16 - Banshee
Sarouh et Chiraku se jetèrent dans les grandes artères de Chikara, sans se concerter. Utilisant leur impressionnante mobilité, ils se glissèrent dans la foule de badauds comme s’il n’y avait personne. Le Tsumyo menait la danse, connaissant un peu trop à son goût le chemin qui reliait le bâtiment à l’arène. La peur extrême qui l’avait saisi ne voulait pas le quitter. Il ne sentait ni la chaleur brûlante ni le regard interrogateur des gens, pas plus qu’il ne sentait ses jambes flageolantes et son point de côté. Seule Cacaunoy importait.
Ils freinèrent péniblement devant le grand hôpital du Village caché du Sable, faisant voleter les fines particules autour d’eux. Ils furent arrêtés net par un shinobi âgé d’une vingtaine d’années, probablement Chuunin. Massif, la montagne de muscle était passablement ennuyée par son affectation, à en juger l’expression qu’il arborait et ne s’attendait visiblement pas à être dérangé si peu de temps après le retour de l’équipe d’intervention. Il considéra un instant les gamins transpirants et haletants qui lui faisaient face en se passant la main dans ses cheveux noirs ébouriffés.
- Qu’est-ce que vous croyez faire au juste? leur demanda-t-il, agacé. L’équipe médicale s’occupe de votre amie. Si c’est pour le garçon que vous êtes inquiets, il a été transféré en soins intensifs. Pour l’un comme l’autre, pas de visite.
Sarouh implora son camarade du regard qui comprit tout de suite. Submergé par ses émotions, le pauvre était dans l’incapacité même de formuler une phrase décente. Retenant un juron, le jeune Mizu s’adressa aussi respectueusement que possible à leur aîné Chikarate qui gardait l’entrée.
- On s’en doute. Seulement, nous aimerions être là dès son réveil. Nous pouvons rester dans le couloir et ni moi ni mon compatriote ne poserons problème. Nous sommes juste très inquiets pour elle.
- Vous risquez d’attendre un moment ?
- Pas un problème, enchaîna le Mizu en tirant Sarouh derrière lui.
Sans attendre de réponses, les deux garçons entrèrent dans le bâtiment, provoquant un simple grognement du soldat et le juron du réceptionniste royalement ignoré par les Genins, ayant une idée très précise de là où serait confinée leur amie. Lancés à toute allure dans les couloirs, ils s’arrêtèrent devant les escaliers supposés les mener à destination. Le même rire, distordu et délayé, mais immanquablement maléfique que celui qui avait résonné dans l’arène secoua le bâtiment.
Ils s'accroupirent mains sur les oreilles sous l’effet de la terreur surnaturelle infligée par ce son strident. Sarouh et Chiraku échangèrent un regard, comme pour se donner du courage avant de reprendre leur cavalcade effrénée. Est-ce que les médecins de Chikara réussiraient à sauver l'épéiste ? Plus important, qu’est-ce qui pouvait bien se passer ?
Au deuxième, un silence de mort régnait. Ils soufflèrent, se rendant d’un coup compte qu’ils se maintenaient en apnée depuis de longues secondes sous la terrible pression infligée par l’aura démoniaque. Le blanc asceptisé de l’hôpital était tout d’un coup oppressant, les néons clignotant menaçants. Sarouh ne se souvenait pas que le couloir était si long. Aucun doute, Cacaunoy était enfermée à son bout. La porte recouverte de sceaux était un autre indice subtil qui ne leur échappa pas.
Bien déterminés à ne pas se laisser faire, les deux jeunes hommes s’installèrent sur les chaises les plus proches de la chambre. L’atmosphère pesante s’allégea tout doucement, alors que les Genins sentaient la présence de nouveau confinée. Le monde semblait récupérer ses couleurs et sa chaleur au fur et à mesure que les minutes infernales s’égrainaient dans le plus sadique des sabliers. Au bout d’un temps qu’ils ne sauraient quantifier, mais bien après la tombée de la nuit, trois shinobis épuisés sortirent de la pièce. Il ne s’agissait pas de l’équipe d’intervention qui avait neutralisé la transfigurée plus tôt.
