22 - Conséquences
Assise en tailleur au sommet de la cascade qui donnait son surnom à Gensou, Asori rêvassait, sa tresse balayée par le vent glacée, ses idées noyées dans le vacarme assourdissant de la chute d’eau. Le fracas étourdissant était une belle allégorie de l’enfer mental dans lequel ses pensées s’embourbaient.
La belle Jounin se retrouvait très exactement dans la position qu’elle désirait éviter. La sensation d’être prise au piège commençait même à engendrer de petits tics nerveux chez elle pourtant habituée à ne montrer aucun signe de ses émotions. Mais qu’on s’en prenne à ses élèves était inadmissible.
Son passage chez le Gensoukage était un désastre à tous les niveaux. La Mizu avait été naïve. Elle pensait que diminuée au rôle de sensei pour son petit cousin, elle était sortie de l’échiquier politique. Son entrevue avec le chef du Village l’avait ramenée brutalement sur terre.
Un éclair de fureur embrasa à nouveau le regard vert profond de la kunoichi alors qu’elle se rappelait les événements. Coincée entre le représentant des Maboroshi et le kage, elle avait à peine obtenu que Masiku soit mis à pied. Il était simplement de retour dans son clan, en “stage disciplinaire”. Lorsque son tuteur avait émis l’idée que les “sautes d’humeur” étaient fréquentes à l’éveil des Dôjutsu des Arabara, Asori avait finalement perdu son calme et lui avait cassé le bras pour illustrer que les maîtres responsables de leurs élèves pouvaient également y être sujet.
C’était une grosse erreur, qui ne ressemblait pas une seconde à la Jounin habituellement toute en maîtrise. L’autre enfoiré qui réduisait la torture de son élève à une simple gaffe disciplinaire avait simplement été trop pour elle. Evidemment, le Kage n’avait pas raté cette occasion pour la sanctionner. Immédiatement menacée d’être exclue de l’équipe, il lui a été demandé de prendre ses distances avec le Tsumyo si elle n’était pas capable de se tenir. Le manque de respect était tel qu’elle avait manqué de s’en prendre également à Ryoshima Tremeres. Comment osaient-ils ?
Maintenant la réponse était plus claire. Il était probable que l’incident Masiku n’en ait jamais été un et qu’elle était la vraie cible de ces événements. Le Gensoukage avait visiblement la rancune tenace. Un feulement de mépris lui échappa, sa longue tresse brune s’agitant au gré du vent. Malgré tout ce qu’elle avait fait pour la Cascade, Asori n’échappait pas à la petite guéguerre entre les différents clans. La renommée obtenue, sa popularité auprès des ninjas comme des civils et le soutien des Mizu étaient de gros arguments pour la désigner successeur du Kage actuel. Qu’il en choisisse un autre avait fait un tollé, surtout que la kunoichi lui était supérieure sur le plan martial au moment de son choix.
Tout ça arrangeait bien la Jounin qui ne voulait absolument pas de cette position, trop occupée à gérer les traumas de son passé, Asori aspirait à tout sauf à une place de commandement. Il semblerait que le message n’avait pas été assez clair. Il était typiquement shinobi de ne pas croire ce que l’on voit et de tuer une menace dans l'œuf par principe de précaution, elle ne lui en voulait pas. Par contre la kunoichi experte était furieuse contre elle-même de s’être oubliée en jouant le rôle de la parfaite sensei. Elle n’aurait jamais dû accepter cette situation.
Nouveau crachat de mépris alors que la Jounin se relevait. L’affaire Marwais était un problème supplémentaire sur ses épaules. Lorsqu’elle avait parlé avec la jeune femme avant le Tournoi, Cacaunoy s’était effondrée en larmes, lui disant qu’elle ne savait plus qui elle était. La Mizu avait mis ça sur le compte de l’adolescence et de son brusque changement de comportement avec Sarouh. Il s’avère que c’était un peu plus profond que ça. D’un naturel méfiant, elle avait furtivement cherché un sceau sur son élève, un éventuel historique de Dojutsu, ou de compétence héréditaire chez la famille de forgeron qui expliquerait ça mais n’ayant rien trouvé, la kunoichi avait relâché son attention. Une autre erreur tragique.
