17 - Abandon
Des cris déchirants où perçaient la peur et la souffrance retentirent une fois de plus dans l’hôpital. A chaque fois, une pauvre interne devait aller dans la chambre du patient qui se tenait dans son lit, les yeux écarquillés, tremblant et livide, pourchassé par des monstres imaginaires. Le spectacle lui arrachait le cœur à chaque fois, alors que l’à peine adolescent hagard finissait par se rendre compte de sa présence quand elle tentait de lui faire boire un calmant. Elle était inquiète pour ce jeune garçon qui ne pouvait plus dormir sans se réveiller trempé de sueur et perdu. Des longues cernes cisaillaient son visage fin alors que des poches noires s’étaient installées sous ses yeux émeraudes autrefois si étincelants, devenus si ternes. En une seule journée et deux nuits, malgré les traitements, son état avait dégringolé.
Il n’avait plus reçu de visite depuis son admission. Mais dans une heure à peine, ce jeune garçon à peine capable d'exister serait dans l’arène. Péniblement, Sarouh avala la tisane dosée en calmants et en énergisants pour lui permettre de se battre dans l’heure qui viendrait. L’odeur forte de plantes bouillies et la chaleur l’apaisèrent un peu, alors qu’il n’entendait pas les paroles réconfortantes de l’interne. Elle sortit quelques minutes plus tard alors que le Genin perdait de nouveau ses yeux dans le brouillard fantomatique qui le hantait.
Alors que les premiers rayons du soleil embrasaient l’horizon visible par la fenêtre, Chiraku entra dans la pièce, l’air sombre. Il avait coupé sa tignasse brune dans une coupe très courte et militaire. Cela le rendait méconnaissable, mais ce n’était pas le seul changement. Il était prêt au combat, de son long pantalon qui moulait ses formes sans gêner ses mouvements à son tee shirt sans manches qui laissait deviner sa musculature dessinée sous le tissu, rien n’était laissé au hasard. Sarouh ne pouvait que voir le changement devait-il se dire. Il ne pouvait pas plus se tromper, alors que son camarade ne daigna même pas tourner la tête vers lui lorsqu’il le salua.
Kezashi lui avait demandé de parler avec son camarade, sinon c’était lui qui le ferait rentrer dans l’arène. Sauf que le jeune Mizu n’avait aucune idée de comment s’y prendre.
- Hé Sarouh, tenta-t-il d’abord tout doucement, tout va bien mec, la situation est sous contrôle.
Se heurtant au vide, il tenta d’attirer son attention par le mouvement et autres phrases gentilles. Devant son silence obtus, il commença à s'énerver. Chiraku se planta devant son jeune camarade, l’empêchant de détourner le regard en prenant son menton d’une main ferme, bien déterminé à le sortir de sa torpeur.
- Cac’ n’aurait pas voulu ça, cracha-t-il, acide. Qu’est-ce que tu crois faire, là au juste ?
A l’évocation de la jolie brune, une lueur s’alluma dans le regard enténébré du Tsumyo, avant qu’il ne se recroqueville légèrement. L’association d'idées entre la peur et la dame était profondément marquée au fer rouge dans son esprit et son âme. Chiraku ne le laissa pas fuir.
- Est-ce que tu crois que tu peux te plaindre ? C’est elle qui va devoir vivre avec cette chose. C’est elle qui est en train de se battre là. Tu es un shinobi putain, tu n’as pas le droit de te mettre dans cet état pour un simple coup !
- Je t’interdis de dire une chose pareille, siffla Sarouh qui croisa son regard pour la première fois.
Sa colère était palpable, alors que la vie lui revenait à l'évocation minimaliste de son trauma. Un "simple" coup ? Une "simple" mort imminente ? Ces mots le mettaient hors de lui, alors qu’il revoyait ses derniers moments dans la chambre de la convalescente. Le Mizu était satisfait de le voir revenir à lui et enfonça le clou. S'il devait le ramener par la colère, il le ferait.
