la bague de la mer

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Le lendemain quand le chirurgien fait sa tournée, il est accompagné, comme d’habitude, par deux infirmières. Il passe d’une chambre à l’autre sans sourciller et arrive à celles du bout du couloir. Il entre chez Simiane et, au moment où les gardes s’apprêtent à lui emboîter le pas, il les renvoie poliment à leur poste.

Une fois la porte close, Matéo s’adresse à Simiane :

  • Alors ma petite Simone, comment tu te portes ?

La petite Simone ne répond pas. Une des deux infirmières et elle se sont fondues l’une dans l’autre. Tête contre tête, sœur contre sœur, le monde s’est évaporé. Yohann enroule les cheveux de sa benjamine autour de son doigt. Simiane caresse doucement sa chaînette autour du cou de sa sœur. Yohann fait mine de vouloir la lui rendre.

  • Non, chuchote Simiane, garde-la tant que tout n’est pas fini.

Yohann accepte en hochant la tête. Elle cherche ce qu’elle pourrait lui confier, elle lui enfile sa bague, bien trop large. C’est un bijou de famille, elle appartenait à sa mère défunte. Suivant la volonté d’Alan, Camille la lui avait transmise à sa majorité. Simiane lui avait donné un nom « la bague de la mer » parce qu’elle avait une pierre bleue avec de petites vagues. Tous avaient adopté le nom, amusés par le jeu de mots innocent de la gamine.

Édith regarde les retrouvailles des deux sœurs, émue jusqu’aux larmes. Elle disparaît pour revenir quelques instants plus tard avec le ruban d’une boîte de chocolat. Yohann enfile la bague au ruban et en confectionne un collier qu’elle passe autour du cou de Simiane.

Olivia reste en retrait pour que ce silence puisse se prolonger un maximum. Matéo demande à Édith de s’occuper du pansement. Pendant ce temps, il s’adresse à Olivia rapidement :

  • Nous ne pourrons pas vous garder indéfiniment, mon collègue réintégrera son poste demain. Je crains qu’il ne récupère le dossier. Pouvez-vous nous localiser le lieu de séquestration des autres ?
  • Un petit château style rococo en Toscane, à une quarantaine de kilomètres au nord de Florence. Pour être plus exacte, il est dans la direction 1h30 par rapport à la ville, au sud d’un barrage. Il se situe à cent cinquante mètres du bord de l’eau. Il y a une grande piscine face au lac. Je crois qu’on est dans les meubles de du Bois d’Hoche.
  • Vous êtes très précise ! admire Matéo. Vous êtes sûre que c’est Florence ?
  • Aucun doute possible. Ils ont oublié de me bander les yeux entre le château et ici, explique-t-elle posément.

Matéo la scrute avec un brin d’étonnement. Peu de personnes penseraient en pleine tourmente à situer si précisément leur lieu de séquestration. Elle doit avoir jeté un œil distrait par la fenêtre et découvrir Florence bien reconnaissable. Il élargira ses recherches tout autour de la ville dans un rayon de quatre-vingts kilomètres. Le lac doit être une piste, mais c’est sans doute au sud pour l’avoir aperçue. 

  • Je passerai demain. J’espère vous donner un portable avec une puce GPS. Je crains que mon collègue vous offre votre billet de sortie avec célérité.
  • Un téléphone suffira. Le plus vite possible, même cet après-midi ! exige Olivia. Vous pouvez vous fier à ce que je viens de vous préciser. Il n’y a pas tellement de châteaux autour de ce barrage !

Olivia le fixe un peu exaspérée par le doute que Matéo pose autour de ses compétences. On devrait lui avoir soufflé qui elle était et lui doit se souvenir de ses antécédents militaires, c’est un copain de son père ! Peut-être pas pour finir, en déduit-elle. James ne doit pas connaître son passé.

Matéo, quant à lui, la dévisage à mi-chemin entre la contrariété et la surprise. Pour qui se prend-elle à exiger ça tout de suite ? Alors qu’elle s’apprête à se présenter, le chirurgien se retourne vers Simiane en déclarant plus fort :

  • Parfait ! C’est parfait, Simone ! Tu te rétablis très bien. Édith et Françoise, terminez le pansement, s'il vous plaît, ajoute-t-il en ouvrant la porte.