Sarouh nota qu’aucun ne portait de tenue de ninja médecin. Ils avaient pourtant les traits tirés et les yeux vitreux. Le trio Chikarate passa devant eux sans leur adresser un regard ni échanger un mot. Les Gensouards en restèrent interdits, ne comprenant pas ce que cela signifiait. Avant que Chiraku ne s’élance à leur suite pour leur demander des informations, Kezashi sortit à son tour, l’air vaguement courroucé.
Il se dirigea vers le Tsumyo, l’air las mais sans marquer la moindre hésitation. Même s’il le destabilisait, Sarouh n’avait jamais autant apprécié la présence de l’aveugle aux corbeaux. Chassant un insecte imaginaire d’une main et se frottant la tempe droite de l’autre, il expliqua doucement la situation :
- Votre amie ne risque plus rien. Sa vie n’est pas en danger et le...
En proie au doute, Kezashi marqua un temps de pause, triturant nerveusement son majeur droit du bout des doigts. Il reprit en croisant le regard émeraude du Genin comme pour se donner de la contenance.
— Le problème est sous contrôle.
- Le problème ? Qu’est-ce qui lui arrive ? On peut la voir ? l’asséna de questions Sarouh, qui avait miraculeusement récupéré sa voix.
- Je ne sais pas si je suis autorisé à vous le dire. Déjà, ça ne devrait plus se reproduire. Je pense que vous voir lui fera du bien. A condition que la personne de garde reste dans la pièce.
- Je croyais qu’elle était saine et sauve ! Pourquoi la surveiller ! Commença à sortir de ses gonds l’illusionniste, sous le regard incrédule de son camarade.
- Mesure de précautions. Non négociable. Reste à ta place, Tsumyo. Je comprends ton émotion, mais calme toi. Je reste ton supérieur. Moi aussi, j’ai passé une journée de merde qui est loin d’être finie grâce à tout ça, donc tu la fermes, d’accord?
Surpris un instant par la rebuffade de Kezashi, le rouge monta aux joues du jeune homme avant qu’il ne comprenne qu’il avait l’autorisation de voir la jolie brune. Sans perdre une seconde de plus, il se rua dans la chambre, immédiatement suivi de Chiraku alors que l’aveugle soupirait et reprenait son chemin.
Ils marquèrent une seconde de pause devant ce qui les attendait dans la pièce. Cacaunoy était totalement ficelée dans des rubans recouverts de runes et de sceaux. Seule son nez et sa bouche avaient été épargnés par ce sinistre traitement. A ses côtés, confortablement assise dans un fauteuil, les jambes croisées, la jeune femme blonde qui avait arrêté la crise au sein de l’arène était également présente, lisant un livre. Elle leur fit un signe de main pour les saluer mais ne dit rien. Au bruit de la porte qui claque, malgré sa camisole, la Genin inclina pourtant la tête vers eux.
- Sarouh ? Chiraku ? C’est vous ? Non, NON ! Partez ! Je vous en supplie, partez…
La détresse, la faiblesse et la peur perçaient dans sa voix. Le cœur de Sarouh explosa en entendant sa peine. Il était hors de question qu’il la laisse. Il assassina la Chikarate présente du regard comme si elle était responsable de sa condition, avant de s'asseoir sur le lit, ignorant l’ordre de Cacaunoy qui s’était tue, des larmes coulant par dessus le papier rituel. Il posa lentement la main sur la joue de l’épéiste, qui se crispa en reniflant de manière pathétique. Lentement, il ramena la tête de son amie contre son torse, sans un mot. Ainsi figés, Sarouh attendit de ne plus la sentir hoqueter, avant de lui parler, se faisant aussi chaleureux et doux que possible :
- Tu n’y es pour rien Cac’. Je suis là, tout va bien maintenant. C’est fini.
