Au nom du père, du fils… Et de Charlie

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 Jo se leva et revint quelques instants plus tard un ordinateur portable dans les mains :

 — Dan, j’ai quelque chose de très important à te dire. Il faut que tu tiennes le choc. Tu dois rester calme et m’écouter jusqu’au bout…

 Alors que Dan commençait à sérieusement se tortiller sur sa chaise, à la fois avide de savoir mais aussi très inquiet à l’idée de ce que pouvait lui annoncer Jo, ce dernier préféra ne pas le faire plus lambiner :

 — Ok, commença l'homme, très pâle, comme pour se donner un peu plus de courage : tu as deux sœurs et deux frères…

 — Qu’est-ce que tu racontes Jo ?

 — J'ai retrouvé les traces de ta famille, Dan. J’ai des images de l'une d'elle, la plus grande. Est-ce que tu veux que je te les montre ?

 — Qui ça ?

 — Ta sœur. Tu as deux petites sœurs et toi, tu es l'aîné.

 — N'importe quoi ! Qu’est-ce que tu racontes, Jo. T'as fumé quoi aujourd'hui ?

 — Écoute-moi un peu, s'il te plaît. Ta mère, tes frères et sœurs sont en France. L'une d'elle est connue là-bas : elle est passée à la télé l'autre jour et je crois qu'elle a bien besoin d'un grand frère en ce moment. Je vais te la montrer.

 — Comment tu sais d'abord que c'est ma sœur, cette fille, s'énerva Dan? Où ça, tu as fait des recherches ? Mathilde, ça fait des années qu'elle est sur leur trace et elle a jamais rien trouvé. Et toi, t'arrives et tu me sors de ton chapeau de magicien toute une famille, des images, comme ça... Dan, l'air totalement désemparé, tremblant, joint le geste à la parole en esquissant un vague mouvement du bras vers le ciel nuageux.

 — Je le sais Dan… Je le sais... Je suis désolé... L'homme semblait désespérément chercher une bouée, une ancre à laquelle se raccrocher le temps de trouver les mots qui pourraient rendre la situation qu'il s'apprêtait à exposer plus acceptable. Enfin, après une apnée silencieuse qui sembla durer des heures, les mots, soudain, s'imposèrent à lui et s'enchaînèrent tous seuls comme s'ils avaient toujours été là, prêts à sortir et s'exposer, crus, à l'esprit désormais hagard de Dan... Parce que, Dan... Parce que je suis ton père…

 — Mon père, toi ? Arrête tes conneries Jo, s' il te plaît, implora Dan. Et il commença à pleurer parce que, depuis longtemps, au fond de son cœur, il le savait. Peut-être même depuis ce jour où, enfant de la Ddass, il avait demandé à Mathilde quand ses vrais parents viendraient le chercher. «Ils ne viendront pas», lui avait-elle répondu.

 Comme s’il lisait dans ses pensées, Jo demanda :

 — Tu connais une jeune femme qui s’appelle Mathilde, n'est-ce pas ? Tu m’as souvent parlé d’elle. Sans attendre de réponse, Jo continua : Deux semaines avant que tu viennes ici pour la première fois, j'ignorais ton existence. Ou, plus exactement, je pensais que tu étais décédé à ta naissance d'une maladie génétique rare. C'est ce que ta mère m'avait annoncé dans une lettre qu’elle m'a envoyée alors qu’on était séparé depuis moins d’un an. Elle m'a dit – je connais cette lettre par cœur – que j'avais eu un enfant mais que je ne le connaîtrais jamais puisqu'il venait de mourir, dans ses bras, d'un arrêt cardiaque. Je savais ta mère tordue mais pas au point d'imaginer ça... Bien sûr, même si je n'y étais pour rien, j'ai culpabilisé. J'ai appris à vivre avec ce poids, cette douleur. Jusqu'au jour où j'ai reçu une lettre de ton amie Mathilde. Elle m'expliquait qu’elle s’était occupée d'un jeune garçon qui n'avait de cesse de retrouver ses parents. Il venait d’avoir dix-huit ans et avait dû partir du foyer. Elle n’était donc plus son éducatrice et pouvait désormais entamer des recherches pour l’aider à retrouver ses parents. C’est comme ça qu’un jour elle est allée chercher dans les archives de la Ddass une trace de sa famille. Sur les papiers qu’elle a trouvés ne figurait que le nom de l'hôpital dans lequel il était né. Elle a donc fait une enquête discrète au sein de l'établissement, elle a rencontré le personnel d'accueil et les sages-femmes. Elle a appris que sa mère l'avait assez violemment rejeté la première fois, entre autres, à cause de sa ressemblance avec son père. Même si, d'après elle, ça ressemblait plus à un prétexte. Malheureusement, elle n’est pas parvenue à trouver le nom de cette celle qui s'était présentée sous une fausse identité. Elle a laissé, malgré tout, ses coordonnées, au cas où quelqu'un se souviendrait enfin de quelque chose, ainsi qu'un message, un véritable SOS pour cet enfant, devenu grand, mais qui allait de plus en plus mal, sur l'ensemble des forums consacrés à la maternité.

