Sarouh rentra dans l'arène, côté spectateur. Il était resté endormi le temps de plusieurs combats et il savait avoir raté celui de Chiraku. Il espérait arriver à temps pour voir Cacaunoy en action, alors qu'il montait les escaliers quatre à quatre. Fuir l'infirmière avait aussi eu son importance dans son empressement.

  De ce qu'on lui avait appris, l’adolescent aux cheveux cobalts était victorieux de son match, son adversaire s'étant écroulé avant lui. Cela avait été beaucoup plus serré que prévu. Ne voulant pas prendre de demi-mesure, il n’avait pas regardé à la dépense en Chakra. Il aurait sûrement pu rester sur ses deux jambes sans changer l'issue du combat. L'heure n'était pas à la culpabilité, mais le Tsumyo avait du mal à s’en débarrasser.

  Il se fraya un chemin parmi les spectateurs et eut la surprise de voir son coéquipier lui tendre une glace alors qu'il s'asseyait au premier rang. Débraillé comme à son habitude, il arborait un grand sourire et des vêtements trop larges. On aurait eu du mal à dire qu'il était dans l'arène peu avant. Le Mizu lui adressa un regard lourd de sous-entendus :

— Je me doutais que tu ferais le déplacement pour ta belle,
— Arrête Chi' tu sais bien que j'étais dans les vappes, répondit Sarouh, gêné.
— Evidemment. Je suis content que tu sois à l'heure. Pas trop dans le mal ?
— Ca va, éluda rapidement le Genin. Et toi, raconte !
— Duel de ninjutsukas classique. Je suis tombé contre une Fuuton un peu plus novice, ça a vite été réglé. Elle sera contente que tu sois là.

  Il pointa du menton la jolie brune, déjà en position de combat dans l'arène. Posture haute, elle n'avait aucunement l'intention de se retenir et comptait submerger son adversaire dès le début. Cela amusa Sarouh. Elle ne connaissait décidément que l'offensive. Heureusement que lui et Chiraku seraient là pour veiller à ce qu'elle n'en fasse pas trop en mission. Il n'entendit pas l'amertume dans la voix de son camarade, ni son inhabituelle modestie, alors qu'il scrutait l'enceinte de l'arène.

  Le Gensouard prit une seconde pour détailler l’adversaire : il s'agissait d'un géant Mahousard. Tout en muscle, la peau mate, large d'épaule, brun et la tête ronde, il avait une attitude détendue. Il ne dégainait pas sa lame impressionnante de par sa taille. Spécialiste du corps à corps, une nouvelle fois ? Cela ne serait pas illogique, la première épreuve avait eu raison de tous ceux qui n'avaient pas réussi à montrer de solides capacités dans ce domaine. Ou d'un réel sens de l'improvisation, à l'image de Sarouh.

  Posture ouverte, il se préparait déjà à recevoir l'assaut frontal de son amie. L'illusionniste prit une bouchée de glace, étonnamment douce et légère, d'un goût proche de la vanille et s’aperçut que Chiraku était déjà totalement absorbé par son analyse du combat. Lui aussi, était grisé à l'idée de voir sa coéquipière se battre à fond.

— Et voici le dernier match de ce premier tour de qualification ! Chikara ! A ma gauche : Cacaunoy Marwais de Gensou ! A ma droite, son adversaire, le redoutable Hisoka Kaneda de Mahou ! Commencez !

  L'annonceur eut à peine le temps de disparaître sous un tonnerre d'applaudissements que la lame de la belle brune rencontrait l'acier des bracelets de force de son adversaire qui la repoussa sans peine. Il resta sur la défensive un moment, esquivant et parant sans peine les enchaînements de l'aspirante de la Cascade. Voilà qui était surprenant. De ce que savait Sarouh, personne ne lui avait jamais tenu tête que ce soit en termes de vitesse ou d'agilité en dehors d’Asori. Et l'espèce d'ours Mahousard ne semblait même pas en peine.

  Après plusieurs échanges extrêmement rapides, il finit par réussir à esquiver une estoc et frappa d’un revers le flanc de la brune qui s'était exposée. Elle se laissa pousser par le choc pour mieux l'absorber, se relevant sans peine plusieurs mètres plus loin, après une longue glissade dans le sable.

  L'expression de Cacaunoy avait changé. Elle était furieuse. Elle changea de position de combat, la lame désormais pointée vers le bas. Du premier rang, Sarouh voyait presque les flammes danser dans ses yeux et n'aimait pas ça du tout.

  Son adversaire devait être du même avis, car il sortit une longue épée à deux mains, massive et couverte de symboles de son dos. Le vrai duel commençait maintenant. Frappant le sol du pied, un énorme rocher en sortit devant le géant, avant de s’envoler à toute vitesse vers Cacaunoy. Celle-ci passa sans peine en glissant sur ses genoux, le buste totalement rabattu sur le sable, prête à se jeter sur son adversaire grâce à cette ouverture.

