7 - Test
- Ok bon travail ! Pour vous récompenser, on va jouer à un jeu !
Toute l’équipe de Genins se mit à râler, même la glaciale bretteuse. Les quelques jours d’entraînement avec leur sensei leur avait montré de manière très déplaisante sa définition de jeu. Il s’avérait que le plaisir n’était pas partagé. Tout le corps de Sarouh n’était que courbatures, après les différents supplices que lui avait infligés sa camarade. Après un petit duel, elle lui avait fait revoir sa posture, donnant des petits coups secs du plat de la main pour corriger ses défauts. Épaule trop en arrière, garde trop haute, jambe mal placée. Elle l’avait ensuite soumis à tout un tas d’exercices qui ne représentaient pour la jeune épéiste qu’un simple échauffement. Pour lui, ce fut un enfer. Et le cycle recommença.
Cela dit, la méthode ne manquait pas d’efficacité : en quelques jours, l’aspirant avait récupéré toute sa force et plus encore. Sous le regard approbateur d’Asori, sa technique s’était améliorée. Leur sensei ne manquait pas de leur donner des exercices supplémentaires, redéfinissant la notion d’épuisement. En contrepartie, le Tsumyo avait continué à donner à Cacaunoy des ficelles lui permettant de canalyser son caractère explosif afin de mieux utiliser son énergie spirituelle. Très complémentaires, ils s’étaient déjà beaucoup apportés en un temps record. A l'inverse de leur relation, toujours au point mort.
Chiraku, quant à lui, n'était pas en reste. Sa cousine savait très exactement à quelles limites le petit prodige du clan Mizu pouvait être poussé. Mais la Jounin semblait penser que ce n’était pas assez. Le séjour à l’hôpital des deux jeunes hommes n’avait pas laissé des marques durables. Il était temps de revenir au test qu’elle voulait leur faire passer depuis le début, car de celui-ci dépendrait l'avenir de l'équipe. Pantelants de ce début de session, le petit cercle autour de leur instructeur redoutait la suite. À raison.
— Le jeu est le suivant : vous gagnez si vous parvenez à me faire retirer les mains de mes poches. Si je compose un mudra, vous gagnez. Si je suis touchée, vous gagnez. Facile non ?
— Ca me semble quand même très restrictif, on n'est pas si mauvais, sensei… râla Chiraku
— Face à une Marwais, le bébé des Mizu et un Tsumyo ? Tran-quille.
Ils savaient bien qu’un ninja supérieur était fort. Mais quand même ! Sans les mains et sans aucun arcane ninja ? Asori ne les sous estimerait pas un peu ? Comme on pouvait s’y attendre, c’est Cacaunoy qui prit la mouche le plus fort. Serrant les dents, elle se mit directement en position, sortant son katana. Se sentant insultée, la Genin voulait montrer qu’on ne lui manquait pas de respect impunément et se positionna en une garde haute agressive.
— Ce petit jeu devrait vous apprendre au moins trois choses fondamentales. Je paie des ramens à celui qui trouve de quoi je parle à la fin. Allez, on n’a pas toute la journée ! Vous avez deux heures pour me toucher. Si vous perdez face à quelqu’un qui n’a que ses jambes, je refuserais de vous entraîner. Je forme des shinobis, pas des ratés.
De la même manière qu’à l’hôpital, elle s’effaça purement et simplement, laissant les aspirants soudainement seuls. Si elle avait annoncé ça comme ça, sans une once d'émotion, la menace était pourtant bien réelle. Si la Jounin ne voulait plus d’eux après un examen qu’elle jugeait approprié, alors le Kage serait obligé de dissoudre l’équipe. Vu le manque d’effectif, ça en sonnerait définitivement la fin. Autant leur apprendre qu’ils retournaient tous à l’Académie. Pas refroidie pour un sou, l'ouragan Cacaunoy se jeta à ses trousses, ignorant ses deux camarades qui lui intimaient de revenir pour mettre au point une stratégie.
Chiraku n’ignorait pas que ce ninja d’élite n’avait aucune envie d’enseigner. L’exercice serait probablement beaucoup plus dur qu’il en avait l’air. La provocation délibérée n’était là que pour mettre en rogne la jolie brune qui s’était lancée seule face à la Mizu.
« En cas d’affrontement face à un ennemi plus nombreux, séparer et éliminer individuellement les membres du groupe ennemi est souvent la meilleure des approches ». C’était très littéralement les bases de l’art ninja, présents dans tous les manuels.