 Et, quelques jours plus tard, Mathide recevait un mail d'une mère de famille qui s’était lié d'amitié sur un forum, plus d'une dizaine d'années auparavant, avec une future maman bizarre qui prétendait avoir perdu son garçon juste après sa naissance et en attendre un autre. Elles devaient accoucher à peu près au même moment. Et, en effet, elles se sont retrouvées dans le même hôpital, à Toulouse.

 Mais, deux jours plus tard, alors que la jeune mère pénétrait dans la salle de néonatalité afin de rencontrer pour la première fois son bébé, elle est tombée sur son amie en train d'échanger des bracelets de naissance. Prise sur le fait, cette femme a attrapé sa fille et s'est enfuie de l'hôpital. Mais la police a vite retrouvé sa trace et l'a interpellé à son domicile quelques jours plus tard. Elle a été poursuivie pour tentative d’enlèvement d'enfant et a écopé d'un an de prison avec sursis et d'une grosse amende. Elle s’appelait Véronique... Tu l’auras deviné, c’était ta mère… Son amie a expliqué à Mathilde qu'elle avait appris durant le procès qui s’est déroulé à huis clos que le bébé censé être décédé avait en fait été abandonné. En 2000... Les dates aussi coïncidaient. Mathilde l'avait retrouvée ! Elle s’est donc fait passer pour une jeune assistante sociale compatissante qui, suite à ce procès et à la naissance des autres enfants, venait s’assurer qu’elle les élevait correctement. Elle a beaucoup discuté avec elle afin de gagner sa confiance et ça a été d’autant plus facile que cette femme venait de perdre son mari : elle était dévastée. Elles ont donc, petit à petit, tissé des liens d'amitié.

 Dan, à cet instant du récit, ne put s’empêcher de demander :

 — Elle regrettait ? Elle se demandait ce que j'étais devenu?

 — Dan... Je n'en sais rien...Elle m'en a pas parlé. Je continue ? Donc, elles ont beaucoup parlé et ont tissé des liens d’amitié. Elle a vite compris, expliqua Jo sans pouvoir s'empêcher d'esquisser un sourire, que cette femme avait un lourd bagage psychiatrique. Pour obtenir ton nom, elle a aussi dû se renseigner sur moi ! Bien sûr, ta mère lui a dit que j'étais le pire des salopards, que je l'avais même abandonné. Et le pire, c'est que je suis sûre qu’elle croit ce qu’elle dit. Enfin, le principal, c'est qu’elle ait pu obtenir ton nom de naissance, le mien. Puis, elle a réussi à retrouver ma trace grâce à d’anciens amis à moi dont ta mère lui a parlé et avec qui je travaille toujours. une fois qu’elle a récupéré mon mail, elle m’a écrit un long message dans lequel elle m’a raconté ton histoire. Quand je l’ai lu, ça a été un choc pour moi de découvrir que mon fils était vivant, loin de moi. Que d’années gâchées par la folie et l’esprit de vengeance d’une seule femme !

 Mathilde m’a beaucoup parlé de toi. On a échangé beaucoup de mails dans lesquels elle me parlait de ta vie sur le campus. J’ai appris, notamment, que tu avais un bon copain avec qui tu partageais un appartement. J’ai donc demandé son mail à Mathilde et je lui ai écrit. Je lui ai expliqué la situation. C’est moi qui lui ai demandé d’organiser ce petit voyage pour toi.

 Quand tu es arrivé ici, j’ai découvert un très jeune homme encore. Je ne savais pas comment te dire la vérité. Et on est devenu amis. On était tellement bien tous les trois : moi et mes deux fils réunis : le rêve de n’importe quel père de famille. J’avais tellement peur de te perdre de nouveau !

 Et puis un jour, au détour d’une conversation téléphonique avec ta mère, Mathilde a appris que tu avais une autre sœur, dont elle ne lui avait jamais parlé, qui écrivait. Elle s’est aperçue qu’il s’agissait d’une écrivaine connue : CDC Tu connais ?

 — Non… Jamais entendu parler. Mais bon, ces dernières années, à part les livres sur le chamanisme…

 — Oui, évidemment… Ta mère lui a dit que sa fille était passée à la télé et que ça avait été une catastrophe. Mathilde a regardé le replay et a découvert une jeune femme qui semblait très perturbée. Elle m’a envoyé des images : c’est celles que je voulais te montrer. Elle m'a demandé de ne plus attendre pour te parler. Elle a ajouté que ta sœur n'allait pas bien et qu'il fallait que tu l'aides.

