Reconnaissance

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 — C’est une fille ! Félicitations madame. Je l’emmène docteur ?

 — Oui, vite : il a du mal à respirer !

 Véronique avait finalement trouvé la solution. Il fallait absolument qu’elle accouche en même temps que Charlotte. Aux grands maux les grands remèdes ! Quand Charlotte lui annonça l’imminence de son accouchement, elle prit le premier train trouvé en direction de Toulouse. Arrivée à vingt et une heure trente-sept, elle loua une chambre dans un hôtel du centre-ville. Une fois installée, elle sortit de sa valise une aiguille à tricoter, puis elle appela les pompiers. Une fois arrivée à la maternité, on lui demanda de vite rejoindre la salle de naissance 2.

 — C’est par là ?

 — Oui. Vous connaissez ? Vous êtes déjà venue ?

 — J’ai visité la maternité.

 — Vous avez une bonne mémoire madame !

 Véronique, sans prêter la moindre attention à la remarque de l’infirmière, s’assura, d’un coup d’œil circulaire, que rien n’avait changé depuis sa dernière visite.

 — Attendez, qu’est-ce que c’est que ça ?

 — Ça ? Nous sommes en travaux : Le service néonatalogie a été transféré un peu plus loin. Vous venez ?

 — Et comment je vais faire, moi, avec mon bébé ?

 — Ne vous inquiétez pas, tout est prévu, rien ne change pour vous… Vous attendez une fille ou un garçon ?

 — Un garçon… Non, une fille, excusez-moi, dit Véronique en rougissant.

 — Ce n’est pas grave. Vous savez, un accouchement, c’est un sacré bouleversement dans la vie d’une femme ! Suivez-moi, installez-vous et on fera les papiers. Et le futur papa, il n’est pas là ?

 — Il bosse. Il ne viendra pas.

 — Il n’a pas pu se libérer ?

 — Non. J’en ai pour combien de temps ?

 — Combien de temps pour quoi faire ?

 — Pour accoucher !

 — Excusez-moi, je n’avais pas compris. Je ne sais pas, c’est très variable selon les femmes, selon le nombre d’accouchements précédents… C’est votre premier ?

 — Non, j’en ai fait un autre.

 — Vous avez accouché ici ?

 — Non, dans un autre hôpital : j’ai déménagé entre temps.

 — Et ça s’est bien passé ?

 — Non. Il est mort.

 — Il est mort ! Je suis désolé, bredouilla l’infirmière.

 — Vous n’avez pas à l’être, il était trop fragile de toute façon… Il n’était pas fait pour vivre… C’est pour ça, je veux être sûre que mon enfant soit près du service néonatalogie.

 — Ne vous inquiétez pas, nous avons l’habitude. Les équipes feront tout leur possible pour qu’il naisse en bonne santé et qu’il le reste. Vous savez, ici on est dans un grand hôpital de catégorie trois donc nous sommes habitués aux naissances prématurées. Nous en avons régulièrement et nous les gérons très bien. Voilà, nous sommes arrivés. Enfilez cette chemise, installez-vous sur la table d’accouchement. Je reviens dans cinq minutes pour vous examiner.

 Véronique observa la pièce : la salle n’avait pas changé. C’était la première, à gauche, celle qu’elle avait pu le mieux voir. Réconfortée, elle posa son sac à côté d’elle, enfila la chemise de nuit blanche aux petites fleurs bleues, la même que lors de son premier accouchement , qu’elle trouvait toujours aussi hideuse, attrapa à l’intérieur du sac son téléphone, posa ses écouteurs sur ses oreilles et lança sa chanson préférée, Aime-moi un jour, pour toujours de Christine Vior. Détendue, elle s’allongea sur la table et ferma les yeux. Quand l’infirmière entra, surprise, elle sursauta puis se décida, avec regret, à enlever ses écouteurs.

 — Bonjour Madame, je viens examiner votre col. Écartez les jambes s’il vous plaît.

 Véronique s’exécuta, de mauvaise grâce. Mais il fallait bien en passer par là. Alors, mécaniquement, elle consenti à abandonner ses jambes à la sage-femme qui se plongea dans son entrejambes avec une décontraction qui faillit la surprendre. Puis elle reposa sèchement sa tête sur l’oreiller, vaincue.

 — Le col est à six. C’est pour bientôt. On va remplir les papiers. Le futur papa n’est pas encore arrivé ?

 — Non, déglutit Véronique. Il ne viendra pas. Il travaille aujourd’hui, il ne peut pas se libérer…

 — Ce n’est pas grave. Figurez-vous que ça arrive plus souvent qu’on ne le pense. Et quand ils sont là, une fois sur deux ils font un malaise de toute façon ajouta-t-elle dans un sourire rempli de malice. Alors, ne vous inquiétez pas : il vaut mieux un papa absent pendant l’accouchement et présent au retour. Vous avez pu le prévenir demanda avec douceur la sage-femme ?

 — Non, c’est pas la peine, je vais me débrouiller toute seule.

 — Mais non, donnez-moi son numéro, je m’en occupe… Et si je n’arrive pas à le joindre, on réessaiera plus tard et en attendant on fera les papiers.

 — D’accord, répondit Véronique. Elle avait abandonné le combat, fragilisée. Elle savait que, de toute façon, Francis serait occupé et ne répondrait pas. Elle n’était même pas sûre qu’il écoute le message laissé par l’infirmière jusqu’au bout. Tant que ça ne va pas mal, tout va bien, penserait-il certainement... Elle sait elle aussi qu’il ne décrochera pas, pensa-t-elle. Alors, pas de problème, faisons tous semblant.

