10 - Lumière dans les Ténèbres

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  Doudou à la main, l’enfant aux cheveux bleus, ne comprenait pas. Partout autour de lui, il distinguait nettement les maisons en feu. Il entendait parfaitement l’acier rencontrant l’acier, les hurlements de douleur des vaincus, les noms de jutsus vociférés, suivis d’explosions ou de chocs violents. Tout semblait si réel. Serrant le petit torchon contre son cœur, il prit son courage à deux mains et s’enfonça dans la petite rue, pour fuir le bruit et le danger. Son instinct lui disait que là-bas, il trouverait sa mère. Peut-être ?

  Revenu dans le corps d’un enfant, il se déplaçait horriblement lentement. Il hoquetait bruyamment, manquant de se noyer dans ses larmes et sa morve. Un terrible point de côté le laissait à peine respirer entre deux gémissements pathétiques. Il s’avança au bout de la ruelle enflammée, avant de voir voler un corps déchiré devant lui. Encore. Il fut noyé de son sang, le tronc démembré l’arrosant s'écrasa avec fracas contre le mur. Il ne lui restait que la tête. Mais l’horreur ne s’arrêta pas là cette fois. Le petit pu s’approcha du corps en titubant, les jambes flageollantes.

— Ma…Maman ?

  Il hurla, si fort que sa voix porta dans tout le village. La douleur dans son ventre enfla démesurément, alors qu'elle semblait se faire écho à elle-même et s’amplifier à l'infini. Se recroquevillant, l'enfant posa ses mains dessus en tombant à genoux.

— Mon sang ?

  Il déchira la nuit d'effroyables cris de souffrance. Il avait l'impression qu'une série de dards sortaient de son corps, lacérant sa chair cruellement. Dans le même temps, l’enfant se métamorphosait lentement en sa version adolescente, la douleur augmentant chaque seconde. Alors qu’il pensait finalement que ça ne saurait être pire, une douce chaleur se répandit à travers son abdomen. Une voix résonna dans sa tête:

— Calme toi, je t’en prie, calme toi…

  Puis ce fut les ténèbres. Le Genin se rendormit, d’un sommeil profond et surtout, sans rêve. Lorsqu’il reprit connaissance, ce fut dans une chambre d'hôpital désormais bien trop familière. Douloureusement, il s’acclimata à la lumière et se frotta les yeux. Les pâles mais doux rayons du soleil illuminaient tranquillement la pièce, la rendant presque bucolique. Sur le sofa réservé aux visiteurs en face de lui, Cacaunoy dormait sur les jambes de Chiraku, lui-même endormi, la tête en arrière. La négligence et la décontraction poussées au rang d’art l’accompagnaient même dans son sommeil. Assoupie à sa droite, de la même manière qu’à son premier réveil se trouvait Asori, allongée sur un fauteuil, jambes dénudées sur l’accoudoir, utilisant son imperméable marron comme couverture, un livre était ouvert sur ses yeux

  D’abord, il fut réconforté de trouver son équipe autour de lui. Mais cela ne dura pas. Il eut successivement des réminiscences de son cauchemar, puis de la tout aussi terrible réalité qui l’avait précédée. Il se prostra. Les yeux émeraudes d’habitude étincelants du Genin semblaient éteints, alors qu’une peur glacée s’emparait de lui. Comme alertée, une kunoichi portant la tenue du corps infirmier entra dans la pièce, et lui adressa un sourire chaleureux, avant de poser une main sur son épaule. Pris de peur, il se crispa à son approche. Une douce chaleur se répandit dans son corps, anxiolytique puissant que dégageait la jeune médecin par son Chakra. Sarouh se sentit de suite mieux. Il l’ignorait, mais ce type de soin était fréquemment dispensé et empêchait les ninjas de développer de puissants syndromes post traumatiques.

— Tu te sens mieux ?

— Je… Crois... ? bafouilla Sarouh

  Le Genin ne pouvait pas faire mieux. Parler lui était toujours difficile. Ses pensées se mélangeaient confusément et l’anesthésie rendait sa bouche pâteuse, ses lèvres ne répondaient pas et altéraient sa prononciation. Son cerveau fonctionnait sur une espèce de double vitesse : à la fois sur-stimulé et totalement à l'arrêt, les émotions et les idées semblaient enlisées dans la peur incrustée dans son corps. Il se sentit vaguement ridicule, avant que l’onde de chaleur ne balaie ça également.

— Je vais m’entretenir avec ton sensei. Essaie de te rendormir, d’accord ?

