2 - Cacaunoy
Sarouh Tsumyo frappa dans un caillou qui avait l’outrecuidance de se dresser sur son chemin. Il était furieux. Enfin shinobi de la Cascade, il s’était attendu à des félicitations. C’est une énième dispute entre sa mère et son grand-père qui l’avait accueilli. L’héritier des Tsumyo ne serait jamais au niveau, et faire autre chose de sa vie aurait plus de sens, prétendait l’ancien. Si Takaneiki avait réussi à se contenir jusque-là, la réflexion sur la dignité du clan qui suivit fut de trop. D’une violente poussée, l’ancêtre avait traversé la pièce, s’écrasant violemment contre le mur, sous les yeux embués de larmes de l’enfant. Cela mit brutalement fin à la conversation.
C'est sur ces entrefaites que Sarouh avait présenté silencieusement son bandeau frontal à sa mère. Encore en proie à la colère, elle le félicita distraitement. Le vieil homme se contenta de bougonner en sortant de la maison. Le Genin avait pourtant espéré que sa réussite diminuerait les tensions en attendant le retour de son père, mais les jours suivants furent encore plus tendus.
Autre source de contrariété, aucune équipe ne lui avait été assignée. Officiellement : restrictions budgétaires, difficultés administratives,les Juunins, les ninjas supérieurs en charge des formations, seraient tous en mission... La Cascade ne manquait pas de raison à lui fournir pour justifier son manque d’encadrement.
Le jeune homme doutait sérieusement de la validité de celles-ci. Aurait-il eu droit à un sensei, comme son camarade Masiku Arabara, s'il avait été un dignitaire du Village ? Ses capacités étaient-elles mises en cause ? A quoi bon passer un examen dans ce cas ?
Étouffé par l’injustice, il allait tout de même remplir son devoir. En tant qu'aspirant, il avait la responsabilité d'accomplir un certain nombre de missions pour Gensou. Au grade le plus faible de l’organisation militaire et sans supervision, il n'aurait accès qu'aux services d’intérêt général.
S’enchainèrent alors les missions sans importance. Du sauvetage de chaton dans les arbres à l’aide aux chantiers, rien ne lui était épargné. Difficile de comprendre en quoi il était nécessaire pour lui d’avoir une formation si exigeante s’il se limitait ensuite à nettoyer le Village. Son argent difficilement gagné terminait dans la bien vide trésorerie familiale. La sensation de vacuité noya un instant le misérable Genin. C’était exactement ce qu’il craignait. Pour se débarrasser de ces craintes futiles, Sarouh se concentrait pleinement sur ses entraînements. Mais cela ne suffisait pas toujours.
Le devoir l’attendait, mais le Tsumyo trainait la patte. Déambulant à travers les rues de Gensou qu’il avait appris à apprécier, il se surprit à procrastiner. C’était une première. Assis un instant sur un banc, il contempla les reflets de lumière dans la grande cascade qui était devenue le symbole du Village des Illusions. Les brumes matinales, épaisses et mystérieuses, l’apaisaient. Le roulement de l’eau qui chutait avec fracas entre les divers bassins naturels composant le monument rocheux l’hypnotisait. Curieusement, il se sentait ici à sa place, contrairement aux autres membres de sa famille. Il fit tourner un kunai sur son index, espérant qu’il lui donne des réponses. Personne n’allait donc apprécier sa présence ? L’adolescent n’avait pas l’impression que devenir fort allait solutionner son problème.
“Toutes les choses importantes méritent qu'on se batte pour elles”. Il soupira. Après un temps qui lui sembla infini, de nombreuses répétitions de ce mantra et quelques étirements, Sarouh retourna à sa mission. Le chat n’allait pas se retrouver tout seul. Et il aurait beaucoup de mal à justifier y avoir passé plus d’une demi-journée. Il sauta sur ses jambes, essayant de se concentrer sur sa lourde tâche.
