01- Nouveau paradigme

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  Le plafond céleste se fendait d'une lumière orangée et ocre, s'embrasant au loin en une promesse d'un jour nouveau et de son lot d'épreuves. La Cascade se paraît de ses plus belles couleurs printanières. La journée allait être magnifique, la chute d'eau réfléchissant le soleil illuminerait le Village comme une déesse bienveillante.

  Sarouh se frotta les mains, exhalant un nuage de fumée dans le froid matinal, les yeux brûlants de fatigue. Il s'était assis sur le toit de sa maison qui lui donnait une vue sympathique sur le trop rare enchantement de l’aube. Depuis combien de temps n'avait-il pas dormi normalement ? Cela lui semblait une éternité. Même ce spectacle ne l'apaisait plus. Les dernières semaines avaient été très rudes. La dispute avec Asori avait découlé sur une autre avec ses parents, peu de temps après.

  Sa mère soutenait qu'il lui fallait redoubler d'efforts, tout en lui assurant qu'au fur et à mesure de ses progrès, les choses s'arrangeraient. Elle s'était heurtée à un inhabituel cynisme. Quand l'adolescent avait fini par dire qu'elle pouvait se garder ses conseils, c'est son père qui s'en était mêlé.

  Finalement, il avait essayé de relativiser ce qui lui était arrivé. Les shinobi en voient d'autres après tout. Sarouh était viré de son équipe, il avait vu sa soeur mourir devant lui. La peine que cela causait au Genin lui échappait complètement. L'enfant aux cheveux cobalts s'était alors écrié que s'il représentait tant d'efforts et de déceptions, ils auraient mieux fait de le laisser mourir sur place. Si c'est tout ce que la vie de ninja avait à lui proposer, ils pouvaient se la garder. C'en fut trop pour la contenance de ses parents qui exigèrent son départ immédiat. Sarouh cru entendre le ricanement d'Akira, ce vieux débris insupportable, alors qu'il claquait la porte furieux et triste.

  Si la paix avait fini par revenir dans la demeure Tsumyo, le Genin n'avait jamais présenté ses excuses. Il savait être allé trop loin, mais ne supportait pas de voir sa peine diminuée par ses parents. Si la seule vie qu'ils avaient à lui offrir impliquait torture, rejet, solitude et souffrances sans aucune promesse d'avenir radieux, pourquoi s'étaient -ils donnés cette peine ?

  L'adolescent contemplait parfois la Cascade avec l'idée un peu trop tenace à son goût de savoir ce que ça ferait de ne pas en sortir. Il ne manquerait à personne et sa douleur disparaîtrait pour de bon. L'eau l'avalerait et le nettoierait de ses erreurs dans un oubli bienvenu.

  • Quelle mauvaise idée tu es encore en train d'avoir toi ?

  Sarouh sursauta. L'éclaireuse rousse était la seule à être capable de le surprendre à ce point et en avait fait une bien désagréable habitude. C'était la seconde fois qu'elle venait le voir à l'improviste. La première n'avait pas duré, s'étant vite heurtée à un silence buté.

  L'adolescent aux cheveux cobalts sentait qu'elle ne le portait pas dans son cœur et avait alors refusé de lui donner toute raison supplémentaire de le mépriser. À cet instant précis, le visage creusé par la fatigue, il n'avait plus la force de s'opposer à elle. Le jour se révèle très long quand il n'a pas de fin.

  • Salut Saya, répondit-il faiblement en ignorant la question. Que me vaut le plaisir ?

  L’ironie n'échappa à la Chuunin. Pourtant, elle s'assit à côté de lui en silence, s'absorbant dans le spectacle matinal. L'aube avait un attrait magique qu'il était dommage de gâcher.

  Le Tsumyo nota qu'elle n'était pas en tenue de mission cette fois. Pantalon noir probablement doublé de collants pour se tenir au chaud, le petite rousse était emmitouflée dans un polaire épais en poils blancs. Il ressentit une pointe d'envie, cela lui semblait bien plus confortable que sa propre tenue.

  Elle semblait désarmée mais il était probable que ses deux dagues jumelles soient dissimulées quelque part. Il n'osait imaginer Saya sortir sans, bien qu'il n'en ait jamais parlé.

