02 - Changements
L’acier travaillé fouetta l’air alors que l’aspirant s’entraînait sans relâche. Le vent chassa une mèche rebelle de nouveau trop longue, alors que la douce brise lui rapportait les odeurs printanières de la végétation qui reprenait vie autour de lui. En plus de ses passages au dojo, Sarouh se contraignait à subir un entraînement supplémentaire dès qu’il le pouvait, répétant katas et exercices de musculation sans relâche. Sa prise sur le manche de la lame était désormais ferme et impeccable. Ses mouvements se fluidifiaient et il se sentait désormais apte à repousser un assaillant. Aura se comportait comme une extension de son propre corps.
Après avoir boudé le présent de ses parents, le jeune Tsumyo avait fini par embrasser la maîtrise du katana. Pour devenir la meilleure version de lui-même, retrouver son calme dans la tempête, tout simplement se changer les idées, l’apprentissage de ce nouvel art lui faisait du bien. Les paroles de Saya avaient fait leur chemin et Sarouh n’avait trouvé la paix que dans l’exercice. Le genjutsu, la manipulation du Chakra et le kenjutsu avaient été ses intérêts obsessionnels du dernier mois. Cela lui permettait aussi de dormir de temps en temps, sous le coup de l’épuisement
Conscient de sa fuite en avant, il continuait à se noyer sous les activités. Aucune nouvelle de son ancienne équipe et il s’était appliqué à ne laisser personne entrer dans sa vie. Bon petit soldat, il accomplissait ses missions sans donner son avis ni prendre d’initiative. Après plusieurs mois, une réputation de mec étrange, efficace mais un peu idiot commençait à se répandre. Sans surprise, il n’avait pas été assigné à une nouvelle équipe. Le manque d’encadrants n’avait pas miraculeusement été géré après le dernier semestre. Et vu les derniers événements, le Tsumyo n’attendait pas un sauvetage miracle de la part de Gensou. Les choses ne changent pas. Jamais.
Il se retourna, donnant un puissant revers dans l’autre sens, puisant dans sa frustration. Sa lame s’arrêta à un petit centimètre du visage d’Irumi.
- Bouh.
Par peur de se laisser emporter dans le mouvement, Sarouh donna un puissant coup de rein et tomba sur les fesses, sa lame chutant à côté de lui devant une Chuunin absolument hilare.
- Tu vas vraiment finir par t'en prendre une un jour, grommela l’aspirant en se relevant disgracieusement.
- C'est une menace ? releva Irumi avec un grand sourire candide.
Le Tsumyo ne put répondre tout de suite. De longs cheveux bleus pâles presque blancs tombaient sur son épaule gauche en volutes soyeuses, son regard était d'un bleu électrique hypnotisant et sa peau semblait plus pâle, le rouge de ses lèvres n'en ressortant que davantage. Quelque soit l'apparence qu'elle choisissait, Sarouh finissait fasciné et muet devant le charme de la jeune femme. Ses manières étaient aussi déplacées que magnétiques. L’esprit de compétition du Genin n’était pas la seule chose à s’embraser lorsqu'il croisait le regard d'Irumi.
Conscient de cela, l'aspirant se lança dans la contemplation du manche d'Aura, qu'il ramassa pour gagner du temps et le retour de sa contenance. Il n'aimait pas la personnalité qui ressortait quand il était avec elle.
- Un conseil, corrigea-t-il finalement. Ça te semblerait pas idiot d'être blessée pour une raison si stupide ?
- Tu te sous-estimes, avança Irumi en s'approchant encore de lui.
- Qu'est-ce que tu me veux ?
Le ton de Sarouh était d'une inutile hostilité. Au fond de lui, il appréciait la Chuunin. Mais le sentiment d’être utilisé le mettait sur la défensive. L'aspirant ne pouvait s'empêcher de lui rendre la tâche la plus compliquée possible. Sans oublier que c’était peut être précisément la raison qui poussait la métamorphe à revenir le voir.
