.
Sache que je serai à ce rendez-vous avec, sur mon cœur, la phrase que tu m’as envoyée avant de partir.
Je t’aime Camille, ma maman, merci pour tout ce que tu m’as donné.
Tanguy »
Camille lit relis le visage baigné de larmes les quelques mots de Tanguy ; ils sont trop court ou trop longs, elle voudrait aussi lui envoyer une lettre en lui demandant pardon d’avoir douté de lui.
Quand enfin elle émerge de son brouillard, Grégoire et Olivia terminent la lecture du dossier qui explique, en long et en large, le mode d’emploi de ce cadeau précieux. Ils sont estomaqués, silencieux autour du portable.
- C’est qui, ce mec ? murmure Olivia.
- Ni le Hongrois ni l’Autrichien. Un Suisse qui a accès au fichier et qui s’en est retiré, raisonne Grégoire. T’avais raison, Camille. Pourquoi ne nous en révèle-t-il pas plus sur son identité ?
- Détrompe-toi, découvre Camille en observant le papier journal dans lequel il a emballé le portable. Voilà son C.V.
En effet, James a composé cette feuille de journal en imprimant au milieu sa photo avec son parcours professionnel, familial et social.
- Charles Drasse. Il est flic. Connaissait-il Tanguy ?
- Il peut faire partie de votre club. Comme Mister X, il n’y a pas mieux ! grommelle Camille. Quand je pense à toutes les allusions qu’il lançait, il aurait quand même pu me dire pourquoi il était au village !
- L’aurais-tu écouté ? doute Grégoire. Tu n’avais pas encore entamé tes leçons de confiance !
- Au nez et à la barbe de Marcial ? renforce Olivia. Sûrement pas ! Tu n’étais pas d’une approche facile, il a essayé via Sabine, sans plus de succès.
- OK ! Vous avez toujours raison. Mais vous vous trompez sur un point, le facteur était aussi le voyeur. Ce n’était pas Jacques, je le reconnais, détermine-t-elle en pointant la photo du doigt. Pourquoi s’était-il déguisé en « Jacques » ? Je l’ignore, mais il est arrivé juste après le saut en parachute. Il s’était donné la mission de nous protéger plus que de nous surveiller, réalise Camille. Et je suis sûre qu’il voulait me prévenir, le soir avant la mort d’Hugues ; il me faisait une croix avec ses poignets, cela devait être un X…
- Bien vu, admet Grégoire. Et pour terminer le tableau, s’il s’est déguisé en Jacques, c’est pour que tu te méfies du scénariste. On savait que le fichier d’Anna avait été consulté par la France et la Suisse, lui c’est la Suisse !
- C’est peut-être le fameux Jonas… en déduit Olivia, le message post mortem de Tanguy à Sabine qui annonçait le colis venait d’un ordinateur non identifiable, comme le pratique ce hacker.
Olivia trifouille encore dans son sac et sort l’enveloppe que Sabine lui a remise.
- Une dernière petite chose de Sabine !
- Non merci ! Je n’ai aucune envie de lire cette lettre ! ronchonne Camille. Tu te rends comptes qu’elle savait tout, qu’elle était en contact avec Tanguy, qu’elle était au courant de mes doutes vis-à-vis de mon fils et qu’elle n’a rien fait pour me tranquilliser à ce sujet !
- C’est une cafouilleuse, mais son silence s’explique par son désir de te protéger, réplique Olivia.
- Ce n’est pas une lettre, c’est un roman ! constate Grégoire, en observant la grosseur de l’enveloppe.
- Raison de plus ! J’ai d’autres choses à lire bien plus passionnantes. Lis-la si tu veux ! se bute-t-elle en lui jetant l’enveloppe.
- Pas question, elle ne m’est pas adressée. Ouvre-la, Camille, laisse-lui le droit à la défense ! Tu la comprendras peut-être mieux après.
- Je la regarderai plus tard. Je garde encore les mots de Tanguy dans la bouche sans pollution !
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