  Ce fut tout l'inverse qui se produisit. Hisoka se substitua à la pierre et son énorme épée s'abattit lourdement. L'acier rencontra l'acier, alors que la demoiselle n'avait paré que de justesse, se retournant à toute vitesse grâce à ses fulgurants réflexes. Grâce à sa taille et sa masse, ayant de plus surpris Cacaunoy qui se retrouvait en contre-appui, il l'écrasa impitoyablement contre le sol. De nouveau, la jolie brune glissa à nouveau sur le sable de l'arène.

  Couvertes d'égratignures, elle se releva alors que son adversaire faisait des moulinets de sa gigantesque épée comme si elle ne pesait rien. Il était plus fort qu'elle, tout aussi rapide et maîtrisait le ninjutsu. Cet adversaire était de loin supérieur à tous ceux que Sarouh avait croisé. Il était probablement capable de réussir l'examen Chuunin s'il le passait. De plus, il savait se servir de sa tête.

  De son côté, la fureur gagnait de plus en plus l'épéiste de la Cascade. Le Tsumyo la connaissait. Il savait qu'elle était en train de perdre pied. Impulsive, colérique et très mauvaise perdante, sa colère n'allait qu'enfler au cours du combat. C'était mauvais signe, mais habituel. Pourtant, quelque chose n'allait pas. Sarouh n'avait jamais vu sa coéquipière autant en proie au conflit intérieur, même sous l'emprise du genjutsu d'Asori. Sa posture n'arrêtait pas de changer, comme si deux entités différentes voulaient prendre la tête de ce combat à tour de rôle. Le ninja frissonna, malgré l'air brûlant, la glace fondant dans sa main, son malaise ne faisant que croître.

  Après ce que les spectateurs comprirent être une provocation d'Hisoka, la brune s'élança à toute vitesse contre lui en rugissant. De nouveau en garde haute, Cacaunoy était bien décidée à ne plus se laisser dépasser. Elle couvrit son adversaire d'attaques, plus rapide encore que lors des premiers échanges. Désormais, Hisoka ne semblait plus capable que de se défendre. A chaque rugissement de la brune, elle semblait aller plus vite.

  Sarouh comprit qu'elle avait maîtrisé l’utilisation du gyo. Son Chakra coulait à flots à travers elle alors qu'il la rendait plus rapide, plus forte, plus dangereuse. Elle en abusait, le contre-coup serait terrible. Malgré son entraînement, le Genin de plus en plus inquiet avait bien du mal à suivre des yeux sa camarade.

  Elle trouva finalement une faille dans la posture du géant, le touchant à l'épaule. Il ne put s'empêcher de lâcher sa gigantesque épée désormais bien trop lourde, et encaissa un coup de pied dans le bas du ventre. Propulsé contre un mur de l'arène, il s'écrasa brutalement dessus. Cacaunoy fondit sur lui lame en avant, rugissante et sûre de sa victoire. Elle ne rencontra qu'un mur de granit violet sur laquelle sa lame se brisa. Puis le rempart se subdivisa en blocs égaux qui foncèrent vers elle à toute allure.

  La Marwais esquiva grâce à une combinaison de roues et de sauts acrobatiques, mais Hisoka l'attrapa par les chevilles avant de l'éclater contre le sol de toute sa force démesurée. Elle s'écrasa en un bruit atroce. C'était terminé.

  L'arbitre arriva pour déclarer sa victoire, alors qu'un silence de stupeur s'était abattu sur l'arène. Tout s'était passé très vite et les spectateurs se remettaient difficilement de l'ascenseur émotionnel. Un tonnerre d'applaudissements éclata, alors que Sarouh n'arrivait toujours pas à y croire. Une boule d'angoisse lui donnait la nausée, alors qu'il tremblait de peur pour sa camarade. C'était donc ça de voir ses amis perdre ? De les voir être blessés ? Cela lui sembla intolérable.

  Il comprit soudain la réaction de Cacaunoy à son chevet. Et encore, elle n'avait pas assisté de ses yeux à l'événement. La colère commença à l'emporter sur la détresse. Sachant que c'était un tournoi, il ne pouvait pas s'empêcher de vouloir régler son compte au géant claudiquant à grand peine, manifestement fier de sa performance. Puis l'arène fut de nouveau silencieuse.

  Le Tsumyo releva la tête pour comprendre ce soudain changement d'ambiance. Il ne pu en croire ses yeux, devant le sur-réalisme de la scène. La jolie brune s'était relevée. Devenus blancs neige, ses longs cheveux volaient, soulevés par un vent invisible, alors que des volutes de fumées rouges s'échappaient de son corps.