Depuis le retour de sa problématique pupille, Asori avait commencé son enquête pour déterminer l’origine de la Banshee. Ses premières pistes la menaient à au père de celle-ci, sans réussir à trouver d’indices probants, ni de réels motifs. Pourtant c’était le seul qui pouvait expliquer comment elle en était arrivée là. Bizarrement peu expressif envers la transformation de sa fille, il était de son devoir de sensei de la préserver dans ses moments douloureux. Que son père ne la soutienne pas était aussi frustrant que suspect.
Asori travaillait main dans la main avec Kurimi, une experte en fuinjutsu et ancienne sensei de la kunoichi qui s'était montrée assez compétente pour confiner le démon dans la peau de Cacaunoy jusqu’à son retour à la Cascade. Les nouvelles n’étaient pas bonnes.
Heureusement, Chiraku avait performé lors du Tournoi, ce qui sauvait un peu la réputation du groupe et diminuait la pression qui pesait sur la Jounin. Le comportement impeccable de son cousin lors de chacun des événements lui permettait aussi de garder le contrôle relatif de son équipe. Mais même cet état de fait semblait s’effriter ces dernières semaines. L’adolescent évitait Sarouh autant que possible et revenait amer de ses entraînements. Sa culpabilité était évidente, mais Asori n’avait pas réussi à lui tirer les vers du nez, alors qu’il se réfugiait dans sa typique fausse décontraction qui la mettait hors d’elle. Il lui était difficile de voir son enseignement se retourner contre elle.
Le Tsumyo était un énorme point d’interrogation. Ses actions avaient frisé l’indiscipline lors de son voyage de retour, ce qui ne lui ressemblait pas. Il avait tenu à revoir la Marwais quand bien même les événements de Chikara l'avaient traumatisé. Grâce aux rapports de Chiraku, Asori avait une vision partielle de ce qui avait pu s’y passer. Elle lui avait ordonné de ne pas revoir Cacaunoy, injonction qu’il avait sciemment ignorée ensuite. L’adolescent devait penser qu’elle ignorait qu’il faisait le mur toutes les nuits pour parler, même quelques minutes avec l’épéiste.
Elle grincait des dents devant l’indiscipline de son équipe, alors que tout ce que la Jounin désirait était que les choses se tassent, le temps de faire rentrer les choses dans l’ordre. Gensou lui avait retiré cette liberté. Elle souffla doucement, avant de s’élancer en bas de la cascade. Il était temps pour elle de mettre fin à l’hémorragie qui agitait son équipe. Elle assumerait ses erreurs plus tard.
*****
- Mais c’est absurde, s'écria Chiraku. Ils vont punir la victime !
- C’est comme ça, trancha Asori d’une voix ferme ne laissant aucune chance de répartie.
L’explication s’était mieux passée que prévu. Avec le temps, les deux Genins se rangeraient à son point de vue. Le cœur de la sensei se tordit en croisant le regard brillant et la bouche tremblotante de Cacaunoy.
- On peut pas lui faire ça, bafouilla-t-elle, retenant ses larmes de justesse.
- Il le faut. Rester dans cette équipe n’est pas une option pour lui. Le mieux est qu’il pense que ça vienne de nous. Qu’il nous déteste plutôt que le Village dans sa globalité.
- Tu n’as pas été foutue de protéger ton équipe et maintenant on devrait le laisser se débrouiller ?
La remarque acide de Chiraku était tout à fait juste. La Jounin ne flancha pas devant l’attaque. Elle plongea son regard dans le sien, dissimulant sa souffrance derrière un sourire.
- C’est exactement ça, tu comprends vite. Le mensonge ne devra pas durer éternellement. Juste le temps que les choses se tassent entre moi et le kage. Cela permettra aussi de s’occuper du problème de la miss sans le mettre en danger.
