4 - Petites fiertés
L'aube pointait à peine sur le Village de la Cascade et l'eau glaciale scintillait sous les pâles rayons du soleil alors que l'hiver s'installait doucement. Sarouh fut estomaqué de trouver un autre Genin sur son habituel terrain d'entraînement. L'endroit était parfois fréquenté, mais avec le concours du climat des derniers jours, le Tsumyo se retrouvait souvent à avoir l'emplacement pour lui tout seul. Entre le froid et la pluie, la plupart des shinobis renonçaient au plateau renfoncé dans la Cascade, magnifique mais complexe d'accès. C'était d'ailleurs la raison principale de son choix. Malgré la clémence climatique du jour, il faisait toujours très froid et le Tsumyo avait du mal à croire qu'on l'ait devancé.
Le jeune homme brun s'entraînait à marcher sur l'eau. A peine plus âgé bien que moins grand que Sarouh, ses cheveux ébouriffés indiquaient un profond manque d'intérêt pour son style négligé par ailleurs. Plus proche du pyjama que de la vraie tenue, il arborait un tee-shirt trop large ainsi pantalon qui ne le couvrait qu'au dessus des genoux. Il était déjà possible d'identifier un point commun aux deux adolescents.
Il ne manifestait pas le besoin de se protéger du froid et semblait concentré sur un ennemi imaginaire. Rien de surprenant, la majorité des Gensouards y était entraînée et les shinobis étaient supposés résister à tous types de conditions climatiques. Certains subissaient d'inhumains entraînements à cette fin et ce dés le plus jeune âge.
Une nuée d'aiguilles d'eau s'éleva dans les airs, animées par les murmures de l'inconnu avant de s'abattre avec fracas sur le rideau impénétrable de la cascade.Des marques bleues s'étaient propagées sur le corps du ninja. Des spirales lui couraient le long de ses bras et jambes nus alors que des motifs qui rappelaient des flammes grimpaient sur son cou, avant de ramper sur son visage. Il n'en fallu pas plus à Sarouh pour identifier le clan auquel appartenait le jeune homme : les Mizu.
Cette spécificité n'appartenait qu'à ces Gensouards, dont la réputation à travers le Yuukan n'était plus à faire. Leurs tatouages vivants avaient la faculté de conserver et de renforcer le Chakra de leurs porteurs en rentrant en résonnance avec celui-ci. Appliquée à d'autres individus, cette technique ne fonctionnait purement et simplement pas, l'absence de marqueurs génétiques permettant la symbiose rendait la manipulation inutile, voire dangereuse. De fait, le clan Mizu avait gagné une renommée importante, étant parmi les plus grands maître en ninjutsu Suiton du monde.
Chikara, faction du Désert, possédait également de grands spécialistes du Doton, la maîtrise de la terre, cependant la supériorité en matière de maîtrise élémentaire revenait à Mahou, la Forêt. Mais de la même manière que Gensou leur damait le pion en matière de genjutsu, le Village du Désert s'illustrait par la diversité et l'excellence de son taijutsu, l'art du corps à corps. Les spécificités si différentes de chaque Village permettaient autant la paix qu'elles soufflaient sur les braises de la guerre.
Sarouh était resté bouche bée. Effectuer cette puissante attaque Suiton en marchant sur l'eau était exceptionnel pour un Genin tout juste sorti de l'Académie. La personne qui lui faisait face avait beaucoup d'avance sur lui. Il était sincèrement impressionné mais aussi un peu amer. Le benjamin de la promotion aurait aimé être capable d'en faire autant. Il faisait demi-tour pour se trouver un autre endroit, lorsqu'il entendit une voix l'interpeller :
— Hey ! Tsumyo ! Qu'est-ce que tu fous là ?
Deux mauvaises nouvelles. Le Mizu voyait parfaitement qui il était alors que l'inverse n'était absolument pas vrai. Trop occupé à essayer de se faire plus petit qu'une souris, il ne connaissait de nom qu'un petite portion de sa promotion d'aspirants. Et la réciproque était assez vraie en général. La seconde était qu'il serait bien parti en évitant la confrontation. Les interactions sociales lui faisaient peur et pour rien au monde il ne s'en infligerait des inutiles.
