1 - ...Et l'enfant devint un homme.

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  Un enfant aux cheveux bleus courait dans les rues enflammées, le souffle court. Tout autour de lui, le feu s’étendait, dévorant sans distinction les maisons et les corps. Rien n’échapperait à l’hydre incandescente et affamée. Au loin, les lames s’entrechoquaient sans cesse. Explosions et glissements de terrain couvraient les crépitements de l’incendie. A cette odieuse symphonie s’ajoutait le chœur des gémissements de douleur, les insultes et les hurlements de souffrance. Le chérubin en fuite y rajouta sa voix, fluet soprano désespéré à la recherche de sa mère.

   De ses membres minuscules et faibles, il se trainait dans la boue de l’avenue qui l’amenait chaque mètre plus près de l’enfer. Il s'époumonait, alors que l’air ardent chargé de fumée lui brûlait les poumons. Haletant et noyé dans ses larmes, il l’aperçut enfin au coin d’une rue. Ses yeux s’écarquillèrent. Un hurlement resta coincé dans sa gorge. Le corps de sa mère sans vie s’affaissa, laissant sa tête enroulée de longs cheveux sombres et souillés de boue rouler jusqu’à l’enfant.

  Le cri strident lui échappa enfin, se redressant brutalement dans son lit. Le cœur battant, Sarouh passa la main droite dans sa tignasse cobalte, les cheveux collés par la sueur. Encore ce cauchemar. Nuit après nuit, il était condamné à revivre la même infernale punition, sentence gravée dans sa chair. Toujours, il atteignait cet instant maudit. Toujours, il assistait à la sinistre fin de sa mère. Aucune échappatoire. Pas de fin, juste l’horreur, figée dans le temps.

  Alors que les affres de la nuit faiblissaient face à l’aube, il tenta de se reprendre. L’oubli miséricordieux l’embrassa, effaçant les brutalités oniriques et la terreur du jeune garçon. Tous les matins, les violences de la nuit s’effaçaient sans qu’il ne puisse en garder l’essence. Il ignorait s’il le désirait vraiment le contraire.

  Le jeune homme aperçut l’heure sur son réveil, manifestant une anxiété beaucoup plus concrète. Peu de temps le séparait du grand jour. Il allait devenir Genin, premier des grades de la hiérarchie militaire des Villages. Ainsi, il serait enfin un homme et shinobi. Pourtant, l’enfant aux cheveux bleus éprouvait des sentiments confus et contradictoires à l'idée de réussir l'examen.

  En tant que fils d’étranger, personne ne l’appréciait à Gensou, à l’exception de ses parents. Même Akira, le doyen des Tsumyo et grand-père de l’adolescent, dédaignait leur progéniture. A de nombreuses reprises, Sarouh l'avait entendu critiquer l’attitude protectrice de ses parents, allant même jusqu'à affirmer que leur comportement était une insulte à la dignité du clan, bien qu’il ignorât en quoi. Où qu’il aille et quoi qu'il accomplisse, il ne représenterait qu'une gêne pour les siens.

  Les yeux émeraudes agités par la nervosité, le candidat à l’examen essaya de se calmer. Les professeurs de l’Académie louaient régulièrement ses capacités d’analyse, sa maturité et ses aptitudes martiales. Même s’ils n’avaient que peu de respect pour l’individu, les éducateurs ne pouvaient que le pousser vers sa carrière de ninja.

  Récemment Sarouh s'était aussi illustré par sa compréhension instinctive du genjutsu, l’art des illusions et également la spécialité de son Village d’adoption, Gensou. S’il s'était attendu à en retirer du respect, c’est tout l'inverse qui se produisit. Ses camarades redoublèrent de mépris envers lui, vivant comme une insulte que l’étranger pense avoir le droit de s’approprier l’art des vrais fils de la Cascade. D'autant que les pointures de sa promotion étaient à un tout autre niveau.

  Le jeune enfant avait alors redoublé d'efforts. Se faire oublier en classe pour éviter les brimades. Devenir meilleur tout en discrétion, afin de ne pas gâcher tout ce que ses parents avaient fait pour lui. Mais à l'heure du jugement il doutait, en proie à un impitoyable et inlassable questionnement. Devait-il vraiment donner sa vie pour ce Village qui ne l’avait jamais accepté ? Allait-il être à la hauteur ? Ne serait-ce pas mieux d'échouer et de partir pour toujours et de libérer sa famille de leur fardeau ?