  Elle lui adressa un autre sourire lumineux, plus brillant encore que le soleil et soudain, un poids infini s’abattit sur les paupières du Genin, qui ne lutta pas…

  Après un temps qu’il ne sut quantifier, l’esprit embrumé du jeune garçon revint lentement à lui, lui permettant tout juste de capter la conversation qui avait lieu derrière la porte de sa chambre.

— ...Et au long terme ?
— Rien à signaler, il devrait s’en remettre. Mais il faut le ménager. On a bien failli le perdre cette fois.
— Très bien. Merci.

  Sa chambre était désormais vide. Il reconnut les voix de la ninja médecin qui l’avait rendormie et d’Asori. Ses intonations étaient froides. Son sensei était en colère, l’empathie mal maîtrisée du jeune Genin n’en doutait pas. Comme souvent, il le prit à tort pour lui. Sarouh n’aurait pour rien au monde renoncé à son équipe ou déçu la Mizu qui prenait soin d’eux. Peut-être que c’était sa faute, si elle n’était pas venue pour le protéger. Il n’y avait désormais plus aucune lumière naturelle dans sa chambre, seulement l’éclairage glacé des néons. La solitude étreignit le jeune Tsumyo. Ce fut au tour de son maître de rentrer pour lui sauver la mise. Elle n’arbora pas son grand sourire de façade usuel, et s’approcha doucement du garçon aux cheveux bleus. Sans rien dire, elle l’enlaça, le protégea de ses bras. Il fondit en larmes.

— Je… Je suis désolé sensei, je voulais pas, je suis tellement désolé…

  Il ne savait pas de quoi. Mais c’était tout ce qu’il arrivait à penser, hoquetant entre chaque mot. Il trouvait difficilement de l’air pour respirer. L’adolescent était très secoué. Sa professeure, le laissa pleurer chaudement tout son saoul, avant de prendre doucement la parole, lorsqu’il se fut un peu calmé.

— Tu n’y es pour rien Sarouh. Je suis là, tout va bien maintenant. C’est fini.

  Ses mots eurent plus d’effets que le plus puissant des jutsus de réconforts. Il s’abandonna dans ses bras, comme l’enfant qu’il était encore un peu. Il ne se rendormit pas, profitant des longues minutes contre le corps chaud et apaisant de sa sensei qui, en plus de la couverture de l’hôpital, le protégeait de son imperméable. Il se savait véritablement à l'abri.

— Sarouh, sais-tu qui t'a fait ça ? On t’a retrouvé blessé, c’est un Genin du Village qui a signalé ta position.

  L'aspirant hésita. Il avait beau détester son tortionnaire, celui-ci avait bel et bien réussi son coup. Il avait gravé la douleur et la peur dans l’âme du Tsumyo. Il n’ignorait pas la puissance du clan Arabara. Sans preuves tangibles, pouvait-il vraiment l’accuser ? Il y avait fort à parier qu’un violent retour de flammes aurait lieu s’il avait le courage de les dénoncer.

— Tu peux me le dire. Aie confiance.
— Masiku Arabara.

  C’était la preuve ultime de la foi qu'il plaçait en sa sensei. Il la croyait capable d’affronter le clan Arabara et d’en sortir indemne. Il la savait capable de prendre les décisions qui s’imposaient. Il la voyait forte, alors qu’il se sentait si faible. Le regard de la Jounin, l’espace d’un moment imperceptible, s’embrasa sous l’effet de la haine. Jamais elle ne tolérerait qu’on s’en prenne à ses protégés. Masiku allait payer. Dans le vert intense de ses iris dansait une promesse de souffrance infinie et de mort. Heureusement son protégé ne le vit pas, la tête enfoncée dans la poitrine menue de la jeune femme.

— Sensei ? Qu’est-ce que vous allez faire ?
— T’occupe. Pour le moment, ton seul problème, c’est de te reposer. Toute l’équipe est venue tu sais ? Ils devenaient maussades, donc je les ai envoyés se dérouiller un peu. Ils tiennent à toi et vont bientôt revenir.
— Sensei, arrêtez de dire des choses pareilles, on va plus savoir où se mettre…

  Chiraku était de retour, Cacaunoy sur les talons. Il faisait ce qu’il pouvait pour masquer son anxiété derrière sa décontraction habituelle. L’inquiétude transparaissait tout de même sur son visage et sa voix tremblait un peu. La jolie brune qui le suivait n’essayait même pas de cacher son émotion. Elle était revenue avec son comparse dès qu’il avait été question d’un réveil imminent du Tsumyo, puisant dans l’énergie de son corps athlétique pour battre plusieurs records de vitesse.

— Sarouh !

