03 - Leçon de vie

8 minutes de lecture

  Le Genin haletait, le corps meurtri. Le vent glacé balayait ses vêtements sans apaiser les sensations de brûlure qui dévoraient l’adolescent. Les jambes rendues tremblantes par l’effort, l’adolescent soutenait d’une fierté inutile le regard de l’homme qui lui faisait face. D’une trentaine d’année, un large kimono noir et le visage sévère, les cheveux bruns attachés en une queue de cheval, il n’exprimait aucune fatigue. Seulement un peu d’agacement.

  • Assez. Tu n’en peux déjà plus.

  La phrase s’était abattue comme un couperet sur le ninja, qui répondit d’un feulement de frustration avant de foncer sur son adversaire. Seulement deux échanges plus tard, Sarouh mordait la poussière devant son sensei, écopant de quelques coups supplémentaires.

  • Cesse avec cette mauvaise habitude. Si tu refuses de te respecter, j’exercerai mon droit d’arrêter de te dispenser mon savoir.

  La voix grave et profonde de l’enseignant n’apaisa pas le Genin aux cheveux bleus qui se redressait comme il le pouvait, alors qu’il n’avait plus la force de se lever à la force des bras. Cela faisait deux heures qu’il enchaînait les scenarii d’attaque et de défense avec son maître de kenjutsu.

  S’il était intransigeant avec le jeune homme, celui-ci montrait une féroce volonté au combat et un manque total de considération pour son état. Cela était certes un comportement attendu d’un shinobi, mais il poussait le concept beaucoup trop loin. Le maître d’arme n’avait que peu de respect pour ceux qui ne cherchaient pas à survivre à leurs affrontements.

  • Bien maître, siffla Sarouh dans la douleur, merci pour tout ce que vous m’apprenez.

  Et il salua, solennel et sans âme, comme à chaque fin d’entraînement, avant de se trainer avec raideur vers le bord du terrain balayé par les vents. Une moue horripilée traversa le visage du maître d’arme. C’en était trop.

  • Tsumyo ? Ne prends plus la peine de revenir ici.
  • Pardon, répondit l’adolescent, visiblement interloqué en se retournant vers lui.
  • L’art du katana ne s’enseigne qu’à ceux qui veulent survivre à leurs affrontements.

  Le regard émeraude s’embrasa à la rencontre du bleu acier. Si l’adolescent était amorphe et dénué d’énergie juste avant, la remarque avait réveillé chez lui le peu de forces qu’il mobilisait pour se déplacer.

  • Qu’est ce que vous insinuez par là, Kudoro ?

  Le nom était prononcé avec mépris. Le Tsumyo ne cachait pas son irritation. Cela changeait de ses mouvements mécaniques. Le puissant et large trentenaire rangea son arme dans son fourreau pour cacher sa satisfaction.

  • Tu te jettes dans le combat sans aucune considération pour ton existence. Tu as choisi le style qui sied le mieux à tes autres compétences shinobis, mais ton âme est en total désaccord avec ce que ton sabre doit faire. Je refuse de nous faire perdre plus de temps en déshonorant l'Odoro Tsurugi.
  • Je ne comprends pas, articula douloureusement le Genin. Je fais de mon mieux.
  • Précisément : tu ne comprends pas. Reviens quand tu auras une réelle raison de te battre.

  Et c'est ainsi qu'Ahika Kudoro s'éloigna du terrain d'entraînement en laissant un Genin confus et en pièces derrière lui. Sarouh aurait voulu lui courir après afin de le forcer à cracher le morceau, mais rester debout lui coûtait déjà toutes ses maigres ressources.

  Arrivé à la conclusion qu'il n'était pas en état de réfléchir au problème dès aujourd'hui, trop fatigué pour ressentir le rejet du maître d'arme, Sarouh se traîna d'un pas lent jusque chez lui. La fin du printemps n'était guère plus chaude que son début et l'humidité dans l'air était étouffante entre deux bourrasques glacées. L'odeur des plantes du marais était entêtante et sucrée par endroit, à d'autres elles viciaient l'air et semblaient empoisonner les pauvres hères qui passaient à proximité.