  Le doux marron de ses yeux avait viré au noir spectral. Un rire monstrueux et strident résonna dans l'enceinte. Les spectateurs se bouchèrent les oreilles. Tout le monde comprit qu'il y avait un problème. Ce n'était plus Cacaunoy qui se battait au centre de l'arène.

— Qu'est-ce que c'est que ce merdier ? Souffla Chiraku

  Ce qui restait de la belle désormais albinos fonça comme une fusée vers Hisoka. Il para son coup de poing de ses bracelets. Cela ne l'empêcha pas d'être soufflé à nouveau contre un mur. Le sprint de l'épéiste avait soulevé un rideau de poussière. Encore un éclat de rire qui glaça le sang de l'assistance. Alors qu'elle s'approchait doucement de son adversaire, assommé et encore enfoncé dans le sable de la paroi qui s'était fissurée sous l'impact. Tout le monde eut alors la même unique conviction : ce monstre allait le tuer. Le Genin aux cheveux bleus s’entendit hurler sans vraiment en avoir conscience. La lame de Cacaunoy frappa. A l’étonnement général, l’acier rencontra des os, formant un bouclier.

  Sans se concerter, trois autres soldats se jetèrent dans l'arène pour l'arrêter. Sarouh et Chiraku reconnurent les examinateurs. Hykao, l'aveugle qui avait été responsable de leur groupe et deux jeunes femmes. L'une brune, l'autre aux très notables cheveux verts. Ils s’approchèrent prudemment malgré leur rang. Même eux avaient eu du mal à suivre les derniers mouvements de la Genin possédée et son Chakra rouge n'inspirait confiance à personne.

  Une rafale de corbeau s'abattit alors sur Cacaunoy, qui riait désormais comme une folle, sans montrer le moindre signe d’inquiétude à l’échec de son attaque. Esquivant tous les assauts aériens, elle en élimina même plusieurs corbeaux de surpuissants coups de pieds sautés, alors qu'elle progressait à toute allure vers les examinateurs. Une des deux kunoichis du trio composa quelques mudras générant une vague de terre qui engloutit l'arène et la Genin transfigurée dans un vacarme assourdissant.

  Elle en ressortit, propulsée en avant à une vitesse ahurissante, poignardant l'examinatrice qui n'eut pas le temps d'esquisser le moindre geste. Sans prendre une seconde pour s'arrêter, la possédée s'empara de la gigantesque pierre qui n'avait pas bougée depuis le début du combat et l'envoya vers les deux adversaires restants.

  Elle s'élança à toute allure vers Kezachi qui avait sauté dans les airs, sans voir que la poignardée maîtresse du Doton se désagrégait en un vol de corbeau derrière elle. Le rire maniaque ne s'arrêtait pas, et les volutes de chakra qui entouraient la belle se faisaient de plus en plus visibles. Il fallait arrêter ça maintenant. Partageant visiblement cet avis, l'aveugle envoya une puissante rafale de vent suffisamment puissante pour écraser sans mal une Genin. Cela ne ralentit même pas Cacaunoy qui le percuta et l'envoya rencontrer le sol d'un coup de pied vertical en pleine tête.

  Kunai en avant, elle allait s'abattre sur lui pour l'achever lorsqu'elle fut interceptée par une hybride lynx et humaine, qui surgit à une vitesse folle. Le choc d’une violence inouïe propulsa la Genin contre le sol. Une prison Doton l'enserra alors que la créature réalisait n'avoir fait aucune victime dans les rangs des Chuunins. En un hurlement, elle pulvérisa l'entrave rocheuse, prête à en découdre. C'est là que la troisième ninja du trio apparut à nouveau. Après le contact avec Kezashi, ce membre du trio aux cheveux verts avait totalement échappé à la surveillance de la créature albinos.

Dissimulée dans le sable, elle surgit derrière Cacaunoy, la saisit à la gorge et l'enfonça dans le sol. La métamorphe animale en profita pour lui mettre un puissant coup dans l'abdomen qui retentit dans tout l’arène, le sol tremblant sous l’impact. La Chuunin qui maitrisait la terre apposa sa seconde main sur le front de sa victime enfoncée dans le sol, sans relacher la pression sur sa gorge. Après une seconde blanche qui sembla durer une éternité, l'aura s’évapora les couleurs regagnèrent les cheveux les yeux et le visage de la Genin. Elle bredouilla quelque chose d'inaudible, en regardant vers les gradins, et perdit connaissance.

  Il n'y eut pas de tonnerre d'applaudissements cette fois. Seulement un silence de mort. Hisoka avait été exfiltré discrètement dès que les Chuunins avaient engagé la belle Marwais, la vague de terre étant apparemment une diversion. Des chuchotements confus se mirent à agiter la foule.

  Sarouh et Chiraku se regardèrent une seconde, l'oeil humide. Et sans rien dire, ils foncèrent à l'infirmerie. Qu'était-il arrivé à leur amie ?