La fondue suisse

7 minutes de lecture

Depuis une bonne douzaine de jours, Charles a installés les Squiban du mieux qu’il pouvait dans le vieux chalet familial. L’habitat est grand, mais sans confort. Isolé, dernière maison avant la montagne, personne ne peut soupçonner leur présence. Une vieille ligne ADSL et un ordinateur leur permettent un regard sur l’enquête qui se déroule en France. Ne voulant pas qu’ils aient la moindre impression d’être manipulés, Charles s’évertue à jouer cartes sur table depuis leur arrivée. Ainsi, quand il a reçu le courriel de Jonas l’informant que la partie Varnas s’était évaporée dans la nature avec Grégoire  et Olivia, il l’a tout de suite révélé à l’autre branche de la famille. Jonas annonçait déjà un dénouement assez rapide et demandait à Charles d’être prêt à réceptionner Camille et les enfants.

Le premier pari de Charles est gagné : leur disparition est rapidement médiatisée. Quelques fliccs, un vieux curé et la famille de Saïd ont délié leur langue. La presse s’en empare, les moyens sont mis en œuvre pour que la police puisse les rechercher autant en Bretagne qu’à Paris.

Comme par miracle, l’assassinat de Tanguy a été élucidé. D’après les journaux, Serge Bahon est un tueur en série, ayant pour cible de prédilection les prêtres. Il en a occis deux, voire plus, sur la côte bretonne et c’est parce que le policier était sur sa piste qu’il a subi le même sort. Nardolé est aux aguets. Il a déjà fait un « mea culpa » public devant les caméras. Se confondant en excuses pour avoir refusé d’enterrer son frère parce qu’il ne « savait » pas, il prie Yohann de se manifester, si elle est vivante ; ce dont il ne doute pas. Yohann en aurait vomi.

  • C’est le facteur, crie Charles en revenant des courses. J’ai dévalisé le supermarché de Saint Moritz, grâce à la liste de Saïd ! Et voici la presse française !
  • En première page ? s’étonne Yohann. Waw, on devient célèbres !
  • Pour fêter ça, je vous prépare une véritable fondue ce soir ! annonce leur hôte.

Leur disparition s’appelle désormais « l’affaire Squiban-Varnas », le dossier des autres membres de leur fratrie ayant rejoint la leur. Yohann lit l’ensemble des journaux. Très cartésienne, elle analyse les différentes versions et les commente autour du repas.

  • Ce qui me turlupine, explique-t-elle, c’est qu’ils en font du foin. Ils auraient parfaitement pu nous laisser disparaître dans la nature et nous oublier ou prétexter un accident de voiture. Ils ont même la Kangoo pour le simuler. Je ne serais pas surprise qu’on ait averti la presse le jour même de notre disparition. Et ça, Charles, je crois que tu nous dois une explication.

Démasqué, Charles sourit malicieux :

  • C’est vrai, j’avoue. Je ne les ai pas prévenus moi-même, cela équivaudrait à vous présenter sur un plateau d’argent mais j’ai chargé quelqu’un de le faire…
  • Qui ?
  • Vous ne devinerez jamais ! Une personne au-dessus de tout soupçon : Martine votre belle-sœur.
  • Martine ? fulmine Yohann. Charles ne joue pas avec nous !
  • Non, rassure-toi, explique-t-il sereinement. Je ne la connais pas. Je lui ai envoyé un petit colis par la poste, en lui demandant de te le remettre en mains propres. La mort de Tanguy l’a profondément bouleversée. Tu l’en as tenue pour responsable, c’est ce qu’elle ressent et veut s’en disculper. Elle aimerait reprendre contact avec toi, elle tournait autour de votre maison depuis trois jours, sans oser sonner. Elle a vu la manière dont tu étais assiégée et, à mon avis, entrevoyait tout doucement le jeu de Nardolé. En la chargeant de cette mission, je lui offrais un moyen discret de t’approcher. Je suppose qu’elle n’a pas hésité !
  • Qu’est-ce qu’il y avait dans le paquet ?
  • Ton petit péché mignon : des macarons. Mais dans le fond de la boîte, un message lui était destiné :

« Martine, si c’est vous qui ouvrez cette boîte, c’est que les Squiban ont disparu. Seule la presse pourra faire la lumière sur cette affaire ». Avec en prime le nom d’un journaliste qui combat l’O.D.D..

Yohann le dévisage, légèrement marrie. Elle n’est pas très heureuse de cette mise en scène. Elle commence à se demander jusqu’où ce facteur est franc. Charles n’en semble pas affecté. Il la considère posément et continue :