- Comment tu appelles ça, toi ? Tu n’as plus rien, arrête de pleurnicher. Tu n’es plus un enfant !
- Tu n’as pas la moindre idée de ce que ça fait ! hurla le Tsumyo, désormais totalement hors de lui. Je suis presque mort ! Deux fois ! Tu ne sais rien de ce que ça fait ! Et surtout, tu ne sais pas ce que ça fait d’être touché par cette chose…
Et la colère céda à nouveau à la peur, alors que sa voix se brisait. Le Mizu comprit seulement à ce moment que ce n’était pas l’expérience de la mort qui avait anéanti Sarouh, mais simplement l’existence et le concept même que représentait la Banshee scellée dans son amie. Chiraku n’imaginait pas une seule seconde ce qu’il y avait de si terrible dans ce contact. Plus exactement, il s'interdisait d'y penser. L'étrange sensation qu'il avait eu en voyant Cacaunoy et le Tsumyo si proche avait continué à s'insinuer profondément en lui, occultant le reste. L’ainé du groupe n'en pouvait plus d'avoir à gérer les émotions de son collègue. Il reprit, impitoyable.
- Tu vas me faire le plaisir de bouger ton cul de ce lit d'hôpital, tu en as pas marre de te victimiser ?
- Je bougerai pas d'ici. Je refuse de retourner là-bas. Je l'abandonne leur combat à la con, ils peuvent bien aller se faire…
Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase qu'il reçut une gifle retentissante du Mizu. Le jeune shinobi aux cheveux bleus resta une seconde interdit.
- Puisque ce n'est pas assez clair, je vais reformuler, siffla Chiraku d'une voix glaciale. Tu vas te bouger, aller dans cette arène de merde et gagner. Tu te crois en vacances ? Nous sommes en mission. Nous représentons Gensou. Tu n'as donc rien appris des enseignements d'Asori !
Le silence s'abattit de nouveau dans la chambre. Sans rien dire de plus, le Mizu sortir de la chambre, sûr que Sarouh irait à son combat contre Notrek.
La patient était dans un état indescriptible de peur et de fureur mélangées. Il aurait tué son camarade sur place rien que pour le faire taire, mais il était totalement paralysé à l'idée de retourner là-bas. L'évocation du nom d'Asori avait réveillé sa loyauté envers elle. Que dirait l'implacable Jounin ?
"Les émotions et le devoir d'un shinobi sont incompatibles. "
Cette évidence serait annoncée avec le grand sourire qui illustrerait le propos. Chiraku avait raison. Il devrait représenter Gensou. Il ne devait pas abandonner ceux qui comptaient pour lui. Cacaunoy ne se sentirait pas mieux simplement parce que le jeune homme était en proie à l'apathie.
Le discours du Mizu et le cocktail de l'infirmière réveillait doucement la fierté du jeune soldat qui s'équipa doucement, les mains tremblantes, alors que le jour finissait de se lever. En se lavant, il aperçut son teint cadavérique, ses cernes et son regard vide dans le miroir. Ça allait être coton. mais rien qu'il ne saurait gérer, du moins l'espérait-il. Sarouh serra fort sa dague noire contre lui, priant tous les Dieux, les forces de la Nature, le Chakra, n’importe quelle puissance supérieure qui l’écouterait de sauver Cacaunoy, avant de finalement partir en laissant les deux lames soeurs dans sa chambre.
Son corps se rappela vite comment il fonctionnait, l’énergie affluant dans ses veines dans un calme illusoire, sous l’effet du cocktail de substances. Rapidement, Sarouh arriva à l’arène, fière, indomptable et cruelle. Il frissonna, malgré la chaleur qui commençait à s’installer, avant de foncer à l’intérieur du bâtiment en se mordant l’intérieur de la joue.