Le docteur traverse le couloir pour entrer dans la chambre de Saïd. Les deux hommes se parlent plus longuement. Matéo et Saïd s’entendent à merveille. Tous les deux intéressés par la philosophie, ils ont tissé des liens solides basés sur le profond respect d’un point de vue différent. Ils entament une discussion sur l’énergie qui peut se dégager d’un groupe de personnes et qui les rassemblent. Ils décident aussi de prolonger l’hospitalisation de Leïla le plus longtemps possible.




*




La cuisine de Charles est bien morose. Le collègue de Matéo reprend le dossier de Simiane. Le fourneau à bois a beau ronronner, les casseroles en cuivres être si joliment alignées, la lumière paraît terne. Rien ne va plus.

Si près du but.

Saïd, Édith et Matéo sont venus passer la soirée, Saïd retournera dormir là-bas. Les convives sont silencieux, broyés de noir. Assis à la grande table en chêne devant un verre de vin, ils cherchent une nouvelle tactique. Au milieu du silence, Saïd prend la parole :

  • Je me demande si Olivia ne m’a pas fait passer un message tout à l’heure. Elle a lancé au plus jeune des deux qu’elle ne tolérerait plus qu’il critique la campagne, que sa terre natale était aussi respectable que celle d’un HLM autour d’une ville de province ; qu’il n’avait pas à la traiter de bouseuse ! Elle m’a pris à partie, en me demandant d’approuver l’importance des racines, des parents et des aïeux. Elle a continué toujours aussi colérique en me pointant du doigt, et m’a intimé de faire passer ce message d’amour de ma terre natale à ma fille. Elle a ensuite spécifié qu’elle aussi avait été élevée loin de ses origines : son père étant militaire, ils changeaient régulièrement de domicile, mais elle est restée profondément attachée à sa terre natale, à ses pierres et à ses champs d’oliviers.

Matéo scrute Saïd, intrigué.

  • Des champs d’oliviers ? Mais elle est bretonne ! C’est qui, cette femme ? interroge-t-il.
  • Olivia Papigni. Née d’un colonel italien et d’une mère française, déclare Charles qui s’apprête à détailler son curriculum vitae.
  • La fille du colonel… Pourquoi n’y ai-je pas pensé ? Édith, c’est la fille d’Adelmo ! l’interrompt Matéo en regardant son épouse avec un large sourire. Je l’ai fait naître. Je comprends sa précision quant à leur localisation. Vous pouvez être convaincus que si elle se trompe ce ne sera que de quelques mètres. Fouillons le sud du barrage direction 1h30. Ça resserre complètement le champ de prospection. Cette fille et son frère étaient d’excellents éléments. Leur père en était très fier. Ils ont tous les deux quitté l’armée parce qu’il y a eu un scandale monté de toutes pièces par un collègue du colonel dont on demandait la démission. Quand excédé, il l’a donnée, ces enfants ont suivi comme un seul homme. Adelmo s’en désolait d’autant plus, qu’après ils ont été engagés comme gardes du corps dans une boîte de cinéma. Pauvre Adelmo, il en est encore morfondu, on l’a vu il n’y a pas longtemps...

Alors, pour répondre à ta question, Saïd, c’est évidemment un message pour moi. Olivia Papigni, se lamente le chirurgien. Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt !

*




  • Alors, tu voudrais que Matéo t’emmène aux Caraïbes ? demande le docteur à Édith en entrant dans la chambre.
  • Oui, j’aimerais que tu me donnes l’adresse de votre hôtel et surtout que tu le motives un peu ! Tu sais comment il est : l’hôpital par-ci, l’hôpital par là... J’en ai ras le bol ! J’ai besoin d’une pause au soleil, regarde, je suis obligée de faire le tour des salles ! J’ai croisé Viviane à la grande surface hier, je t’avoue que je suis jalouse de votre teint !
  • Demande-lui l’adresse, c’est elle qui s’occupe de tout, répond-il en se penchant sur le ventre de Simiane.

Il examine la plaie, tandis qu’Édith l’interroge encore sur leurs vacances. Olivia reste impassible, adossée au mur. Le docteur promet un retour à la maison dans les vingt-quatre heures qui viennent.

  • C’était un très bel hôtel, parfait pour une semaine sans souci !