  • Ce n’était qu’un coup de pouce, Yohann. N’y vois rien d’autre.
  • Explique-moi alors, comment tu sais qu’elle rôdait autour de chez nous et comment la presse est hyper informée à présent. Ils n’ont pas été longs à localiser le lien qui pouvait exister entre l’O.D.D. et nos disparitions ; même l’accident de Simiane est mis à l’épreuve.
  • Avant la chapelle Saint-Léon, j’étais, moi aussi, dans votre rue. Je l’y ai aperçue plusieurs fois : avec son foulard Hermes sur la tête et ses lunettes noires, elle était loin de passer inaperçue. De temps en temps, elle se promenait avec un landau vide ! Nous nous sommes parlé deux fois exactement, je me suis présenté comme un voisin et elle m’a prétendu qu’elle venait de déménager, elle allait justement chercher son bébé à la crèche. C’est comme ça que je lui ai aussi ouvert les yeux sur les hommes qui campaient autour de chez vous. Pour ce qui est des autres renseignements, je l’ignore. Je suppose que cela prouve qu’ils ont été muselés et que cela se termine, conclut Charles.
  • Non, plus que ça. Si ce n’est pas toi, c’est qu’il y a quelqu’un d’autre qui insuffle au fur et à mesure les bonnes pistes. Regarde le temps que tu as mis pour découvrir notre famille, l’existence de l’unique témoin. Je serais étonnée que les Curés de Campagne soient plus bavards maintenant qu’avant...

Charles la dévisage un instant en réfléchissant sur son analyse.

  • Eux démarrent de votre famille, ce qui est plus facile ; mais c’est très possible, après tout, qu’un quidam ait accompli le même chemin que moi pour des raisons similaires : ils sont nombreux à Guantanamo. Ce mister X aurait profité de votre disparition pour informer la police… Je te le jure, Yohann, je n’y suis pour rien.

Légèrement troublé, Charles réfléchit pendant quelques minutes :

  • Nom de bleu ! C’est peut-être Paulette, en déduit-il, mais elle m’avait promis de rester au village tant que Camille et les enfants y seraient. Comme ils s’en sont évaporés, ça pourrait bien être elle : quelle casse-pompette, cette femme !
  • C’est qui, Paulette ?

Charles explique cette voisine dont il s’était largement méfié au début de son séjour. Il était furieux contre elle parce que c’était à cause d’elle que son frère avait ouvert les yeux sur les atrocités de Guantanamo. Elle avait été jusqu’à lui payer un premier voyage à Cuba ! C’est une encyclopédie à elle toute seule sur le pénitencier. Paulette avait persuadé le facteur qu’ayant les mêmes objectifs, ils devaient unir leurs efforts. Charles avait fort hésité. Il avait consulté le P.R.I.S. et rien n’était plus scabreux. Vu son âge canonique, elle n’était pas fichée, elle en usait et abusait ! 

D’autre part, Paulette avait permis à Camille de découvrir le micro, elle connaissait tout le monde au village, et soignait la famille aux petits oignons, elle prenait la défense des enfants face à Hugues, ce qui soulageait les loupiots. Et, surtout, Camille ne s’en méfiait pas.

Après l’aventure du parachute, il s’est décidé à coopérer. Elle avait immédiatement pris les commandes et l’avait obligé à les surveiller chaque nuit jusqu’à ce que Bahon dorme.

Dès le départ, elle le soupçonnait dangereux, mais elle refusait d’en expliquer les raisons. Elle avait offert aux enfants une échelle de corde et avait exigé du facteur qu’il donne un cadenas.

Charles est vivement contrarié à l’idée qu’elle divulgue les informations sans lui en parler, mais n’en serait pas étonné. 

  • On a décidé d’un plan, pourquoi n’arrive-t-elle pas à s’y tenir ? bougonne Charles. D’abord et, avant tout, il faut rassembler la famille. En jouant cavalier seul, elle met en péril la partie Varnas et c’est la plus fragile. Je ne peux même pas la contacter, je n’ai aucune de ses coordonnées.
  • Pourquoi s’est-elle éprise de ce dossier sur Guantanamo ? demande Visant.
  • Impossible de savoir ! Elle est aussi insaisissable qu’une truite, réplique-t-il toujours de mauvaise humeur.
  • Es-tu sûr qu’elle s’appelle Paulette ? soupçonne Visant.
  • Non, rien n’est moins certain en effet. On se choisit le nom qu’on veut aux Plateaux ! Tu as une idée ?
  • Peut-être bien... On m’a filé l’adresse d’une femme qui était incollable sur Guantanamo. Je lui avais envoyé un mail, mais elle ne m’a jamais répondu. Elle était la responsable du dossier pour Amnesty International. Elle s’appelait Ella, mais je ne me souviens plus de son nom de famille.
  • Dommage que tu n’aies pas accès à ton courrier ! On vérifiera ça, via le site de l’organisme.
  • Toujours est-il que s’il existe un second Mister X, analyse Yohann, on devrait le trouver, on avancerait plus vite. D’autre part, cet inconnu ne donne aucune piste sur Edelweiss. Il ne doit être au courant que de la partie catho : le règne Nardolé a un sérieux plomb dans l’aile. Par contre du Bois d’Hoche n’est pas encore démasqué et, à mon avis, c’est le plus dangereux.
  • En tout cas, c’est celui dont je veux la peau, réagit durement Charles, et je l’aurai. Les nouvelles de Cuba ne sont pas bonnes, ajoute-t-il, entre ses dents.

Le lendemain, Charles reçoit le message tant attendu :

  • « Demain, gare de S. Camionnette bleue Renaud Trafic. Itinéraire suivra. J. »

Annotations

Vous aimez lire Yaël Hove ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0