Cacaunoy se recroquevilla. Asori se doutait de la charge de culpabilité qui la pesait. Mettre en avant le bien être de Sarouh en la posant en menace était un axe qu’elle aurait voulu éviter, mais qui se montrait efficace. Elle pouvait déjà voir l’épéiste se rendre à l’idée. Chiraku quant à lui bouillonnait. L’aspect rationnel de la décision ne changeait rien à son injustice. Voir le Genin qui portait le détachement comme une armure au bord de l’explosion était un douloureux spectacle.
- Ecoutez, ajouta Asori en remettant sa tresse en place, il n’est pas tout seul. Sarouh s’en remettra et apprendra une leçon importante dans le processus. Vous avez besoin de moi. C’est la moins mauvaise des options. Je peux compter sur vous ?
Silence. La bonne entente chaleureuse qui régnait le mois dernier semblait oubliée à jamais. Le regard plein de ressentiments, Chiraku finit par hocher la tête. Cacaunoy fit de même, l’air éteinte. Le jeune Mizu aurait besoin de sa guidance pour être protégé des pièges dont elle avait été elle-même victime. Asori ne laisserait personne d’autre qu'elle-même assurer la prise en charge de la Marwais. Elle souffla et leur expliqua le plan. Il était temps.
*****
Un vent glacé balaya les vêtements de Sarouh alors qu’il arrivait sur le terrain d’entraînement. Ses cheveux désormais plus courts étaient plaqués sur son visage par la pluie fine qui gouttait le long de son nez. Tremblotant, pas encore ré-habitué au climat froid, humide particulièrement désagréable des hivers Gensouards, il marchait d’un pas décidé en tenue de combat, prêt aux sessions probables d’affrontement qui suivraient.
Dès qu’il vit Asori, Chiraku et Cacaunoy, une expression de surprise puis de doute agita son regard, qui se mit à frénétiquement passer de l’un à l’autre en recherche d’informations. Ce petit était bien trop perspicace pour son propre bien. Éteignant toute émotion, la Mizu entama la comédie :
- Bonjour Sarouh. Comment vas-tu ?
Il tiqua sur la formulation, ne répondit pas immédiatement. Sa mentor voyait les rouages de son cerveau s’agiter. Il fallait jouer ça finement. Elle jeta un œil vers ses autres Genins, s’assurant que l’illusion était parfaite. Leur expression était dure et froide, exactement ce qui était attendu.
- Tout va bien, un temps idéal pour s’entraîner !
Un sourire faible se dessina sur le visage adolescent du Genin, qui essayait de dissimuler l’anxiété que lui générait les têtes d’enterrement de ses coéquipiers. Il allait falloir le piétiner méthodiquement pour arriver au but. L’air strict de la Jounin était parfaitement ciselé pour ce moment.
- Tu crois que je ne suis pas au courant pour tes sorties nocturnes des dernières nuits ? Je ne t’avais pas donné l’instruction claire de ne pas t’approcher, sous aucun prétexte, de Cacaunoy ?
Ça n'aura pas pris longtemps. Le petit était déjà sur la défensive. Aussi intelligent qu’il était, apprendre à dissimuler ses émotions ne lui ferait vraiment pas de mal. L’inquiétude d’avoir dépassé les limites était clairement visible. Il regarda sa sensei dans les yeux, admettant courageusement son erreur.
- Je lui ai promis que je serais toujours là pour elle. Je vous présente mes excuses, continua-t-il en s’inclinant.
- Il fallait y penser avant, tu as il me semble promis de m’obéir à la minute où tu as rejoint l’équipe. Crois-tu avoir agi au mieux pour elle ? Pourquoi me l’aurait-elle rapporté alors ?
Cette dernière phrase le laissa sans voix. Sarouh se redressa lentement, plantant un regard hésitant sur l’expression glaciale de sa coéquipière. Cacaunoy soutenait sans mal son regard, méprisante à souhait face à ce cafard qui avait outrepassé ses droits. En tout cas, c’est ce que le jeune Gensouard voyait. Le spectacle auquel assistait Asori était tout autre.
- Je ne t’ai rien demandé, affirma l’adolescente, calme et autoritaire.
- Et ce n’est pas ton premier écart, continua Asori, insensible au déferlement d’émotions négatives du Genin. J’ai appris pour ton échappée pendant le retour.