 Comme je retardais sans cesse cette échéance qui me faisait très peur, j’ai téléphoné à ta mère. Je lui ai dit que tu étais avec moi et qu’elle, de son côté, devait s’occuper de sa fille qui avait visiblement des problèmes. Après ce qu’elle a fait, elle n’a pas osé m’envoyer sur les roses : elle m’a juste dit « d’accord, je vais voir ça ! ». Mais, au vu des papiers qui s’accumulent dans les tabloïds, j’ai l’impression que, si elle l’a fait, ça n’a pas servi à grand-chose. C’est dommage, parce que ses bouquins marchent bien, mais j’ai le sentiment qu’elle a entrepris de méthodiquement se détruire. Et là, je pense qu'actuellement, il n’y a que toi, Dan, qui puisse faire quelque chose.

 Alors que celui-ci, trop occupé à essayer d’intégrer tout ce qu’il venait d’entendre, ne réagissait plus à tout ce flot d'informations, Jo lui glissa l’ordinateur dans les mains. Sans mot dire, Dan l’attrapa et appuya sur Lecture.

 À mesure que les images défilaient, Dan promenait ses doigts sur le visage de cette nouvelle sœur, cette fille dont les traits ne lui disaient rien mais qui connaissait sa mère, qui avait vécu avec elle. Ils avaient tous les deux partagés la même matrice, débuté la même vie, découvert la même mère. Mais ne s’étaient jamais connus.

 Lorsque la dernière image de sa sœur s’éteignit, à l'instant où elle quittait, furibonde, le plateau de télévision, il posa brusquement l’ordinateur sur la table.

 — Qu'elle est conne ! Pourquoi elle a fait ça. Il a pas dit grand-chose ! Elle est pas bien dans sa tête ! Pourquoi elle lui a répondu comme ça ?

 — Dan, ne parle pas comme ça de ta sœur !

 — Désolé, elle m'énerve déjà, remarqua-t-il, avec, enfin, un petit sourire témoignant d'une bonne humeur qui semblait l'avoir quitté depuis une éternité. Je n'ai pas compris pourquoi elle a réagi comme ça. Elle a l'air très perturbée quand-même ! Moi qui croyait être un cas psychiatrique plutôt lourd, finalement, il y a pire au sein même de ma famille. Ça promet !

 Tout en continuant à évoquer sa sœur, le visage de Dan commençait déjà à changer, à s'illuminer. Sa colère, malgré lui, s'apaisait : un monde nouveau, derrière les nuages, apparaissait :

 — Tu as raison, je n’aurai pas dû l’insulter. Mais, franchement, qu'est-ce que tu veux que je fasse pour elle : elle est perdue, cette fille ! Je suis juste son frère, pas un magicien. Et puis, c'est son problème si elle fait n'importe quoi, c'est pas parce que je suis son frère que je suis responsable de ses actes !

 — Dan, je t'ai parlé de sa mère ! Je sais que tu as vécu des moments difficiles dans ta vie mais mets-toi un instant à la place de Charlie, c'est son prénom, et imagine : elle a été élevée par une mère - je vais être gentil - extrêmement perturbée. Son père, lui, si ce que m'a dit Véronique est vrai, est décédé juste avant la majorité de Charlie. Bref, elle n'a pas eu non plus une vie de tout repos. Elle non plus, d'ailleurs, ne sait pas que tu existes, alors qu'elle n'a plus que toi. Dan, offre-lui cette chance, pour elle, pour vous pour notre famille.

— OK, c'est bon, je vais essayer d'être un grand frère plus sympa. Mais, je ne la connais pas Dan alors ne me demande pas de faire preuve d'empathie envers elle. Pas encore... Alors, je vais l'aider, Dan, mais c'est pour toi, pour tout ce que tu m'a donné. Je vais retourner en France et essayer de la rencontrer pour lui parler.

 — Pas seulement, j'espère que tu vas l'aider aussi, OK ?

 — OK Jo.

 — Alors maintenant, on peut trinquer ! À nos retrouvailles mon fils ! Je suis tellement heureux que tu aies aussi bien réagi. J’avais tellement peur ! J’ai beaucoup de chance de t’avoir !

 — Aux retrouvailles d'un père et de son fils ! Énonça distraitement Dan perdu dans ses pensées. Et il ajouta : excuse-moi, ne me demande pas de t'appeler papa. Pas encore. Peut-être un jour... Mais pour moi tu es Jo. Toute ma vie, j'ai rêvé de cet instant, mais il me faut un peu de temps pour réaliser...

 Alors les deux hommes trinquèrent. Toute la nuit. On put les apercevoir déambuler dans le camp, joyeux fantômes ivres de bonheur. Et quand, au petit matin, Dan partit se coucher, il dormit comme un bébé.

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