Le médecin commence le pansement quand Édith l’arrête d’une main désinvolte :

  • Laisse ! Les sparadraps c’est pour moi ! Continue la tournée, je termine ici ! répond-elle conciliante.

Édith glisse sous l’oreiller le portable tant attendu. L’infirmière quitte la chambre sans autre commentaire. Olivia est restée adossée contre le mur, en ligne de mire de ses geôliers. Dès Édith partie, Olivia propose à son équipière de chanter, le temps de quelques communications dans les toilettes. En cas de visite dans la chambre, Simiane optera pour une comptine sur les poissons.



*



La matinée suivante, Olivia et Simiane se racontent une histoire. La porte est restée entrouverte, la Charrue a mis sa chaise dans l’axe d’Olivia. Elle lui avait proposé de l’appeler Lola. Et de Lola, il est sous le charme : Lola, une fille de la campagne qui a un besoin d’air pur, lui qui rêve d’un retour dans la Drôme. Il se barrerait bien avec elle. Il emportera aussi la gamine si Lola le souhaite. Il les protégerait, se planquerait dans une belle région, referait sa vie avec Lola et serait un excellent père pour cette môme.

Lola pour qui il est allé chercher des chocolats parce qu’elle avait besoin de tendresse.

  Il fabule, élabore un plan B. Il attend le moment opportun pour la prévenir. Ça ne devrait pas être trop dur, ce corniaud derrière lui est abhorré par tout le service et elles sont condamnées à disparaître, elle n’aura pas vraiment le choix !

Aftershave a disposé sa chaise dans le dos de son collègue et dos au couloir. Il a la rage. Il fixe alternativement son coéquiper et Olivia. Il a compris le jeu de cette nana, quelle pute ! Et d’une pute il sait ce qu’on fait. Trop bien roulée, pour qu’il ne se la tape pas ! Juste pour prouver au cabot devant lui qu’il n’a pas besoin de tirer la langue pour se payer un coup. Ouais, il apprendra à ce donneur de leçons comment on bourre une meuf.

Olivia n’a pas refermé la porte, elle se sait observée, mais ça fait partie du topo. Tant qu’ils regardent le gâteau, ils ne perçoivent rien de ce qui se profile dans leur dos. Elle est un peu nerveuse. C’est aujourd’hui que ça passe ou que ça casse.

En entendant l’avion atterrir, suivi directement d’un hélicoptère, elle change son histoire en consignes. Simiane fait la conversion sans l’ombre d’une hésitation, elle fixe Olivia gravement et enregistre les instructions sans sourciller, lèvres pincées. Dès qu’elle perçoit les pas du médecin dans le couloir, Olivia enlève les trois couvertures dont elle l’avait couverte, après un bain bouillant.

Le chirurgien entre dans la chambre d’un pas décidé et soulève le drap :

  • Alors ce ventre ? interroge-t-il sans attendre de réponse. Il retire le pansement précipitamment.
  • J’ai mal, geint Simiane, et j’ai très froid. Je veux Maman.

Le médecin tâte le front brûlant de l’enfant. Grâce à la pommade dissimulée dans le plat de pâtes, la plaie semble suinter suffisamment pour craindre une complication.

  • Diantre ! s’exclame-t-il avant d’attraper son portable :
  • « C’est moi, impossible de te la rendre aujourd’hui, elle nous contracte une petite infection. On doit pouvoir l’éradiquer en vingt-quatre heures. Je te l’envoie dès que possible (…), écoute, tu as sa mère devant toi ? Hé bien, passe-la-moi, que je lui explique ! Non ? Bon. En tous les cas, ne te fais pas de soucis pour cette gamine, elle pourra rapidement rejoindre les siens. (…) Juste 24 heures, dis à sa maman que ce n’est que par prudence ! (…) Bon, tu la récupères dès que la fièvre est tombée…

Simiane prend une mine de chien battu, lance un regard papillon baigné de larmes et demande, alors qu’il est encore en ligne :

  • S’il vous plaît, monsieur le docteur, je peux avoir Maman au téléphone ?

L’homme regarde la petite, son air si démuni et en fait la requête à du Bois D'Hoche, qui n’ose refuser, vu les prétextes avancés.

  • Je te la passe, ma petite, mais juste quelques phrases surtout sans l’inquiéter, d’accord ?
  • Promis, Monsieur, merci beaucoup !

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