— Salut. Désolé, je ne voulais pas perturber ton entraînement. Je vais me trouver un autre endroit c'est pas grave ! ajouta-t-il précipitamment.
Le rouge ne lui montait fort heureusement pas facilement aux joues, cela en rajouterait au ridicule. Mais son camarade n'était pas prêt à le laisser partir comme ça.
— J'ai crû comprendre que tu n'avais pas encore d'équipe. Tu fais quoi en ce moment ? demanda d'une voix enjouée le Mizu après un petit silence, se maintenant sur l'eau sans difficulté.
— Je m'entraîne de mon côté, le Village me trouvera bien une place quelque part. Je fais des missions faciles à droite à gauche, répondit l'intéressé en masquant son amertume et sa gêne.
— Si je te disais qu'il y avait une place à gagner dans notre équipe et que tu connais déjà la dernière personne du trinôme, tu serais partant ?
— Où est le piège ? ne put s'empêcher d'interroger Sarouh après un bref silence, l'excitation faisant briller l'émeraude de ses yeux
Enfin ! Après des semaines d'entraînements en solitaire ! Mais il savait bien que ça ne suivait pas le processus habituel de création d'une équipe. Et comment ça, il connaissait le troisième ?
— Que dirais-tu d'un petit défi ? Si tu arrives à tenir sur l'eau et à y rester plus longtemps que moi, tu as ta place ! Le clan Mizu est très influent, ils ont forcé à rapatrier en urgence un Jounin du clan pour permettre que je sois formé au mieux. J'ai déjà recruté et personnellement évalué mon premier camarade. Je veux m'assurer de pas être entourés de ploucs. Je suis à peu près sûr que tu ne seras pas à la hauteur, mais qui sait...?
Le Genin le défiait du regard, confiant. Manifestement, il était certain de bien mieux se débrouiller que son vis-à-vis. Logique. La plupart ne parvenait même pas à y poser un pied, alors s'y maintenir était hors de question. Une flamme de défi s'embrasa dans le regard du Tsumyo. Le Mizu était tombé sur le mauvais client. Sans attendre ni donner de réponses, il prit position, devant le regard ébahi duqui pensait rayer sa candidature d'office. Il aurait peut être dû écouter un peu plus son père quand il racontait qu'avant d'être de Gensou, les Tsumyo étaient de fiers shinobis qui n'avaient rien à leur envier.
— Je m'appelle Chiraku Mizu, se présenta son camarade avec un respect nouveau dans la voix. J'ai bien vu que tu ne me remets pas, mais on était ensemble à l'Académie, j'ai une excellente mémoire des noms et il faut dire que les cheveux bleus ne sont pas si courants.
Son rival s'était maintenu sur l'eau sans montrer d'efforts particuliers, un grand sourire aux lèvres. C'est le Kage en personne qui avait remis au chef de son clan la liste des aspirants disponibles pour créer une équipe. Tout cela avait terriblement ennuyé le fraîchement promu Genin. Il aurait aimé soit avoir un entraînement personnel, soit une équipe à la hauteur de son niveau et non pas à avoir à composer avec les rebuts que le Village n'avait pas su caser.
Mais les négociations avaient été très claires : on permettait à un Jounin du clan de revenir de mission pour s'occuper de lui, à conditions que deux autres Genins livrés à eux-mêmes, faute de personnel, rejoignent l'équipe. La crise actuelle était plus grave que ce que laissait penser le Village. La formation des derniers éléments était un réel challenge avec le peu d'effectif disponible. Sa rencontre fortuite avec Sarouh aurait dû lui permettre de le rayer sans souci de la liste pour s'intéresser à d'autres éléments plus probants, par exemple le dernier des Arabara. Mais son attitude allait peut être le faire changer d'avis. Ca serait la deuxième fois.
— Dis, apparemment tu maîtrises l'exercice. Ca te dit qu'on corse un peu les choses ?
— C'est à dire ?
— Un petit duel de taijutsu, histoire de voir si tu tiens un peu la route. A moins que tu n'aies peur ?