Cela déclencha une nouvelle cascade de larmes et de hoquets. Chiraku assistait à la scène depuis la porte, pétrifié. Voir la fière brune dans cet état lui dérobait toute force. Il n’arrivait pas à faire ce que Sarouh proposait naturellement. Au fond de lui, une peur animale et incontrôlable se réveillait alors que les souvenirs de l'arène lui revenaient. D'une demi-voix qui fit frémir le Mizu, elle reprit :
- Je suis un monstre, je… Je…
Elle n'avait pas la force de finir son idée, la peine lui dérobait toute dignité alors qu'elle n'arrivait même pas à se redresser, blottie contre le torse de son camarade.
- Tu es Cacaunoy Marwais, bientôt la meilleure épéiste de Gensou et mon amie, lui assura-t-il doucement mais sans concessions.
- J’ai cette chose en moi, je n'ai pas compris, je vous jure, je ne sais pas ce que c’est, je veux pas être ça, je veux plus ça…
Le flot lacrymal semblait infini, mais le Genin aux cheveux bleus n’en démordait pas, il ne quitterait pas cette pièce tant que son visage ne s’illuminerait pas d’un sourire. Sans se poser de questions, il caressa ses cheveux et son dos, essayant de la faire profiter de sa chaleur autant que possible. Lentement, tout doucement, l’épéiste se détendit au contact de l’illusionniste. Ainsi prostrés, ils restèrent comme ça de longues minutes. Puis elle l’appela dans un presque murmure :
- Sarouh ?
- Oui ?
Il se pencha vers la belle kunoichi pour mieux entendre la voix étouffée. L’ambiance changea brutalement alors qu’elle éclata de rire, se redressant pour saisir le Genin à la gorge. Sa camisole se déchira alors qu'elle soulevait Sarouh au dessus du sol.
- Je t’ai eu, tu dois disparaître. déclara une voix d'outre tombe qui résonna dans le crâne du Tsumyo.
La désormais albinos demoiselle commença à resserer sa prise, tentant d’écraser la gorge de l’illusionniste qui étouffait. Le simple contact avec la transfigurée suffit à lui envoyer des visions d’horreurs psychédéliques. Il entendait des hurlements de terreur, voyait des cadavres mutilés partout autour de lui, condensés en une décharge de souffrance et d’effroi pure. Une vraie vision de l’enfer qui hurlait dans son esprit.
C’est Chiraku qui lui sauva la mise. Par instinct, il avait envoyé un shuriken dans le bras de Cacaunoy qui lâcha son camarade. Sarouh s’écrasa par terre en suffoquant, incapable de respirer, la trachée presque écrasée. il s'asphyxiait, les deux mains sur la gorge en roulant sur le sol. La shinobi en pleine lecture ne demeura pas en reste. D’un signe de la main, la camisole prit vie, enserrant le corps de la kunoichi qui se débattait en reprenant ses hurlements stridents . Le Mizu voulu chercher des renforts mais ils arrivèrent avant même qu’il n’arrive à la porte.
- Cette pute nous a bien eu ! Banshee ! leur hurla la jeune femme aux prises avec Cacaunoy.
L’équipe de scellement se mit à incanter alors que la prison rituelle s’étendait sur tout le corps de la brunette, les runes rougeoyant ou se mettant à bleuir d’une lueur éblouissante. Une kunoichi médecin arriva juste après, apposant rapidement sur la gorge du Genin au sol ses mains, le Chakra s’écoulant rapidement vers lui. Sa vue se brouillait et il ne comprenait plus ce qu’il se passait dans la pièce, quand il parvint finalement à reprendre une respiration, l’air brûlant ses poumons en manque.
Dès qu’il fut capable de se mouvoir, Sarouh fuit en hurlant la chambre d’hôpital, moqué par les rires sordides du monstre derrière lui. Il ferma la porte comme si cela permettait de contenir le démon, puis vomit sur le côté à quatre pattes. Il resta prostré en boule, les yeux écarquillés devant son dégobillage. Il ne se souviendrait que très peu de ce qui suivit, demeurant ainsi jusqu’à ce qu’on le tire de là pour le mettre dans une autre chambre, poursuivi par le cri strident de la Banshee qui hanterait ses cauchemars pour toujours.
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