Au milieu de l'Atlantique, la lumière d'un trois mâts, telle une poussière dans l'œil de l'océan, vacillait au gré des vagues qui le faisait doucement avancer. À son bord, sept personnes profitaient d'une soirée calme, pour se pencher sur leur trajet, la traversée de plusieurs mers et océans afin d'atteindre leur destination finale. Le père, docte, au milieu de ses enfants, avait étalé une grande carte. Parmi eux, le fils, le teint pâle, le sourire rare mais rassurant, de taille moyenne, carré, écoutait religieusement son père. Posé, doux, le sourire parfois rêveur, les cheveux toujours rangés bien comme il faut, il aurait plu à n'importe quelle maman, de la plus inquiète à la plus sereine.

 Celui-ci ne s'en laissait pas compter. Surtout avec sa petite sœur. Celle-ci, effrontée et frondeuse, tentait bien, par-ci, par-là de mener son frère par le bout du nez mais il la connaissait et savait se méfier. Et pourtant... Elle était maligne et connaissait ses points faibles. Dotée de la dextérité, l'équilibre et l'impétuosité d'un chaton, cette dernière avait en même temps ce côté fonceur et déterminé des fauves. Elle savait ce qu'elle voulait et savait le faire savoir. Mais bien souvent aussi, la cadette de la famille, n'en faisait qu'à sa tête. Svelte, les cheveux roux à l'origine, elle changeait régulièrement de couleur comme pour mieux déstabiliser ceux qui croiraient l'avoir cernée.

 Un jour, alors qu'ils partageaient une bonne bouteille de vin rouge en famille, assis autour de la table exiguë du bateau, elle prit un malin plaisir à évoquer l'ayahuasca, une drogue que son frère était censé avoir arrêté. Voir son teint passé du blanc au rose puis au rouge l'avait beaucoup amusée. Elle n'avait pu s'empêcher de ricaner. Lui s'était défendu comme il pouvait et s'était fait réprimander comme un enfant par leur père. Un autre jour, avec l'aide de l'un de ses petits frères particulièrement doué en informatique, elle avait fait en sorte que des images coquines apparaissent n'importe quand sur son ordinateur, en particulier quand son amie était par là...

 — De vrais gosses ! s'agaçait alors leur père, avec tendresse néanmoins. Et ça les amuse en plus ! Quel âge vous avez, franchement ?

 Mais ils profitaient juste de moments précieux en famille. Et leur deux petits frères n'étaient pas en reste. Presque joyeusement, ils se jetaient avec déléctation au centre de l'arène. L'un s'amusait à prendre le parti de sa soeur, l'autre s'en offusquait immédiatement. Leur père finissait toujours par jeter l'éponge, les laissant tout à leurs disputes au combien puériles mais pourtant si douces…

Quand son frère essayait de se venger, bien souvent, elle riait sachant déjà qu'il n'y parviendrait pas. Et quand ça arrivait, que le ton montait entre eux, ou si des membres de la famille venaient à se disputer, le garçon sentait immédiatement la tension monter. Il reprenait son sérieux, mettait de côté son insoucsciance en leur demandant alors, avec douceur, de ne plus parler et de fermer les yeux.

 — Stop, on se calme maintenant. Détendez-vous et laissez vous bercer par le roulis des vagues. Ressentez l'eau en dessous de vous, voyez toute cette vie, ces poissons, ce corail. Venez avec moi.

 Et, en silence, sans jamais aucune protestation, tous le suivaient. Il les faisait monter sur le pont du bateau, respirer l'air du large et écouter les oiseaux. Il leur expliquait ce que signifiait leurs piaillements et leurs danses dans les airs. Lui-même se concentrait sur tous les éléments qui l'entouraient. Lorsqu'il redescendait dans la cabine, souvent le dernier, tous savaient que s'il était détendu, tout irait bien. Mais s'il avait le visage fermé, quelque chose les menaçait. Alors ils essayaient de le faire parler mais s'il les initiait volontiers à sa science, il ne mélangeait jamais les deux mondes. Il se gardait de révéler trop de secrets et préférait retourner à ses joies toutes simples d'enfant. Car, oui, ici, il pouvait être insousciant, se reposer uniquement sur son père. Et penser à son périple qui l'avait mené jusqu'ici. Un périple qui débuta dans le cœur froid du monde…