L’animal répondant au doux nom de Précieux avait été aperçu pour la dernière fois dans le quartier qui jouxtait celui des Tsumyo, en périphérie du Village ; entre les rues commerciales, les quartiers des artisans et la basse ville. Les marginaux et les pauvres s’y retrouvaient. Sans s'appesantir sur son statut, Sarouh continua sa recherche. Il ne devait pas être bien loin.
Bien décidé à mettre à profit toutes les situations pour s’entraîner, il escaladait les arbres en se servant du Chakra pour marcher sur les surfaces verticales, exercice typique des shinobis. Gainant tous ses muscles pour résister à la gravité, se hissait presque à la cîme sans les mains. Un sourire lui échappa : le travail payait. Satisfait, il se positionne sur les branches les plus solides d’un saule pleureur, à la recherche de Précieux.
Un mouvement attira son regard à travers le rideau de feuille. Sur un ersatz de terrain d’entraînement, une adolescente répétait inlassablement ses katas. Ses longs cheveux noirs noués en une queue de cheval, une ample chemise blanche ne suffisait pas à dissimuler complètement sa fine carrure. Incapable de voir son visage de sa position, Sarouh fut arraché à son observation par deux voix aussi désagréables que familières :
— Il semblerait que cette pauvre cloche soit décidée à devenir une guerrière. Le mauvais goût n’a aucune limite.
— Les Marwais n’ont donc aucun honneur à préserver ?
Le duo de langue de vipères était assis à l’ombre d’une bâtisse, des parchemins étalés devant eux. Se moquer au loin ne devait pas être assez amusant pour les deux idiots, qui se levèrent pour arroser de quolibet la jeune femme.
Elle les ignora sans peine. Son sabre fendait l’air, précis et rapide, danse sereine et sans mouvement superflu. Sarouh admira son sang froid, alors qu’il était lui-même irrité par les remarques des deux idiots. Le premier était Masiku Arabara, issu d’une famille incluse dans l’illustre clan Maboroshi grâce à leur pupille spéciale autant que pour les services rendus au Village. La seule chose dont il avait hérité était l’orgueil. Le second n’était qu’un de ses sous-fifres, qui l’accompagnaient partout en répandant son venin, espérant sûrement récupérer les miettes qui tomberaient du prestigieux clan grâce à son amitié avec lui. Pathétique. Le dégoût de Sarouh dût se sentir, car c’est ce moment que l’acolyte choisit pour le repérer, le pointant du doigt :
— Les déchets vont par paires, regarde.
— Deux pauvres étrangers qui ont mendié l'asile à Gensou. Pas étonnant que des nuisibles pareils se regroupent.
La Marwais ne sembla pas plus dérangée par le nouveau venu que par les remarques précédentes et continua ses katas, imperturbable. S’en prendre à lui était une chose, mais se regrouper pour rabaisser une kunoichi exemplaire était aussi lâche qu’énervant. Il jeta un dernier regard à l’épéiste. Elle serait largement capable de se défendre si elle le désirait ; pourtant la kunoichi restait de marbre.
— Regarde les, incapable de répliquer, continua Masiku. Tu penses qu’ils nous lécheraient les pieds si on demandait gentiment ?
— C’est certain, des tocards pareils. Hé ! Tu es consciente que malgré tous tes efforts, ce qui t’attend, c’est de crever comme une chienne ? A l’image de ta mère ? Peut-être que ce n’est pas les pieds qu’on devrait…
Les mouvements de son épée se stoppèrent net. Mais ce n’est pas la kunoichi, cible de toutes ces injures qui l’avait arrêté. Sarouh avait sauté de l’arbre sans même avoir pris le temps d’y penser. Son sang n’avait fait qu’un tour et il avait brutalement assommé le fauteur de troubles. Maintenant, il lui fallait gérer les conséquences de son impulsivité. Masiku renifla, à peine concerné. Il lui adressa un sourire moqueur, avant de continuer, goguenard :
— Alors, on refuse la vérité pauvre naze ? On essaie de se faire chevalier blanc devant la demoiselle en détresse ? Vous êtes pitoyables. Viens là que je te remette à ta place.