  La porte de sa chambre s'ouvrit lentement, laissant l’incarnation de la douceur entrer dans la pièce : Takaneiki Tsumyo. Ses longs cheveux bruns qui tombaient jusqu'à sa taille avec élégance, son visage si fin qu’il semblait façonné par un artisan céleste. De ses yeux émeraudes, sertis comme des joyaux, à sa peau fine et blanche, elle dégageait une grâce presque irréelle, apparition céleste parmi les hommes. C'est ce que pensait en tout cas le garçon. Sans rien dire, elle vint s'installer à côté de lui.

  Sereine malgré l'énième réveil nocturne de son enfant, elle prit sa tête et la posa délicatement sur ses genoux. Sa main se perdit dans le bleu des cheveux du petit qu'elle chérissait.

— C'est fini mon cœur, je suis là...

  Le vide insondable qu'il ressentait fut comblé par l'amour que sa mère lui portait. L'envie de lui faire part de ses doutes devint irrésistible, sachant que la sagesse dont Takaneiki ferait preuve lui montrerait le chemin, comme toujours.

— Maman ? Est-ce que je dois vraiment réussir cet exam' ? Je veux dire...

  Le préadolescent marqua une pause, décidé à bien formuler l'idée qui le rongeait. Il souffla avant de reprendre :

— Le Village s'en porterait mieux si je partais. A l'Académie, personne ne m'aime. Quand je réussis un exercice, je me fais crier dessus. Si je ne le réussis pas, j'ai droit aux critiques. Je ne sais pas ce que je dois faire.

  La formulation, enfantine, heurta tout de même sa protectrice, qui resta interdite quelques secondes, alors que Sarouh n’osait croiser son regard. Elle-même n'était pas sûre de la réponse. Le monde des ninjas était impitoyable. Takaneiki avait déjà tellement perdu pour lui. La souffrance de son enfant l'atteignait et elle comprenait ses doutes. Étant le plus jeune de sa promotion, il intégrait ce monde encore plus tôt qu'il ne le devrait. En tant que mère, elle voulait que son enfant survive. Et pour ça, lui transmettre son sens aigu du devoir comme boussole était nécessaire.

— Sarouh, toutes les choses importantes méritent qu'on se batte pour elles. Et tout ce qui a de la valeur est toujours difficile à obtenir.

  La gracile kunoichi laissa le temps aux mots de faire leur chemin. La mère en elle s'émeut un instant. Il avait grandi si vite. Le jeune homme dépassait déjà nombre d’adultes, par sa taille, mais pas uniquement. Voyant que Sarouh n’était pas convaincu, elle continua :

— Tu veux le respect des tiens ? Obtiens-le à la force de tes bras. Devenir un shinobi est un excellent moyen pour cela. Être incompris n’a pas d’importance pour le moment.

 Le jeune garçon réfléchit, sourcils froncés. Une part de lui trouvait cela impossible, mais la chaleur apaisante de sa mère l’aidait à apercevoir l’espoir. Elle l’embrassa sur le front, murmurant à son oreille avec douceur ses paroles rassurantes :

— A chaque pas que tu feras, plus de gens reconnaîtront ta valeur. A la fin, seuls les plus importants demeureront à tes côtés. Et à ce moment-là, tu auras la force de les protéger. C'est ça, être un shinobi. Et tu as la force qu'il faut pour y parvenir.

  La discussion était terminée. Elle resta cependant à lui caresser les cheveux jusqu'à ce qu'il retombe dans un sommeil sans rêve pour la dernière petite heure qu'il lui restait en tant qu'enfant. Rebut ou soldat de Gensou, c’est en adulte qu’il reviendrait à la maison.

*****

— Henge !

  Juste devant Sarouh, un étudiant venait de lancer le jutsu de métamorphose, le premier des sorts que les shinobis apprennent dans le domaine des illusions. Le candidat se transforma en une réplique convaincante d’un arbuste.