  Sarouh continuait à la voir comme un danger. Quelque chose clochait avec l'éclaireuse. Dès qu'elle apparaissait, il se mettait automatiquement à chercher comment gérer l'affrontement qui en découlerait. Le paralangage de Saya était pourtant on peut plus neutre. Presque trop, se rendit-il compte.

  • Je venais aux nouvelles. Je m'attendais à te trouver sur un terrain d'entraînement, mais je ne t'y ai pas vu.
  • Rien d'autre à faire ? Releva Sarouh
  • Permission.

  La réponse était sèche, immédiate et probablement fausse. Le Tsumyo décida d'ignorer cette idée. Que cela soit Saya ou Irumi, chercher à comprendre n'avait aucun sens. Il repoussa l'idée au fond de sa tête, sentant qu'il s'attaquait par réflexe au problème.

  • Les nouvelles vont mal. Satisfaite ? Tu peux faire ton rapport à Irumi.
  • Comment ça, feula la rousse, impeccablement immobile.
  • Je pense à peu près avoir saisi la dynamique entre vous deux.

  Une flamme dangereuse dansait dans le noisette des yeux de la Chuunin alors qu'elle daignait tourner la tête vers son interlocuteur. Aller trop loin ne lui amènerait qu'un bras cassé comprit-il. Ou pire.

  • Tu sais, je ne suis pas ton ennemie clama-t-elle pourtant d’une voix qui se voulait douce.
  • Intéressante clarification, persifla l'adolescent.
  • C'est pourtant la vérité, continua calmement Saya. Elle remit une mèche de cheveux rebelle en place avant de continuer. J'ai appris pour ton équipe. Tu tiens le coup ?

  C'était étonnamment à propos. Sarouh planta son regard sur l'horizon. Pourquoi devrait -il répondre après tout, alors qu'un spectacle aussi beau se peignait devant lui ? Il soupira bruyamment, espérant ainsi reprendre une contenance. Il répondit d'une voix bien trop faible à son goût.

  • Pas trop.
  • Pourquoi ?

  La candide question le pris par surprise. Le Genin s’était attendu au mépris ou à l’incompréhension, aucunement à une sincère tentative de compréhension. Il se rendit compte également qu’il était plus difficile d’y répondre qu’il ne le pensait. Il se frotta les yeux de la main gauche, essayant de remettre ses idées en place, avant de répondre, débitant machinalement comme s’il s’agissait là d’une évidence mécanique.

  • Je me sens trahi. J’ai promis à Cac’ que je serais là pour elle en dépit de tout ce que ça représentait comme dangers pour moi. J’ai continué à me battre à la demande de Chiraku, tout ça pour me faire virer quand même à la fin. Je nous pensais proches. Il est maintenant évident que je me trompais lourdement.
  • Je vois, c’est le décalage entre tes espérances et la réalité qui te fait mal. Tu as été naïf.

  Saya ne semblait pas le juger, regardant au loin. Désormais assise en s’appuyant sur ses deux bras tendus, une jambe repliée, la Chuunin était toute en décontraction. Elle était ouverte et cordiale, ne posait pas trop son regard sur lui pour éviter qu’il se sente davantage sous pression. Sarouh aurait apprécié s'il ne se méfiait pas tant.

  • Je vais t’expliquer quelque chose qui t’aidera sûrement, reprit l’éclaireuse se battant à nouveau avec sa mèche agitée par le vent glacé. Les relations sont transactionnelles. Toutes, tout le temps. Considère chaque relation comme une négociation. S’ils se sont séparés de toi c’est que tu n’apportais pas ce qu’il leur fallait. Inutile de leur en vouloir, améliore seulement ta valeur intrinsèque, fixe toi des objectifs, sans oublier que chaque négociation peut prendre fin.
  • Tu me suggères de me lancer dans des relations en sachant qu’à la fin je vais sûrement être trahi ?

  Le Tsumyo n’était finalement pas surpris du conseil. Cela ressemblait bien à la petite rousse. Mais considérait-elle vraiment sa relation avec Irumi comme une transaction ? Le Genin aux cheveux cobalts en doutait.

  • Trahison est un bien grand mot pour ce que tu as vécu. Je te dis de considérer ce que tu veux dans une relation et réfléchir à ce que tu pourrais apporter aux personnes capables de te le donner. Tu dois autant élever tes exigences envers toi qu’envers les personnes que tu laisses rentrer dans ta vie.