Pestant, les deux jeunes hommes se lancèrent à leur tour à la poursuite des deux kunoichis. Ils arrivèrent dans une petite clairière entourée d'arbres où leur instructeur esquivait les assauts fulgurants de leur camarade hors d’elle. Ses enchaînements éclairs ne rencontraient que le vide, alors qu’Asori ne semblait même pas bouger. Après un coup d'estoc foudroyant esquivé d'une simple rotation du buste, elle provoqua la Genin emportée par son élan.
— Trop lente.
L'aspirante continua avec un puissant coup circulaire destiné à couper sa professeure en deux, qui passa en dessous d'une acrobatie, lui adressant un sourire narquois.
— Prévisible.
Essayant de profiter du déséquilibre de sa mentor, la sabreuse asséna deux coups fulgurants verticaux que la Jounin esquiva sans mal en se redressant, semblant simplement ignorer les assauts frénétiques de Cacaunoy.
— Sérieusement ?
Chaque petite pique augmentait la colère de l’aspirante. Elle écumait littéralement de rage. Sarouh ne comprenait pas pourquoi elle perdait le contrôle d’elle-même comme ça, alors qu’elle s’était si bien contenue lors de sa rencontre avec Masiku. C’était étrange. La seule remarque sur son clan avait suffi à la faire sortir de ses gonds. Plusieurs longues secondes plus tard, elle était à terre, le souffle coupé par un puissant coup de genou dans le plexus.
— C’est tout ? demanda Asori, l'air faussement déçu, jouant négligemment avec sa tresse. Et vous, vous comptez regarder longtemps ? Le temps passe vous savez.
De leur côté, les jeunes hommes n’avaient pas complétement perdu leur temps et avait mis au point un semblant de stratégie. Un clone apparu de chaque côté des deux jeunes hommes. Probablement inconsistant pour Sarouh et aqueux pour Chiraku, estima la Jounin, se basant sur leurs forces respectives.
La paire de jumeaux fonça sur Asori. Elle reçut le premier clone de l’ainé du groupe d’un coup de genou, s'éclaboussant par la même occasion, et se repositionna d’un salto, faisant face aux trois restants. Elle se permit un petit sourire victorieux. Sa lecture de leur jeu semblait bonne. Esquivant une attaque maladroite d’estoc du bleu des cheveux, elle riposta en frappant ce qu’elle pensait être le vrai Mizu. Sa jambe ne rencontra que le vide, passant à travers l'illusion. D’une agilité surhumaine, elle se retourna en plein air pour frapper du talon le crâne de son collègue, espérant prendre appui sur sa tête pour s'équilibrer. Encore une fois, son pied traversa le corps de son adversaire sans rien toucher. Elle se retrouva alors à l’horizontal, les mains dans les poches. Une situation qui ne lui laissait pas beaucoup d’espace pour esquiver. C'est alors que trois parchemins explosifs furent lancés des arbres un peu plus loin par le Genin aux cheveux bleus qui venait d’y apparaitre. Toutes les idées qui lui permettraient de se sortir de ce pétrin la mettait hors jeu… Ou presque !
Une explosion bleue eu lieu sous la ninja, la projetant loin dans les airs, bien au-dessus des parchemins qui explosèrent à leur tour. C’est à ce moment qu’elle vit le vrai Chiraku, caché dans une ombre du côté opposé à Sarouh.
— Suiton : Mizuppoi hari !
Tout l’entraînement qu’elle lui avait prodigué ces quatre derniers jours se retournait contre elle. Malgré la hauteur à laquelle elle se trouvait, les projectiles trouveraient leur cible à coup sûr. Elle vit le regard plein d’espoir des Genins qu’elle balaya impitoyablement. Elle se mit à tournoyer sur elle-même et les fines aiguilles aqueuses, pourtant lancées à toute vitesse, furent toute repoussées par l’imperméable marron comme s’il s’agissait d’un bouclier, s'écrasant comme d'inoffensives goutelettes de pluie sur le vêtement.
La Jounin atterrit délicatement au centre de la clairière et de ses opposants, masquant tout signe de fatigue. Les visages de ses adversaires montraient bien qu’ils étaient à court d’idée. Elle avait toujours les mains dans les poches et arborait un grand sourire. Pas une trace de boue, même pas une égratignure. Si l'on ne portait attention qu'à la belle kunoichi, le combat semblait ne jamais avoir eu lieu.