  Le Genin aux cheveux bleus avait eu tout le temps nécessaire à l’entraînement. Oublié par Gensou, il n’avait été mandaté pour aucune mission, soumis à aucun contrôle, et rien ne laissait penser qu’il serait assigné à une équipe. Perdant du tournoi et mauvaise herbe de son équipe précédente, Sarouh ne se faisait pas d’illusions. Il se demandait même des fois s’il n’était pas possible qu’il soit bonnement radié des shinobis. Que faisait-on des recrues inutiles ?

  Le Tsumyo s’affala sur une chaise lorsqu’il fut enfin chez lui. Le trajet n’avait jamais semblé aussi long. L’épuisement le guettait, entre le sur-entraînement et les insomnies qui le tenaillaient depuis des mois maintenant. Ses cauchemars s’étaient diversifiés avec son retour du Tournoi. Sa mère n’était plus là pour le rassurer depuis un long moment. Sarouh avait la sensation que cela faisait un an qu’il n’avait pas eu une longue discussion avec sa famille. Les disputes récentes n’aidaient pas, se rappela-t-il douloureusement.

  • Tu as l’air bien abattu, fit la voix de son grand-père derrière lui. L’entraînement ne se passe pas comme prévu ?
  • Pas vraiment maugréa Sarouh en se retournant vers son interlocuteur. Je viens d’être mis au rebut par mon maître.
  • Comment cela ?

  L’adolescent leva les épaules. Les mots de son enseignant résonnaient dans sa tête sans qu’il en saisisse le sens. Ce n’est pas comme s’il se jetait sur la lame de ses adversaires. De manière générale, le Genin se battait pour gagner. Akira insista et le Genin lui répéta mots pour mots les reproches qui lui étaient adressés.

  Le vieil homme éclata d’un rire sec.

  • Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle, le fusilla du regard Sarouh.
  • Et pourtant. Mais ce n’est pas contre toi. Tu me rappelles juste des souvenirs.

  Sarouh écarquilla les yeux de surprise, alors qu’Akira se resservait du thé, savourant son effet.

  • Tu sais ce qu’il veut dire alors ?

  Le vieil homme profita de l’excitation du jeune homme pour prendre son temps, soufflant sur son breuvage chaud avant d’ajouter une cuillère de sucre, savourant autant l’eau parfumée d’Hibiscus que l’impatience de Sarouh. Il planta ensuite son regard bleu électrique dans l’émeraude de son petit-fils, laissant son air amusé pour reprendre une attitude plus grave.

  • Pour quelles raisons te bats-tu ?
  • Survivre. Je crois.

  La réponse avait fusé, le cerveau du jeune homme mis en ébullition par les manières de son grand-père. Il fit un petit non de la tête en reposant sa tasse sur sa coupole, n’en disant pas plus. Sarouh avait assez joué à ce petit jeu avec lui pour savoir qu’il devait trouver de lui-même la réponse.

  • Je ne vois rien d’autre. Je ne me bats pas pour les parents, leur faire honneur en devenant shinobi est l’inverse de ce qu’ils voudraient. Je n’ai plus d’amis à protéger. Le Village ne me reconnaitra pas quelque soit mes efforts.

  Un silence pesant suivit ces déclarations, toutes justes. Une lumière empreinte de respect s’agitait au fond du regard du vieil homme qui demeurait silencieux. Pas de dénégation cette fois, le Genin l’interpreta comme un encouragement à continuer dans cette voix.

  • C’est justement le problème ? Se battre pour une vie de solitude n’en vaut pas la peine ?

  Toujours le silence, alors qu’Akira reprenait tranquillement une gorgée de thé. Jouer à l’instructeur pour Sarouh quand Takaneiki n’était pas là pour le voir l’amusait beaucoup. Il mourrait bien avant de l’avouer. Cette fois-ci, le jeune garçon commençait à manquer d’idées. Il posa sa tête sur son poing, réfléchissant intensément, sa jambe droite trahissant le bourdonnement de ses pensées.