  C’était étonnamment sage venant de la tempétueuse éclaireuse. Il s’était tant habitué à la voir comme une espèce de menace fantomatique que la maturité dont elle faisait preuve le laissait sans mots.

  • Donc notre échange est contractuel. Qu’y gagnes-tu ? Releva Sarouh, cherchant le contact visuel pour la première fois de la discussion
  • Tu n’as pas deviné cette fois ? le taquina Saya en souriant, plongeant son regard dans le sien.

  Le Tsumyo fut destabilisé par cet inédit spectacle, avant de rassembler ses pensées. Finalement, il avait bien une petite idée.

  • Je pense bien que si. Permission de me jeter à l’eau ?
  • Accordée, lâcha Saya en replongeant son regard dans l’horizon, l’air toujours amusée.
  • A un moment ou un autre, tu as décidé que la priorité c’était ce que voulait Irumi. Depuis qu’elle a manifesté un intérêt pour moi, tu fais attention à ce qu’il ne m’arrive rien, tout en t’assurant que je suive ce qu’elle veut. Et là…

  Sarouh s’arrêta un bref instant, tant pour suivre la réaction de Saya qui ne laissait rien filtrer que pour canaliser ses pensées qui s’éparpillaient dans le chaos des possibilités. Il reprit rapidement le fil de son raisonnement, irritant son interlocutrice de son intonation victorieuse

  • Tu te moques de ce qui m’arrive, c’est simplement le bien être d’Irumi qui compte, tu penses qu’elle va me recontacter et tu veux que je sois dans un état d’esprit qui le ferait.
  • Tu ne sur-estimes pas un peu ton importance ? Je ne peux pas simplement être altruiste ?
  • Si, mais je n’y crois pas trop. A cause d’Hitaro notamment.

  La jeune femme n’avait pas modifié son expression d’un millimètre. Il était difficile de dire s’il avait vu juste ou non, mais cela expliquait pour lui tout le scénario du retour. Les questions sans réponse l’avaient travaillé en tâche de fond pendant des semaines et c’était la seule version de l’histoire qui lui convenait. Les seules parts d’ombre étaient ce que pouvait bien lui trouver Irumi et quel degré d’implications elles avaient dans l’attaque des terribles reptiles. Car Sarouh en était désormais persuadé : sans Saya, le couple de wyvernes ne se serait jamais pointé.

  • Tu sautes un peu trop vite aux conclusions à mon goût, se contenta de répondre Saya après un bref silence et une rafale glaciale.
  • Ce qui veut dire que je me trompe ?

  Saya se releva gracieusement, en maîtrise totale de son mouvement, ni le moindre bruit. Son passif martial et shinobi transparaissait dans la moindre de ses attitudes. Elle lui adressa un dernier regard avant de s’effacer, telle une brume onirique chassée par le vent du nord. Sarouh se surpris à y trouver une forme de respect. Pour la première fois, il n’avait pas vu un danger mortel dans les yeux de l’éclaireuse, mais enfin une personne. Etrangement, il se sentit rasséréné.

  • Crâneuse.

  Sarouh se permit un petit sourire, le premier depuis des semaines, salué par une nouvelle rafale souvelant ses cheveux cobalts et attaquant ses lèvres gercées. Les idées défendues par Saya se frayaient un chemin dans le cerveau de Sarouh. Gérer ses relations comme des négociations, s’attendre à être trahi et se donner en estimant son risque de manière mathématique. Tout cela lui semblait à la fois bien trop énergivore et en même temps parfaitement rationnel. Le temps lui dirait s’il acceptait ou refusait l’idée, mais cela avait eu le mérite de le faire remettre en perspective les choses. Une part de lui se mit à intégrer finalement qu’il ne faisait plus partie de son équipe pour une raison. La validité de celle-ci ne lui appartenait pas, mais il devait accepter la responsabilité et passer à autre chose. Tout cela était entendable. Mais l’adolescent était buté. Il n’était pas sûr qu’un jour quelqu'un mérite de prendre le risque de repasser par toutes ces souffrances.

  Il se projeta du toit d’une poussée des mains et atterrit souplement en contrebas. Par contre, Saya avait raison sur un point : il lui fallait maintenant ajouter de la valeur contractuelle à sa personne. Et donc s’entraîner. Cela lui permettrait de se focaliser sur autre chose au moins. Les vêtements secoués par le vent, Sarouh fonça vers son terrain d’entraînement préféré.

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