21 - Nouvel élan
- Alors, tu as pris peur et t’es installé au niveau de la troisième voiture ? insista Irumi.
Sarouh ne comprenait pas exactement comment il en était arrivé là mais acquiesça. Cela faisait une bonne heure qu’il discutait avec l’équipe de Chuunins en charge du convoi. Tout le long de l’interrogatoire, Irumi et Saya avaient guidé ses réponses en posant des questions fermées. Vif d’esprit, le Genin aux cheveux cobalts avait saisi qu’il servait leur propre version de l’histoire, mais beaucoup de choses restaient incompréhensibles pour le Tsumyo. Il ne comprenait pas de quoi il était exactement complice.
Par contre, en ce qui concernait ce qui lui était reproché, il avait parfaitement assimilé. S’éloigner du campement, finir à côté de la voiture contenant Cacaunoy en plein milieu d’une attaque, cela semblait suspect pour tout le monde, qui considéraient qu’il avait préféré retrouver son amie que suivre la formation défensive imposée par le groupe de vétérans. C’est tout juste s’il n’était pas accusé d’être responsable.
L’adolescent posa son regard émeraude sur Saya et Irumi, qui restèrent imperturbables, l’air même légèrement courroucée de l’éclaireuse était impeccable. Elles l’avaient aidé à voir l’épéiste scellée à l’écart. Pour quoi ? Comment se faisait-il que l’attaque les avait si peu surprise ?
Et quelle attaque. Si les scorpions ne représentaient pas une menace pour une escouade shinobi, le couple de wyvernes qui avait ensuite attaqué le convoi était un danger létal. Hitaro et un autre Genin inconnu de Sarouh en avaient fait les frais. Les deux n’avaient gardé leurs bras que grâce à la vivacité d’esprit d’une kunoichi médecin et une grande part de chance. L’acide craché par les monstres reptiliens dévorait la chair en quelques secondes.
Le Genin resta silencieux pendant que ses aînés se concertaient discrètement. Plongé dans ses pensées, il n’entendait pas les bribes de leur conversation. Petit à petit, Sarouh reconstituait le puzzle. Ils étaient des shinobis en charge de civils. le trajet était supposé avoir été pensé pour éviter tout danger. Or, ils étaient passés en milieu d’une zone d’éclosion de scorpions géant. Le Tsumyo ne doutait pas une seule seconde que c’était une décision volontaire. Foutre la trouille aux dignitaires pour qu’ils se sentent dépendant du système ninja n’était pas une méthode qui le surprenait venant de Gensou.
Amer, le ninja remit une mèche crasseuse de poussière en place. Les Wyvernes étaient au contraire une réelle surprise. En témoignait le manque de matériel anti-aérien et l’absence de réel moyen pour contrer l’acide iconique de la monstruosité. Un frisson parcourut le Genin alors qu’il revoyait Irumi égorger l’écailleuse créature. Elle riait aux éclats, alors que son camarade se tordait de douleur non loin. En combat, l’attirante jeune femme donnait une toute autre impression que la charmante personne qui l’avait accompagné le long du trajet.
La coïncidence était douteuse. La probabilité que cela soit dû au hasard était ridiculement faible. Mais il était évident que personne ne bénéficiait de l’attaque. Les Villages n’allaient pas se mêler des affaires courantes des uns et des autres. Même si c’était un coup Chikarate ou Mahousard, c’était bien trop de logistique pour trop peu de bénéfice. Si les Chuunins refusaient de lui lâcher la grappe, c’était surtout parce qu’ils n’avaient aucune explication, conclut Sarouh. Il releva la tête pour apercevoir Irumi lui sourire et lui faire un clin d'œil, alors que la fine équipe quittait la tente de fortune. Celle-ci avait été déployée avec quelques autres afin d’avoir un endroit où s’occuper des blessés. Bien plus de peur que de mal. Les civils étaient à l’abri, les blessés récupéraient. Le voyage allait immédiatement reprendre. Et nul doute que les dignitaires ne remettraient plus jamais en cause l’utilité d’une escorte et encore moins celle de partir à l’heure.
- Alors ? Tu as aimé mon cadeau ?
Sarouh mit un temps à comprendre l’interrogation de la jeune femme. Les mains croisées derrière la tête, la féline kunoichi avait repris son attitude initiale comme si rien n’était arrivé. Ses vêtements témoignaient à peine du chaos qui régnait précédemment dans le camp. Sans le vouloir, l’aspirant se surprit à laisser glisser son regard sur la silhouette de la jeune femme avant de répondre.
- Beaucoup. Mais je ne comprends pas. Je suis à peu près sûr qu’Hitaro voulait que tu me fasses penser à autre chose.
Une lueur d’appréciation naquit dans le regard d’Irumi alors que son sourire s’élargissait. Elle prit une chaise pliante en bois et vint la placer devant celle du Genin avant de s’asseoir à l’envers dessus, posant sa tête sur le dossier.