De leur côté, les aspirants étaient tous à bout de souffle. Trois clones inconsistants pour Sarouh, transformés par un Henge, cela avait représenté une énorme débauche de Chakra pour le Genin. Et après l’entraînement qu’il avait suivi, le fait que Chiraku ait pu relancer une attaque tenait déjà du miracle. Ses marques bleues se retiraient lentement de son corps, signe évident d’un manque total de Chakra. Et si Cacaunoy s’était relevée, elle titubait, gardant difficilement son équilibre. Les jeux étaient faits.
Asori s’en voulait presque. L’attaque avait été bien minutée et chaque aspirant avait déployé efforts et imagination. Plusieurs ninjas supérieurs auraient été obligés de composer des mudras sur la dernière phase de leur plan, s’ils avaient été à sa place. Penser et exécuter un plan en trois étapes dans le feu de l’action et sans connaître spécialement ses coéquipiers était déjà très fort, pour des gosses.
— C’est fini ? Je suis un peu déçue.
Aucune réponse. Tenir debout était le dernier signe de défi que pouvaient mobiliser les trois aspirants. Cacaunoy tenta une attaque rendue maladroite par l’épuisement en hurlant. Asori l’esquiva en dessinant un quart de cercle et laissa traîner son pied en arrière, faisant tomber l’aspirante par un croche-patte aussi banal que vicieux.
— On. Ne. Crie. Pas. Pendant. Une. Attaque. Surprise. Vous êtes des shinobis, pas des ivrognes dans une taverne !
Elle avait ponctué chaque mot de sa première phrase d’un petit coup de pied sur la fille étalée au sol, avant de l'envoyer voler vers Sarouh pour esquiver le shuriken inévitablement lancé par celui-ci, suivi de celui de Chiraku. Ils la protégeaient comme ils pouvaient. Ils vinrent se positionner devant la brune qui se recroquevillait sous la douleur physique et mentale, faisant ainsi écran de leurs corps. La colère plein les prunelles, ils ne comprenaient pas comment leur maître pouvait être dépourvu de cœur à ce point. Elle ne se départissait pas de son grand sourire, qui en devenait intolérable. Puisant dans leurs haines, les deux garçons l’attaquèrent au kunaï et rejoignirent rapidement Cacaunoy au sol.
— Bien ! C’est la fin de notre petit jeu ! s'exclama soudain Asori, l'air satisfait.
Sans même essayer de se relever, les trois adolescents la regardèrent, incrédules.
— Vous y aviez cru ? Je suis une bien meilleure actrice que j’en ai l’air ! Et c’est maintenant qu’est le vrai test. Qu’est-ce que vous avez appris ?
Si elle avait été légère et joviale jusque-là, son air prit soudain un ton grave. Elle avait décomposé sa dernière phrase en syllabes, comme pour leur faire sentir le poids qu'auraient leurs réponses. Une bonne leçon est toujours apprise dans la douleur. C’est ce qui avait été inculqué à la kunoichi dès son plus jeune âge et force était de constater que ça s’avérait souvent vrai. Si les jeunes face à elle n’étaient pas capables de comprendre les leçons de cet affrontement, ils mourraient avant d’atteindre l’âge adulte. Ils n’avaient jamais eu la moindre chance de la toucher. C'est dans ce qu'ils avaient à en dire que résidait l'examen.
— Vous maîtrisez le genjutsu, commença péniblement Sarouh, endolori.
— Bien vu, répondit Asori après un éclat de rire cristallin, mais je t’avais prévenu, ça ne compte donc pas. Tu expliques aux autres pourquoi ?
— Cacaunoy, répondit le Genin entre deux respirations, s’est énervée beaucoup trop vite, vous lui avez fait quelque chose.
— Exact… Un genjutsu mental peut être subtil, c’est une bonne leçon.
— Ca nous amène au premier point fondamental dont vous parliez, continua Chiraku.
— Les émotions sont les ennemis du shinobi, compléta d’une voix blanche Cacaunoy.
— Ca progresse, sussura leur professeure, mais ce n’est pas une réponse complète. Si un jour vous passez Chuunin, je vous en reparlerais. Autre chose ?
— Nous sommes faibles, vous êtes forte ? tenta le jeune Mizu.