 — Votre mari n’a pas répondu mais je lui ai laissé un message. On réessaiera de l’appeler tout à l’heure. Mais d’abord, dites-moi comment vous voulez appeler votre enfant.

 — Charlie.

 — Charlie. D’accord… Et, excusez-moi, mais c’est une fille ou un garçon ?

 — Une fille. A moins qu’on ait une surprise, s’amusa-t-elle.

 — L’infirmière acquiesça en riant. Mais, après lui avoir demandé combien elle avait d’enfant, quand Véronique lui eut conté, non sans malice, l’histoire de l’enfant mort, l’ambiance retomba et l’infirmière s’éclipsa après lui avoir assuré à deux reprises qu’elle repasserait bientôt la voir.

 — C’est ça, lui répondit Véronique. Puis elle sourit et ajouta : Ne vous inquiétez-pas, j’ai l’habitude… Sans attendre de réponses, elle remit en place ses écouteurs.

 «Je chanterai pour toi jour et nuit

 En Afrique, en Asie, en Italie.

 Pour que tu m'aimes un jour, une nuit,

 Un peu, toujours, pour la vie.

 Je serai ton roi, pour toi,

 Ton rire sera le mien

 Nous partirons. Nos liens

 Nos défis seront nos lois.

 Nous partirons à l'aventure

 En avion, en train, en voiture.

 Tu seras ma drogue, mon envie,

 Mon pari, mon rêve, ma vie…»

 Et l’ultime contraction arriva. La douleur, devenue insupportable, la poussa, non sans mal, à appuyer sur le bouton pour appeler à l’aide. « J’ai mal », lança-t-elle dans un souffle au micro placé au-dessus de la table. Les larmes coulaient sur son visage mais elle refusa obstinément la péridurale. Plantée là, sur son lit, impassible, elle attendait que son enfant sorte de son corps. Passive, économisant le moindre mouvement qui pourrait déclencher la douleur, elle ne bougea plus. Elle ne pleura pas. Son visage transpirait la douleur, elle eut des haut-le-cœur. Puis, soudain, vaincue, elle se trémoussa dans tous les sens. Ses yeux exorbités semblaient supplier le ciel d’arrêter de la tourmenter. Elle pria pour que ça s’arrête, jura Dieu qu’elle ne recommencerait plus, haït son corps, haït ses pensées, son histoire, ses parents. Et l’enfant naquit. Il ne pleurait pas. Bleu, ridé, sale, il semblait refuser de tout son corps, de tout son cœur la vie que sa mère lui offrait.

 — On l’emmène tout de suite madame. Ne vous inquiétez pas mais il était enroulé dans son cordon. On va s’en occuper en réa.

 Véronique haussa les épaules et commenta :

 — Ne me le perdez pas cette-fois-ci.

 Les infirmières, que ces paroles avaient ébranlées, se précipitèrent toutes sur l’enfant. Véronique, elle, remit ses écouteurs « Aime-moi un jour, pour toujours ».

 La nuit venue, quand elle fut sûre que le silence régnait enfin dans la clinique, elle repoussa ses draps, se leva, ouvrit le plus doucement possible la porte de sa chambre et se glissa dans le couloir désert. Elle savait que, pour l’instant, elle ne courait aucun danger : elle pourrait toujours prétendre avoir eu un coup de blues et vouloir voir son bébé. Quand elle arriva dans la salle de néonatalogie, elle aperçut l'infirmière de garde, assise à son bureau, occupée à remplir des papiers. Elle ressortit, cacha un réveil programmé pour sonner cinq minutes plus tard dans la pièce voisine qui visiblement servait à entreposer toute sorte de matériel médical, puis longea le couloir dans l'autre sens afin de se cacher dans la salle de soins contiguë. Comme prévu le réveil finit par retentir et réveilla la plupart des bébés. Ceux qui n’avaient plus de respirateurs eurent l’occasion d’essayer leurs poumons tout neuf et s’en donnèrent à cœur joie. Les autres se contentèrent d’agiter leurs bras fins pour exprimer leur mécontentement d’être réveillés à pareille heure. Quand l'infirmière sortit pour mettre fin à ce bruit horripilant qui risquait maintenant de réveiller tous les autres bébés de l'étage, Véronique en profita pour se glisser à l'intérieur de la grande salle. Elle avait bien caché le réveil et le temps que l'infirmière le trouve, elle aurait certainement plus de temps qu'il n'en faut pour trouver le bébé et échanger les bracelets. Sachant qu’elle devrait couper les bracelets, elle avait donc aussi prévu une paire de ciseaux cachés dans la manche de son gilet. Une fois trouvé le berceau de Charlie, elle coupa le petit bracelet rose et le remplaça par un autre sur lequel était écrit «Louise», le prénom que Charlotte lui avait expliqué vouloir donner à son enfant si elle accouchait d’une fille. Ni vu, ni connu, Charlotte se réveillant de son anesthésie générale ne saurait jamais qu'elle avait eu un garçon. Peut-être le chirurgien qui l'avait accouché se poserait-il des questions mais lui-même aurait-il envie d'ébruiter l'erreur qu'il avait peut-être commise ? Aucune chance. Elle savait que sur ce point là, elle était tranquille. Elle chercha donc sereinement le berceau de Loïs. Consciencieusement, méthodiquement, à pas lents, elle commença à regarder les étiquettes posées à l'avant de chaque berceau. Mais, alors qu'elle entamait la deuxième rangée, elle perçut des bruits de pas dans le couloir. Pas le temps d'écouter, elle devait avancer plus vite, trouver le bébé coûte que coûte. Mais, quand enfin, ivre de joie, elle tomba sur lui, elle sentit une main s’accrocher à son épaule.

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