  L'examinateur, professeur de genjutsu de Sarouh, vieil homme chauve et mal dégrossi, fit la moue. Engoncé dans son siège, il avait l'air insatisfait et grogna un "suivant" mécontent, qui indiquait au Tsumyo qu'il était temps de montrer ce qu'il savait faire.

  Cela faisait deux heures que le pré-adolescent patientait dans cette pièce exiguë. Ils avaient été organisés par paire, avec deux à trois examinateurs pour les juger. Le Tsumyo souffla doucement pour évacuer la pression, le cerveau en ébullition. Face à son professeur, il savait que le vieil homme serait sévère mais juste. Pourtant, l’échec retentissant de son prédécesseur ne lui inspirait rien de bon.

  Il se positionna au milieu de la pièce et remit quelques mèches rebelles en place, avant de jeter un œil aux deux examinateurs. Heureusement, le second avait l'air un peu plus commode. Un bandage sur le nez, une cicatrice en forme de croix au coin de l'œil, il lui sourit en faisant un petit mouvement de tête, que l'apprenti prit pour un encouragement. Il souffla à nouveau, alors que le recalé sortait de la pièce, l'air dépité. A ce petit jeu, c’était lui le meilleur, se dit-il pour se donner du courage. Devant les deux ninjas supérieurs, il malaxa son Chakra, mêlange d’énergie spirituelle et physique utilisée par les shinobis pour utiliser leurs capacités.

— Henge !

  C'est le Gensoukage, chef et représentant du Village, l'air sévère qui émergea du nuage de fumée. La quarantaine bien entamée, les traits tirés, le visage fermé, la tenue officielle : tout y était dans les moindres détails. Il s’exprima d’une voix grave et profonde :

— Et maintenant, veuillez m'expliquer pourquoi la transformation du petit d'avant ne vous a pas suffit, Hakuma. Malgré le manque de relief et de rugosité par endroit, elle tromperait plus d'un shinobi, en terrain propice.

  Le ton était parfait également. Et ses remarques avaient fait mouche. L'instructeur sembla ne pas apprécier qu'on remette en cause son jugement, malgré la qualité de son déguisement. Sous le regard désapprobateur de son plus jeune collègue, il questionna, sans s'embarasser de politesse :

— Je te lance trois shurikens. Tu suspectes que je suis un maître dans l’art des illusions. De quoi te méfies-tu ?

  Un sourire étira les lèvres de Sarouh qui reprenait sa forme initiale dans un petit nuage de fumée. Le vieil homme était un habitué des énigmes de ce genre et l’étudiant s’était toujours illustré dans leur compréhension. Sûr de lui, il répondit sans attendre :

— Ces shurikens n'existent pas. D'autres sont invisibles, ou ils servent de diversion à une attaque dissimulée derrière. Ce n'est peut être pas vous qui avez lancé les projectiles...
— Mais encore ? attaqua le vieux pour l'interrompre et le déstabiliser.

  L’étudiant ne pouvait plus contenir son expression triomphale et répondit avec précipitation et enthousiasme :

— Le plus probable selon moi : cela n’a pas eu lieu et je suis dans une illusion mentale depuis le début.

  Le vieil homme se dérida et sourit, le visage buriné par le temps s’étira en un rictus satisfait :

— Félicitations, Sarouh Tsumyo. Prends ce bandeau, signe que tu appartiens désormais aux shinobis de Gensou ! Ta vie de ninja commence. J’aurais dû savoir que cette situation serait un jeu d’enfant pour toi. Ta réponse est imparfaite, cependant.

  Le professeur s’approcha pour lui donner son bandeau, une fierté évidente dans le regard. Il posa une main paternelle sur l’épaule de son prometteur pupille :

— Pour répondre réellement à ta question, l'élève précédent n’était qu’une mascarade. Nous devions être trois à t’examiner, souviens-toi. Tu as encore beaucoup de choses à apprendre, mon petit. Ne crois jamais tes sens. Adapte-toi et apprends. Tu es brillant, deviens un excellent illusionniste de notre Village !

  La confusion de Sarouh fut de courte durée, vite remplacée par la joie. Il avait réussi, il était Genin. Adressant un grand sourire à son professeur qui venait de lui donner le bandeau, il fit un salut respectueux à l'autre examinateur et sortit en trombe de la pièce. Il ne pouvait attendre de voir la fierté dans le regard des siens !

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