- T’es perspicace petit. Disons que j’ai ma propre idée de ce qu’il est sage de faire.
- Comme sauter à la gorge d’une Wyverne ? persifla l’adolescent, osant à peine la regarder dans les yeux.
- T’as vu ? demanda-t-elle d’une voix joyeuse. C’était cool hein ?
Sarouh était bouche bée devant l’indicible amusement de son aînée. Elle n’avait pas conscience de la menace, seulement de son ineffable plaisir à la chasse et au combat. Le regard de l’aspirant se perdit dans le cyan pétillant de la Chuunin une fraction de seconde, avant de se ressaisir.
- J’ai vu la toute fin. Comment as-tu fait pour atterrir sur une Wyverne en plein vol ?
- Je ne suis pas la moins rapide de ma génération répondit-elle fièrement en bombant le torse. A ton tour. Avec ta brune ça a donné quoi ? Quelle est ta décision ?
Le sérieux soudain d’Irumi le prit autant à défaut que son amusement précédent. L’adolescent prit une pause avant de répondre en prenant soin de choisir méticuleusement ses mots, autant pour son interlocutrice que pour lui-même.
- Je resterai avec elle jusqu’au bout. On trouvera une solution. Je ne la laisserai pas se débarrasser de moi pour si peu.
- Regardez le, qui devient un homme.
Derrière la boutade évidente se cachait l’approbation de la pétillante jeune femme, son intérêt à peine dissimulé par un sourire. Gêné par son propre ton solennel, Sarouh baissa les yeux.
- Au fait, je n’ai pas oublié notre petit pari. Où tu en es ? interrogea Irumi, jouant désormais négligemment avec l’un de ses saïs.
- Je sèche complet admit le Genin d’un air désabusé.
- Essaie devant moi s’il te plait.
Se préparant à se couvrir de ridicule, Sarouh s’exécuta. Il malaxa son Chakra et essaya de le disposer méticuleusement en suivant les étapes que la Chuunin lui avait données. Comme prévu : aucun changement perceptible. Il reporta son regard vers la mentor qui hochait la tête face à son trouble, jouant toujours avec son arme sans y prêter attention.
- Mais tu sens tout de même ton Chakra se disperser, n’est-ce pas ?
- Bien sûr.
Elle hocha de nouveau la tête avant de se lever, rangeant par la même occasion le trident métallique. Se dirigeant vers la sortie, mains derrière la tête, elle lui donna sa conclusion :
- Change de façon de voir les choses. Imagine que tu coules une image dans un moule.
Et sans attendre sa réaction, elle sortit. Le Genin fut un peu agacé. Cette vague indication était-elle vraiment supposée suffire ? D’un autre côté, rien n’obligeait la Chuunin à lui filer un coup de main pour gagner son pari. Mais ne pas avoir la solution clé en mains arrachait une moue de frustration à l’adolescent.
Ne nécessitant pas de soins, Sarouh se précipita hors de la tente. Pendant la réunion qu’il avait eu avec les Chuunins responsables de l’escorte, le chaos avait été soigneusement ordonné par les autres aspirants. La tradition militaire était venue à bout sans difficulté du carnage récent.
Les corps avaient été disposés à l’écart du camp et recouverts de terre, probablement par un utilisateur du Doton. L’idée devait être de diminuer les effluves liées aux charognes qui ramèneraient d’autres prédateurs. L’escouade avait eu son lot de problèmes. Au centre du campement, les civils étaient regroupés et assis sur des caisses, l’air blêmes.
Sarouh ne put s’empêcher de sourire jaune. Ils devaient avoir eu la frousse de leur vie et une part du soldat s’en satisfaisait. Les entendre râler sur les conditions de voyage, le prix et les décisions prises par les jeunes hommes les encadrant avait été pénible. Les voir dépités et affolés ne déclenchait aucune compassion chez l’aspirant.
Il chercha du regard la troisième voiture, maintenant qu’il l’avait repérée il lui était facile de la distinguer des autres. Une tape d’Hitaro sur son épaule le ramena brutalement à la réalité.
- Même pas dans tes rêves. J’avais dis quoi ?
Sarouh baissa la tête un peu honteux. Le Chuunin avait été bienveillant avec lui et la seule manière qu’il avait trouvé de lui montrer de la reconnaissance avait été de désobéir. Se mordant la lèvre inférieure, il bafouilla une excuse confuse qui fut balayée d’un geste de main.
- T’en fais pas. Mais je me faisais du souci pour toi quand je t’ai pas vu dans le groupe de Genins.
- J’en mérite pas tant, soupira l’aspirant sans relever les yeux.
- Dis pas n’importe quoi. Tu as trouvé ta demoiselle, comment ça s’est passé ?
- Mieux que ce que tu pensais.
- Bien, soupira Hitaro.