Ce n'était que de la provocation de base, pour voir si le Tsumyo en avait dans le ventre. Son long soupir lui indiqua qu'il n'avait pas tapé juste du tout. Ce genre de petites allusions le laissaient manifestement de marbre. Il se mit néanmoins en position. Chiraku lui fonça dessus à toute vitesse, bien décidé en finir rapidement avec cette comédie que lui-même n'appréciait pas plus que ça. Il avait l'habitude d'être une personne avenante et calme, mais c'était également un grand compétiteur, comme presque tous ses pairs.
Les premiers enchainements étaient basiques. Sarouh bloquait et esquivait en essayant de bouger le moins possible. Il ne possédait pas l'énorme quantité d'énergie spirituelle que pouvait dilapider sans compter son adversaire. Avec de simples déplacements efficaces, il arrivait à tenir la cadence. Mais riposter lui était totalement impossible. Ses mouvements trop lents et grossiers l'exposeraient s'il s'essayait à la contre-attaque, Il lui fallait attendre que le Mizu se fatigue.
Pendant une minute qui sembla durer une éternité, le Genin aux cheveux bleus dû utiliser tout ce qu'il avait appris à l'Académie pour n'encaisser aucun coup ni laisser l'eau mouvante de la cascade l'engloutir. Son adversaire s'impatientait, l'intensification de l'assaut le criait. Il était déjà convaincu de la valeur de Sarouh, mais il était hors de question que le timide étranger ne le batte. S'il ne s'agissait que d'un test à la base, sa fierté était désormais en jeu. Il regrettait d'avoir proposé ce challenge en ayant utilisé autant de ressources pour le Jutsu auquel il s'entraînait. Un enchaînement fulgurant de coups de poings força à Sarouh à se pencher en arrière, avant d'encaisser un puissant coup de pied qui le propulsa. L'héritier des Mizu ne pu s'empêcher de crier victoire avant de constater avec effarement que son adversaire ne s'enfonçait pas dans l'eau glaciale.
Etendu, le Tsumyo avait d'instinct modifié la façon dont son Chakra le portait. Pendant ses multiples entraînements pour apprendre sa première attaque mentale, son père n'avait cessé de l'entraîner sur l'eau, jusqu'à épuisement total de son énergie. Ils avaient même mangé avec des bols de bois sur un petit réservoir d'eau stagnante. Le résultat était à la hauteur de l'effort. Furieux, le Mizu effectua des mudras à toute vitesse. Ne maitrisant pas cet aspect de la manipulation du Chakra, sa fierté en avait pris un coup et lui interdisait de baisser pavillon. C'est à ce moment précis que Sarouh lui jeta deux kunaïs. Uniquement sur la défensive depuis le début, il avait soigneusement attendu son heure.
Chiraku para, pris de court par ce changement brutal d'attitude. Son justu inachevé réclama tout de même sa part d'énergie. Les lois impitoyables de l'Univers se rappelaient brutalement au Mizu qui sentit son énergie spirituelle se disperser sans effet notable. L'instant d'après, le Genin aux cheveux bleus était sur son adversaire. Il sentait la fin de ses réserves approcher et espérait qu'il en était de même pour son rival . Poussant son avantage, Sarouh se lança dans un furieux enchaînement. La fatigue rendait leurs mouvements lents, leurs gestes imprécis et l'assaut rageur devint progressivement une bagarre de comptoir. A bout de souffle, le Tsumyo envoya son meilleur crochet du droit et eu la satisfaction de sentir la mâchoire de son adversaire sous son poing. Au même moment, un coup de pied à la tempe gauche le sonna. Sa vue se troubla et il sombra, inconscient.
Au loin, deux shinobis eurent le temps de se sourire avant que chacun prenne son protégé sous le bras, avant qu'ils ne s'enfoncent dans l'eau.
— Ton petit frère devient grand, Hiraku.
— Merci. Je constate que votre fils aussi. Il sera un grand ninja de Gensou.
La fierté transparaissait dans leurs voix respectives. Ils se firent un signe de tête en guise d'au revoir et un battement de cil plus tard, plus personne n'était là pour contempler la Cascade scintiller des pâles rayons du soleil hivernal.
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