  Et elle se jeta dans le lit du blessé au côté d’Asori, l’étreignant au passage. Le vernis de glace de la jeune femme avait fondu, entraînement après entraînement. Le Tsumyo l’avait toujours couvé d’égards discrets mais bien réels, malgré la froideur qu’elle avait essayé de conserver. Si elle avait fait tout son possible pour s’en cacher, apprendre qu'il avait été blessé avait fait voler en éclats son masque impénétrable qu’elle s’était pourtant jurée de garder. Les autres membres de l’équipe en restèrent interdits, avant de sourire doucement.

— Qui t’a fait ça ? Si je le retrouve, je le brise en deux, je suis la seule qui a le droit de te taper dessus.

  Le Genin aux cheveux bleus secoua doucement la tête, lui refusant l’information. Si l’affection de la kunoichi l’avait sincèrement touché, il n’était pas assez stupide pour la laisser se mettre en danger. Elle serait capable d’aller tenter de tuer Masiku. Et en cas de réussite, ça serait la peine de mort pour la fille à l’épée. Le volcan Cacaunoy fut sur le point d’exploser, passant vite de la sollicitude inquiète à la colère extrême. Elle allait maudire l’impuissance du Tsumyo, lui crier dessus jusqu’à ce qu’il avoue, quand la main de sa sensei se posa sur son épaule. Elle aussi, fit non de la tête. La demoiselle comprit, impuissante. La balle n’était déjà plus dans leur camp.

— Au fait, Cac’ a un cadeau pour toi. Elle s’est démenée pour…, commença Chiraku.

  Le jeune Mizu, pourtant doté d’excellents réflexes, ne put éviter de voir son pied impitoyablement écrasé par la tornade nouvellement née dans la chambre d’hôpital. Cette jeune fille avait tellement de vitalité, ne put s’empêcher de s’émerveiller sa sensei. Et si l’équipe tenait bon, après le tournoi, ils pourraient devenir l’une des meilleures équipes de Genins qu’Asori n’avait jamais vue. Quand elle aurait réglé le problème.

— Voilà, pour toi…

  La jeune femme s’était retournée doucement vers son camarade blessé. Elle sortit un parchemin et en invoqua un fourreau gravé dans un drap blanc, qu’il reconnut directement. C’était Aura. Mais à côté de la lame léguée par ses parents, une petite dague était également placée, petite sœur taciturne. Le manche de la dague était d’un cuir noir épais, tandis que la lame acérée était ornée d'un serpent et d'un lion gravés à sa base, rappels des motifs d'Aura. Le Tsumyo devina que c’était l’œuvre de la jeune femme.

— J’ai aidé mon père à te faire ça… Et quand je les ai informés, tes parents tenaient absolument à ce que tu l’aies avant le tournoi. Ils n’ont pas pu te voir éveillé, ils sont de nouveau en mission.

  Le jeune garçon la regarda, éberlué. Une espèce de douce timidité s’était emparée de sa voix et son regard était planté dans le sol, contrairement à son habitude. Sarouh lui répondit doucement en posant ses mains sur les siennes.

— Cac’, tu es géniale. Merci.

  C’était la première fois que le jeune garçon se permettait de l’appeler par le diminutif que Chiraku lui avait donné sans vergogne à leur première rencontre. Le jeune Tsumyo était totalement séduit par sa camarade. Son comportement changeant mais toujours intense lui donnait une aura incroyable. Arborant désormais un sourire lumineux, la demoiselle releva la tête, toute trace de gêne disparue alors que les Mizu juste à côté d’eux les regardaient se dévorer des yeux, spectateurs d'une autre dimension. Asori mit cependant fin à l’enchantement.

— Les jeunes, on y retourne. Il ne va pas se gagner tout seul ce tournoi. Interdiction de voir notre protégé après le coucher du soleil. C’est clair ?

  Cette dernière question était clairement pour l’épéiste, qui baissa la tête.

— Sensei… Est-ce que je vais pouvoir participer ?
— Malheureusement oui. Tu seras privé d’entraînement. La seule chose que tu as le droit de faire, ce sont des assouplissements en suivant strictement les recommandations de l’hôpital et de la méditation, mais tu seras sur pieds à temps.

  Un grand sourire illumina le visage de Sarouh.

— Vous allez voir, je vous rendrai fière !

  Il ignorait qu’elle l’était déjà. Alors que son équipe sortait en lui faisant signe de la main, la solitude revint. Et avec elle les affres de la nuit. Le Genin était prêt à les affronter. Il repensa aux regards de Cacaunoy, au sourire de Chiraku et au câlin de sa sensei. Dans la lame à ses côtés résidaient la foi de ses parents. Non, cette nuit, il n’aurait pas peur.

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