— Et donc ?
— Nous serons parfois amenés à affronter des ennemis plus forts que nous. Et nos ruses ne suffiront pas forcément.
Le Tsumyo hésita avant de donner sa conclusion, se passant la main dans sa tignasse cobalte :
— Il faut savoir perdre ?
Sarouh doutait vraiment voir où voulait en venir son maître. Gardant le silence, l'attitude de la Mizu lui fit comprendre qu'elle ne pouvait pas fournir plus d’indications sans donner la réponse. Reprenant peu à peu ses esprits, la jeune Marwais formula un début de réponse :
— Il faut rester en vie. Tant qu’on est en vie, on peut toujours devenir plus fort, battre en retraite et trouver une solution.
— Exactement. Mais ?
Nouveau silence. Les Genins se creusaient les méninges comme jamais. Ils étaient intelligents et repensaient à l’affrontement, ainsi qu'à tous les indices qu’elle y avait dissimulé, en attestait la première remarque du Tsumyo sur le genjutsu. La jeune brunette montrait pour la première fois qu’elle n’était pas qu’une brute épaisse. Asori ressentait une étrange fierté à les voir ainsi se dépasser.
— Mais des fois, on devra sacrifier l’un des nôtres pour réussir. L’Académie nous apprend ça. Comme on s’est servi de Cac’ pour essayer de vous avoir, tenta Chiraku.
— La règle dit ça. Cependant, les choix en missions vous appartiendront. Il y aura toujours une balance entre risque et récompense. Il faut savoir mourir pour son Village et pour ce en quoi on croit. Il faut savoir rester en vie, supporter l’indignité, pour obtenir la force de faire la différence.
La sensei observa ses protégés, alors qu'ils intégraient douloureusement la leçon. Pensifs, les trois Genins plantaient leurs regards dans le sol meuble de la clairière. Assimiler que des camarades ne reviendraient pas était aussi important que difficile, il fallait les préparer à cette dure réalité. Lorsqu'elle les sentit prêts, elle reprit :
— C’était bien ce que je voulais entendre. Il reste une dernière chose à me dire, si vous ne voulez pas retourner sur les bancs de l’Académie.
— La seule chance qu’on a face à un ennemi plus fort, c’est le travail d’équipe.
— Et inversement, pour bien gagner face à un groupe soudé, il faut en séparer les membres.
— Face à un ennemi qui nous surpasse, on apprend plein de choses. Il faut se dépasser pour progresser.
Sarouh, Chiraku et Cacaunoy venaient tour à tour de compléter ce qu’elle attendait d’eux. Leurs réponses en disaient long sur leurs individualités. Ensemble, ils comprenaient l'essence de ce qu’était une équipe. L’éternel sourire d’Asori revint, soulageant les Genins.
— Bien, je vais peut-être pouvoir faire quelque chose de vous. Je donne la dernière réponse bonus de ce petit jeu : Il faut savoir choisir quand se battre. Est-ce que vous pensez que ça aurait été aussi facile si on avait commencé par ça ? Non. J’ai attendu que vous soyez crevés pour vous cueillir. Faites de même autant que possible. Ça vous évitera de la fatigue et des défaites inutiles.
— C’est pas super honorable, marmonna Chiraku.
— Est-ce que j'ai l'air d'être un samouraï ?
— Non, maître, dit-il en baissant la tête.
— Il n’y a rien d’honorable dans la mort. Ni à vivre, ni dans celles que vous infligerez. Mettez-vous bien ça dans le crâne. Vous tuerez pour des idéaux qui ne sont pas les vôtres. Seuls ceux qui sont convaincus que les Villages font au mieux pour le plus grand bien peuvent continuer sur cette voie.
Asori vit bien que cet argument ne passait pas. Ils étaient encore trop jeunes et pétris d’idéaux pour avoir le cheminement qu’exigeait d’eux la vie de shinobi. Ils y viendraient.
— Allez, ramens pour tous, c’est moi qui paie. Vous m’avez impressionnée. Félicitations !
Trop fatigués pour crier de joie, le large sourire de leur sensei contamina ses élèves, qui rêvaient déjà de leur repas. Ils se redressèrent et se dirigèrent, couverts de terre et de bleus, vers le centre de Gensou. La journée avait été riche en enseignements. Ça ne s’arrêtera pas là, se promit la Jounin. Eux, ils iraient loin.
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