- Ce n’est pas…
- Silence ! Chiraku m’a aussi expliqué pour le tournoi, où il a fallu te prendre par la main pour que tu ailles remplir ton devoir de shinobi le plus essentiel.
C’est vers son frère d’arme qu’il glissa un regard désemparé, abasourdi par le combo de remarques négatives. Asori tordait la vérité d’une manière presque crédible qui le mettait au supplice. Chaque seconde qui passait, sa mentor fermait un peu plus son cœur aux émotions qui refusaient de la laisser remplir sa mission.
Sans un mot, Sarouh posa ses mains en un signe bien connu, supposé l’aider à défaire les genjutsus mentaux. Brave petit. C’était intelligent, mais il cherchait dans la mauvaise direction, parce qu’il croyait en eux. Jamais il ne devinerait la vérité dans son état d’esprit actuel.
- Un kai ? Tu ne maîtrises même pas ce mouvement de base Sarouh. Mais ne te donne pas cette peine, c’est bien la réalité.
Il laissa ses bras tomber contre son corps, abattu. Il faisait tous les efforts du monde pour trouver un sens à la réalité qui se dessinait bien trop vite devant lui. L’échec allait être à la hauteur de la tentative.
- A compter de ce jour, tu ne fais plus partie de l’équipe Asori. Tes multiples échecs, tes écarts disciplinaires et ton manque caractéristique de talent me forcent à prendre cette décision, cracha-t-elle, impeccable dans le rôle de la marâtre.
- Je croyais qu’il fallait que l’équipe soit unanime pour ce genre de choses, continua Sarouh d’une petite voix, tête baissée.
- Mais c’est le cas, confirma Chiraku, impitoyable.
Sarouh releva les yeux, surpris. Asori le vit passer de son jeune cousin à Cacaunoy, l’air défait. Soudainement, l’émeraude de son regard s’embrasa. Une sensation de danger la submergea. Elle eut à peine le temps de se propulser vers Cacaunoy, qu’une dague noire s’enfonça très profondément dans le sol à ses pieds. Gyo, comprit immédiatement la Jounin.
- Tu peux te garder ça, toutes mes paroles et t’étouffer avec, siffla le Genin hors de lui, avant de faire demi-tour et de partir en courant.
C’était sûrement les paroles les plus dures qu’il était capable de prononcer. Lorsqu’il fut assez loin, Asori dissipa son illusion. Des larmes coulaient silencieusement sur le visage blême de Cacaunoy, le regard vide. Chiraku regardait obstinément le sol, la mâchoire serrée.
- C’était la meilleure décision ? demanda-t-il sans relever la tête.
- Ce n’est plus le moment de se le demander, répondit Asori en posant une main conciliante sur son épaule. On fait de notre mieux, maintenant il va falloir assumer nos choix.
Cacaunoy se murait dans le silence. L’espace d’une seconde, sa sensei jura voir sa peau blanchir encore. Le regard dans le vide, plus rien ne l’affectait. Chiraku n’était pas la personne qu’il lui fallait. Elle venait de se débarrasser du seul pilier qui lui importait. C’était à sa mentor de faire attention maintenant. Elle se plante devant sa pupille, montrant assurance, force et le calme des justes.
- Ma petite, ne l’oublie jamais. Deviens assez forte pour survivre et le protéger. C’est ton objectif et ta seule priorité à partir de ce jour, sinon nous aurons fait tout ça pour rien.
La Marwais ne répondit pas, mais la vie s’invita à nouveau dans son regard. Ses élèves étaient forts. Aucun d’eux ne pleureraient. Ils acceptaient tous leur destin et leurs responsabilités. Asori tourna la tête vers la maison où Sarouh se trouvait sûrement. Son coeur se fendit à nouveau en deux alors qu’elle maintenait sa façade imperturbable. Ryoshima paierait pour ça.
- Allez, vous deux, vous avez du pain sur la planche. Si vous êtes tristes, utilisez le contre moi.
S’en suivit l’assaut le plus desespéré de tous les temps, les hurlements de Chiraku et Cacaunoy transperçant même les épais nuages de Gensou et le déferlement de la Cascade.
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