- Tu es bien agressif. J’ai pas le droit de venir voir un ami ?
C’était exactement le genre de réaction qui justifiait le comportement de Sarouh. Sa fausse naïveté, sa candeur et son incapacité à prendre quoi que ce soit au sérieux étaient autant d’éléments qui plaisaient au Genin tout en lui faisant peur. Il lui répondit, aussi glacial que possible.
- Tu as des amis toi ?
- Bien sûr ! Je ne fais pas le déplacement pour n’importe qui.
Le Tsumyo releva le regard vers Irumi, comme si scruter la belle Chuunin allait lui permettre de voir à travers son mensonge. Il fut simplement confronté à son sourire radieux. Il se détendit un peu. Il n’avait aucune raison de se comporter comme ça avec elle. Finalement, la kunoichi avait toujours été de son côté.
- Ça me touche, merci. Saya est venue te faire un rapport ?
- Une bien curieuse manière de me le montrer. Par contre je n’ai aucune idée de ce dont tu parles. Tu sais, elle a une vie en dehors de moi.
Sarouh la scruta davantage. Il en doutait fort et pensait qu’Irumi ne se leurrait pas tant. Elle ne cilla pas, plongeant son regard dans le sien sans gêne, l’attitude fière, main posée sur la hanche. Cette femme était décidément pénible à lire, songea le Genin en soupirant, s’avouant finalement vaincu.
- Pour en revenir à la raison de ma venue, je suis curieuse.
- J’ai déjà entendu ça, répondit machinalement l’aspirant en se grattant les cheveux de la main gauche. Et de quoi donc ?
- De tes progrès évidemment, lâcha Irumi avec un grand sourire.
L’alarme interne du Tsumyo se ralluma aussi vite qu’elle s’était éteinte. Son instinct fit sans mal le parallèle avec le rodéo du Wyverne dont il avait été témoin. Aucun doute possible, il était en danger. Le battement de cil suivant, il esquiva d’un mouvement de tête une pierre qui s’encastra profondément dans l’arbre derrière lui, projetée par un coup de pied d’Irumi.
Elle fondit sur lui. A mains nues, à peine protégées par des gants laissant ses doigts découverts, la Chuunin se plongea au corps à corps. Un enchaînement emprunté à la boxe surprit le Genin. Incapable de suivre, il encaissa deux coups dans la mâchoire et dans le nez.
Un peu groggy, il recula pour avoir de la marge de manœuvre, il put constater qu’Irumi n’allait pas s’arrêter là. Elle ferma immédiatement l’espace, restant trop proche pour que sa lame ne le gêne pas plus qu’autre chose. Elle lui adressa un puissant coup de genou dans l’abdomen en le prenant par les épaules qui le plia en deux, expirant tout l’air de ses poumons alors qu’il tombait par terre quelques mètres plus loin.
- Zetsu, très bien, lui dit-elle avec une moue appréciative. Si tu veux te servir de ton jouet, il va falloir être plus attentif à ne pas te laisser déborder comme ça.
La maîtrise du Chakra lui avait permis d’éviter le plus gros des dégâts, mais la Chuunin n’y était pas allée de main morte et Sarouh peinait à reprendre son souffle. Il reprit sa lame et se mis en position, alors que la jeune femme regardait ses ongles en attendant qu’il soit d’attaque, feignant l’indifférence.
Lorsqu’il fut enfin debout et en maîtrise, lame en position haute, le dangereux sourire d’Irumi revînt alors qu’une nouvelle flamme inquiétante s’allumait dans son regard. Immédiatement, elle fonça sur l’aspirant. Enchaînant les frappes de tailles et les attaques circulaires, Sarouh réussit à la garder à distance, alors que son adversaire évitait en éclatant de rire chaque tentative. La pression qu’elle lui mettait était énorme. Puisant dans son Chakra, l’aspirant frappait frénétiquement, l’adrénaline l’envahissant.