  • Tu y es presque, l’aida finalement l’ancien. C’est parce que tu ne crois pas réellement que se battre pour une vie de solitude en vaut la peine. Tu penses que tu n'auras pas ce que tu veux. Le choix se pose entre changer ce que tu désires ou te battre pour l’avoir et tu n’es assez fort ni pour l’une, ni pour l’autre de ces solutions. Tu ne te bats pas pour survivre, tu ne vis déjà plus vraiment.

  Sarouh leva la tête vers son grand père, les yeux écarquillés. La froide vérité qu’il n’avait pas été capable de voir en lui-même était tombée avec froideur et désintérêt de la bouche de son aîné. Incapable de lui prouver qu’il avait tort, il baissa la tête, honteux. Il se savait malheureux, mais ignorait que l’envie que ça s’arrête l’avait à ce point engloutie.

  • N’aie pas l’air aussi abattu. Tu n’es pas le premier à traverser une crise de foi, mais tu fais partie des rares élus qui continuent à se battre.

  Le jeune Tsumyo fut surpris d’entendre cela de la bouche d’Akira. Il lui avait toujours semblé que son grand père l’observait avec un étrange mélange de curiosité et de mépris. Un compliment aussi direct ne lui ressemblait pas. Le patriarche eu une moue légérement consternée devant la réaction de son petit-fils.

  • Tu sais, je n’ai rien contre toi Sarouh. Je désapprouve les choix de tes parents à tous les niveaux; mais je suis fier que mon sang coule dans tes veines. Tes cartes ne sont pas aussi bonnes qu’elles auraient pu l’être, mais je compte sur toi pour les jouer au mieux.

  La référence échappa au Genin, sans l’empêcher de ressentir une forme de fierté. Il ne su quoi répondre mais Akira sembla se satisfaire du silence, comme gêné par sa propre déclaration. Il dévia le sujet de la conversation en masquant son trouble derrière une gorgée de thé.

  • Je t’ai enseigné les mouvements pour le clone aqueux, où est-ce que tu en es ?
  • J’arrive à en produire deux d’un coup. Ils me servent de partenaire d’entraînement. Tu avais raison, ils sont beaucoup plus résistants que la technique originelle.
  • Mais drainent beaucoup plus, surtout sans eau à proximité. Utilise-les avec intelligence.
  • Merci grand-père. Est-ce que je peux te poser une dernière question ?

  Sarouh savait qu’il ne valait mieux pas pousser sa chance, mais était troublé par l’excès de sincérité d’Akira. Le vieil homme leva un sourcil inquisiteur, seul signe qu’il avait entendu sa question.

  • Si tu désapprouves les choix de mes parents, pourquoi tu m’aides ?

  La fatigue sembla s’abattre sur lui, mais alors qu’il allait répondre, plusieurs coups secs se firent entendre à la porte. L’échange de regards entre les Tsumyo leur suffit pour confirmer qu’ils n’attendaient personne. Dans leur entrée, une trentenaire aux cheveux bruns et courts, soutint le regard du patriarche de ses yeux olives.

  • Je suis bien chez l’aspirant Tsumyo Sarouh ?
  • Ca dépend qui le demande, rabroua Akira d’un ton désagréable.
  • Toutes mes excuses, je suis Kurimi Asahi, Jounin responsable d’une mission pour laquelle il fait partie de mes effectifs.

  Le vieil homme fit un signe de tête en direction de la cuisine dans laquelle Sarouh était resté assis. Il dévisagea son maître d’une mission avec une curiosité évidente. Sa veste renforcée, la poche ninja située sur sa hanche, un imperméable flottant sur les épaules, il lui sembla évident que le départ serait immédiat. Il regretta son entraînement du <matin.

  • Ne fais pas cette tête. Tu vas apprécier l’expérience, avança la Jounin d’un air enjoué. Rejoins nous à la porte Nord dans une heure. J’ai plusieurs choses à régler avant le départ.

  Elle lui fit un clin d’oeil et disparu dans une volute de fumée, laissant Sarouh sur sa faim.

  • Qu’est-ce que tu attends, fit le patriarche d’une voix irritée qui lui ressemblait bien plus. Fonce.

  Le Genin se précipita dans sa chambre récupérer ses affaires, aussi surpris que soulagé. Il était temps.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire dtnoftheworld ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0