Quelques minutes plus tard et sous la chaleur déjà insoutenable, il était face à son adversaire : le dénommé Notrek. Autour de lui, rien ne laissait supposer les terribles événements auxquels le Genin avait assisté, impuissant. Le sable était parfaitement tamisé, les fissures dans les murs rebouchées. Un flash de lumière le surprit, et il revit Cacaunoy flotter au milieu de l’arène, les cheveux décolorés, hurlant d’un rire dément dans sa direction. Il chassa cette image en se frottant les yeux, sans comprendre et reporta son attention sur le jeune homme qui lui faisait face.
Beaucoup plus petit que lui, peu musculeux, son adversaire devait péniblement dépasser le mètre soixante et son teint trahissait qu’il n’appartenait pas à Chikara. Des mèches blondes dépassaient de son ridicule bob rayé noir et blanc. Pas de sabre ni d’armes exceptionnelles visibles. Mahousard, indiqua le beuglement du présentateur. Sarouh n’avait pas vu son combat mais ignorait si la réciproque était vraie. Fort heureusement, le Genin n’avait pas montré toutes ses techniques lors de son combat contre Yassin. Le Tsumyo prit le parti de considérer que son adversaire savait tout de ce qu’il avait déjà montré.
Lorsque le feu vert fut donné, dans le brouhaha désormais habituel, Notrek se clona en quatre et se jeta kunaï en avant sur le Gensouard, renforçant son idée première sur leurs connaissances respectives. Sans se laisser démonter, il laissa venir. Il esquiva simplement tous les assauts du blondinet. A force d’affronter des bêtes de corps à corps, le genjutsuka en oubliait qu’il était plus rapide que la plupart de ses adversaires. Manifestement, le ninja de la Feuille était beaucoup plus lent que lui. Ce n'était rien comparé à ce qu'il avait vécu face à Yassin.
Il saisit un premier clone par le bras et l’envoya au sol d’un ippon avant de se retourner pour balayer les jambes du suivant qui le prenait à revers, écrasant sa tête du talon dans le même mouvement, ce qui ne lui laissa qu’une fraction de seconde pour effectuer une roulade hors de la zone de danger. Sarouh se battait mécaniquement, totalement détaché de ses émotions. Son adversaire ne s’était manifestement pas attendu à ce qu’il accepte le corps à corps, simplement parce qu’il l’avait fui lors de ses deux autres affrontements. Le Tsumyo avait tout de suite compris que son adversaire se pensait malin et cela l’agaça prodigieusement à sa grande surprise.
Il se jeta en arrière, évitant kunais et shurikens qui s’abattaient sur sa position, mêlant roues et saltos à ses esquives, s’inspirant directement des mouvements de sa sensei. Il ne vit que sur le tard un parchemin crépiter là où il avait atterri. Ce petit con l’avait amené exactement là où il le voulait. Quand avait-il pris le temps de piéger ce coin de l’arène ? Avant le commencement du combat ?
Sans avoir le temps d’échapper à l’impact, Sarouh rencontra brutalement le mur. Il fut saisi par de nouveaux flashs. Une Cacaunoy arborant un sourire cruelle marchait vers lui, triomphante et lame en avant. Hurlant de peur plus que de douleur, il s’échappa avec l’énergie du désespoir, courant comme un dératé devant l’incrédulité de son adversaire et du public. Une seconde plus tard, Sarouh reprenait lentement le contrôle de son esprit. De l'autre côté de l'arène Notrek affichait une moue dubitative, triturant le bord de son bob devant les changements brutaux d’attitude du Genin.
Secouant la tête pour se ressaisir, le Tsumyo décida de retourner chercher le corps à corps sans montrer ses cartes. Il pouvait forcer en boucle Notrek à montrer son jeu. Le prendre pour un idiot avait déjà mené à une première blessure légère, mais Sarouh sentait tout de même qu’il allait dominer la rencontre. Il arrivait à entendre les engrenages du cerveau de son adversaire. Il imaginait sans mal son plan : l’empêcher de lancer un genjutsu, contrôler le terrain, prétendre être faible et l’achever avec un sort. Utiliser un parchemin avait permis au Mahousard de ne pas réveler ses aptitudes probables au ninjutsu. Pour chaque mouvement du ninja de la feuille, le Tsumyo se voyait parfaitement opposer un contre. Il ne sentait pas sa fatigue, ni sa douleur.