Nullement démonté par la raclée que venait de prendre son acolyte, il s'était mis en position. Beaucoup plus fort que son vis-à-vis sur le plan physique, le combat allait être difficile. Masiku s'élança à toute vitesse, et les kunaïs s'entrechoquèrent tout près du visage du Tsumyo, qui avait réagi à la dernière seconde. Il était aussi plus rapide. Porté par sa fureur, Sarouh balaya le vide alors que son adversaire avait facilement esquivé son attaque, et il encaissa un revers puissant qui l'envoya bouler un peu plus loin. Pressant son avantage, le jeune Arabara lui fonça dessus, déterminé à mettre un terme à l'affrontement d'un puissant coup de pied en pleine tête.
Il s’arrêta brutalement, avec un bruit sourd. Son idée rapidement étouffée par une manchette rapide suivie d'un coup de genou dans l'abdomen. Rapide comme l'éclair, la bretteuse avait rejoint et mit fin à l'affrontement dans le même geste. Elle avait un visage fin et fermé, trahissant à peine sa colère par sa mâchoire crispée. Semblant juger le Tsumyo du regard, elle ne fit pas un geste pour l'aider à se relever.
— S’interposer sans avoir la force de le faire est aussi stupide que dangereux.
De nouveau sur ses jambes, le jeune homme l'observa en détails. Vêtue d'un simple kimono blanc, elle portait son long sabre sur le côté. Son regard trahissait la passion qui l’animait, une flamme brûlant dans ses yeux d’un marron intense. Deux, peut-être trois ans de plus, son expression sévère ne lui retirait en rien sa beauté. Sarouh était encore stupéfait. Il avait à peine pu la suivre du regard lors de son intervention. La kunoichi le sortit de sa contemplation surprise :
— Je suis Cacaunoy Marwais. Tu es ?
— Sarouh Tsumyo.
— Tu comprends que tu viens de rendre nos positions beaucoup plus compliquées, n’est-ce pas ? Pourquoi tu n'as pas été foutu de te tenir ?
Elle était encore plus froide qu'elle en avait l'air. Le danger passé, c’est le garçon à la chevelure cobalte qui subissait ses foudres. L’incompréhension de Sarouh disparut vite. Il savait bien qu’il aurait mieux fait de s’abstenir. Les combats entre soldats étaient interdits en dehors de l’entraînement. Surtout face à quelqu’un de son statut. Techniquement, son comportement pouvait le mener à la cour martiale. Mais il ne ressentait aucune peur.
— On ne risque rien. Aucun Maboroshi acceptera de s’associer à l’idée qu’une étrangère à peine promue a terrassé l’un des leurs.
— Et les représailles ?
— Tu as l’air de taille.
L’adolescent ne pu s’empêcher de sourire. Il mourrait d’envie de taquiner cette Cacaunoy qui se prétendait faite de glace. Son instinct lui hurlait que ce n’était qu’une façade. Elle le fusilla du regard, avant de détourner les yeux.
— Ce n’est pas ton cas, ne fais plus jamais quelque chose d’aussi inconsidéré. C’est insultant. Hors de ma vue, j'ai mieux à faire.
Sa lame fendit l’air, mettant fin à la conversation. Le Tsumyo ne demanda pas son reste. Il s’enfuit, retournant à sa mission de sauvetage félin. Il ne s’y trompait pas, le comportement de la kunoichi trahissait une forme d’inquiétude. Un sourire lui échappa et il manqua de pouffer, tout seul dans les rues. Au fond de lui, la certitude de la revoir était gravée. Il avait déjà hâte de jouer avec. En attendant, il lui fallait s’entraîner, avant que les problèmes ne rappliquent. Cacaunoy avait raison sur un point, la vengeance de Masiku risquait d’être problématique pour lui. Il repéra finalement le chat, nonchalamment allongé à côté d’une gouttière. Un nouvel objectif, une nouvelle amie, et une mission accomplie. C’était une bonne journée.
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