Il laissa une ouverture sur sa droite, espérant piéger la féline Chuunin qui dansait avec sa lame. Virevoltant, elle s’engouffra dans la brèche. Un sourire victorieux se dessina sur le visage du Genin. En un éclair il inversa sa frappe, visant l’abdomen sans plus se préoccuper d’autre chose que de sa victoire.
La seconde d’après, il était au sol, meurtri et confus. Alors qu’il pensait coincer son adversaire, il avait reçu plusieurs coups de la gauche, extrêmement rapides et puissants. Un à la mâchoire et un autre sur le flanc, l’envoyant voler et laissant la lame glisser le long du sable du terrain.
- Pas mal, je m’estime satisfaite, fit la voix d’Irumi au-dessus de lui, alors qu’il n’arrivait plus à bouger. J’aime beaucoup ce que j’ai vu.
Elle appuya son propos d’un coup de pied dans l’abdomen qui l’envoya rouler plus loin. Puis d’un autre, le ramenant jusqu’à un arbre sur lequel il vint s’écraser douloureusement. Sa défaite était totale. Il la sentit s’accroupir à côté de lui alors qu’il se relevait péniblement, les bras tremblants comme de la paille sous lui.
- Une bien curieuse manière de me le montrer, répondit en toussotant Sarouh.
- Tu n’es pas en position de faire le malin tu sais ?
Ils s’adressèrent un sourire complice. Affalé sur son tronc, le Genin n’en menait pas large après le passage à tabac que lui avait gratuitement infligé la Chuunin. Pourtant il ne lui en voulait pas. Il réfléchissait sur toutes les erreurs qu’il avait commises durant l’affrontement et surtout sur ce qu’elle avait bien pu faire pour le tromper sur la dernière passe.
- Je crois en ton potentiel. Lâche rien. Je reviendrai te voir avec Saya à l’occasion, ne nous déçoit pas.
Sarouh tourna péniblement la tête vers Irumi, radieuse. Elle ne transpirait même pas après une telle déconvenue, c’était presque insultant. Pourtant, il la sentit sincère. Force était de constater qu’il avait du pain sur la planche. Il se retint de peu de rajouter que ses avancées n’importaient pas tant à l’éclaireuse. Si la Chuunin voulait rester dans le déni c’était son problème.
- Tu es au courant, pour mon équipe ? lâcha finalement Sarouh, incapable de retenir plus longtemps sa curiosité.
- Bien sûr. Les choses ne tournent pas toujours comme on le souhaite. Tu te plonges dans l’entraînement pour ne pas y penser, c’est un choix qui en vaut un autre.
- Et si je décidais finalement qu’être seul est le meilleur choix ?
Irumi leva un sourcil surpris. Manifestement, elle ne comprenait pas la question. Elle se releva et s’épousseta briévement avant de formuler sa réponse.
- Ca serait ta décision, je ne vois pas trop ce que j’aurais à en dire. Il n’y a pas de bonne façon de vivre. Par contre, il va falloir être bien plus fort que ça pour m’empêcher de venir jouer avec toi.
Nouveau sourire carnassier auquel Sarouh ne put s’empêcher de répondre. Un jour, c’est la jeune femme qui finirait par terre devant lui. La silencieuse promesse sembla plaire à la guerrière qui s’en alla d’une démarche chaloupée, la main droite tendue pour lui faire un au-revoir. Au bout du chemin, elle tourna la tête avec un sourire mutin, lui adressa un clin d'œil et disparut.
A aucun moment le Genin n’avait lâché des yeux sa féline aînée. Bien qu’il ne comprenait toujours pas le jeu auquel elle jouait, il avait abandonné l’idée de remporter cette partie. Il tenta de se relever, en vain. Le tronc d’arbre lui sembla soudainement très confortable, alors que ses paupières s’alourdissaient. Ses cheveux furent agitées par une douce et agréable brise aux odeurs printanières avant qu’il ne sombre dans un sommeil apaisé. Sa revanche attendra.
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