Le dernier clone rescapé s’opposa à lui mais disparu vite dans un nuage de fumée. Sans même regarder, Sarouh savait que cela cacherait un projectile et se coucha par terre. Des étoiles d’aciers enflammées passèrent au-dessus de sa tête pour se ficher dans le sol sableux. Se relevant d’une poussée des bras, il trouva sans surprise Notrek essayer de l’enchaîner de suite, profitant de son déséquilibre pour lui asséner un puissant coup de poing embrasé,
Le Genin aux cheveux bleus se laissa simplement tomber en arrière et saisit l'épaule de Notrek avec ses jambes. Effectuant un soleil, il l’envoya voler au-dessus en profitant de son élan. La tête à l’envers, le Mahousard lui cracha une boule de feu avant de finir sa course dans un salto, lui permettant de se ressaisir sans mal.
Le Gensouard esquiva sur le côté et pour la première fois du duel, puisa en son Chakra. Il s’attendait à le trouver perturbé, mais pas à ce point là. Au lieu de s’écouler telle une rivière, le flux spirituel n’était qu’un enchainement chaotique d’afflux puissant suivis de brusques décrues, sur un rythme incompréhensible. A sa grande surprise, Sarouh fut incapable de lancer le sort qu’il avait préparé en combinaison, même en fermant les yeux pour se concentrer. Lorsqu’il les rouvrit, la jolie brune se tenait devant lui, ricanant, le monde autour d’elle en feu.
Il hurla, brisant l’illusion et le ramenant face à son adversaire qui avait bien évidemment profiter de sa confusion. Notrek lui administra directement un puissant atémis dans le torse, le faisant expirer violemment, avant de lui donner un coup de coude derrière la nuque, l’éclatant contre le sol dans un éclair de douleur. Sans lui laisser le temps de réaliser, le Mahousard frappa du pied Sarouh dans le creux du ventre, l’envoyant misérablement rouler dans le sable.
Crachant un peu de sang, les yeux écarquillés, le jeune garçon avait atteint sa limite. Il hurla de douleur alors que sa vision se troublait une nouvelle fois. Le sable autour de lui se transformait en sable mouvants, puis en lave embrasant son corps. Des ricanements infernaux résonnèrent dans sa tête, alors qu’il crut encore mourir. Brusquement, il fut de nouveau de retour dans le réel et vit Notrek presque sur lui. Perturbé, il ne sut que bloquer les deux premiers coups avant de trébucher.
Il fuit le combat d’un roulé boulé sur le côté avant d’effectuer plusieurs roulades. Il leva une main tremblante, et devant un public médusé déclama d’une voix claire :
- Stop ! J’abandonne, stop !
Quelques cris de désapprobations et quolibets résonnèrent dans l’arène avant que le héraut ne descende proclamer la victoire de Notrek sous les huées du public. Le Tsumyo fut rejoint par une assistance médicalisée qui l’ausculta, tout en le sortant de l’arène. Sarouh ne comprenait ni ce qui lui arrivait, ni ce que les médecins avaient l’air de dire. Un acouphène assourdissant lui vrillait les tympans et il crachait du sang par intermittence. Une chose était sûre, il ne supporterait pas un autre passage en enfer. La douleur montait et refluait sans aucune forme de logique, passant d’intolérable à inexistante. Il était brûlant et ce n'était en rien dû à l'atmosphère ardente de Chikara. Soudainement, Sarouh vomit. La dernière pensée cohérente qu’il pu formuler avant d’être embarqué fut qu’il en avait marre, de cet hôpital.
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