Le jeune homme aux cheveux bleus osa enfin regarder son interlocuteur. Les traits tirés, le blond avait l’air plus fatigué que de raison. Mais il montrait un réel soulagement qui toucha Sarouh. Peut-être la blessure l’avait-elle plus épuisé qu’il n’y paraissait ? En voyant son bras dénué de marques, il était difficile de se rappeler du guerrier roulant en hurlant dans le sable une heure plus tôt.
- Ça ira ? demanda l’aspirant en le pointant du menton.
- Aucune séquelle. C’était juste atrocement douloureux.
Une grimace barra le visage d’habitude jovial du Chuunin au souvenir de la confrontation avec le reptile géant. Instinctivement, il avait bougé la main gauche comme pour la poser sur son bras, avant de se ressaisir en plein mouvement. Sarouh reconnut le tic, il lui était arrivé de faire de même. Comme pour penser à autre chose, Hitaro se passa la main dans les cheveux avant d’enchaîner avec une autre question, l’air innocent :
- Ta miss, tu l’as trouvé comment ? Grâce à Saya ?
Un silence pesant lui répondit. Sarouh ne comprenait pas ce qu’il cherchait à déduire, ni ce qu’il risquait à dire la vérité. Mentir n’avait pas forcément de sens non plus, donc il ne disait rien, rendu mutique par l’incertitude. Irumi risquait-elle quelque chose s’il lui avouait ?
- C’est bien ce qu’il me semblait, conclut-il tout seul. Ne t’en fais pas pour elle.
- Pourquoi tu lui as demandé de me distraire, demanda nerveusement Sarouh. Quel rapport avec Saya ?
Ce fut à son tour de n’avoir aucune réponse. Hitaro lui adressa un sourire attristé et un signe de tête avant de prendre congé. La conversation était donc finie. Privé d’un droit de visite, confus face aux derniers événements, dispensé par la force des choses des tâches de nettoyage, Sarouh ne vit qu’une seule chose à faire : s’entraîner.
Il s’assit au milieu du campement, insensible aux bruits autour de lui. Appliquant le conseil d’Irumi, il fit de nombreuses tentatives l’heure qui suivit pour finalement réussir à dessiner un caractère dans les airs. Un large sourire illumina le visage du Genin. Il lui restait encore du temps.
Alors que la nuit tombait après quelques heures de marche, il fut à nouveau temps d’installer le campement et de prendre les tours de garde. La température avait drastiquement chuté et une ambiance plus fraîche s’était installée, accompagnant la fin du jour. L’herbe de plus en plus présente laissait même place aux premiers arbres. Sarouh n’aurait jamais pensé être autant heureux de revoir le feuillage. Au milieu d’une prairie, alors qu’il s’apprêtait à prendre son tour de garde, Irumi vint le voir. Sans qu’elle ait besoin de lui poser la question les kanjis se mirent à flotter autour d’elle, semblant la narguer.
- “Irumi, tu as perdu”. Tu aurais pu être plus original.
- J’ai hésité avec te demander de m’embrasser, mais ça me semblait plus poli.
Sarouh ne pouvait s’empêcher de jouer la provocation après son petit jeu de la veille, sans aucune intention de récupérer son prix. Il avait gagné et cette satisfaction balayait de loin celle d’une éventuelle récompense. Jouer avec Irumi n’était qu’un bonus. Il se fendit d’un sourire provocateur, alors que le regard de la Chuunin se teintait d’un intérêt renouvelé.
- Ce n’est pas exactement ce que j’avais en tête, annonça-t-elle en approchant doucement. Tu es sûr que ça te suffirait ?
Proche. Trop proche. L’adolescent ne put empêcher la panique de l’envahir alors que la jeune femme posait ses bras sur ses épaules, plongeant ses yeux cyan dans les siens. Il fuit avec la dignité qu’il lui restait.
- Je n’ai pas besoin de ça, gagner me suffit.
- Parfait !
Irumi s’éloigna d’un pas en s’esclaffant. Elle jubilait d’avoir trouvé un nouveau jouet. Tout chez elle représentait un danger. L’odeur, l’attitude, la tenue, tout était calibré pour le déstabiliser.
- Tu sais quoi, on en reparlera quand tu seras plus mûr. En attendant, si à un moment tu as besoin de moi, je serai là pour toi. C’est ta récompense.
Sarouh ne sut quoi répondre, bloqué entre la gêne, la sensation de victoire et la réelle gratitude. Satisfaite de son effet, Irumi le laissa reprendre son tour de garde. S’il était honnête, le petit jeu avec la Chuunin lui avait permis de traverser le désert sans devenir fou et les progrès qu’il avait fait grâce à elle valaient de l’or.
Assis en tailleur, le Tsumyo fit de nouveau tourner le mot Irumi autour de lui en contemplant le ciel nocturne. Inspirant doucement, il se sentait enfin prêt à faire face à son sensei et à retourner au Village.
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